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Biodiversité et archéologie : une étude
interdisciplinaire en forêt de Rambouillet
(Yvelines, France)
Thomas VIGNEAU
Muséum National d’Histoire Naturelle – Unité Scientifique 306 Réseaux trophiques du sol : fonctionnement et gestion de l’écosystème forestier
Doctorant, Université Paris X – Nanterre, UMR 7041 Archéologie et sciences de l’Antiquité.
7bis, passage de Bonneval – 28000 Chartres – [email protected]
Résumé
L’étude présentée dans cet article s’inscrit dans le cadre d’une thèse de doctorat consacrée à la dynamique de l’occupation du sol dans le sud des Yvelines depuis l’Antiquité. Le sujet intéresse principalement la forêt de Rambouillet dont la
plus ancienne mention écrite remonte au début du VIIe siècle (vers 615), et qui est volontiers considérée comme les vestiges d’une vaste forêt « primitive ». La fréquence des occupations gallo-romaines au sein de ce massif forestier remet
en cause cette hypothèse, et soulève la question des modes de mise en valeur dont les territoires couverts par l’actuelle
forêt de Rambouillet ont fait l’objet pendant la période gallo-romaine. Afin de contribuer à l’étude des fonctions des établissements antiques du massif forestier de Rambouillet, des relevés floristiques systématiques sont effectués en complément de la réalisation de campagnes de prospection et de sondages archéologiques. Il s’agit, au travers de cette
approche interdisciplinaire, d’évaluer les rapports entre les caractéristiques écologiques de la végétation forestière et les
structures archéologiques, et d’appréhender l’organisation spatiale des occupations antiques. Les premiers résultats
obtenus sur un site d’habitat rural, probablement occupé au cours des IIe et IIIe siècles après J.-C., et pour lequel l’hypothèse d’un antécédent agricole est proposée, sont brièvement présentés.
Abstract
The study laid out in this article takes place within the framework of a thesis dealing with the evolutions of land use in
the south of the Yvelines region since Antiquity. The subject mainly relates to the forest of Rambouillet (20000 ha) of
which oldest mention dates back to the beginning of the seventh century AD (towards 615), and which is readily regarded as the relics of a vast « primitive » forest. The frequency of roman occupations within this forest calls into question
this hypothesis, and raises the question of the land use modalities during the roman period. In order to contribute to the
investigation of the functions of antique settlements located within the forest of Rambouillet, systematic floristic recordings, in addition to prospection campaigns and archaeological surveys, are carried out within several roman sites.
Through this interdisciplinary approach, it is a question of assessing the relationships between the ecological characteristics of forest vegetation and the archaeological remains, and to investigate the spatial structure of antique occupations.
The first results obtained on a rural settlement, probably occupied during the second and the third century AD, and for
which the hypothesis of a former agricultural land use is assumed, are briefly presented.
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T. VIGNEAU
1. - La zone d’étude : contexte topographique, formations géologiques et
types de sols
Le massif forestier de Rambouillet est situé dans le sud du
département des Yvelines. Fragmenté en plusieurs
ensembles, il s’étend sur environ 20000 ha et comprend
14550 ha de forêt domaniale (fig. 1).
Les espaces forestiers actuels occupent principalement une
zone de plateaux dont le soubassement est formé par des
argiles à meulières. Celles-ci reposent sur un important
dépôt de sables stampiens dont l’érosion a modelé des versants plus ou moins pentus. Argiles à meulières et sables
stampiens, localement surmontés par des sables argileux,
sont irrégulièrement recouverts par des loess et des sables
Figure 1 : Le massif forestier de Rambouillet – carte de localisation
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soufflés. Sous couvert forestier, les dépôts limoneux sont
peu étendus, assez superficiels et souvent très sableux, alors
que les secteurs de plateaux occupés par les cultures présentent des dépôts éoliens plus importants, plus épais, et
dont la fraction sableuse est plus réduite. Les colluvions,
généralement sableuses ou sablo-limoneuses, occupent les
fonds de vallons sur les plateaux, les bas de versants dans
les vallées, et constituent de larges étendues sur les pentes
développées dans les sables. Dans les fonds de vallées, les
alluvions récentes sont le plus fréquemment constituées de
matériaux fins, et présentent localement des faciès tourbeux (Crahet, 1981).
Les formations géologiques conditionnent en grande partie les modes actuels de l’occupation du sol. Les cultures
occupent significativement les espaces recouverts par les
limons. Ce type de substrat détermine des sols bruns
T. VIGNEAU
offrant de bonnes conditions de drainage ainsi que de
bonnes réserves en eau et en minéraux. Les espaces
forestiers occupent principalement des secteurs où les
argiles à meulières et les sables stampiens jouent un rôle
prépondérant dans les processus pédogénétiques. On y
retrouve des sols plus ou moins podzolisés et affectés à
des degrés divers par l’hydromorphie. Les facteurs topographiques et édaphiques introduisent de forts contrastes
sur le plan des conditions de drainage : fréquemment
engorgés sur le plateau et en bas de pente, les sols sont
au contraire soumis à un drainage important sur les versants, notamment sur les pentes creusées dans les sables
purs. Les colluvions sablo-limoneuses déterminent des
sols aux potentialités souvent limitées et présentant une
hydromorphie parfois marquée.
Dans ce contexte, la végétation forestière, à l’exception
de quelques stations modérément acides, regroupe des
formations plus ou moins acidiphiles. En dehors des stations au sol inondé ou engorgé en permanence, où se
développent aulnaies et tourbières, la végétation se rattache principalement à différents types de chênaies
(Bournérias, 1972). La chênaie-charmaie mésotrophe se
développe sur les sols limoneux, et occupe des surfaces
restreintes par comparaison aux formations oligotrophes
(chênaie sessiliflore à bouleau verruqueux, chênaie
pédonculée à molinie). La forêt présente d’autre part des
faciès landicoles (landes à Genêt, à Fougère aigle ou à
Bruyère).
2. - Du mythe historiographique au
renouvellement de la problématique
La première mention écrite de la forêt de Rambouillet apparaît au début du VIIe siècle (vers 615) sous le vocable Silva
aequilina (forêt d’Yveline). Les sources écrites postérieures
révèlent que ce territoire constitue à la fin du VIIIe siècle un
vaste domaine rattaché au fisc carolingien, dont la plus
grande partie est cédée en 768 à l’abbaye de Saint-Denis
par Pépin le Bref (Bourgeois, 1995). La charte de donation
indique que la forêt d’Yveline n’était pas intégralement
occupée par des espaces boisés et des terres incultes, et
révèle que celle-ci renfermait des terres cultivées, des vignes,
des prairies ainsi que des lieux habités. Mais, faute de données précises, il est difficile d’évaluer l’emprise des espaces
occupés alors par la végétation forestière.
L’hypothèse « classique » de la forêt primitive
Pour de nombreux historiens, l’actuel massif forestier de
Rambouillet correspond aux vestiges d’une vaste « forêtfrontière », qui constituait à l’époque gauloise une
marche forestière située aux confins des cités des
Carnutes et des Parisii (Granger, 1927 ; Higounet, 1990).
De multiples travaux semblent tirer argument des faibles
potentialités agricoles des plateaux occupés aujourd’hui
par le massif de Rambouillet pour avancer l’hypothèse
d’une relative stabilité des espaces forestiers depuis des
temps immémoriaux. Jugés impropres aux cultures, les
sols de plateaux auraient constitué un facteur limitant à
l’extension des cultures permanentes (Higounet, 1966).
Par ailleurs, l’idée d’une déforestation cumulative, effectuée à partir du haut Moyen Âge, fait l’objet d’un large
consensus dans l’historiographie (Roblin, 1951 ;
Higounet, 1990). Ces défrichements, qui s’intensifient
aux XIIe et XIIIe siècles, auraient abouti au démantèlement
partiel de l’antique forêt d’Yveline, les marges forestières
résiduelles se retrouvant confinées aux terres les moins
fertiles.
L’apport des données palynologiques et archéologiques
Les documentations archéologique et paléo-environnementale remettent en question ces propositions. Des analyses palynologiques réalisées sur trois tourbières du massif forestier témoignent de l’alternance d’épisodes de
déforestation et de phases de reprise forestière depuis le
Néolithique (Jalut, 1966, 1967 ; Barthélémy, 1983).
Illustrées par plusieurs phases de déboisement successives, les influences anthropiques sur la végétation
deviennent sensibles à partir de la seconde moitié de
l’Atlantique : les analyses indiquent un recul de la chênaie au profit des landes à callune, et suggèrent le développement de pratiques agro- ou sylvo-pastorales. Pour le
Subatlantique, les séquences polliniques témoignent de
manière convergente de l’apparition des céréales (seigle),
de Plantago lanceolata, des rudérales, des graminées et
des cypéracées, suggérant ainsi la présence d’habitats à
proximité des sites étudiés et le développement de systèmes agraires associant mise en valeur intensive et
extensive des terroirs. Toutefois, l’absence de calage chronologique des phases récentes des séquences étudiées
rend difficile la confrontation de ces analyses avec une
documentation archéologique plus particulièrement
abondante pour l’Antiquité.
Les multiples prospections réalisées en forêt de
Rambouillet depuis le milieu du XIXe siècle (Moutié,
1868 ; Toussaint, 1951 ; Zuber, 1969), complétées par
quelques recherches plus récentes (Bénaily et al., 2003 ;
Vigneau, 2005), illustrent la fréquence des occupations
antiques. Un nombre restreint d’établissements, classiquement interprétés comme des villae, se distinguent des
autres sites antiques par le caractère sensiblement plus
étendu des indices d’occupation (mobilier archéologique
et matériaux de construction en surface, micro-reliefs
indiquant des fondations sous-jacentes). Ces sites se
caractérisent également par des indices écologiques
témoignant d’une élévation notable des niveaux trophiques. Ce phénomène est illustré par la présence d’humus actifs sur le plan biologique (notamment des mulls
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eutrophes) et par le développement d’espèces végétales
atypiques compte tenu des potentialités du milieu : il
s’agit en particulier d’espèces nitroclines et nitrophiles
dont la présence peut vraisemblablement être inférée aux
modifications des propriétés physiques et chimiques des
sols introduites par l’occupation des structures d’habitat
et par l’amendement des sols. En effet, le maintien de
niveaux trophiques élevés sur des périmètres relativement
éloignés des structures d’habitat et dépourvus d’indices
de substructions conduit à émettre l’hypothèse de la
vocation agricole d’une partie des terroirs environnants.
Ce type de sites, que l’on peut situer à un niveau hiérarchique plus élevé que les autres établissements de la forêt
de Rambouillet, offre par ailleurs des conditions de prospection relativement favorables au ramassage de surface,
la discontinuité de la litière, liée au recyclage rapide de la
matière organique, facilitant le repérage du matériel
archéologique épandu à la surface du sol. De ce fait, ces
établissements livrent davantage de mobilier archéologique que la plupart des autres sites. Ils semblent aussi
occupés plus longuement, le matériel collecté suggérant
des périodes d’occupation entre la Tène finale et le IVe siècle après J.-C.
Hormis ces quelques sites relativement bien documentés, des formes plus modestes d’habitat sont attestées :
elles sont caractérisées par leur plus faible superficie, et
se rapportent à des périodes d’occupation probablement plus limitées (du Ier au IIIe siècle). De petites villae,
comme celle de la Millière, fouillée de 1964 à 1974
(Zuber, 1974), peuvent se rattacher à cette catégorie de
sites. On peut y rajouter une série d’établissements
livrant un mobilier archéologique relativement abondant (tuiles et céramique commune) mais dont les
structures et l’organisation spatiale, à l’exception du
site du Bois de Vilpert (cf. infra), ne sont pas aisément
perceptibles en prospection de surface.
Le trait le plus original de la documentation archéologique de la forêt de Rambouillet tient à la présence de
nombreux enclos quadrangulaires (plus d’une trentaine
au total) fréquemment désignés sous l’appellation de
Camp Romain par la toponymie. Constitués par un talus
bordé par un fossé extérieur, ces enclos adoptent un plan
rectangulaire ou trapézoïdal, et présentent une surface
comprise entre 7500 m2 et 1,5 ha (Zuber, 1969, 1978).
Étant donné la rareté du matériel archéologique collecté,
leur chronologie reste mal connue, la majorité des enclos
n’ayant d’ailleurs livré aucun élément de datation. On sait
néanmoins que quelques enclos sont occupés au cours de
la Tène finale et pendant le Ier siècle après J.-C. Pour la
plupart, ces enclos sont dépourvus de vestiges de fondations, et semblent correspondre à des occupations sporadiques et de courte durée. Toutefois, ils renferment peutêtre des structures légères en matériaux périssables, dont
la mise en évidence n’est possible qu’à la fouille.
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Successivement interprétés comme des fortifications militaires (Rabourdin, 1936), puis comme des enceintes à
caractère cultuel édifiées à la fin du second Âge du Fer
(Buchsenschutz, 1978), ces sites peuvent correspondre à
des habitats ruraux, ainsi que le suggère la fouille de deux
enclos en forêt de Saint-Arnoult-en-Yvelines (Baray,
1989). Cette hypothèse peut en particulier être envisagée
sur un site où des substructions en meulière sont attestées et où un parcellaire fossoyé semble organisé autour
de l’enclos. En tout cas, même en admettant l’hypothèse
d’un arasement des structures depuis l’abandon définitif
des enclos, la hauteur du talus (1,50 m au maximum)
conduit à écarter l’hypothèse de systèmes fortifiés.
D’autre part, l’hypothèse cultuelle reste discutable, dans
la mesure où, faute de données archéologiques, celle-ci
se fonde uniquement sur des critères morphologiques.
Questions et hypothèses de travail
La fréquence des structures antiques au sein du massif
forestier de Rambouillet contredit la thèse historiographique classique de la sylve « primitive ». La documentation archéologique conduit à penser que, entre la fin du
second Âge du Fer et le début du Bas-Empire, les espaces
forestiers du sud des Yvelines étaient plus morcelés
qu’aujourd’hui. On peut notamment poser l’hypothèse
d’une relative ouverture du paysage sur les secteurs de
limons où le réseau des occupations antiques apparaît
bien développé. La recherche de sols susceptibles d’être
mis en culture sans investissement excessif et la nécessité
d’accéder aux ressources en eau sans contraintes
majeures ont vraisemblablement constitué des facteurs
déterminants dans l’implantation des établissements. Les
secteurs de sables stampiens ont probablement été peu
privilégiés, ainsi que le suggère la documentation archéologique. Au cours de l’Antiquité, les zones de plateaux
regroupaient probablement des terroirs cultivés et des
zones plus ou moins boisées mises en valeur de façon
plus extensive. La présence fréquente de ferriers et de
charbonnières à proximité des sites d’habitat présumés
suggère à cet égard l’existence d’un réseau de petits ateliers de réduction associés à des zones de taillis destinées
à pourvoir en combustible. Toutefois, en l’état actuel des
recherches, aucun élément de datation ne vient étayer
cette hypothèse.
Pour la zone étudiée, la période du Haut-Empire semble
constituer une phase d’expansion des occupations
humaines par comparaison aux périodes postérieures.
Les données archéologiques suggèrent l’hypothèse
d’une désaffection relative des plateaux à partir du IVe
siècle après J.-C., voire dès le IIIe siècle, et semblent
témoigner d’un redéploiement des habitats vers les
fonds de vallées. A l’appui de cette hypothèse, la répartition des villages et des hameaux principaux cités avant
le Xe siècle, dont certains sont associés à des cimetières
à l’époque mérovingienne, confirme le rôle exercé par
T. VIGNEAU
les cours d’eau dans le regroupement des habitats au
début du Moyen Âge (Bourgeois, 1995, 1997). La disparition apparente de nombreux points de peuplement
sur les zones de plateaux pourrait indiquer l’abandon
des terroirs offrant les potentialités agricoles les plus
limitées au profit de secteurs plus favorables aux cultures intensives. De ce point de vue, la période de transition entre l’Antiquité et le Haut Moyen Âge a pu
conduire à une certaine spécialisation fonctionnelle des
espaces agraires, opposant des terroirs de polyculture
assez intensive privilégiant vallées et plaines alluviales,
et des marges de plateaux exploitées de manière plus
extensive (Bourgeois, 1997). Les conditions de préservation dont les structures archéologiques ont bénéficié
en milieu forestier semblent par ailleurs indiquer que de
nombreux sites occupés au cours du Haut-Empire n’ont
pas fait l’objet d’une affectation agricole après leur
abandon définitif. Ces arguments confortent ainsi l’hypothèse d’une progression des terres incultes au cours
de l’Antiquité Tardive, sinon pendant le Haut Moyen
Âge, et fournissent une explication possible de la
constitution du massif forestier de Rambouillet.
Ces hypothèses restent toutefois fragiles en raison des
difficultés soulevées par l’interprétation de données
archéologiques dont la portée est généralement limitée
et dont la représentativité est sujette à caution.
Contrairement à d’autres secteurs de la région Île-deFrance, où la multiplication des opérations archéologiques préventives depuis une dizaine d’années a permis de préciser les évolutions affectant les structures
d’habitat et la trame du peuplement entre le HautEmpire et le haut Moyen Âge (Daveau, 1997 ;
Ouzoulias et Van Ossel, 2001), le sud des Yvelines reste
assez mal documenté. On peut déplorer une vision très
partielle de la chronologie et de la hiérarchie des établissements antiques, et craindre une appréhension
biaisée de l’évolution des modalités de l’occupation du
territoire. Il est en effet probable que les lacunes accusées par la documentation archéologique pour le BasEmpire et le Haut Moyen Âge soient en partie l’illustration d’un « effet de source » lié au fait que l’essentiel
des données archéologiques provient de prospections
pédestres. Dans ce contexte, il apparaît important de
procéder à l’acquisition de données complémentaires,
et notamment à la mise en œuvre de fouilles stratigraphiques. Outre la détermination des périodes d’occupation des sites archéologiques, l’étude de leurs fonctions
constitue en enjeu important, et appelle le développement de recherches intéressant spécifiquement le
milieu forestier. Dans cette perspective, l’utilisation des
outils de bio-indication peut utilement compléter les
approches habituellement développées dans le cadre
de recherches archéologiques, et apporter une contribution décisive à l’analyse fonctionnelle des sites
(Dupouey et al., 2002 ; Georges-Leroy et al., 2003).
3. - Outils de bio-indication et analyse
spatiale : un site archéologique en
cours d’étude
Parmi les études actuellement développées en forêt de
Rambouillet, des relevés phytosociologiques sont
conduits sur plusieurs sites antiques dans le but d’appréhender et d’étudier de manière comparative leur
« signature » écologique. L’originalité de la démarche
réside dans l’adoption d’un maillage systématique pour
le positionnement des relevés et dans la mise en œuvre
d’analyses spatiales appliquées à l’étude de la structuration de la végétation. Les premiers résultats obtenus
sur un site du Haut-Empire sont présentés ici.
Le site étudié, sur lequel une campagne de relevés
microtopographiques a été engagée (fig. 2), est localisé
sur un secteur de plateau présentant une légère pente
orientée au Nord. Vraisemblablement boisé depuis la
fin du XVIIIe siècle au plus tard, le secteur comprend
deux types sols d’après la carte pédologique au 100
000e : au nord, des sols bruns lessivés développés à
partir de colluvions sablo-limoneuses reposant sur des
sables plus ou moins argileux ; au sud, des sols podzoliques hydromorphes développés à partir d’un matériau
sablo-limoneux reposant sur des argiles à meulières
(Crahet, 1981).
Interprété comme une villa lors de sa découverte, le
site, probablement occupé aux IIe et IIIe siècles après J.C., suggère davantage l’hypothèse d’un établissement
rural plus modeste. Il comprend les vestiges d’un bâtiment principal d’environ 25 sur 15 m dont les murs présentent un parement utilisant des matériaux variés
(meulière, grès et calcaire). La prospection a d’autre
part mis en évidence les vestiges d’un enclos à talus et
fossé extérieur à l’ouest du bâtiment. La collecte de
scories de coulée et de fragments de laitier au niveau
de l’angle de l’enclos suggère la présence d’au moins
un bas-fourneau sur le site. Par ailleurs, la présence de
plusieurs charbonnières sur la zone étudiée semble
confirmer l’hypothèse de fonctions métallurgiques.
Toutefois, en l’absence de tout élément de datation, la
contemporanéité de ces charbonnières avec l’occupation antique du site n’est pas avérée.
3.1. - Matériel et méthodes
Une série de 178 relevés phytosociologiques réalisés sur
des placettes de 100 m2 a été effectuée en mai 2004 sur
167
T. VIGNEAU
Figure 2 : Bois de Vilpert – carte de localisation et plan des structures.
une zone de 500 m de côté centrée sur les vestiges
archéologiques. Les placettes ont été réparties selon un
quadrillage systématique de la zone d’étude, le centre du
dispositif ayant fait l’objet d’un maillage plus serré (25 m)
que la périphérie (50 m). Les placettes correspondant à
des situations atypiques (trouées, travaux d’exploitation)
n’ont pas été étudiées. Chaque placette a fait d’objet
d’un relevé phytosociologique selon la méthode sigmatiste élaborée par Braun-Blanquet (1951). La flore bryophytique n’a pas été étudiée et fera l’objet de relevés
ultérieurs. La matrice des données collectées a fait l’objet
d’une analyse factorielle des correspondances et d’une
classification ascendante hiérarchique. L’impact du site en
termes de gradients écologiques a d’autre part été évalué
au moyen du système des valeurs indicatrices d’Ellenberg
(Ellenberg et al., 1991) pour la lumière (L), l’humidité du
sol (F), l’acidité (R) et la disponibilité du sol en Azote (N).
Pour chaque placette, une moyenne pondérée pour L, F,
R et N a été calculée après transformation des coefficients
d’abondance-dominance par des valeurs numériques,
selon la méthode proposée par Van der Maarel (1979).
Les données calculées ont fait l’objet d’une analyse en
168
composantes principales et d’une classification ascendante hiérarchique, puis ont donné lieu à une analyse
spatiale au moyen d’une interpolation par kriegeage.
3.2. - Résultats et discussion
L’analyse des relevés phytosociologiques fait apparaître
4 groupes principaux de placettes (fig. 3). On notera que
3 espèces (le Chèvrefeuille, la Ronce et la Fougère mâle),
présentes dans plus de 50 % des relevés, constituent le
« bruit de fond » de la zone étudiée.
Un premier ensemble (groupe 1) regroupe 67 relevés
majoritairement situés à la périphérie du dispositif, et en
particulier au sud de la zone d’étude. Ce groupe correspond à une formation de type chênaie acidiphile relativement ouverte. Il s’agit des milieux les plus acides et les
plus humides rencontrés sur la zone étudiée. La strate
herbacée est nettement dominée par Molinia caerulea,
Deschampsia flexuosa et Holcus mollis. Le cortège acidiphile (avec notamment Melampyrum pratense,
T. VIGNEAU
Figure 3 : Bois de Vilpert – distribution spatiale des groupes de placettes.
Hypericum pulchrum, Pteridium aquilinum) est associé à
quelques acidiclines (en particulier Dryopteris carthusiana)
et à quelques neutroclines (dont Poa nemoralis et
Potentilla reptans). La Fougère mâle (Dryopteris filix-mas),
présente sur un peu plus du tiers des relevés, apparaît
sous représentée par comparaison aux 3 autres groupes.
Ces derniers se distinguent de l’ensemble précédent sur
le plan du type de formation végétale (ils s’inscrivent dans
un contexte de chênaie-charmaie). Le milieu est par ailleurs plus fermé, notamment en ce qui concerne les
groupes 3 et 4. Au sein de cet ensemble de 111 placettes,
un premier groupe de 82 relevés (groupe 2), encore assez
acide, se distingue du groupe 1 par la moindre fréquence
et le caractère moins abondant des acidiphiles, à l’exception de Pteridium aquilinum et de Holcus mollis. La strate
herbacée est marquée par la fréquence plus importante
des acidiclines de mull mésotrophe (Millium effusum,
Hyacinthoides non-scripta) et de quelques neutroclines
(dont Hedera helix et Stellaria holostea). Le groupe 3,
constitué par 24 relevés, correspond à un milieu relativement plus fermé que précédemment : en témoignent la
diminution globale du nombre d’espèces et la plus forte
proportion des espèces sciaphiles ou de demi-ombre. Cet
ensemble se différencie du précédent par la disparition
des acidiphiles de moder (Deschampsia flexuosa,
Melampyrum pratense, Hypericum pulchrum). Au niveau
de la strate arborescente, l’Érable champêtre (Acer campestre), témoignant de sols riches en bases et en azote,
apparaît dans 5 relevés. La strate herbacée est par ailleurs
marquée par la présence de Melica uniflora et de
Lamiastrum galeobdolon, deux neutroclines relativement
exigeantes sur le plan trophique et qui sont absentes des
groupes précédents. Le groupe 4 constitue un ensemble
restreint de 5 placettes situées à moins de 30 m des structures archéologiques visibles (2 placettes au niveau du
bâtiment principal, 2 le long du talus de l’enclos, la dernière au niveau de l’angle de ce dernier). Ce groupe se
caractérise par la disparition du cortège acidiphile à l’exception du Chèvrefeuille. L’Érable champêtre domine le
Charme au niveau de la strate arborescente sur 4 relevés.
La strate herbacée est d’autre part marquée par l’apparition des neutronitroclines (Arum maculatum, Geranium
robertianum, Ranunculus ficaria) de Ranunculus auricomus (neutronitrophile) et de Primula veris subsp. veris
169
T. VIGNEAU
Figure 4 : Bois de Vilpert – variabilité spatiale des valeurs indicatrices d’Ellenberg pour la richesse du sol en azote (N).
(neutrocalcicole).
Les analyses réalisées sur les valeurs indicatrices d’Ellenberg
montrent que le centre de la zone étudiée (en particulier les
secteurs situés à proximité du bâtiment et de l’enclos) se distingue de la périphérie du dispositif par une végétation plus
sciaphile, moins hygrophile, moins acidiphile et correspondant à des niveaux trophiques plus élevés. Les disparités
constatées pour les valeurs relatives au facteur lumière (L)
traduisent des différences sur le plan de la structure des
peuplements : elles n’ont pas nécessairement de signification archéologique, et tirent probablement leur origine de
traitements sylvicoles différenciés.
Le gradient constaté pour les valeurs de F met d’une part
en évidence le caractère plus hydromorphe du sud de la
zone étudiée, c’est-à-dire sur les secteurs situés plus en
amont sur le versant : ceci peut s’expliquer par la présence des argiles à meulières à plus faible profondeur que
sur les zones situées plus en aval, du fait d’un recouvrement moins épais de colluvions sablo-limoneuses. Par ailleurs, les secteurs situés dans un rayon de 100 m autour
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du bâtiment et de l’enclos hébergent une végétation
caractérisant des milieux relativement bien drainés, alors
qu’une tendance hygrocline s’exprime au-delà de ce périmètre. La présence d’éléments grossiers en surface,
comme à proximité immédiate du bâtiment principal et le
long du talus de l’enclos, peut expliquer le caractère plus
filtrant des horizons superficiels du sol. On peut d’autre
part envisager l’hypothèse selon laquelle les meilleures
conditions de drainage attestées sur la partie centrale de
la zone étudiée traduisent des modifications de texture
des sols introduites par leur ancienne utilisation agricole.
L’impact du site apparaît très nettement au travers de la
variabilité spatiale des valeurs théoriques pour l’acidité
et la richesse du sol en azote (R et N), ces deux indicateurs constituant les facteurs contribuant le plus à la
différenciation des relevés. Les abords du bâtiment et
les secteurs situés le long du talus de l’enclos correspondent aux valeurs les plus élevées pour R et N (fig. 4).
Par ailleurs, on peut constater que des zones situées à
l’est et au nord-est du bâtiment principal, qui sont
dépourvues de vestiges apparents, se distinguent de la
T. VIGNEAU
périphérie de la zone étudiée par des valeurs significativement plus élevées pour R et N, indiquant ainsi une
acidité plus faible et des niveaux trophiques plus élevés.
A proximité du bâtiment rectangulaire, le caractère
marginal des espèces acidiphiles et le développement
des calciclines et des calcicoles peuvent être inférés à la
charge relativement importante en carbonates du sol,
liée à l’emploi de blocs de calcaire dans les fondations.
A cet égard, la présence ponctuelle de l’Érable le long
du talus de l’enclos, ainsi qu’à l’intérieur de l’emprise
présumée de ce dernier, permet d’envisager l’existence
de substructions sous-jacentes : cette hypothèse est
d’ailleurs suggérée par la présence de blocs de calcaire
à la surface du sol et par des indices topographiques.
L’élévation notable des niveaux trophiques au niveau du
bâtiment principal et de l’angle de l’enclos, qui traduit
vraisemblablement une disponibilité supérieure en azote
des horizons superficiels des sols, semble constituer un
bon marqueur des secteurs les plus intensément occupés
du site. Dans le même temps, le maintien de niveaux trophiques relativement élevés au delà des abords immédiats
du bâtiment suggère l’hypothèse de pratiques de fertilisation des sols, et conforte l’hypothèse d’un antécédent
agricole en rapport avec l’occupation antique du site.
Toutefois, il est possible que ce phénomène soit lié à
l’existence éventuelle d’autres structures d’habitat exclusivement construites en matériaux périssables et dont la
mise en évidence échappe à la prospection de surface.
4. - Conclusion
Les premières études conduites sur le site du Bois de
Vilpert mettent nettement en évidence le rôle joué par
l’occupation antique sur la structuration de la végétation.
L’adoption d’une démarche résolument spatiale apporte
en particulier des éléments d’appréciation de l’emprise du
site et de son organisation spatiale. Elle fournit d’autre
part un faisceau d’informations permettant la programmation de fouilles dont la mise en œuvre apparaît nécessaire pour évaluer les hypothèses issues de l’étude de la
flore vasculaire. Dans le même temps, il apparaît opportun de compléter les recherches en cours par l’étude des
bryophytes terricoles et humo-terricoles et par la réalisation d’analyses biogéochimiques au niveau des horizons
organo-minéraux. Des études portant sur la méso-faune
du sol sont également envisagées afin de mieux cerner
l’impact du site sur l’écosystème. L’application de ces différentes approches à d’autres sites et la mise en œuvre
d’une analyse comparative ouvrent ainsi d’intéressantes
perspectives de recherches concernant l’étude de la hiérarchie des établissements gallo-romains du massif fores-
tier de Rambouillet. On peut en attendre, pour le sud des
Yvelines, un renouvellement des connaissances au sujet
des formes d’habitat antiques ainsi qu’une appréhension
plus précise des modalités de l’occupation du sol au cours
du Haut-Empire.
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