Homélie pour la messe de mariage de Marion et Thibault, samedi 7

Transcription

Homélie pour la messe de mariage de Marion et Thibault, samedi 7
Homélie pour la messe de mariage de Marion et Thibault,
samedi 7 juin 2014
Église Saint-Martin de Camoël
Veille de la Pentecôte
« Der Krieg ist vorbei ! »
À cette exclamation répondit, dans le camp adverse, un coup de feu.
Cette fiction est tirée d’un film vieux de 30 ans environ. La scène se déroulait au mois de mai 1945.
L’auteur du coup de feu n’avait pas compris ce que son adversaire d’hier venait lui dire : « Der Krieg
ist vorbei », autrement dit « La guerre est finie ». C’était le 8 mai 1945 !
À travers cet épisode, sans doute inattendu, je voudrais attirer votre attention sur la nécessité qui
s’offre à nous tous d’apprendre la langue des autres. Mais pas seulement la langue maternelle : cela
va bien plus loin, comme je vais essayer de vous le faire sentir.
Marion et Thibault vous vous connaissez, n’est-ce pas ! Et pourtant, il va vous falloir apprendre la
langue l’un de l’autre. Apprendre la langue d’une autre personne, c’est très enthousiasmant, et il y
faut à peu près tout une vie, parfois même un peu plus... Mais on ne peut y parvenir sans l’aide de
Dieu. Cela tombe bien, car enthousiasme signifie étymologiquement « agir en Dieu »1. C’est le sens
de la prière de Tobie et Sara, que nous rappelait la première lecture2.
Il y a d’abord les apparences à traverser. Voici une petite histoire qui peut vous en dire
quelque chose. Il y a de cela quelques années, un moine bénédictin anglais est venu dans mon
monastère pour nous prêcher une retraite spirituelle. Et il nous a raconté un événement de sa vie
passée. Il était alors Prieur de l’abbaye Saint-Anselme, à Rome. Sa sœur vint lui rendre visite ; elle
était accompagnée de sa fille. Tous les trois allèrent dîner ensemble dans un restaurant. Et voici que
la conversation s’orienta vers l’opportunité du mariage. La nièce y était défavorable, tandis que
l’oncle sortait toute sa théologie pour essayer de raisonner la jeune fille. Et tout à coup celle-ci
s’exclama : « Si c’est pour être comme ces deux-là, franchement ! ». Les deux en question, était un
couple, assis au fond de la pièce ; ils dînaient ensemble, mais n’échangeaient pas un mot…
L’exemplarité3 est un témoignage bien plus loquace que tout. Le moine ravala sa salive en même
temps que sa théologie, et la conversation s’orienta vers un autre sujet. Mais voici qu’à un moment
il tourna la tête vers ce couple et s’aperçut de quelque chose d’insolite. Il fit signe à sa nièce qui en
fut toute retournée : ce couple dînait en se tenant par la main… Lorsqu’ils furent partis, le moine fit
signe au garçon qui les avait servis, et demanda s’il pouvait savoir qui était ce couple. Voici à peu
près ce qui lui fut répondu : « ce monsieur et cette dame sont très connus ici. Ils sont de bons
chrétiens. Malheureusement ils n’ont pas pu avoir d’enfant. Alors ils ont décidé d’ouvrir leur très
belle maison et leur parc aux enfants qui n’ont pas de vacances, et parfois même pas de parents.
Depuis, leur maison est remplie d’enfants toute la journée ; et les mardis soir, ils viennent tous les
deux ici pour être ensemble. Mais ce soir c’était particulier : ils fêtaient leurs 20 ans de mariage ».
Je vous laisse interpréter chacun cette petite histoire, car il y aurait trop à dire…
1

Tobie, 8,5-10
3
Le mot « exemplarité » véhicule parfois quelque chose d’un peu rigide. Ce n’est pas à cela que je fais allusion ici, mais
simplement au fait qu’un exemple – fut-il bon ou mauvais, du reste – l’emporte souvent beaucoup plus que tout argument…
2
Mais comment ne pas songer à cette phrase que le poète belge Maeterlinck, glisse dans la bouche
d’un personnage d’un de ses romans : « Nous ne nous connaissons pas encore parce que nous ne
n’avons pas encore osé nous taire ensemble !4 » ?...
Mais alors, s’il faut apprendre la langue de l’autre et en même temps apprendre à se taire, ça
ne va pas être simple ! Et c’est très juste : ce n’est effectivement pas simple, car c’est d’un tout autre
ordre : c’est passionnant !
Pour apprendre une langue, il faut beaucoup écouter, beaucoup chercher, beaucoup essayer,
beaucoup recommencer, et donc beaucoup aimer. Figurez-vous que c’est précisément ce que Dieu
fait avec nous. Car Dieu nous écoute !5 Et dans l’évangile nous entendions Jésus dire « Celui qui
écoute mes paroles… ». Il est à parier que celui qui écoute les Paroles de Dieu, finira par apprendre
la langue de Dieu…
Et c’est sans doute parce qu’il le savait que Saint-Benoît a ouvert sa Règle monastique par le mot
« Écoute ». Mais ce mot a une saveur toute particulière en latin. « Ausculta », dit le texte. Comme
vous l’avez devinez, cela a donné le mot ausculter, en français. Un médecin, par exemple, ausculte
son patient afin d’écouter ce que le corps lui révèle. Ceci montre avec évidence, qu’écouter n’est
pas qu’une affaire d’oreille. Tout le corps participe à l’écoute, et partant, à l’apprentissage de la
langue de l’autre ; tous les sens, toute l’intelligence, toute l’intuition. Cette écoute n’est donc pas
du tout passive, mais active6 ! C’est du reste l’invitation que Jésus nous fait en disant à propos des
Paroles qu’il nous dit : « …et les met en pratique » ! Finalement il ne nous est rien demandé d’autre
que de faire comme Dieu fait à notre égard.
La question peut alors se poser de savoir quelles sont ces Paroles de Dieu ? La Bible en est
remplie !... Le livre du Deutéronome par exemple, nous donne une Parole tout à fait intéressante à
travers ce que l’on a l’habitude d’appeler le « Shema Israël » : Shema Yisrael, Adonai Eloheinu,
Adonai Echad. « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est le Dieu Un ». Seulement, comme vous le
savez peut-être, l’exégèse rabbinique aime bien jouer avec les lettres des mots. Et il se trouve que
si l’on change la toute dernière lettre du mot « Un » (Echad) – qui est donc un D daleth, en hébreu
– par un R resh, on lit alors ceci : « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est le Dieu Tout Autre ».
Cela signifie que Dieu n’est pas toujours Celui qu’on croit qu’il est. Et puisque nous sommes créés à
l’image et à la ressemblance de ce Dieu, il est clair que nous ne sommes pas toujours non plus ce
que les autres croient que nous sommes. Tout est toujours à découvrir, toujours et encore.
Pour faire cette découverte de l’autre, Dieu nous donne un puissant agent des
communications, si je puis dire : le Saint-Esprit, dont la présence sera renouvelée en nos âmes
demain, lors de la solennité de la Pentecôte. Marion et Thibault : N’essayez même pas d’apprendre
quoique ce soit sans recourir à Lui, sinon vous risquer de tomber juste à côté ! Et encore… dans le
meilleur des cas. Et cela arrivera.
Alors pour avancer dans cette rencontre, vous pourrez penser à ce précieux enseignement
du Pape François, sur les secrets de la vie commune : « Merci, s’il te plaît, pardon ». N’oublier jamais
4
MAETERLINCK, Maurice Le trésor des humbles, 1896.
Si le motif de l’Incarnation est notre salut, il n’en est pas moins vrai que Dieu a choisi de s’incarner pour vivre avec nous ! C’est
le sens en hébreu du nom Emmanuel (emmanu-El = Avec nous Dieu)
6
Ceci n’enlève évidemment rien à ce que l’on appelle en psychologie l’écoute passive, à propos de laquelle les travaux de Carl
Rogers sont une mine pour apprendre à écouter !
5
de demander pardon. C’est le signe de la force la plus éminente, de l’amour le plus vrai. N’oubliez
pas davantage de dire « s’il te plaît », c’est le signe le plus vrai de l’amour humble. Pensez à dire
« merci », c’est le signe le plus explicite de la reconnaissance de l’amour que l’on reçoit.
Alors vous connaîtrez la paix, la vraie. Le mot paix dans les langues sémitiques vient d’un verbe qui
signifie remplir ! La paix n’est donc pas du tout une privation de gêne ou de bruit… La paix est une
plénitude, c’est le fait d’être comblé. Lorsque cette paix aura fait sa demeure en vous, vous pourrez
la rayonner. Vous serez alors l’image du Christ et de l’Église ! Amen
Frère Laurent de Trogoff