mémoire de l`appelante - Cour suprême du Canada
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Dossier no 34512 COUR SUPRÊME DU CANADA (EN APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC) ENTRE : SA MAJESTÉ LA REINE APPELANTE (intimée) - et FRÉDÉRICK BÉLANGER INTIMÉ (appelant) MÉMOIRE DE L’APPELANTE (article 42 des Règles de la Cour suprême du Canada) Me Guy Loisel Me Robin Tremblay Directeur des poursuites criminelles et pénales Bureau 1.05 71, avenue Mance Baie-Comeau (Québec) G4Z 1N2 Me Jean Campeau Procureur aux poursuites criminelles et pénales Bureau 1.230 17, rue Laurier Gatineau (Québec) J8X 4C1 Tél. : 418 296-4994 poste 66633 Téléc. : 418 294-8990 [email protected] Tél. : 819 776-8111 poste 60416 Téléc. : 819 772-3986 [email protected] Procureur de l’appelante Correspondant de l’appelante Henri A. Lafortune Inc. Tél. : 450 442-4080 Téléc. : 450 442-2040 [email protected] 2005, rue Limoges Longueuil (Québec) J4G 1C4 www.halafortune.ca L-3568-12 -2Me Jean-Claude Dufour 106, boul. Lasalle Baie-Comeau (Québec) G4Z 1R6 Me Richard Gaudreau Bergeron, Gaudreau 167, rue Notre-Dame-de-l’Île Gatineau (Québec) J8X 3T3 Tél. : 418 296-4142 Téléc. : 418 296-8890 [email protected] Tél. : 819 770-7928 Téléc. : 819 770-1424 [email protected] Procureur de l’intimé Correspondant de l’intimé -iTABLE DES MATIÈRES MÉMOIRE DE L’APPELANTE PARTIE I – EXPOSÉ CONCIS DES FAITS ET DE LA POSITION Page .........................................1 Sommaire .........................................1 Les faits .........................................2 En première instance : .........................................6 En appel : .........................................7 PARTIE II – EXPOSÉ CONCIS DE LA QUESTION EN LITIGE .........................................9 PARTIE III – EXPOSÉ CONCIS DES ARGUMENTS .......................................10 Introduction .......................................10 A) L'ACTUS REUS .......................................10 i. Le droit .......................................11 ii. Application aux faits .......................................12 B) LA MENS REA .......................................18 i. Le droit .......................................19 ii. L'écart marqué .......................................20 iii. L'erreur de fait raisonnable .......................................27 iv. L'état d'esprit subjectif .......................................32 PARTIE IV – LES DÉPENS .......................................36 - ii TABLE DES MATIÈRES MÉMOIRE DE L’APPELANTE PARTIE V – ORDONNANCES DEMANDÉES Page .......................................37 PARTIE VI – TABLE ALPHABÉTIQUE DES SOURCES ......................................... 38 PARTIE VII – TEXTES LÉGISLATIFS .......................................39 -1Mémoire de l’appelante Exposé concis des faits et de la position EXPOSÉ DE L’APPELANTE PARTIE I – EXPOSÉ CONCIS DES FAITS ET DE LA POSITION SOMMAIRE 1. Début octobre 2007, l'intimé circule au volant d'un véhicule, en compagnie d'un ami, sur la route régionale non éclairée qu'il connaît. L'intimé suit de très près à la sortie de la Ville de Baie-Comeau un camion qui circule à environ 95 kilomètres à l'heure dans une zone de 90 kilomètres à l'heure. Parce que cette vitesse de croisière ne lui convient pas, l'intimé entreprend de dépasser par la gauche dans une pente ascendante le camion, bien que celui-ci lui obstrue partiellement la vue et qu'il fait nuit noire. Pourtant, se trouve au centre de la chaussée une ligne double continue interdisant un dépassement par la gauche. 2. Parce qu'il sait que l'interdiction de dépasser indiquée à cet endroit est suivie d'une ligne discontinue offrant un court espace de dépassement, l'intimé décide de dépasser immédiatement. Après une vérification minimale et se disant : « Ok., ça a l'air « safe », je vais y aller », l'intimé a traversé la ligne double continue bien avant la ligne discontinue qui est elle-même forcément suivie d'une autre zone d'interdiction de dépasser. Alors qu'il est dans la voie de gauche et parallèle au camion à 85 mètres de la fin de la ligne double continue qui prohibe le dépassement en raison d'une dénivellation surgit un véhicule que l'intimé emboutit de plein fouet causant la mort de son conducteur ainsi que des blessures à l'ami de l'intimé. 3. Au terme de son procès sous des accusations de conduite dangereuse causant la mort et des lésions corporelles, l'intimé est trouvé coupable par une juge de la Cour du Québec qui conclut que sa conduite était dangereuse et constituait, non seulement un écart marqué, mais aussi un comportement insouciant à l'égard de -2Mémoire de l’appelante Exposé concis des faits et de la position la vie d'autrui. Ces condamnations sont infirmées par la Cour d'appel qui substitue des verdicts d'acquittement au motif que, loin de constituer un écart marqué, la conduite de l'intimé n'est même pas dangereuse au sens de l'article 249 du Code criminel (infra, p. 39-40). 4. L'appelante entend démontrer que cette décision n'est pas conforme aux enseignements de cette Cour et que si la Cour d'appel ne s'était pas méprise sur le droit applicable, elle aurait souscrit aux conclusions du juge d'instance quant à la qualification de la conduite de l'intimé ainsi qu'à son état d'esprit répréhensible qui, dans les circonstances, va jusqu'à l'insouciance. LES FAITS 5. Dans la soirée du 7 octobre 2007, l'intimé décide d'aller se balader en véhicule automobile. Il conduit un Jeep Grand Cherokee et amène avec lui son ami Michel Bisson qui occupe la place avant, côté passager. L'intimé est le conducteur. Il a mis 60 $ d'essence pour cette balade 1. 6. Vers 19 h 20, l'intimé circule derrière un camion Ford F-150 dont le conducteur est Rémi Caron. Ce dernier vient de quitter son travail et il est en direction de sa résidence. Il se dirige vers la route 138 pour l'emprunter en direction ouest. L'intimé le suit dans la même direction. Le camion de Rémi Caron est plus gros que le véhicule de l'intimé 2. 7. Avant de s'engager sur la route 138, les deux (2) automobiles circulent sur la route Maritime qui permet l'accès à la route 138. Ils s'immobilisent au feu rouge à l'intersection des deux (2) routes. Au feu vert, ils s'engagent sur la route 138 en direction ouest qui mène à l'autre extrémité du secteur Marquette de Baie- 1 2 Témoignage de Frédérick Bélanger, Dossier de l’appelante, ci-après D.A., vol. 1, p. 146. Témoignage de Rémi Caron, D.A., vol. 1, p. 48 et 50. -3Mémoire de l’appelante Exposé concis des faits et de la position Comeau. La vitesse maximale permise sur cette portion de la route 138 est de 90 kilomètres à l'heure 3. 8. Rémi Caron va accélérer jusqu'à 90 ou 95 kilomètres à l'heure suivi de l'intimé à une distance équivalente à la longueur de deux (2) automobiles4. 9. Rémi Caron et l'intimé sortent alors d'une courbe. Ils circulent sur un tronçon de route droit et ascendant avec au centre une ligne double continue interdisant un dépassement par la gauche en raison d'une dénivellation. Succède à la ligne double, sur le dessus de la côte, une ligne discontinue autorisant un dépassement lorsque les circonstances le permettent. 10. Insatisfait de la vitesse de Rémi Caron, l'intimé décide de le doubler dans la zone d’interdiction afin de circuler à 100 kilomètres à l'heure 5. Il le dépasse par la voie de gauche alors que cette manœuvre est interdite par la signalisation sur la route et l'intimé en est conscient 6. 11. De l'aveu même de l'intimé, s'il traverse ainsi la ligne double bien avant d'atteindre la ligne discontinue qui permet un dépassement sécuritaire, c'est qu'il veut prendre de l'avance parce qu'il sait que la ligne pointillée n'offre qu'un court espace dépassement puisqu'elle est suivie d'une autre zone d'interdiction 7. 12. L'intimé entreprend son dépassement à plus de 85 mètres (278,87 pieds) de la ligne discontinue qui permet le dépassement. Avant de ce faire, il met son clignotant pour indiquer son intention de doubler 8. Il se déplace un peu sur la voie 3 4 5 6 7 8 Témoignage de Rémi Caron, D.A., vol. 1, p. 33 à 38. Témoignage de Rémi Caron, D.A., vol. 1, p. 37 et 38. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol 1, p. 138,139 et 166. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 144 et 154. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 138 et 154. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 148. -4Mémoire de l’appelante Exposé concis des faits et de la position de gauche afin de vérifier la présence d'automobiles et il dépasse. Il avouera au procès s'être dit que « Ça a l'air « safe », je vas y aller » 9. 13. Avant que l'intimé entreprenne sa manœuvre de dépassement, Rémi Caron avait aperçu au loin devant lui des phares de véhicule lui indiquant la présence d'une voiture circulant en sens inverse. Les phares vont disparaître du champ de vison de Rémi Caron lorsque ce véhicule, celui de Michel Rostand, se retrouve au fond du vallon 10. 14. Alors que l'intimé est sur la voie de gauche en train de dépasser le véhicule de Rémi Caron, le véhicule de Michel Rostand apparaît et une collision entre les deux (2) automobiles survient. Lors de l'apparition du véhicule de Michel Rostand, l'intimé se trouve à la hauteur du camion de Rémi Caron, en parallèle 11. 15. Suite à cette collision frontale, Michel Rostand, 53 ans, meurt sur le coup. Michel Bisson, 19 ans, subit une fracture du fémur gauche. L'intimé quant à lui subit une blessure à la cheville gauche 12. 16. Lorsque l'intimé entreprend ses manœuvres de dépassement, il traverse la double ligne médiane interdisant cette manœuvre à beaucoup plus de 85 mètres (278,971 pieds) de la ligne discontinue qui l'autorise. En effet, du témoignage de l'expert Christian Tremblay, la collision des deux (2) automobiles a lieu à 50 mètres (164,04 pieds) avant la ligne discontinue 13. Il constate également une première trace de freinage du véhicule de l'intimé à 35 mètres14 (114,83 pieds) à l'est du lieu de la collision, soit à 85 mètres de la ligne discontinue. Lorsque l'intimé 9 10 11 12 13 14 Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 138 et 162. Témoignage de Rémi Caron, D.A., vol. 1, p. 39 et 40. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 139. Pièce P-1, Liste des admissions, D.A., vol. 2, p. 1. Témoignage de Christian Tremblay, D.A., vol. 1, p. 108 – 113. Témoignage de Christian Tremblay, D.A., vol. 1, p. 77. -5Mémoire de l’appelante Exposé concis des faits et de la position applique les freins, c'est lors de l'apparition le l'auto de Michel Rostand. À ce moment, l'intimé est à la hauteur du camion de Rémi Caron 15. Par conséquent, il a amorcé son dépassement bien avant 85 mètres (278,87 pieds) de la ligne discontinue. 17. L'intimé n'est pas pressé. Il n'est pas en situation de stress ni en situation d'urgence. La seule raison du dépassement est le désir de rouler à 100 kilomètres à l’heure 16. Il a réfléchi et a pris sa décision en pleine maîtrise de ses moyens et en toute connaissance de cause. 18. C'est la noirceur et les lieux ne sont pas éclairés 17. Sa vue est obstruée par le camion de Rémi Caron devant lui18. Il connaît les lieux, mais il croit que la zone de dépassement est trop courte pour effectuer un dépassement 19. Il sait que la ligne est continue double. Il sait que de dépasser sur une ligne continue double est interdit et dangereux 20. Il prend un risque et ne tient pas compte de l'avertissement d'un danger que représente la ligne continue double. 19. Suite à cela, l'intimé sera accusé de conduite dangereuse causant des lésions corporelles à Michel Bisson (article 249(3) du Code criminel, infra, p. 40) et causant la mort de Michel Rostand (article 249(4) du Code criminel, infra, p. 40)21. 20. Le procès en Cour du Québec a lieu le 18 mai 2010 à Baie-Comeau devant l'honorable juge Nathalie Auby, J.C.Q. 21. Il est déclaré coupable des deux chefs d'accusation le 14 septembre 2010. 15 16 17 18 19 20 21 Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 139. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 138, 139 et 166. Témoignage de Christian Tremblay, D.A., vol. 1, p. 64. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 151 et 162. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol., 1, p. 154 et 155. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 161, 162 et 163. Accusations, D.A., vol. 1, p. 19. -6Mémoire de l’appelante Exposé concis des faits et de la position 22. Le 13 octobre 2010, l'intimé produit un avis d'appel en Cour d'appel du Québec à Québec. 23. Après la production des mémoires, audition et plaidoiries, la Cour d'appel rend sa décision le 8 septembre 2011 et les motifs écrits le lendemain, soit le 9 septembre 2011, en infirmant le jugement de culpabilité et acquittant l'intimé des deux (2) chefs d'accusation. En première instance : 24. L'accusé a témoigné à l'effet que le 7 octobre 2007, il connaissait la géographie particulière des lieux, mais n'avait jamais vécu le phénomène de la disparition d'un véhicule roulant en sens inverse. Il plaide le piège. Il a déclaré à cet effet : « Oui, je le savais qu'il y avait une petite pente là. Mais jamais j'ai vu un automobiliste… » 22 25. La juge Nathalie Aubry, J.C.Q., a déclaré l'intimé coupable en concluant qu'il avait conduit de façon dangereuse pour le public. Le dépassement sur une ligne double continue est une manœuvre dangereuse et l'accusé savait ou devait savoir que dépasser sur une ligne double continue constitue un risque élevé de collision. 26. Selon la juge, l'affirmation de l'intimé qu'il ignorait l'existence d'une perte de visibilité est contradictoire avec son témoignage à l'effet qu’il connaît tellement bien le trajet qu'il sait que l'interdiction de dépasser est suivie d'une ligne pointillée le permettant et que cette dernière zone est trop courte pour ce faire 23. 27. L'intimé n'est pas pressé et roule tout bonnement pour le plaisir. 22 23 Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 152 et 153. D.A., vol. 1, p. 15, par. 17 du jugement de la Cour du Québec. -7Mémoire de l’appelante Exposé concis des faits et de la position 28. S'appuyant sur les principes de l'arrêt Beatty, l’honorable juge Nathalie Aubry, J.C.Q., conclut qu'une personne raisonnable n'aurait pas, dans les circonstances, entamé un dépassement sur une ligne double continue sans se soucier de l'impact possible pour les passagers et les autres personnes empruntant la route en sens inverse. En appel : 29. La Cour d'appel s'appuie aussi sur l'arrêt Beatty pour rendre sa décision. Elle conclut à deux (2) erreurs de la part de l’honorable juge de première instance. Elle rend sa décision le 8 septembre 2011, avant l'imposition de la peine en première instance. 30. Selon la Cour d'appel, l'actus reus de l'infraction de même que la mens rea chez l'intimé étaient insuffisants pour conclure à la commission de l'infraction de conduite dangereuse 24. 31. La conduite de l'intimé ne serait pas une conduite dangereuse au sens de l'arrêt Beatty puisqu'elle n'est pas un écart marqué au sens de la norme. Tout au plus, la conduite de l'intimé est imprudente au sens du Code de la sécurité routière, L.R.Q., c. C-24.2 (infra, p. 41-42)25. 32. Sur la mens rea, la Cour d'appel retient l'erreur de fait raisonnable de l'intimé à l'effet qu'il ne savait pas que la visibilité était obstruée par le vallon. Cette croyance subjective de l'intimé était objectivement raisonnable dans les circonstances selon la Cour d'appel. 24 25 D.A., vol. 1, p. 11 et 12, par. 24 et 25 du jugement de la Cour d'appel du Québec. D.A., vol. 1, p. 11, par. 24 du jugement de la Cour d'appel du Québec. -8Mémoire de l’appelante Exposé concis des faits et de la position 33. Également, la Cour d'appel conclut qu'il n'y aurait pas de contradiction dans le témoignage de l'accusé à l'effet qu'il se souvient de la ligne discontinue trop courte qui s'annonce, mais ne se souvient pas de la pente qui cache la vue 26. 34. Le 26 avril 2012, la Cour suprême du Canada autorisait l'appel suite à la demande de l'appelante. 35. Nos prétentions sont à l'effet que la conduite de l'intimé est une conduite dangereuse au sens du Code criminel. La Cour d'appel a erronément conclu à une absence d'actus reus et de mens rea. ---------- 26 D.A., vol. 1, p. 11, par. 22 du jugement de la Cour d'appel du Québec. 9 Mémoire de l’appelante Exposé concis de la question en litige PARTIE II – EXPOSÉ CONCIS DE LA QUESTION EN LITIGE La Cour d'appel a-t-elle erré quant à l'interprétation et à l'application des critères a considérer tel qu'élaborés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Beatty, (2008) 1 R.C.S 49 pour l'analyse de l'infraction de conduite dangereuse causant des lésions et la mort prévue à l'article 249(1)(3)(4) du Code criminel? 36. L'appelante entend démontrer que la Cour d'appel a erronément interprété l'application des critères pertinents en matière de conduite dangereuse afin de déterminer s'il y avait eu démonstration de l'actus reus et de la mens rea. ---------- - 10 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments PARTIE III – EXPOSÉ CONCIS DES ARGUMENTS Introduction 37. Tel qu'il appert de la formulation de la question en litige donnant lieu au présent pourvoi devant cette Cour, la position de l'appelante est que la Cour d'appel du Québec s'est méprise quant à l'interprétation et à l'application des enseignements de cette Cour dans l'arrêt R. c. Beatty. La position de l'appelante se trouve renforcée par l'arrêt R. c. Roy. 38. Afin de prouver ce que nous affirmons, nous aborderons tout d'abord l'actus reus et ensuite la mens rea. Lors de l'étude de l'actus reus, nous démontrerons que l'appelante s'est acquittée de son fardeau puisque l'intimé a objectivement conduit dangereusement au sens de l'article 249(1)a) du Code criminel (infra, p. 39). Lors de l'étude de la mens rea, nous exposerons que l'intimé avait un état d'esprit blâmable allant même jusqu'à l'insouciance et qu'il n'a pas fait la preuve d'une erreur de fait raisonnable. A) L'ACTUS REUS 39. La Cour d'appel a conclu que le ministère public n'a pas démontré que la conduite de l'intimé était objectivement dangereuse. Tout au plus, le ministère public aurait démontré une infraction au Code de la sécurité routière : « Dans le continuum identifié dans Hundal, l'infraction au Code de la sécurité routière dont parle la juge ne suffisait pas pour condamner l'appelant. Il a peut-être fait preuve d'imprudence au sens du Code de la sécurité routière, mais sa conduite ne peut aucunement être qualifiée de « dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l'état du lieu, l'utilisation qui en est faite ainsi que l'intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu », comme l'exige l'article 249 du Code criminel. » 27 27 D.A., vol. 1, p. 11, par. 24, jugement de la Cour d'appel. - 11 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments 40. L'appelante entend démontrer que la Cour d'appel a erré en droit en concluant de la sorte. Pour ce faire, l'appelante présentera tout d'abord l'état du droit quant à l'actus reus pour l'infraction de conduite dangereuse et ensuite elle appliquera le droit aux faits. i. LE DROIT 41. Avec l'arrêt R. c. Roy 28 qui réitère les principes dégagés dans R. c. Beatty, l'état du droit est clair : [33] Selon l’arrêt Beatty, l’actus reus de la conduite dangereuse est celui décrit à l’al. 249(1)a) du Code, c’est-à-dire conduire « d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu » (par. 43). [34] Pour déterminer si l’actus reus a été établi, il faut déterminer si la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public dans les circonstances. L’enquête doit être axée sur les risques créés par la façon de conduire de l’accusé, et non sur les conséquences, comme un accident dans lequel il aurait été impliqué. Comme l’a déclaré la juge Charron au par. 46 de Beatty, « [l]e tribunal ne doit pas tirer de conclusion hâtive au sujet de la façon de conduire en se fondant sur la conséquence. Il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire » (je souligne). Une façon de conduire peut à juste titre être qualifiée de dangereuse lorsqu’elle met en danger le public. L’élément pertinent, c’est le risque de dommage ou de préjudice qu’engendre la façon de conduire, non les conséquences d’un accident ultérieur. […] 42. Il ressort également de l'analyse effectuée dans R. c. Beatty que la conséquence peut aider à apprécier le risque en cause 29. 28 R. c. Roy, 2012 CSC 26, par. 33 et 34, Recueil de sources de l’appelante, ci-après R.S.A., onglet 10. - 12 Mémoire de l’appelante ii. Exposé concis des arguments APPLICATION AUX FAITS 43. Afin de déterminer si la façon de conduire de l'intimé était objectivement dangereuse pour le public, la Cour d'appel se devait donc d'analyser les circonstances particulières suivantes qui ressortent de la preuve présentée : • L'intimé conduisait une automobile sur la route 138 30 qui est la principale route de la région de la Côte-Nord, donc sur une route achalandée; • L'intimé circulait dans une zone de grande vitesse, c'est-à-dire dans une zone de 90 kilomètres à l'heure 31; • L'intimé avait une visibilité limitée étant donné que la collision a eu lieu le 7 octobre vers 19 h 30 alors qu'il faisait noir, sur une portion de route ascendante non éclairée, sans éclairage artificiel, ni aucun lampadaire 32; • Devant le Jeep Grand Cherokee de l'intimé circulait le camion F-150 de Rémi Caron qui était plus haut 33 et qui obstruait la vue de l'intimé 34; • Rémi Caron circulait à une vitesse estimée à 90, 95 kilomètres à l'heure 35; • Cette vitesse ne convenait pas à l'intimée qui voulait circuler à environ 100 kilomètres à l'heure 36; 29 30 31 32 33 34 35 R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49, par. 46, R.S.A., onglet 3. Enquête de collision préparée par Christian Tremblay (Pièce P-8), D.A. vol. 2, p. 67, 70 et 93. Id., p. 4 et 28. Témoignage de Rémi Caron, D.A., vol. 1, p. 45. Témoignage de Rémi Caron, D.A., vol. 1, p. 38, 51 et 52 et Témoignage de Christian Tremblay, D.A., vol. 1, p. 64. Témoignage de Rémi Caron, D.A., vol. 1, p. 50. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 151 et 162. Témoignage de Rémi Caron, D.A., vol. 1, p. 37-38 et Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 138. - 13 Mémoire de l’appelante • Exposé concis des arguments À cet endroit, le dépassement par la gauche est interdit par une ligne continue double bien visible 37; • L'intimé a dépassé le véhicule de Rémi Caron en circulant à moins de 100 kilomètres à l'heure. Il circulait à peut-être 98 kilomètres à l'heure 38; • Une pente empêchait momentanément de percevoir les véhicules venant en sens inverse, et ce, jusqu'à ce que soit atteinte la zone de dépassement commençant sur le dessus de ladite pente; • La zone de dépassement était trop courte pour dépasser selon l'intimé 39; • Lorsque l'intimé amorce son dépassement, il est à beaucoup plus de 85 mètres (278,91 pieds) du début de la zone de dépassement; • Selon l'expert en reconstitution, à la page 9 de son rapport d'enquête de collision déposé en preuve sous P-8 : « La collision s'est produite dans des conditions nocturnes sur une portion de route droite, au sommet d'une élévation où il n'y avait aucun éclairage. Le temps était clair et la chaussée asphaltée était dégagée et sèche. La route et ses abords étaient libres de tout objet ou obstacle susceptible de nuire à la visibilité. Aucune brume ou brouillard ne pouvait nuire à la visibilité au moment de la collision. » • À la lueur du passage suivant du rapport de l'expert à la page 15 sous la rubrique « Sommaire », il est clair qu'on ne peut aucunement plaider « le piège » causé par la route : 36 37 38 39 Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 139. Témoignage de Christian Tremblay, D.A., vol. 1, p. 66. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 149-150. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 155. - 14 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments « Les facteurs environnementaux du site de la collision tels que l'infrastructure, la signalisation et la visibilité ne sont pas contributifs à cette collision routière. Compte tenu de la configuration particulière de l'infrastructure et de la perte de visibilité dans les deux directions, le marquage au sol qui interdisait tout dépassement était adéquat. » 44. D'ailleurs, la Cour d'appel du Québec n'a pas manqué de souligner dans Thierry Guggisberg c. Sa Majesté la Reine 40 qu'il faut démontrer une prudence accrue lorsqu'on circule la nuit puisqu'on voit moins loin et qu'il en résulte que la visibilité est forcément limitée. 45. Il ressort en outre de la preuve que l'intimé, se faisant, a commis simultanément deux (2) infractions au Code de la sécurité routière soit un excès de vitesse et avoir franchi une ligne continue double; 46. Ce n'est pas parce que l'intimé a commis des infractions au Code de la sécurité routière que sa conduite est pour autant moins objectivement dangereuse au sens de l'article 249(1)a) du Code criminel (infra, p. 39); 47. À titre d'exemple, nous référons aux dossiers La Reine c. Mathieu Landry41 et La Reine c. Johnny Coonishish 42. 48. Dans la cause de Mathieu Landry, le ministère public reprochait à ce dernier d’être passé sur un feu de circulation rouge au volant d'un fardier muni d'une semiremorque et d'avoir causé la mort de deux personnes qui s'étaient engagées dans 40 41 42 1996 CanLII 6093 (QC CA), R.S.A., onglet 15. 2011 QCCQ 82, R.S.A., onglet 7. 2012 QCCQ 3756, R.S.A., onglet 4. - 15 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments l'intersection. L'honorable juge Decoste, J.C.Q. a déclaré l'accusé coupable de conduite dangereuse causant la mort 43. L'accusé avait pourtant commis une infraction au Code de la sécurité routière qui n'a duré que quelques secondes. La Cour d'appel du Québec a récemment confirmé la culpabilité de Landry 44. 49. Le récent dossier de Johnny Coonishish, ressemble énormément à la présente cause. Il s'agit d'un dépassement sur une ligne continue double suivi d'une collision frontale. La limite de vitesse était de 90 kilomètre à l’heure le dépassement effectué par la camionnette a commencé plusieurs centaines de pieds avant la ligne discontinue. La ligne discontinue pour la camionnette débutant sur le haut du button était précédée d'une ligne continue double en raison de la présence dudit button rendant impossible durant quelques secondes de voir un véhicule situé dans le creux de l'autre côté. 50. Dans ce dossier, la ligne discontinue permettant le dépassement pour la camionnette commençait à quelques dizaines de mètres du lieu d'impact. Le technicien en reconstitution a affirmé que le ministère des Transports a interdit le dépassement aux véhicules parce que la visibilité n'était « pas assez complète, c'était pas sécuritaire là. ». La ligne double était là pour éviter des dépassements 45. Pour sa part, Coonishish a témoigné à l'effet que la route était « droite et sécure ». 51. Lors de son jugement, la juge Micheline Paradis, J.C.Q. a pris en considération la décision de la Cour d'appel du Québec de Frédérick Bélanger 46. 43 44 45 46 R. c. Landry, 2011 QCCQ 82, R.S.A., onglet 7. 2012 QCCA 692, R.S.A., onglet 8. Id. 42, par. 46. Id. 45, par. 145. - 16 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments 52. La juge Paradis a ensuite conclu que Coonishish avait l'actus reus et la mens rea requis en vertu de l'article 249(3) du Code criminel (infra, p. 40). Pour statuer sur la preuve de l'actus reus, elle écrit aux paragraphes 149 et 150 : [149] La conduite de l'accusé était objectivement dangereuse en considérant plusieurs facteurs, dont les suivants : ➢ il a franchi une ligne double continue pour dépasser un véhicule qui le précédait; ➢ il faut tenir compte de la nature et de l'état de la route; Johnny Coonishish sortait d'une courbe et il circulait dans la montée d'une colline (un button); ➢ la preuve a été faite de façon très prépondérante, même par la défense, qu'à cet endroit il est impossible, durant quelques secondes, de voir un véhicule qui est dans le creux de l'autre côté du button. [150] Le Tribunal conclut que l'actus reus a été prouvé hors de tout doute raisonnable. 53. Dans notre dossier, le jugement de la Cour d'appel minimise la règle internationalement reconnue selon laquelle les doubles lignes constituent une interdiction de dépasser. Elles indiquent aux conducteurs les endroits où il est dangereux de dépasser. 54. Ainsi, en dépassant à l'endroit en question, l'intimé a fait abstraction de l'avertissement d'un danger. 55. En première instance, l'intimé a admis avoir objectivement conduit dangereusement pour le public. Il l'a fait par la voix de son avocat qui s'est exprimé comme suit en plaidoirie : « C'est innocent -pour un jeu de mot- d'avoir passé là. - 17 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments Mais, il n'avait pas l'intention malveillante, méchante, criminelle. » 47 Il faut bien sûr comprendre que son procureur voulait ici donner au mot innocent le sens de stupide. 56. En résumé, la conduite de l'intimé était objectivement dangereuse suivant le libellé même de l'article 249 (1)a) du Code criminel (infra, p. 39) puisque : 1. Il circulait vers 19 h 30 sur une route passante; 2. Il était dans une zone de grande vitesse; 3. Il a dépassé un véhicule alors qu'il sortait d'une courbe se trouvant ainsi dans la voie des véhicules circulant en sens inverse sur une ligne continue double à plus de 85 mètres (278,87 pieds) du début de la ligne discontinue autorisant le dépassement; 4. Il était en excès de vitesse; 5. Il était à l'approche d'une pente qu'il connaissait 48; 6. Il était dans une situation de visibilité limitée par la noirceur; 7. Il avait en plus la vue obstruée par un gros camion devant lui. 57. Dans le présent dossier, il ne fait nul doute que la conduite de l'intimé a mis le public en danger. Le risque de dommage ou de préjudice qu'a engendré la conduite de l'intimé s'évalue, dans le présent dossier, par le risque de collision avec une voiture venant en sens opposé. Malheureusement, le risque s'est ici matérialisé. 47 48 Plaidoirie de Me Jean-Claude Dufour, D.A., vol. 1, p. 181. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A., vol. 1, p. 153. - 18 Mémoire de l’appelante B) Exposé concis des arguments LA MENS REA 58. La Cour d'appel a conclu que le ministère public n'a pas démontré une conduite dangereuse qui s'écarte de façon marquée de la norme au sens où l'entend la juge Charron dans Beatty. Elle ajoute au paragraphe 17 : « […]Le fait de traverser la ligne double, en soi, ne suffit pas pour conclure à une négligence pénale par opposition à la négligence civile. Outre son constat que l'appelant a consciemment et délibérément décidé de doubler le véhicule de Rémi Caron, la juge ne tient pas compte de l’état d’esprit de l’appelant dans son appréciation du « critère objectif modifié » que l’on doit appliquer en matière de négligence pénale. Plus précisément, la juge ne place pas la personne raisonnable dans une situation semblable à celle de l’appelant puisqu'elle décide de ne pas considérer son erreur de fait. » 59. La Cour d'appel a retenu à titre d'erreur de fait raisonnable une portion du témoignage de l'intimé à l'effet qu'il croyait qu'il n'y avait pas de voiture venant vers lui dans la voie opposée quand il a effectué le dépassement. 60. Nous entendons démontrer que la cour d'appel a erré quant à l'interprétation et à l'application du droit relativement à la mens rea. 61. En premier lieu, nous allons exposer l'état du droit en matière de mens rea lors d'infractions de conduite dangereuse. En deuxième lieu, nous démontrerons que la conduite de l'intimé constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu'aurait respectée une personne raisonnable dans la même situation. En troisième lieu, nous exposerons pourquoi l'intimé n'a pas commis d'erreur de fait raisonnable. Enfin, nous démontrerons que l'intimé avait la mens rea subjective. - 19 Mémoire de l’appelante i. Exposé concis des arguments Le droit 62. Les décisions de principe sont R. c. Roy, 2012 CSC 26, et R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49. Cette Cour a récemment réitéré dans Roy les principaux éléments des motifs exprimés par la majorité dans Beatty49. 63. La Cour s'exprime ainsi au paragraphe 36 de l'arrêt Roy : « [36] L’analyse relative à la mens rea doit être centrée sur la question de savoir si la façon dangereuse de conduire résultait d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (Beatty, par. 48). Il est utile d’aborder le sujet en posant deux questions. La première est de savoir si, compte tenu de tous les éléments de preuve pertinents, une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible. Le cas échéant, la deuxième question est de savoir si l’omission de l’accusé de prévoir le risque et de prendre les mesures pour l’éviter si possible constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé. » 64. Au paragraphe 38 du même arrêt, la Cour nous enseigne aussi que : « [38] L’exigence minimale en matière de faute réside dans l’écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation — un critère objectif modifié. L’application de ce critère objectif modifié signifie que, bien que la personne raisonnable soit placée dans la situation de l’accusé, la preuve des qualités personnelles de l’accusé (telles que son âge, son expérience et son niveau d’instruction) n’est pas pertinente, sauf si elles visent son incapacité d’apprécier ou d’éviter le risque (par. 40). Certes, la preuve d’une mens rea subjective — c’est-à-dire, conduire délibérément de façon dangereuse — justifierait une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse, mais cette 49 R. c. Roy, 2012 CSC 26, par. 29, R.S.A., onglet 10. - 20 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments preuve n’est pas requise (la juge Charron, par. 47; voir aussi la juge en chef McLachlin, par. 74-75, et le juge Fish, par. 86). » (les soulignés sont nôtres) 65. Monsieur le juge Cromwell a ensuite aussi abordé la preuve de l'écart marqué comme élément de la faute aux paragraphes 39 et 40 : « [39] Des inférences tirées à partir de l’ensemble des circonstances permettront généralement de déterminer si la faute a été prouvée. Comme l’a dit la juge Charron dans Beatty, le juge des faits doit examiner la totalité de la preuve, y compris les éléments de preuve relatifs à l’état d’esprit véritable de l’accusé (par. 43). [40] De façon générale, l’existence de la mens rea objective requise peut s’inférer du fait que l’accusé a conduit d’une façon qui constituait un écart marqué par rapport à la norme […] » 66. Lors de l'analyse de la mens rea en matière de conduite dangereuse, il faut garder à l'esprit l'exigence de faute. Concernant cet aspect, la juge Charron disait dans l'arrêt Beatty : « C’est uniquement lorsqu’il y a un « écart marqué » que le comportement est suffisamment blâmable pour justifier une conclusion de responsabilité pénale » 50. Dans le même esprit, elle a ensuite affirmé : « Le degré de négligence constitue la question déterminante, parce que la faute criminelle doit être fondée sur un comportement qui mérite d’être puni » 51. ii. L'écart marqué 67. La Cour d'appel a erré en évaluant l'écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation. En traitant de l'écart marqué, la Cour d'appel a avancé : « Le fait de traverser la ligne 50 51 R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49, par. 33, R.S.A., onglet 3. Id. par. 35 et R. c. Roy, 2012 CSC 26, R.S.A., onglet 10. - 21 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments double, en soi, ne suffit pas pour conclure à une négligence pénale par opposition à une négligence civile. » 68. En minimisant l'ensemble des circonstances de la sorte, la Cour d'appel ne pouvait évidemment que conclure comme elle l'a fait. Afin de se conformer aux enseignements de cette Cour, elle devait plutôt analyser l'ensemble des circonstances suivantes émanant de la preuve : a) L'intimé circulait sur la route 138 52 qui est la principale route de la région de la Côte-Nord, donc sur une route achalandée; b) L'intimé circulait dans une zone de grande vitesse soit une zone de 90 kilomètres à l'heure 53; c) Il était environ 19 h 30, donc une heure à laquelle on peut raisonnablement s'attendre à croiser des voitures; d) L'intimé avait un passager dans son véhicule. Il devait donc redoubler de prudence puisqu'il avait la vie de son passager entre les mains; e) L'intimé avait la vision doublement hypothéquée dans un premier temps par la noirceur totale sur une portion de route non éclairée, sans éclairage artificiel, ni aucun lampadaire 54 et dans un deuxième temps par le gros camion 55 devant qui lui obstruait la vue 56; 52 53 54 55 56 Enquête de collision préparée par Christian Tremblay (Pièce P-8), D.A. vol. 2, p. 67, 70 et 93. Id. Témoignage de Rémi Caron, D.A. vol. 1, p. 38, 51 et 52 et témoignage de Christian Tremblay, D.A. vol. 1, p. 64. Témoignage de Rémi Caron, D.A. vol. 1, p. 50. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 151 et 162. - 22 Mémoire de l’appelante f) Exposé concis des arguments Le dépassement de l'intimé était délibéré, car il ne voulait pas suivre Rémi Caron qui circulait à 90, 95 kilomètres à l'heure 57, il voulait circuler à 100 kilomètres à l'heure 58; g) Pourtant Rémi Caron circulait à la limite permise ou même au-dessus; h) L'intimé a effectué son dépassement en circulant à peut-être 98 kilomètres à l'heure 59. Il commentait ainsi une infraction au Code de la sécurité routière en effectuant un excès de vitesse; i) L'intimé a amorcé son dépassement par la gauche à un endroit interdit par une ligne continue double bien visible 60. Le faisant, il commettait ainsi une deuxième infraction au Code de la sécurité routière; j) Lorsque l'intimé a aperçu le véhicule de Michel Rostand, il restait 85 mètres (278,79 pieds) avant d'atteindre la zone de dépassement. L'intimé n'aurait donc pas simplement « pris un petit peu d'avance » 61 comme il le mentionnait dans son témoignage; k) L'expert en reconstitution a rejeté toute théorie du « piège » en rapportant que la route et la signalisation n'étaient pas des facteurs contributifs à la collision. Il a même ajouté que le marquage au sol était adéquat 62. Il n'y a tellement pas de piège à cet endroit que si l'intimé avait attendu le début de la ligne discontinue qui se situe sur le dessus de la côte, il aurait vu si un véhicule s'en venait et aurait ainsi évité toute collision; 57 58 59 60 61 62 Témoignage de Rémi Caron, D.A. vol. 1, p. 37-38 et témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 138. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 139. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 149-150. Témoignage de Christian Tremblay, D.A. vol. 1, p. 66. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 138 et 154. L'enquête de collision préparée par Christian Tremblay (pièce P-8), D.A. vol. 2, p. 75. - 23 Mémoire de l’appelante l) Exposé concis des arguments Le fait de ne pas voir momentanément les véhicules venant en sens inverse dû à la présence d'une côte est un phénomène courant sur les routes de campagne au Québec et au Canada. Le pays n'est pas plat. Il y a des côtes, des vallées, des vallons, des courbes… De là l'importance de respecter la signalisation routière qui nous enseigne où il y a des dangers et où l'on peut dépasser en toute sécurité; m) L'intimé savait qu'il y avait une petite pente 63. L'intimé devait donc redoubler de prudence vu cette connaissance; n) La nuit, que ce soit à 50 mètres à l'est de la zone d'impact ou vis-à-vis la zone d'impact, les usagers de la route ne pouvaient voir le début de la ligne discontinue 64; o) La zone de dépassement était trop courte selon l'intimé 65. Il devait savoir que lorsque une ligne continue double est suivie d'un court espace de dépassement, un tel espace est forcément suivi d'une autre interdiction imminente de dépasser annonçant un autre danger. 69. Dans son analyse de l'état d'esprit de l'intimé, la Cour d'appel ne devait pas se limiter à l'erreur de fait raisonnable alléguée. Il fallait analyser l'ensemble du témoignage de l'intimé, dont ce passage très révélateur : « Q. Non, non, non, non, Non, non. Pourquoi vous ne faisiez pas ça avant régulièrement, dépasser sur une ligne double? 63 64 65 R. J'avais jamais fait ça avant. Q. Pourquoi vous ne le faisiez pas? Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 153. D.A. vol. 2, p. 83, p. 11, photos #7 et #8. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 155. - 24 Mémoire de l’appelante R. Pourquoi que je le faisait pas? Q. Mais vous l'avez fait, monsieur, ici. Exposé concis des arguments Attendez un peu, là. R. Oui, je l'avoue. Oui, je l'ai fait. Q. Vous êtes d'accord avec moi que c'est dangereux de faire ça, dépasser sur une ligne double? R. Ben oui. Q. Vous le saviez à ce moment-là, quand vous l'avez fait? R. Non, pas sur le coup. Moi, je pensais pas… Moi, ce qu'il y avait en avant de moi, il y avait un camion blanc. Sur le coup, je savais pas que c'était un F-150, asteur je le sais, c'est un F-150 blanc. Est-ce que je pourrais finir s'il vous plaît? Q. Oui. R. Il m'obstruait la vue. Q. Oui. R. Michel Rostand avait ses lumières sur les basses. Q. Oui. R. Donc moins d'éclairage. Q. Vous êtes certain qu'il était sur les basses? Comment vous avez fait pour savoir ça? R. Deux (2) « spots » jaunes et non deux (2) « spots » blancs. Normalement, en logique, quand on croise quelqu'un la nuit, on reste pas toujours sur les hautes. Q. Donc c'est une déduction, vous faites une hypothèse. R. Oui, une hypothèse. Q. O.K., bon. - 25 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments R. Ça, c'est une grosse erreur de jugement de ma part. Moi, je pensais qu'il y avait personne en avant de moi. Je m'avais dit : « O.K., ça a l'air « safe », je vas y aller. » Q. Mais il y a une ligne double qui vous dit de pas y aller. C'est dangereux. Vous êtes d'accord avec moi? R. Bien d'accord. Q. Et vous le saviez à ce moment-là? R. Non. Sur le coup, comme je vous dis, je le savais pas, moi, si quelqu'un allait s'en venir en avant de moi. Q. Vous savez à ce moment-là que dépasser sur une ligne double ça pouvait être dangereux. Vous êtes d'accord avec moi? R. Je suis bien d'accord. Q. Vous êtes d'accord. Et à ce moment-là vous le saviez, quand vous dépassez sur une ligne double, que ça pouvait être dangereux. Vous êtes d'accord avec moi? R. …… Q. Répondez à ma question. R. Oui, oui. » 66 (les soulignés sont nôtres) 70. Selon le témoignage de l'intimé, ce dernier s'était dit « OK, ça a l'air « safe » je vas y aller ». Il n'était donc pas certain que personne s'en venait dans la voie opposée puisqu'il s'est dit « ça a l'air ». Il a d'ailleurs approfondi sa pensée en ajoutant : « Non, Sur le coup, comme je vous dis, je le savais pas, moi si quelqu'un allait s'en venir en avant de moi. ». Dans cette situation, le dépassement du véhicule de Rémi Caron à l'endroit et dans les circonstances révélées par la preuve, résulte 66 Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 161 – 163. - 26 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments d'un manque grave de diligence de la part de l'intimé et constitue un écart marqué par rapport à ce qu'aurait fait un conducteur raisonnablement prudent dans les mêmes circonstances. 71. Le bon sens élémentaire veut que si l'intimé ne savait pas si quelqu'un allait s'en venir, il devait s'abstenir formellement de dépasser. 72. Une personne raisonnable en de pareilles circonstances aurait été doublement prudente et n'aurait pas effectué un dépassement. 73. Il ne s'agit pas d'un cas d'inattention momentanée, car l'intimé a consciemment et sciemment décidé de doubler une voiture alors que la signalisation sur la chaussée indiquait clairement l'interdiction. De plus, comme nous l'avons vu dans le passage cité du témoignage de l'intimé, ce dernier savait pertinemment qu'il était dangereux d'effectuer un dépassement sur une ligne double. 74. Appliquons maintenant le test en deux questions de la mens rea tel qu'élaboré dans Roy : 1- Compte tenu de tous les éléments de preuve pertinents, une personne raisonnable aurait-elle prévu le risque et pris les mesures pour l'éviter si possible? 75. La personne raisonnable n'aurait pas fait abstraction de l'avertissement d'un danger pour les usagers de la route que constitue l'interdiction de dépasser à cet endroit. Comme l'a mentionné la juge de première instance au paragraphe 20 : « L'accusé sait ou devait savoir que dépasser sur une ligne double continue entraîne un risque élevé de collision ». La personne raisonnable placée dans la même situation que l'intimé, et de surcroît avec la connaissance qu'il avait des - 27 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments lieux, se serait abstenue de dépasser. Elle aurait été consciente du risque et du danger inhérent au comportement de l'intimé. 2- L'omission de l'accusé de prévoir le risque et de prendre les mesures pour l'éviter si possible constitue-t-elle un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation? 76. Le dépassement, effectué consciemment et délibérément par l'intimé, compte tenu de son état d'esprit subjectif à l'endroit et dans les circonstances en preuve démontre un grave manque de diligence. Il s'agit d'un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l'intimé. 77. Comme société, nous ne pouvons cautionner les écarts de conduite des conducteurs, qui conscients du risque que d'autres véhicules s'en viennent dans la voie opposée, entreprennent de dépasser « à la grâce de Dieu ». Ces conducteurs font courir de graves dangers aux autres usagers de la route. Les conducteurs qui prennent une chance comme l'intimé ont un état d'esprit suffisamment blâmable pour justifier une conclusion de responsabilité au sens de l'article 249(1)a) du Code criminel (infra, p. 39). Comme nous le verrons plus loin, ils ont un état d'esprit subjectif qui constitue un écart marqué par rapport à la norme à laquelle on s'attendrait à voir se conformer un conducteur raisonnablement prudent. iii. L'erreur de fait raisonnable 78. La juge Charron dans l'arrêt Beatty a énuméré à titre de deuxième modification apportée au critère objectif, l'autorisation des moyens de défense disculpatoires. L'un de ces moyens de défense exposés est « l'erreur de fait raisonnable ». Elle l'a présentée de la façon suivante au paragraphe 38 : - 28 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments « […] Dans le même ordre d’idées, une erreur de fait raisonnable peut constituer un moyen de défense suffisant si, compte tenu de la perception raisonnable des faits par l’accusé, son comportement était conforme à la norme de diligence requise. Il est donc important d’appliquer le critère objectif modifié dans le contexte des événements entourant l’incident. Dans Tutton, le juge McIntyre a donné l’exemple suivant à propos d’une accusation de négligence criminelle (à la p. 1432, exemple repris dans Hundal, p. 887-888) : Si un accusé aux termes de l’art. 202 a une croyance sincère et raisonnablement entretenue en l’existence de certains faits, cela peut être une considération pertinente quant à l’appréciation du caractère raisonnable de sa conduite. Prenons par exemple un soudeur engagé pour travailler dans un espace restreint, et qui se fie à la parole du propriétaire des lieux qu’aucune matière combustible ou explosive ne se trouve à proximité; lorsque son chalumeau provoque une explosion qui entraîne la mort d’une personne et qu’il est accusé d’homicide involontaire coupable, il devrait pouvoir faire part au jury de sa perception quant à la présence ou l’absence de matières dangereuses là où il travaillait. » (les soulignés sont nôtres) 79. Le concept d'erreur de fait est étudié dans le Learning Canadian criminal law, des professeurs Don Stuart, Steve Coughlan et Ronald Joseph Delisle 67 : « On the issue of whether a mistake of fact is a defense, Pappajohn v. R. (see previous chapter) is still the leading decision. Chief justice Dickson there decided for the majority that a mistake of fact defence constitutes a denial that the Crown has proved the fault element. It follows that, in the absence of statutory wording to the contrary : […] 2. Where the fault element requires objective negligence, the mistake must be both honest and reasonable. » 67 12th ed. Toronto, Ont. : Carswell, 2012, R.S.A., onglet 16. - 29 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments 80. Dans Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120 (R.S.A., onglet 2), le juge Dickson faisait d'ailleurs, à la page 120, la citation suivante : […]« Dans un article de M. Colin Howard (4 U. of Queensland L.J.) 45), on lit : [TRADUCTION] L’erreur de fait en soi constitue un moyen de défense dans le cas des crimes exigeant la mens rea, ou d’éléments d’un crime qui l’exige; l’erreur de fait ne constitue un moyen de défense dans le cas d’un crime de négligence, ou d’éléments d’une infraction qui exige seulement la négligence, que si l’erreur est fondée sur des motifs raisonnables, compte tenu de toutes les circonstances. (à la p. 47). » (les soulignés sont nôtres) 81. Plus tard, dans R. c. Tutton 68, le juge McIntyre a ainsi bien résumé l'état du droit en matière d'erreur de fait : […]« Cette Cour a statué dans l'arrêt Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120, que la croyance sincère, bien qu'erronée, dans l'existence de circonstances qui, si elles étaient présentes, rendraient la conduite reprochée non coupable, permettrait à un accusé d'être acquitté. Il a aussi été statué dans l'arrêt Pappajohn c. La Reine que la croyance sincère n'a pas à être raisonnable, parce qu'elle aurait pour effet de nier l'existence de la mens rea requise. La situation serait toutefois différente si l'infraction reprochée reposait sur le concept de la négligence, par opposition à celui de l'intention coupable ou de l'état d'esprit répréhensible. Dans ce cas, la croyance déraisonnable mais sincère chez l'accusé serait entretenue de façon négligente. Le fait d'avoir une telle croyance ne pourrait servir de défense lorsque la culpabilité se fonde sur la conduite négligente. Je suis donc d'avis de conclure que le juge du procès n'a commis aucune erreur en disant au jury que toute croyance erronée pouvant servir de défense contre une accusation de négligence criminelle devrait être raisonnable. » 68 R. c. Tutton, [1989] 1 R.C.S. 1392, par. 46, R.S.A., onglet 11. - 30 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments 82. La Cour d'appel fédérale, dans Corporation de l'École Polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127 (R.S.A., onglet 1) soutenait pour sa part au paragraphe 30 qu'afin de déterminer s'il y a une erreur de fait raisonnable, on doit répondre à un double test : [30] « La personne qui invoque une erreur de fait raisonnable doit satisfaire un double test : subjectif et objectif. Il ne lui suffit pas d'invoquer qu'une personne raisonnable aurait commis la même erreur dans les circonstances. Elle doit d'abord établir qu'elle s'est elle-même méprise quant à la situation factuelle : il s'agit là du test subjectif. Évidemment, la défense échoue en l'absence d'une preuve que la personne qui l'invoque a, de fait, été induite en erreur et que cette erreur a mené au geste posé. Elle doit ensuite établir que son erreur était raisonnable dans les circonstances : il s'agit là du test objectif. » 83. Dans notre dossier, la Cour d'appel a retenu comme étant une erreur de fait raisonnable un passage du témoignage de l'intimé où il mentionnait croire qu'il n'y avait pas de voiture venant vers lui dans la voie opposée quand il a amorcé le dépassement de la camionnette. La Cour d'appel a ainsi erré en reprochant à la juge de première instance de ne pas avoir considéré l'erreur de fait raisonnable de l'intimé. En effet, la juge s'est bien comportée en fait et en droit en ne considérant pas l'erreur de fait raisonnable alléguée puisqu'il n'y a aucune erreur de fait dans l'esprit de l'intimé au moment du dépassement et qu'il n'est pas objectivement raisonnable de croire qu'aucune voiture ne s'en venait dans la voie opposée. 84. Au soutien de ce qui précède, appliquons le double test subjectif et objectif. 85. Pour le critère subjectif, l'intimé devait établir qu'il s'est mépris quant à la situation factuelle. L'intimé savait qu'il dépassait sur une ligne continue double et il a en toute connaissance de cause fait abstraction de l'avertissement de danger pour les usagers de la route que constituait l'interdiction de dépasser à cet endroit. Il savait - 31 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments en outre qu'il y avait une pente à cet endroit 69. L'intimé a même candidement avoué son absence d'erreur de fait en affirmant : « Je m'avais dit : « O.K., ça a l'air « safe », je vas y aller » 70,« Non sur le coup, comme je vous dis, je le savais pas si quelqu'un allait s'en venir en avant de moi » 71. Comme nous le verrons plus loin, l'intimé a clairement agit avec insouciance. 86. Ensuite, pour répondre au critère objectif, l'intimé devait établir que son erreur était raisonnable dans les circonstances. 87. La personne raisonnable aurait été consciente qu'il était possible qu'un véhicule s'en vienne dans la voie opposée vu la présence d'une ligne double continue, d'une pente, de l'heure et du fait que la route 138 soit passante. 88. La Cour d'appel a conclu au piège de la route. Ce faisant, elle a assimilé, en quelque sorte, à un hasard de la route le fait qu'un véhicule arrive dans la voie interdite au conducteur. Il y aurait eu piège et par conséquent erreur seulement si le dépassement avait été permis. Or, il n'en est rien. 89. Nous sommes loin de l'exemple du soudeur induit en erreur par le propriétaire des lieux. Exemple repris par la juge Charron dans Beatty. Dans le cas de l'intimé, le propriétaire des lieux, le ministère de Transport du Québec, l'a clairement avisé par le marquage au sol qu'il y avait un danger de dépasser à cet endroit. 90. La Cour d'appel a erré en donnant préséance à la perception alléguée du risque de l'intimé sur celle de la personne raisonnablement diligente. En concluant ainsi, la Cour d'appel vient singulièrement restreindre la portée de l'infraction de conduite dangereuse pour la réduire pratiquement au seul cas où la poursuite parviendra à 69 70 71 Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 153. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 162. Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 163. - 32 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments faire la preuve d'un élément mental positif tel que l'intention, l'aveuglement volontaire ou l'insouciance, ce que cette Cour n'a pourtant pas exigé dans les arrêts R. c. Beatty et R. c. Roy. 91. Nous soumettons humblement que nous avons pourtant rencontré ce fardeau plus exigeant. iv. L'état d'esprit subjectif 92. Dans l'arrêt de principe R. c. Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299 (R.S.A., onglet 12), p. 1309-1310, le juge Dickson a établi ce que doit généralement prouver le ministère public à titre de mens rea : « La distinction entre l’infraction criminelle réelle et l’infraction contre le bien-être public est de première importance. Dans le cas d’une infraction criminelle, le ministère public doit établir un élément moral, savoir, que l’accusé qui a commis l’acte prohibé l’a fait intentionnellement ou sans se soucier des conséquences, en étant conscient des faits constituant l’infraction ou en refusant volontairement de les envisager. L'élément moral exigé pour qu'il y ait condamnation exclut la simple négligence. […] » (les soulignés et emphases sont nôtres) 93. Concernant l'état d'esprit subjectif, la juge Charron a énoncé au paragraphe 47 de l'arrêt Beatty : « […]Comme je l’ai longuement expliqué plus haut, l’application d’un critère objectif modifié permet de satisfaire à l’exigence de la mens rea dans le cas de l’infraction de conduite dangereuse. Autrement dit, le ministère public n’est pas tenu, comme pour les infractions que l’accusé peut commettre seulement s’il a une forme subjective de mens rea, de prouver que celui-ci avait un état d’esprit positif tel l’intention, l’insouciance ou l’aveuglement volontaire. Bien entendu, cela ne veut pas dire que l’état d’esprit véritable de l’accusé soit sans pertinence. Par exemple, - 33 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments si on fait la preuve qu’un conducteur a délibérément bifurqué dans la voie d’un véhicule circulant en direction inverse, d’une façon intentionnellement dangereuse, dans le but d’effrayer les passagers de ce véhicule ou d’impressionner par sa bravade une personne se trouvant dans son propre véhicule, l’exigence de la mens rea sera aisément remplie. Une façon de considérer la chose serait de dire que la mens rea subjective de l’acte consistant à créer intentionnellement un danger pour les autres usagers de la route au sens de l’art. 249 du Code criminel consiste en un « écart marqué » par rapport à la norme à laquelle on s’attendrait à voir se conformer un conducteur raisonnablement prudent. […] » 94. La juge Charron a ajouté au paragraphe 48 de l'arrêt Beatty le passage suivant auquel le juge Cromwell dans R. c. Roy 72 réfère avec approbation : [48] « Toutefois, il n’est pas nécessaire de prouver une mens rea subjective du type que je viens de décrire pour établir l’infraction, puisque la faute que visait le législateur en adoptant l’art. 249 englobe une gamme plus étendue de comportements. Par conséquent, bien que la preuve de la mens rea subjective soit clairement suffisante, elle n’est pas essentielle.[…] » (les soulignés sont nôtres) 95. Dans le même arrêt, le juge Fish a ajouté : « Dans de rares cas, la poursuite est en mesure de prouver que l’accusé a délibérément conduit d’une façon dangereuse au sens de l’al. 249(1)a) du Code. Dans de tels cas, il est inutile d’établir en outre que la nature et la gravité du comportement de l’appelant représentent un écart marqué par rapport à celui d’une personne raisonnable placée dans des circonstances analogues. La décision de l’accusé de conduire d’une façon dangereuse, tout comme sa conscience d’agir ainsi, correspond à une mens rea subjective, et non à l’élément volitif de l’actus reus. […] » 73 72 73 R. c. Roy, 2012 CSC 26, par. 38, R.S.A., onglet 10. R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49, par. 86, R.S.A., onglet 3. - 34 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments 96. Cette Cour a défini la notion d'insouciance dans l'arrêt Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570, R.S.A., onglet 14, au paragraphe 16 : […]« Conformément aux principes bien établis en matière de détermination de la responsabilité criminelle, l'insouciance doit comporter un élément subjectif pour entrer dans la composition de la mens rea criminelle. Cet élément se trouve dans l'attitude de celui qui, conscient que sa conduite risque d'engendrer le résultat prohibé par le droit criminel, persiste néanmoins malgré ce risque. En d'autres termes, il s'agit de la conduite de celui qui voit le risque et prend une chance. C'est dans ce sens qu'on emploie le terme « insouciance » en droit criminel et il est nettement distinct du concept de négligence en matière civile. » 97. Plus récemment dans R. c. Roy, le juge Cromwell, a ainsi défini la « négligence consciente » : « La négligence consciente renvoie à la notion de mens rea subjective et intervient lorsqu’un accusé prévoit en fait le risque et qu’il décide de le prendre. » 74. 98. Dans le présent dossier, le procureur du ministère public était donc justifié de plaider comme il l'a fait que l'intimé a agi avec insouciance : « C'est de l'insouciance. C'est de la témérité. » 75 99. En effet, il appert de la preuve que l'intimé a vu le risque et qu'il a pris une chance. Cela ressort du passage suivant de son témoignage : « R. Ça, c'est une grosse erreur de jugement de ma part. Moi, je pensais qu'il y avait personne en avant de moi. Je m'avais dit : « O.K., ça a l'air « safe », je vas y aller. » Q. Mais il y a une ligne double qui vous dit de pas y aller. C'est dangereux. Vous êtes d'accord avec moi? R. 74 75 Bien d'accord. R. c. Roy, 2012 CSC 26, par. 51, R.S.A., onglet 10. Plaidoirie de la poursuite, D.A. vol. 1, p. 194. - 35 Mémoire de l’appelante Q. Exposé concis des arguments Et vous le saviez à ce moment-là? R. Non. Sur le coup, comme je vous dis, je le savais pas, moi, si quelqu'un allait s'en venir en avant de moi. Q. Vous savez à ce moment-là que dépasser sur une ligne double ça pouvait être dangereux. Vous êtes d'accord avec moi? R. Je suis bien d'accord. Q. Vous êtes d'accord. Et à ce moment-là vous le saviez, quand vous dépassez sur une ligne double, que ça pouvait être dangereux. Vous êtes d'accord avec moi? R. …… Q. Répondez à ma question. R. Oui, oui. » 76 100. La juge de première instance a donné raison au ministère public en concluant que l'intimé a agi avec insouciance : « […] Une personne raisonnable n'aurait pas, dans les circonstances, entamé un dépassement sur une ligne double continue sans se soucier de l'impact possible pour les passagers et les autres personnes empruntant la route en sens inverse. L'accusé sait ou devait savoir que dépasser sur une ligne double continue entraîne un risque élevé de collision. » 77 (les soulignés et emphases sont nôtres) 76 77 Témoignage de Frédérick Bélanger, D.A. vol. 1, p. 162 – 163. D.A. vol. 1, p. 16, par. 20, jugement de première instance. - 36 Mémoire de l’appelante Exposé concis des arguments 101. La juge de première instance a ainsi conclu que le ministère public a même fait la preuve d'un état d'esprit encore plus blâmable que ne l'exige la norme du critère objectif modifié 78. 102. Dans un procès court, les motifs n'ont pas à être longuement détaillés lorsque la conclusion du juge s'explique facilement par la preuve qui n'est pas contredite 79. 103. L'inférence était logique et la seule possible compte tenu de tous les éléments de preuve 80. ---------PARTIE IV – LES DÉPENS N/A ---------- 78 79 80 R. c. MacGillivray, [1995] 1 R.C.S. 890, par. 12, R.S.A., onglet 9. R. c. Eastgaard, 2012 CSC 11, par. 12 et 19, R.S.A., onglet 6; voir aussi R. c. Walle, 2012 CSC 41, R.S.A., onglet 13. Id. par. 14, 17, 21 et 22. - 37 Mémoire de l’appelante Les ordonnances demandées PARTIE V – LES ORDONNANCES DEMANDÉES POUR TOUS CES MOTIFS PRÉCÉDEMMENT EXPOSÉS, NOUS PRIONS CETTE HONORABLE COUR DE : ACCUEILLIR le présent pourvoi; ANNULER le jugement de la Cour d'appel du Québec prononcé le 8 septembre 2011 dans le dossier 200-10-002566-102; CONFIRMER et RÉTABLIR le jugement de la Cour du Québec prononcé le 14 septembre 2010 dans le dossier 655-01-002767-084; ORDONNER le retour du dossier 655-01-002767-084 en Cour du Québec du district judiciaire de Baie-Comeau aux fins de la peine; SUBSIDIAIREMENT ANNULER le jugement de la Cour d'appel du Québec prononcé le 8 septembre 2011 dans le dossier 200-10-002566-102; ORDONNER la tenue d'un nouveau procès en Cour du Québec du district judiciaire de Baie-Comeau; LE TOUT respectueusement soumis. Matane, le 15 août 2012. _______________________________ Me Guy Loisel Me Robin Tremblay Procureurs de l'appelante - 38 Mémoire de l’appelante Table alphabétique des sources PARTIE VI – TABLE ALPHABÉTIQUE DES SOURCES Jurisprudence Paragraphes Corporation de l’École Polytechnique et Sa Majesté la Reine, 2004 CAF 127 ......................................... 76 Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120 ......................................... 74 R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49 .......24,25,27,35,36,52,56,60 ................ 72,83,84,87,88,89 R. c. Coonishish, 2012 QCCQ 3756 ..................... 41,43,44,45,46 R. v. Eastgaard, 2011 ABCA 152 R. v. Eastgaard, [2012], CSC 11 .................................... 96,97 R. c. Landry, 2011 QCCQ 82 .................................... 41,42 R. c. Landry, appel rejeté 2012 QCCA 692 ......................................... 42 R. c. MacGillivray, [1995] 1 R.C.S. 890 ......................................... 95 R. c. Roy, 2012 CSC 26 .......35,56,57,60,68,84,88,91 R. c. Tutton, [1989] 1 R.C.S. 1392 ......................................... 75 R. c. Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299 ......................................... 86 R. c. Walle, 2012 CSC 41 ......................................... 96 Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570 ......................................... 90 Thierry Guggisberg c. Sa Majesté la Reine, 1996 CanLII 6093 (QC CA) ......................................... 38 Doctrine Learning Canadian criminal law, 12th ed. Toronto, Ont.: Carswell, 2012 (extrait) ......................................... 73 PARTIE VII TEXTES LÉGISLATIFS - 39 Code criminel, L.R.C., 1985, c. C-46, article 249 ARTICLE 249 DU CODE CRIMINEL (L.R.C., 1985, CH. C-46) VEHICULES A MOTEUR, BATEAUX ET MOTOR VEHICLES, VESSELS AND AIRCRAFT AERONEFS Conduite dangereuse Dangerous operation of motor vehicles, vessels and aircraft 249. (1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas : 249. (1) Every one offence who operates a) un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu; (a) a motor vehicle in a manner that is dangerous to the public, having regard to all the circumstances, including the nature, condition and use of the place at which the motor vehicle is being operated and the amount of traffic that at the time is or might reasonably be expected to be at that place; b) un bateau ou des skis nautiques, une planche de surf, un aquaplane ou autre objet remorqué sur les eaux intérieures ou la mer territoriale du Canada ou au-dessus de ces eaux ou de cette mer d’une manière dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état de ces eaux ou de cette mer et l’usage qui, au moment considéré, en est ou pourrait raisonnablement en être fait; c) un aéronef d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état de cet aéronef, ou l’endroit ou l’espace dans lequel il est conduit; d) du matériel ferroviaire d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du matériel ou l’endroit dans lequel il est conduit. commits an (b) a vessel or any water skis, surfboard, water sled or other towed object on or over any of the internal waters of Canada or the territorial sea of Canada, in a manner that is dangerous to the public, having regard to all the circumstances, including the nature and condition of those waters or sea and the use that at the time is or might reasonably be expected to be made of those waters or sea; (c) an aircraft in a manner that is dangerous to the public, having regard to all the circumstances, including the nature and condition of that aircraft or the place or air space in or through which the aircraft is operated; or (d) railway equipment in a manner that is dangerous to the public, having regard to all the circumstances, including the nature and condition of the equipment or the place in or through which the equipment is operated. - 40 Code criminel, L.R.C., 1985, c. C-46, article 249 Peine Punishment (2) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) est coupable : a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans; b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Conduite dangereuse causant ainsi des lésions corporelles (3) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi des lésions corporelles à une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans. Conduite de façon causant ainsi la mort dangereuse (4) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans. (2) Every one who commits offence under subsection (1) an (a) is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years; or (b) is guilty of an offence punishable on summary conviction. Dangerous operation causing bodily harm (3) Every one who commits an offence under subsection (1) and thereby causes bodily harm to any other person is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding ten years. Dangerous operation causing death (4) Every one who commits an offence under subsection (1) and thereby causes the death of any other person is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding fourteen years. - 41 Code de la sécurité routière, L.R.Q., c. C-24.2 L.R.Q., chapitre C-24.2 R.S.Q., chapter C-24.2 CODE DE LA SECURITE ROUTIERE HIGHWAY SAFETY CODE 326.1. Le conducteur d'un véhicule routier ne peut franchir aucune des lignes de démarcation de voie suivantes: 326.1. The driver of a road vehicle shall not cross any of the following lines marking off lanes: 1° une ligne continue simple; (1) a solid single line; 2° une ligne continue double; (2) a solid double line; 3° une ligne double formée d'une ligne discontinue et d'une ligne continue située du côté de la voie où circule le véhicule routier. (3) a double line consisting of a broken line and a solid line, the latter being adjacent to the lane in which the road vehicle is moving. En outre de ce qui est prévu aux articles 344 et 378, le premier alinéa ne s'applique pas lorsque le conducteur doit quitter la voie où il circule, parce qu'elle est obstruée ou fermée, ou effectuer un virage à gauche pour s'engager sur un autre chemin ou dans une entrée privée; ce conducteur doit s'assurer toutefois qu'il peut effectuer cette manoeuvre sans danger. In addition to the exceptions provided for in sections 344 and 378, the first paragraph does not apply where the driver must leave the lane he is using because it is obstructed or closed to traffic, or in order to make a left turn towards another road or a private entry; the driver must however assure himself he can do so in safety. 1990, c. 83, s. 138. 1990, c. 83, a. 138. 338. Le conducteur d'un véhicule routier peut franchir une ligne discontinue de démarcation de voie pour effectuer un dépassement ou pour changer de voie. 338. The driver of a road vehicle may cross any lane marked off by a broken line to pass or to change lanes. 1986, c. 91, s. 338. 1986, c. 91, a. 338. 348. Nul ne peut effectuer dépassement dans les cas suivants: 1° le conducteur d'un véhicule venant de l'arrière a déjà signalé son intention d'effectuer un dépassement ou a déjà entrepris cette manoeuvre; un 348. No driver is allowed to pass (1) where the driver of a vehicle behind him has already signalled his intention to pass or has already begun to pass; - 42 Code de la sécurité routière, L.R.Q., c. C-24.2 2° la visibilité est insuffisante pour permettre de s'engager sur l'autre partie de la chaussée sans danger; (2) where the visibility is insufficient to allow entry onto the other part of the roadway in safety; 3° sur une chaussée à circulation dans les deux sens, lorsque l'autre partie de la chaussée n'est pas libre sur une distance suffisante pour effectuer sans danger le dépassement et le retour à la droite. (3) on a two-way roadway, where the other part of the roadway is not clear of traffic for a sufficient distance to allow him to pass and return to the right of the roadway in safety. 1986, c. 91, s. 348 1986, c. 91, a. 348