Facundo Bo Original1..
Transcription
Facundo Bo Original1..
Le jour où... Tout a commencé comme dans la chanson de Barbara: n Quand ça arrive, ça ne prévient pas, ça vient de loin...» On ne s'y attend pas, et, soudain, un matin on se réveille avec les membres ankylosés, on ne sent plus ses doigts. On met ça sur le compte de la fatigue, du surmenage... De légers tremblements apparaissent, alors on consulte un spécialiste, et la sanction tombe. Lorsque mon neurologue m'a annoncé que j'avais la maladie de Parkinson, en 1988, ma vie a basculé. Je venais de fêter mes 45 ans, pour moi cette maladie ne touchait que les vieillards... Et puis ce mot sinistre: Parkinson. Il me fait penser au nom que l'on donne au méchant dans un film d'horreur! Ce jour-là, le rideau est tombé sur ma vie d'acteur. Pendant des années, j'avais eu la chance de pouvoir oser sur scène toutes les métamorphoses. Apparaître en blonde, moulé dans un fourreau de Dior pour incarner Eva Peron. Danser sous une pluie de paillettes dans « Luxe ». Jouer un chien dans Peines de coeur d'une chatte anglaise ». Me battre à l'épée dans » Les jumeaux vénitiens» de Goldoni. Faire des cascades périlleuses et du patin à roulettes dans « La tempête » de Shakespeare... Mon corps m'obéissait. Il me permettait de tenter des expériences folles, dangereuses, et de prendre un plaisir fou à me travestir dans des rôles insolites. Désormais, ce corps allait se raidir, devenir par moments immobile ou secoué de mouvements incontrôlables, indomptables. Je me suis souvenu de cette pièce où, incarnant le rôle du grand écrivain Jorge Luis Borges, je disais ce monologue: « Il y a un vers de Verlaine dont je ne me souviendrai plus. Il est une rue toute proche déjà interdite à mes pas. II est un miroir qui m'a reflété pour la dernière fois. II est une porte que j'ai refermée jusqu'à la fin du monde. Parmi les livres de nia bibliothèque, il en est que je n'ouvrirai plus jamais. La mûri me dégrade, incessamment. J'ai perdu une infinité de choses. J'ai perdu ou je vais bientôt perdre Buenos Aires. » C'était en 1998 à la Cartoucherie de Vincennes, la dernière fois que je suis monté sur scène. Jusqu'à ce triste jour, je n'avais jamais été confronté à la cruauté du regard des autres. Désormais les enfants riaient quand je tombais dans la rue. Les passants se montraient indifférents ou fuyants face à ma maladresse à me La souffrance est parfois insupportable, mais elle peut devenir une force… ...j'ai su que j'avais la maladie de Parkinson Sur scène, mon corps m'avait suivi dans tous les jeux. Désormais, il allait se raidir ou être animé de tremblements incontrôlables. Je n'avais que 45 ans mais j'ai dû acheter une canne pour que les gens ne me prennent pas pour un ivrogne. En 1988, toute ma vie a vacillé. Mais j'ai réagi. PROPOS RECUEILLIS PAR GAILLAC-MORGUE relever. Je me suis acheté une canne pour que les gens ne me prennent pas pour un ivrogne ou un camé quand je trébuchais. Ce regard des autres, j'ai dû l'assumer. Assumer aussi leur pitié et leur embarras. J'ai appris à ne plus cacher ma maladie. Je n'allais quand même pas jouer la belle et la bête toute ma vie. Et puis cette maladie n'est pas honteuse; en France, elle touche près de 100000 personnes avec environ 8 000 nouveaux cas par an. J'ai découvert que la souffrance peut être une force si l'on décide de ne pas baisser les bras Le théâtre est un monde merveilleux, de générosité, d'amitié et de chaleur humaine. Mais c'est aussi le lieu du narcissisme et de l'éphémère. On travaille ensemble pendant des mois, le temps d'un spectacle, on se quitte en se jurant une amitié éternelle, puis on se perd de vue. La souffrance m'a appris à forger des relations plus stables, plus sincères. L'entourage joue un rôle essentiel. Il y a des jours où je peux affronter cette maudite Parkinson et lui tordre le cou. Et d'autres où la moindre contrariété me démolit. vrais amis sont là. Pour ne pas rester bloqué dans une position instable pendant des heures, on a besoin de leur aide car les muscles sont crispés, les pieds collés au sol, la terre vous aspire. Là, la souffrance physique est insupportable. Je ne veux pas trop me renseigner sur l'évolution de cette maladie incurable. Ce que j'éprouve me suffit. Je n'ai pas envie de savoir ce qui m'attend. Cette maladie de Parkinson, finalement, vieillit avec moi, car j'ai appris à mieux me défendre. C'est avec elle que je travaille aujourd'hui, car c'est avec elle que je vis. Et, comme toujours, je me déguise, j'invente des histoires. Je n'aime pas la défaite, et l'art est une manière d'exorciser les dangers de ce monde en créant des magies protectrices. Je me suis mis à peindre et à écrire. Avant, j'incarnais les pensées des autres, maintenant je forge mon propre langage, dans le silence et la solitude. Avant je sentais le public, j'aimais ses rires, ses applaudissements. Maintenant il y a ces lecteurs que je ne connais pas, mais cela me donne une plus grande liberté. Nous sommes tous en déséquilibre, nous vacillons, rien n'est stable, solide, immobile. C'est aussi ce que ma maladie m'a fait découvrir. Aujourd'hui je regarde le monde avec un sourire teinté d'ironie, car le rire rend le tragique plausible. Je travaille surtout pour me donner du temps, ralentir l'avancée de ce mal qui veut me détruire. En me poussant à réagir, à devenir écrivain, la maladie de Parkinson m'a permis de développer cette imagination qui bouillonne en moi depuis l'enfance. Avant de mourir, mon ami Copi m'avait dit « je ne vois pas l'intérêt de devenir adulte ». Aujourd'hui, mon premier livre vient d'être édité, et je suis heureux comme un enfant. Facundo Bo est né à Buenos Aires. Acteur fétiche du groupe T.s.e., il participe à ce vent de folie argentine qui souffle sur le théâtre français dans les années 70. Il apparaît dans les pièces d’Alfredo Arias et de Copi, « L'histoire du théâtre», « Eva Peron », « Comédie policière » , « Luxe»... Jorge Lavelli le met en scène dans «La nuit de madame Lucienne». Au cinéma, il tourne avec Rivette, Rappeneau, Doniol-Valcroze, Aghion. Aujourd'hui, auteur de contes et de dessins, il vient de publier « Je parie sans voix» (éd. de la Différence), et d'être fait chevalier des Arts et Lettres.