LE PRIX GONCOURT DES LYCÉENS

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LE PRIX GONCOURT DES LYCÉENS
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Récit d’expérience pédagogique
LE PRIX GONCOURT DES LYCÉENS
par Philippe KIENTZY,
journaliste et professeur
de Lettres honoraire, Belfort
Que de chemin parcouru depuis que le sieur Edmond Huot
de Goncourt, l’un des illustres frères, eut la brillante idée de
concevoir une société littéraire ! Officiellement constituée en
1902 et composée de dix hommes de lettres, l’Académie
Goncourt décerne depuis lors, le prix le plus prestigieux, le plus
recherché… avec le succès que l’on sait.
Aujourd’hui, il est un autre prix tout aussi remarquable dont
la genèse remonte à 1988. Le prix Goncourt des lycéens, initié
par la FNAC de Rennes, avec le concours de l’Éducation nationale est, alors, organisé dans la seule agglomération rennaise. En
1990, forte de son succès, la FNAC donne une dimension nationale au Goncourt des Lycéens. Point de départ du parcours : 10
classes, de la seconde à la terminale sont sélectionnées dans 10
villes différentes pour participer à une formidable aventure, à
une période où l’actualité littéraire est en pleine effervescence.
Ce clone juvénile qui ressemble à son aîné, transporte chaque
année durant presque deux mois plusieurs centaines de lycéens
dans l’univers des livres contemporains. D’année en année, il a
acquis le prestige d’un véritable prix littéraire, représentant à la
fois le sérieux, l’indépendance (aucune pression de qui que ce
soit) et la spontanéité dont l’encadrement des professeurs et la
jeunesse sont les garants.
En 2005, une cinquantaine de classes d’élèves âgés de 15 à 18
ans, issus de seconde, première, terminale, généraliste, scientifiques, techniques ou professionnelles, lisent, étudient, la dizaine
(ou plus) de romans issus de la sélection de rentrée de l’académie Goncourt. Chaque FNAC offre aux classes participantes les
livres en compétition : 8 à 10 séries par classe, car la rotation doit
être la plus rapide possible.
L’an dernier (2005) des élèves de lycées français du Portugal,
de l’Espagne, de l’Italie et de Suisse ont participé à la 18e édition.
Dans les années antérieures, des lycéens algériens et marocains
ou d’Afrique noire ont pu participer au jury final à Rennes, mais
aussi des élèves tchèques, roumains, monégasques.
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Cette opération est l’occasion d’installer ou de réinstaller le
plaisir de la lecture mais aussi de favoriser la responsabilisation
du sujet lisant. Elle crée à côté des lectures imposées, fragmentées, une possibilité de choix, un espace de liberté.
◆ UNE FORMIDABLE AVENTURE
C’est en 1994 que j’eus le bonheur et la chance de piloter le
prix Goncourt des Lycéens en tant que professeur et journaliste
parrain. Le Lycée Follereau de Belfort est un établissement technologique, a priori, peu porté sur la lecture et la littérature. D’où
un défi à relever ! Ma classe de seconde - 32 élèves - comptait peu
de lecteurs. Dès la rentrée de septembre, à la première heure de
cours, je leur annonce la bonne nouvelle ! Certains furent satisfaits, les autres pas vraiment. Pierre Vauthelin dans son carnet de
bord écrit : « Quand notre professeur de français nous a annoncé la
nouvelle, je dois bien avouer que je ne trouvais pas que c’était une
chance ! Dix livres à lire en deux mois, c’est beaucoup. Pourtant, je lis à
peu près un livre par mois. Maintenant que nous en sommes quasiment
à la fin de cette aventure, je me dis que ce n’était pas « la mer à boire ».
Cette expérience a été enrichissante. » André Leroy d’abord perplexe,
positive finalement : « On devait lire dix livres en deux mois. Je pensais
que je n’y arriverais jamais. Je croyais que le prix Goncourt des lycéens
serait lassant et ennuyeux mais ce fut tout autre chose. Toute la classe a
eu la chance d’aller à Rennes en décembre, pendant deux jours, pour rencontrer les organisateurs, les Académiciens (Edmonde Charles-Roux,
Hervé Bazin) mais surtout les écrivains. » Sophie Glorieux, sceptique, a vite changé d’idées. « J’ai pris goût à la lecture alors
qu’auparavant, c’était une véritable corvée. Ça a été dur de rentrer dans
mon premier livre, surtout qu’il était difficile. Quand les professeurs nous
ont annoncé qu’on participerait au Goncourt des Lycéens, j’aurais tout
fait pour changer de classe. Maintenant je me rends compte que j’ai bien
fait d’y rester. »
Du 6 septembre au 16 décembre, un compte-rendu journalier
est tenu par deux élèves. Tous les événements, petits ou grands y
sont mentionnés : la rotation des livres (un casse-tête car les
élèves ne respectent pas les délais), les fiches de lecture, les discussions sur les thèmes, les intrigues, l’écriture. Isabelle Jarry,
auteure de L’archange perdu est venue dans la classe. La télévision,
la radio aussi. Chaque semaine, deux critiques d’élèves sont
publiées dans l’Est Républicain, journal parrain. Chaque élève a
rédigé au moins cinq fiches de lecture. Un travail de lecture
certes, mais surtout d’écriture. Un exercice difficile pour la
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majorité. Mais la perspective de rencontrer à Rennes, les écrivains et académiciens, les éditeurs les dope. Une vraie motivation
pour ces jeunes adolescents, avides de découvertes et de rencontres inoubliables.
◆ PAROLES D’ÉLÈVES À RENNES
« Nous, élèves de la seconde F du lycée Follereau, partîmes un certain
mercredi, en direction de Rennes, ville bretonne qui pendant deux jours,
fut une merveilleuse ville littéraire. » Matthieu
« Je n’avais jamais pensé que certains auteurs avaient autant d’humour. » Nicolas
« Certains auteurs découvrent un lieu et veulent écrire sur celui-ci, tel
Marc Trillard. D’autres veulent écrire, alors ils se documentent, tel Didier
Van Cauweleart. D’autres enfin ne se documentent pas mais imaginent
les lieux, ainsi Isabelle Jarry. » Simon
« Edmonde Charles-Roux nous a expliqué les critères de choix du prix
Goncourt et comment on devient académicien. » Raphaël
« La lauréate du Prix Goncourt des lycéens, Claude Pujade-Renaud
m’a paru pas très à l’aise mais a bien répondu aux questions posées sur
son livre. » Pierre
« Edmonde Charles-Roux nous a confié que Hervé Bazin lisait un
roman en deux heures ! » Nicolas
« 401 lycéens rassemblés dans une salle archi-comble » Eric
« Le Goncourt c’est bien, en abuser ça craint. » Delphine
◆ … LA RÉCOMPENSE !
Les élèves académiciens de retour de Rennes ont discuté avec
Edmonde et Hervé comme s’ils se connaissaient depuis toujours.
Ils ont fait chanter en duo le prix Goncourt, Didier Van
Cauwalaert et le prix Femina, Olivier Rollin. Ils ont retrouvé leur
idole Isabelle Jarry. Ils ont questionné sans peur le lauréat de
l’Académie française Frédéric Vitoux. Admiré l’écrivain baroudeur Marc Trillard ! Ils furent impressionnés par la lauréate du
Goncourt des Lycéens, une grande dame Claude PujadeRenaud. Delphine s’est rendue à la rédaction du journal
Ouest-France pour préparer la page du lendemain. À la question
« Et si c’était à refaire ? », la quasi-totalité répond « Oui et avec plus
de désir et de plaisir encore. » Comme quoi la lecture fait toujours
partie des préoccupations des jeunes lorsqu’un grand projet leur
est proposé.
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Des jeunes dont à peine 10 % avaient une passion pour la lecture vécurent ces deux mois dans l’exaltation d’un défi à relever.
Ils ont été à la fois mobilisés et flattés qu’on leur demande « leur
avis » sur des textes littéraires et contemporains. Ils ont prouvé
qu’ils étaient capables d’exprimer un goût, sans pour autant vouloir l’ériger en critère universel, d’exister comme lecteurs en
dehors des contraintes scolaires habituelles et de la célébration
ronronnante, sacralisante ou subie… des classiques. Ce travail
festif et collectif eut quelque chose de libératoire et plusieurs
élèves, s’étant considérés comme non lecteurs, se mirent soudain
à dévorer et… à écrire. La rupture avec l’ordinaire des cours, le
partage des lectures et des points de vue, grâce aux confrontations permirent probablement une socialisation littéraire et
peut-être n’est-il pas vain d’espérer que l’acculturation littéraire
de ces jeunes lecteurs sera durable et profonde.
Quant à moi, depuis cette année 1995, j’ai suivi et couvert (en
tant que professeur et journaliste) le Goncourt des lycéens jusqu’en 2005. Un prix reconnu par tous les acteurs du livre et…
bien sûr, de l’Éducation Nationale.
Philippe KIENTZKY
Journaliste et professeur de Lettres honoraire
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