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Commentaires DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2014 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ Michel FARGE, maître de conférences et directeur de l’IEJ, faculté de droit de Grenoble CONFLIT DE JURIDICTIONS 18 Le juge français du divorce doit-il d’office rechercher si sa compétence peut être subsidiairement fondée sur l’article 14 du Code civil ? Après avoir constaté qu’aucune juridiction française n’était compétente en application des articles 3 du règlement « Bruxelles II bis » et 1070 du Code de procédure civile, le juge français doit encore rechercher s’il n’est pas valablement saisi en application de l’article 14 du Code civil. Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-16.900, F-D : JurisData n° 2013-020843 (...) Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche : Vu l’article 7 du règlement (CE) du 27 novembre 2003 (« Bruxelles II bis »), ensemble les articles 1070 du code de procédure civile et 14 du Code civil ; Attendu que, selon le premier de ces textes, lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5 du règlement, la compétence est, dans chaque État, réglée par la loi de cet État ; que cette compétence est, en droit français, énoncée aux articles 1070 du Code de procédure civile et 14 du Code civil ; que ce dernier texte, qui donne compétence à la juridiction française du demandeur de nationalité française, s’applique lorsqu’aucun critère ordinaire de compétence n’est réalisé en France ; Attendu que Mme X., de nationalité française, et M. Y., de nationalité turque se sont mariés à Londres le 16 janvier 1989 et résidaient alternativement en Turquie et en France, où ils ont eu deux enfants nés à Nice en 2003 et 2005, jusqu’à l’été 2010, date à laquelle l’épouse a fait connaître son intention de divorcer et de rester en France avec les enfants ; que, le 22 octobre 2010, elle a fait assigner son époux en audience de conciliation devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Sens qui a statué sans se prononcer sur sa compétence ; Attendu qu’après avoir constaté qu’aucune juridiction française n’était compétente en application des articles 3 du règlement « Bruxelles II bis » et 1070 du Code de procédure civile, la cour d’appel a écarté la compétence de la juridiction française au motif que moins de deux mois avant la saisine de la juridiction française, la résidence familiale était encore fixée de manière habituelle en Turquie où les enfants avaient l’essentiel de leurs activités notamment scolaires ; Qu’en statuant ainsi, alors que la juridiction française avait été valablement saisie en application de l’article 14 du code civil, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; Par ces motifs (...) : casse et annule (...). NOTE : Même s’il ne sera pas publié au Bulletin civil, l’arrêt ci-avant mérite un signalement dans la mesure où il confirme non seulement la rigidité des règles présidant à la détermination du juge compétent dans un divorce international mais aussi la vitalité du privilège de juridiction de l’article 14 du Code civil. Un couple composé d’une Française et d’un Turc résidait principalement en Turquie où les deux enfants étaient scolarisés. Fin août 2010 et à l’expiration des habituelles vacances d’été passées en France, la femme refusait de regagner la Turquie et décidait de rester en France avec les enfants. S’adonnant à une course à la saisine désormais bien connue, la femme déposait une requête en divorce dès le 22 octobre 2010. Ne s’embarrassant pas de justifier sa compétence internationale, le juge aux affaires familiales fixait, dans son ordonnance de non-conciliation, la résidence habituelle des enfants chez la mère en prévoyant notamment un droit de visite et d’hébergement pour le père. Pour prendre la mesure de l’exacte situation des parties, il faut encore ajouter que le père, lors de l’été 2011, emmena les enfants en vacances en Turquie au mépris de l’interdiction de sortie du territoire prononcée par le juge français. Sans surprise, le père refusa le retour en France des enfants qui vivent désormais en Turquie. Ces derniers éléments – figurant dans le moyen annexé au présent arrêt – ne sont pas repris par la Cour de cassation. Devant elle, le débat s’est focalisé sur la compétence du juge français pour statuer sur le principe du divorce. Il y a là une conséquence des règles de compétence européennes qui dissocient la compétence pour le prononcé du divorce de celles permettant de statuer sur le sort des enfants. Cette dissociation contrarie visiblement les juges du fond, lesquels s’interrogent souvent pour savoir s’ils sont « la juridiction de la famille », c’est-à-dire la juridiction la plus appropriée pour régler l’intégralité du contentieux familial. Cette recherche avait visiblement guidé la cour d’appel de Paris dans l’affaire rapportée. Contrairement au premier juge, la cour d’appel avait soulevé d’office la question de sa compétence pour statuer sur le principe du divorce. Celle-ci pouvait-elle être fondée sur le règlement (CE) n° 2201/2003, dit « Bruxelles II bis » ? Considérant que la résidence habituelle du couple était fixée en Turquie au jour de la saisine de la juridiction française, la cour d’appel avait logiquement constaté que l’article 3 du règlement n’attribuait aucune compétence à un juge d’un État membre. Pour que celle du juge français puisse être fondée sur ce texte encore aurait-il fallu que la femme française ait résidé habituellement six mois en France préalablement à la saisine du juge français (Cons. UE, règl. (CE) n° 2201/2003, 27 nov. 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) n° 1347/2000, art. 3, a : JOUE n° L 338, 23 déc. 2003, p. 1). Toutefois, le défendeur n’étant pas en l’espèce intégré (par sa résidence habituelle ou sa nationalité) à un État membre, les compétences définies par l’article 3 n’avaient pas un caractère exclusif (Cons. UE, règl. (CE) n° 2201/2003, art. 6, a contrario). De la sorte, la cour d’appel devait encore solliciter l’article 7 du règlement l’invitant à rechercher si sa compétence ne pouvait pas être « résiduellement » fondée sur les règles françaises de compétence internationale. Les juges parisiens avaient entrepris cette démarche mais ne l’avaient pas menée à son terme. Ils s’étaient limités à rechercher si le juge français n’était pas « le juge de la famille » sur le fondement de l’article 1070 du Code de procédure civile transposé dans les relations internationales. Répondant par la négative aux motifs que la résidence habituelle du couple et des enfants était encore fixée en Turquie, la cour d’appel avait, ensuite, omis la dernière étape du raisonnement consistant à rechercher si sa compétence pour prononcer le divorce ne pouvait pas être, subsidiairement, fondée sur l’article 14 du Code civil. La Cassation était alors inévitable (V. déjà dans des circonstances voisines Cass. 1re civ., 12 janv. 2011, n° 09-71.540 : JurisData n° 2011-000279 ; Dr. famille 2011, comm. 63, L. Abadie ; JCP G 2011, p. 74, A. Devers ; Bull. civ. 2011, I, n° 5 ; Dalloz Actualité 2011, n° 24, obs. I. Gallmeister ; RJPF 2011 4/ 29 Commentaires 30 31, obs. M.-C. Meyzeaud-Garaud ; AJF 2011, p. 151, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2011, p. 438, note E. Gallant ; RTDE 2012, p. 524, obs. A. Panet et C. Corso ; Gaz. Pal. 2011, n° 148, p. 19, obs. M. Eppler). Pour avoir jugé les tribunaux français incompétents aux motifs que « moins de deux mois avant la saisine de la juridiction française, la résidence familiale était encore fixée de manière habituelle en Turquie où les enfants avaient l’essentiel de leurs activités notamment scolaires », la cour d’appel est censurée dès lors qu’elle « avait été valablement saisie en application de l’article 14 du Code civil ». Ce motif décisif appelle deux réflexions. D’une part, la Cour de cassation confirme implicitement le caractère impératif de la compétence fondée sur les articles 14 et 15 du Code civil. Les juges ne peuvent pas l’écarter au prétexte que le litige présente des liens plus étroits avec un tribunal étranger (V. Cass. 1re civ., 30 sept. 2009, n° 08-19.793 et n° 08-16.141 : JurisData n° 2009-049-657 ; JurisData n° 2009-049658 ; Dr. famille 2009, comm. 167, L. Abadie ; Procédures 2009, comm. 401, C. Nourissat ; JDI 2010, comm. 6, p. 475, Ch. Chalas ; JCP G 2009, 346, E. Cornut ; JCP G 2009, 480, M. Attal ; Bull. civ. 2009, I, n° 189 ; Rev. crit. DIP 2010, p. 131, obs. H. Gaudemet-Tallon). De même, ils ne paraissent pas pouvoir écarter le jeu du privilège en se fondant sur la fraude ou sur la notion moderne – suggérée par une importante doctrine – d’abus de procédure ou, plus exactement, de choix abusif de la juridiction française (V. sur cette notion Ch. Chalas, L’exercice discrétionnaire de la compétence juridictionnelle en droit international privé, préf. H. Muir Watt : PUAM, 2000. – A. Nuyts, L’exception de forum non conveniens, préf. A. Von Mehren : BruylantLGDJ 2003. – E. Cornut, Théorie critique de la fraude à la loi, préf. H. Fulchiron : Defrénois 2006. – L. Usunier, La régulation de la compétence juridictionnelle en droit international privé, préf. H. Muir Watt : Economica 2008). L’affaire commentée se serait pourtant bien prêtée à une réflexion en termes d’abus car le comportement de la femme n’était pas irréprochable : rentrée en France pour les habituelles vacances d’été, elle avait choisi d’y demeurer en refusant illicitement le retour des enfants communs, avant de saisir le juge français moins de deux mois après cette voie de fait. En n’envisageant pas le correctif de l’abus, la Cour de cassation reste fidèle à son cap (V. déjà pour le rejet d’un pourvoi se fondant sur une fraude dans la mise en œuvre de l’article 14 Cass. 1re civ., 4 juill. 2012, n° 11-11.107 : JurisData n° 2012-015121 ; Dr. famille 2012, comm. 160, L. Abadie ; Bull. civ. 2012, I, n° 151 ; Rev. crit. DIP 2012, p. 900, note H. Gaudemet-Tallon). Pour l’heure, les règles internationales demeurent donc impératives. Même si la compétence est seulement fondée sur le privilège de juridiction de l’article 14, les juges du fond sont ainsi contraints de l’exercer sans pouvoir s’essayer à une tâche il est vrai difficile : départager entre l’opportunité procédurale (ou forum shopping licite) et l’abus. D’autre part, le motif décisif, accompagné de la lecture des moyens de cassation, laisse apparaître une autre interrogation : les juges du fond doivent-ils d’office appliquer l’article 14 lorsque le demandeur omet de s’en prévaloir alors que, par hypothèse, la juridiction française ne peut être saisie sur un autre fondement ? Non abordée de front par la Cour de cassation, cette question était sous-jacente dans l’affaire rapportée où l’article 14 du Code civil n’avait, semble-t-il, jamais été invoqué par l’épouse. Aujourd’hui il est enseigné que le juge ne doit pas suppléer à la carence des parties. En faveur de cette thèse, un motif de portée générale est cité : « en soulevant d’office l’application de l’article 14 du Code civil, qui n’est pas d’ordre public et qui n’avait pas été invoqué par la demanderesse (...), la cour d’appel a violé le texte précité » (Cass. 1re civ., 26 mai 1999, n° 97-15433 et n° 97-16.128 : JurisData n° 1999002099 ; JCP E 1999, IV, 2323 ; Bull. civ. 1999, I, n° 171 ; D. 1999, 162). Ce motif est-il transposable en matière de divorce international ? Comme le suggère la Cour de cassation dans l’arrêt rapporté, une réponse négative paraît s’imposer. En cette matière, en effet, l’article 14 du Code civil intervient par le biais du renvoi opéré par l’article 7, paragraphe 1, du règlement « Bruxelles II bis » au droit national des États membres. Le privilège est alors en quelque sorte absorbé par le droit de l’Union : pour s’en convaincre il suffit d’observer qu’il peut être invoqué, contre un défendeur non intégré à l’Union européenne, non seulement par les Français mais DROIT DE LA FAMILLE - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - JANVIER 2014 aussi par tous les citoyens européens résidant habituellement en France (Cons. UE, règl. (CE) n° 2201/2003, art. 7, § 2). Autrement dit, la technique du renvoi est une technique législative utilisée par l’Union européenne exerçant sa compétence (V. F. Pocar, Faut-il remplacer le renvoi au droit national par des règles uniformes dans l’article 4 du règlement n° 44/2001 ? in Mélanges H. Gaudemet-Tallon : Dalloz 2008, p. 573). Parce qu’elle est « dénationalisée » et « unionisée », la compétence subsidiaire de l’article 14 ne doit-elle pas être soulevée d’office, dans la ligne de l’article 17 du règlement qui fait obligation au juge du divorce de vérifier sa compétence ? Même s’il ne le dit pas expressément, l’arrêt sous observations peut être interprété en faveur de cette obligation dès lors qu’il sanctionne la cour d’appel, s’étant interrogée d’office sur la compétence des tribunaux français, pour s’être arrêtée à l’article 1070 du Code de procédure civile et ne pas avoir envisagé l’article 14 du Code civil. Michel FARGE Mots-Clés : Conflit de juridictions - Divorce - Compétence - Droit international privé Textes : C. civ., art. 14 JurisClasseur : Divorce, Fasc. 420 ; Civil Code, Art. 309, fasc. 10 KAFALA 19 La réunion d’un conseil de famille ad hoc ne permet pas toujours de métamorphoser une kafala en adoption Les conditions de l’adoption de l’enfant devenu français sont régies par la loi française conformément à l’article 3 du Code civil. En vertu de l’article 348-2 du même code, le consentement à l’adoption ne peut être donné par le conseil de famille en présence d’un enfant marocain seulement « délaissé » par sa mère par le sang. Cass. 1re civ., 4 déc. 2013, n° 12-26.161, FS-P+B+I : JurisData n° 2013027970 (...) Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nouméa, 25 juin 2012), que par ordonnance du 10 novembre 2004, le juge des affaires des mineurs du tribunal de Taroudant (Maroc) a attribué aux époux X. la kafala de l’enfant Abdellah Y., né le 27 mars 2003 à Igherm Taroudant (Maroc), fils de Mme Khadija Y., après qu’un jugement du 13 mai 2003 du même tribunal a déclaré l’enfant « délaissé » par sa mère, faute pour celle-ci de pouvoir subvenir à ses besoins ; que l’enfant a ensuite été autorisé à quitter le Maroc avec les époux X. ; que le 17 mars 2010, Mme X. a souscrit une déclaration de nationalité française au nom de l’enfant sur le fondement de l’article 21-12, 1°, du Code civil ; que le 3 août 2010, les époux X. ont sollicité l’adoption plénière de l’enfant après qu’un conseil de famille eut, en France, donné son consentement le 8 juillet 2011 et désigné un tuteur ad hoc aux fins de représenter l’enfant ; Attendu que les époux X. font grief à l’arrêt de rejeter leur requête, alors, selon le moyen : 1° que les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français à compter du jour où ils acquièrent la nationalité française, qui est seule prise en considération par les tribunaux français ; que la cour d’appel qui, après avoir relevé que l’enfant Abdellah X. avait acquis la nationalité française par une déclaration souscrite le 17 mars 2010, ce dont il résultait qu’à l’égard du juge français son statut personnel était, à compter de ce jour, celui édicté par la loi française, a néanmoins jugé, pour déclarer nul le consentement à l’adoption donné par le conseil de famille et ainsi écarter la requête en adoption plénière de l’enfant présentée par les époux X., que le statut prohibitif de l’enfant, né au Maroc d’une mère marocaine et de père inconnu, demeurait inchangé tant que son lien de filiation n’était pas rompu avec sa mère, a violé les articles 3 et 347 du Code civil ; 2° que peut réclamer la nationalité française, sans commettre de fraude à sa loi personnelle d’origine, l’enfant qui, depuis au moins