ou sur l`image pour voir le magazine complet en pdf - Emi-Cfd
Transcription
ou sur l`image pour voir le magazine complet en pdf - Emi-Cfd
« Smells like teen spirit » Nirvana Enquête : Coopaname, l’alternative ? S’émanciper du travail salarié subordonné et du travail indépendant précarisé La rédac’ Célia Rodrigues, 17 ans Lucie Journal : Grain de Sell’ – Lycée Henri Sellier, Livry-Gargan (93) Ce que j’aime : Harry Potter, 5 Seconds of Summer Ce que je n’aime pas : Kendji Girac, Jul, les légumes Ce qui me représente : Broken Home de 5 Seconds of Summer Maurine Bordeau, 15 ans Journal : Ouragan – Lycée Charles le Chauve, Roissy en Brie (77) Ce que j’aime : Mötorhead, Placebo, Metallica, Claude Monet et Tim Burton Ce que je n’aime pas : les blettes Ce qui me représente : Paint it, Black des Rolling Stones Anaïs Anaïs Denediou, 16 ans Célia Journal : L’Hébo – Lycée Hélène Boucher, Paris 20e (75) Ce que j’aime : lire, écrire, dessiner, le rock, les jeux vidéos d’horreur, le chocolat Ce que je n’aime pas : quand mon personnage préféré meurt, Donald Trump Ce qui me représente : Just like fire de Pink Lucie Bendaoud, 16 ans Journal : Le Grain de Sell’ – Lycée : Henri Sellier, Livry-Gargan (93) Ce que j’aime : les films de Tarantino, Peaky Blinders (série TV), me promener et faire du sport Ce que je n’aime pas : les cacahuètes, les films d’horreur Ce qui me représente : ma chaîne YouTube Il était une fois Lulu. Louis Maya Cissé, 18 ans Journal : PPL Actus– Lycée : Paul Painlevé , Courbevoie (92) J’aime : dormir, ma famille J’aime pas : la trahison Ce qui me représente : je n’oublie jamais rien je vis avec … Maya Sharone Mitory, 18 ans Journal : PPL Actus – Lycée : Paul Painlevé, Courbevoie (92) J’aime : manger, danser, film d’action et séries passions, du shopping l’apprentissage J’aime pas : l’hypocrisie, trahison et l’égoïsme Ce qui me représente : je baisse jamais les bras, la persévérance paye, vouloir c’est pouvoir… Tom Lefèvre, 16 ans Site : ThéoNet – Lycée Théophile Gautier, Tarbes (65) J’aime : la photo, la vidéo, le sport Je n’aime pas : le fenouil et (surtout) Touche pas à mon poste Ce qui me représente : mon tee shirt Maurine Sitpi Rajendran, 15 ans Sitpi Journal : Ouragan, Lycée Charles le Chauve, Roissy en Brie (77) J’aime : l’informatique tech Je n’aime pas : la musique classique / Ceux qui disent que des segways c’est des hoverboards Ce qui me représente : un téléphone Louis Lefèvre, 16 ans Site : ThéoNet – Lycée Théophile Gautier, Tarbes (65) J’aime : la montagne Je n’aime pas : Pour que tu m’aimes encore de Céline Dion Ce qui me représente : le bureau (désordonné) de mon ordinateu Sharone Tom DOREMI, journal et reportage vidéo réalisés dans le cadre du stage de 5 jours offert par l’EMI, l’École des métiers de l’information (coopérative – www.emi-cfd.fr) aux lauréats de Médiatiks, concours de médias scolaires et lycéens, organisés par le Centre de liaison de l’enseignement et des moyens d’information (CLEMI). Directeur de publication et formateur : Pascal FAMERY, responsable des journaux lycéens au CLEMI, CANOPÉ, ministère de l’éducation nationale Photos : Louis et Tom LEFÈVRE, Sitpi RAJENDRAN. Photo page 6 extraite du site de Dominique Poisson. Photo page 3 de Jérémie Wach. Rédaction, édition : Célia RODRIGUES, Maurine BORDEAU, Anaïs DENEDIOU, Sharone MITORY, Maya CISSÉ, Lucie BENDAOUD, Sitpi RAJENDRAM Maquette : Pascal FAMERY avec les stagiaires Couverture : Pascal FAMERY et Sitpi RAJENDRAM Retrouvez la vidéo Coopaname l’alternative sur https://youtu.be/ilySYRuPbrc réalisée par Tom et Louis LEFÈVRE avec les conseils de Eric SCHWEITZER du CLEMI COOPANAME, L’ ALTERNATIVE ? L’alternative ? Dans un contexte de crise financière durable, engendrant chômage et précarité, il est devenu difficile de choisir le bon statut professionnel. Pour éviter le salariat contraignant et inadapté aux idées novatrices de la nouvelle génération, on encourage les jeunes à adopter le statut plus libre d’auto-entrepreneur. Mais cette casquette, créée au départ pour les activités secondaires, ne propose pas les protections sociales et le cadre de travail suffisants pour permettre la stabilité de l’entreprise et l’épanouissement des personnes, souvent isolées. C’est pourquoi de nouvelles alternatives se créent, permettant à la fois un travail indépendant et des conditions de travail facilitées. C’est le cas de la coopérative « Coopaname », que l’équipe de Dorémi a suivi et analysé pour en comprendre les enjeux et le fonctionnement. Photo Jérémie Wach Luc Mboumba, lors de l’assemblée générale de Coopaname. Luc est l’un des 3 dirigeants élus de la coopérative. Son mandat ayant déjà été renouvellé, il ne pourra pas prétendre à un 3e. « Je vais devoir passer le relais et transmettre » sourie-t-il. Coopaname, comment ça marche ? Coopérative polyvalente, Coopaname a vu le jour en 2004. Elle compte environ 800 personnes (750 salariés, 26 permanents). De nombreux métiers se côtoient : « graphiste ou rempailleur de chaises, consultante ou e-commerçant, développeur informatique ou magicienne » comme l’explique son site de présentation. Ils jouissent d’une véritable protection sociale, d’un accès à la formation et bénéficient du système démocratique propre à toute coopérative. Cette « mutualité de travail », leur permet une meilleure organisation et donc une ambiance plus confortable pour travailler. Coopaname a plusieurs locaux en Île-deFrance. Elle s’ est exportée au Mans. La collaboration représente un point clé de Coopaname. Elle permet aux salariés de faire de nombreuses rencontres, de concevoir de nouveaux projets, d’apporter des idées innovantes aux uns et aux autres, dans un cadre bienveillant. « Notre projet utopique et atypique » affirme Luc Mboumba l’un des trois membres de la direction générale « c ’est de s’émanciper du travail salarié subordonné et du travail indépendant précarisé. » page 3 < juillet 2016 < DOREMI COOPANAME, L’ ALTERNATIVE ? Photocoop Jérémie, photographe, raconte sa « Coopanamisation » et son investissement pour promouvoir l’esprit coopératif auprès de la jeunesse. J érémie Wach, jeune photographe, à l’allure décontractée, a rejoint Coopaname il y a cinq ans. Convaincu, il développe un programme de promotion de l’esprit coopératif auprès de la nouvelle génération. Trentenaire bavard et farceur, Jérémie a longtemps vagabondé à la recherche de ses conditions de travail idéales. Après des études en informatique, le jeune homme à la barbichette et aux cheveux bruns décide en 2008 de partir pendant neuf mois en Amérique Latine pour vivre pleinement l’une de ses nombreuses passions : la photographie. Il y réalise un reportage social : Au cœur des classes laborieuses. De retour en France, il anime des ateliers théâtre sur la « communication orale », car ce qui l’intéresse, c’est « mettre à l’aise la personne d’ en face ». Auparavant sensibilisé et informé des enjeux Jérémie Wach dans la cuisine de Coopaname, du fonctionnement coopératif, c’est tout dans le XXeme arrondissement de Paris. naturellement qu’il fait en 2011 le choix d’intégrer une coopérative pour monter tif de Coopaname, où il peut librement sa propre entreprise. Déjà très engagé développer de front ses deux activités : la et investi, il devient vite un membre ac- photographie et le théâtre. « Quand on est jeune et qu’on veut entreprendre, ce n’est pas facile » Une alternative au travail salarié subordonné ? D’après une étude de 2014 publiée par les cabinets de prévention des risques au travail Technologia, environ 3 millions de salariés seraient concernés par le syndrome d’épuisement professionnel plus connu sous le nom « burnout ». Existe-til une alternative au modèle classique de la réussite professionnelle ? Coopaname propose d’inventer un nouveau rapport au travail. Certains coopanamiens sont d’anciens salariés, qui ont quittés leur emploi car les conditions de travail ne leurs convenaient pas. Les raisons sont variées comme par exemple l’instabilité ou le mal être. DOREMI > juillet 2016 > page 4 Marijo, la soigneuse psychique (voir p. 8) a décidé de créer une SCOP (société coopérative de production) avec l’aide d’une fidèle amie. Cette dernière est consultante enressources humaines. La coopérative voit le jour à Nantes. Deux personnes rejoignent le groupe pour une courte durée, car ils abandonnent le projet peu de temps après. Ce qui pousse le binôme à dissoudre la SCOP. Par la suite, ayant toujours l’envie de développer leur projet, elles vont prendre part aux activités de Coopaname. Eve Bruant a, pour sa part, travaillé 25 ans dans les cantines sur les tournages de cinéma (voir p.10). «J’avais un statut de salarié tout en faisant un travail de patron » se souvient-elle. Son mal être « Depuis 2009, [Jérémie] est photographe professionnel à multiples spécialités : expert en portraits, en photographie d’entreprise et également photographie de mode », indique son site internet, où l’ on peut voir certaines de ses créations. Il compte parmi ses clients Coopaname, pour qui il réalise des photos d’entreprise. Salarié, formateur et associé, il crée l’initiative « Jeunes 2 Coop », avec laquelle il présente « l’ économie sociale et solidaire » jusque dans les lycées Pro, les structures jeunesse et même Pôle Emploi. « Quand on est jeune et qu’on veut entreprendre, ce n’ est pas facile », nous explique Jérémie, lui-même passé par le « projet jeune » pour entrer dans l’entreprise. « C’est quoi la richesse dans la vie ? », questionne le jeune coopanamien aux potentiels futurs adhérents, à qui il témoigne de l’importance de l’épanouissement personnel par rapport à la richesse matérielle. La « vraie richesse », en tout cas, il semble l’avoir trouvée, très heureux d’avoir plus de temps libre et de meilleures conditions pour exercer le métier qu’il aime faire et dont il arrive désormais à vivre. n Maurine Bordeau au travail provenait du fait qu’elle travaillait selon des conditions physiquement et psychiquement éprouvantes : « c’ était épuisant de devoir faire le flic tout le temps », résume-t-elle. Jean-Philippe Dahm, ancien cadre, salarié chez Microsoft (voir p. 5) a quitté son poste car ce n’était pas la vie qu’il s’imaginait en finissant ses études: « je crame ma vie sur des choses futiles qui n’ apportent rien à la société. » À un certain moment beaucoup de personnes de son entourage se sont rendus compte que « c’est pas rose du tout et que ça manque cruellement de sens. » Il préfère travailler sur quelque chose de plaisant pour ses trente, quarante dernières années avant la retraite. Dominique Poisson, elle, a travaillé plus COOPANAME, L’ ALTERNATIVE ? de 20 ans dans l’agroalimentaire et a décidé de changer de métier. « L’entreprise dans laquelle je travaillais changeait souvent de patron et j’éprouvais un sentiment d’instabilité » (voir p. 6). Coopaname offre donc une nouvelle option innovante. Qui permet aux coopanamiens d’exercer une profession de leur choix avec plus de liberté, ce qui produit une bien meilleure ambiance. Une alternative au travail indépendant précarisé ? Si Coopaname attire autant de jeunes qui veulent créer leur activité, c’est tout simplement parce que la coopérative offre, outre son système démocratique, de nombreux avantages par rapport au statut d’entrepreneur classique. Par exemple : la possibilité d’être polyvalent, un cycle de formation obligatoire sur le fonctionnement de la coopérative lors- Coopaname en chiffres 817entrepreneurs dont 550 entrepreneurs-salariés et 267 en convention d’accompagnement (démarrage d’activité) 8 millions d’euros de chiffre d’affaire en 2015 200 associés (environ) 6 permanents 12 ans d’existence présidents, un homme et une femme 6 agences dont 5 en Île-de-France qu’on la rejoint, de nombreuses formations et ateliers variés selon les besoins de chaque salarié, des savoirs-faires partagés et une préparation pour devenir entrepreneur. « Les avantages de Coopaname ? explique Aurélie Fouquet (voir p. 9), ne pas être seul(e), une qualité de vie au tra- vail, la solidarité, la multi-activité et l’entraide, la polyvalence, la sécurité sociale… ». Jérémie Wach, (voir p. 4) pour sa part, prône les mérites de « l’accompagnement des salariés, l’enseignement du savoir-faire relatif aux activités, les nombreuses formations et surtout la prise en charge de la L’homme qui ne voulait plus faire gagner d’argent à Bill Gates De directeur du service clientèle de Microsoft France à artisan métallier, tel est le parcours de Jean-Philippe Dahm. Il revient sur son choix du mouvement coopératif. J ean-Philippe, un homme de grande taille aux cheveux taillés très court, n’aimait plus la façon et l’ambiance de son lieu de travail. Il décide donc en 2008 de quitter sont poste de Directeur du Service Client chez Microsoft France pour repartir de zéro, il reprend les études et se forme dans le domaine de la métallurgie. « C’est une orientation qui me passionnait » nous confie-t-il, et grâce à la coopérative Coopaname, il crée son activité de façonnage d’acier, les Ateliers du 4. « Je ne travaille pas moins qu’ avant, mais je ne le vis pas de la même façon (…) Je suis beaucoup plus épanoui, même si mon salaire est moins élevé ». « Associé depuis 2 ans, nous explique ce motard fort occupé, je suis très impliqué dans la coopérative ». Par exemple, outre son rôle d’administrateur, il assure des Jean-Philippe Dahm dans l’autre site de Coopaname, à Paris dans le XIIIème arrondissement. formations à la création de devis. « Artisan métallier, je crée, en acier, du mobilier (tables, portes, fenêtres,...) et des objets du quotidiens (des luminaires, des suspensions,...) en collaboration avec des architectes. Je suis aussi artiste plasticien et sculpteur d’acier ». n Sitpi Rajendram « Je ne travaille pas moins qu‘avant, mais je ne le vis pas de la même façon » page 5 < juillet 2016 < DOREMI COOPANAME, L’ ALTERNATIVE ? Un grand débat et une réflexion approffondie: les 11,5% de contribution des salariés « Le changement du taux de la contribution financière des salariés à la coopérative, notre dernière grande décision collective a été le fruit d’un long processus », rappelle Luc MBoumba, membre de la direction collégiale élue de Coopaname. « C’est très technique, prévient ce grand black chaleureux doté d’un talent pédagogique indéniable, mais symptomatique de notre vie démocratique et de notre volonté d’ innovation économique et de justice sociale. » Cette contribution finance le fonctionnement de la coopérative. «Jusqu’ alors elle était fixée à 10 % du chiffre d’affaire de chacun. Elle incluait donc les achats de marchandises, les achats liés à la production et la sous-traitance. » Constat : ce mode de calcul n’était pas équitable et défavorisait ceux qui avaient des frais importants. Par exemple un photographe qui pour une prise de vue importante a besoin d’embaucher ponctuellement un deuxième photographe paye 10 % de contribution sur ces frais-là. « Des exceptions individuelles ont alors été aménagées et cela a créé des inégalités de traitement. Nous avons alors décidé en AG d’engager une reflexion sur ce sujet. » Débat, expérimentation et consensus. Le CA s’est vu confié le pilotage de cette réflexion menée par une commission de travail. « Deux principes l’ont guidée: parvenir à un systéme équitable et ne pas réduire le fonctionnement de la coopérative. Et comme l’AG n’est pas une simple chambre d’enregistrement, cette problématique a soulevé de nombreux débats. » Une première proposition de définition ayant été jugée trop floue, la décision est prise de procéder à une expérimentation. Son bilan a donnera lieu à des plusieurs ajustements.« Notre AG de la semaine dernière a donc adopté une hausse de la cotisation à 11,5 % mais calculée sur la marge brute, c’est à dire une fois déduits tous les frais évoqués plus haut ainsi que les frais de missions. Une décision adoptée avec une majorité très confortable. » Propos recueillis par Maurine Bordeau et Anaïs Jourdain-Denediou Nutritionniste épanouie Dominique Poisson est associée et administratrice de Coopaname, où elle a « trouvé sa place ». onsultante et formatrice en nutrition depuis 2008, Dominique Poisson intervient en entreprises sur l’hygiène de vie dans le cadre du travail. Ingénieure diplômée, elle a travaillé durant 23 ans dans l’agroalimentaire en recherche et développement puis en tant qu’assistante technico commerciale. « Mais à l’approche de la cinquantaine, explique-t-elle, j’ai commencé à être mise en difficulté comme dans beaucoup d’entreprises. J’ai alors décidé de me réorienter vers une activité individuelle. » Elle développe désormais son activité au sein de Coopaname où elle a le sentiment d’avoir réellement « trouvé sa place. » Même si elle gagne moins bien sa vie qu’avant et qu’elle a eu des difficultés à se relancer dans sa nouvelle activité, Dominique se sent mieux : « Il y a un vrai sentiment d’âme dans la coopérative. Ça m’ a aidé à retrouver de la Photo extraite du site Novéquilibres C confiance en moi. » Également membre du conseil d’administration à Coopaname, elle fait partie du groupe de travail Coopagenre. Celui-ci fait la promotion de l’égalité hommes/femmes au travail et mène des ateliers de sensibilisation. « Ici, conclue-t-elle, enthousiaste, les inégalités hommes/femmes pèsent moins car il y a une véritable prise de conscience du problème. » n Célia Rodrigues « Il y a un vrai sentiment d’âme dans la coopérative. » DOREMI > juillet 2016 > page 6 comptabilité ! », idéale, selon lui, pour tous les jeunes « entrepreneurs » qui détestent s’occuper de leur comptabilité ou du fisc et qui n’ont pas à s’en charger sous leur statut de salariés Coopaname. Contre 11,5% du revenu de ses membres (voir encadré ci-joint) , la coopérative prend en charge la majorité de la « paperasse », comme par exemple les dépenses professionnelles des entrepreneurs avec la note de frais, remboursée par la suite grâce au système de trésorerie. Cette prise en charge permet aux Coopanamiens de gagner du temps. Un avantage qui n’aurait pas été possible s’ ils avaient gardé le statut d’entrepreneur, jugé « chronophage » par Jérémie Wach, qui préfère « passer moins de temps à [s]’occuper de la fiscalité au profit du développement de [son] activité ». Eve Bruant, tenancière d’une buvette à Montreuil dans le parc des Guillands (voir p. 10), raconte ses déboires lors de sa brève tentative pour devenir auto-entrepreneuse : « On m’avait dit « l’auto-entreprenariat c’est bien » mais j’ai essayé avec le food-truck comme test. C’était difficile toute seule. En plus, je n’avais pas d’eau pas d’électricité sur place. » Au bout de quelques mois, isolée, débordée et épuisée, Eve déclare forfait. C’est alors qu’elle contacte la mairie de Montreuil pour son projet de buvette à deux pas de chez elle, Elle s’appuie sur Coopaname pour répondre à l’appel d’offre du département propriétaire et gestionnaire du parc. « Je ne crois pas que j’aurais réussi sans eux. Autant pour la rédaction de mon dossier que pour la fiscalité en général : j’ allais à la Chambre de Commerce et j’en ressortais désespérée ! Maintenant, Coopaname gère la fiscalité et les charges pour moi, ce qui est un grand soulagement ! » «Le statut d’auto-entrepreneur a été énormèment mis en avant. Pôle emploi en fait même la promotion ! nous résume Luc, le dirigeant de Coopaname. Mais il a été détourné de son objectif initial.» Au départ ce dispositif a été en effet pensé en 2009 comme un statut régissant une activité salariée complémentaire permettant d’obtenir une source de revenus supplémentaires ou de vivre une passion. « Comme ces utilisateurs étaient censés conserver une activité principale bénéficiant d’une protection sociale normale, les charges d’un auto-entreneur ont été calculées à un taux COOPANAME, L’ ALTERNATIVE ? Paysagiste en son jardin secret Léa développe son activité d’artiste passionnée tout en conservant sa polyvalence. L éa, jeune entrepreneuse, développe une activité de paysagiste en tant que salariée de Coopaname. En parallèle, elle a monté sa propre boutique d’illustration avec l’aide de Piments, un programme soutenu par la coopérative (voir encadré ci-dessous). C’ est une passionnée de dessin qui nous explique ses activités. Ses études en arts appliqués terminées en 2013, elle découvre Coopaname grâce au bouche à oreille et s’y intéresse fortement. « Mais j’ai d’abord préféré consacrer mon temps à mes activités du moment avant d’intégrer la coopérative. » Ses secteurs d’activité, l’illustration et le paysagisme, étant en crise, et sachant que les entreprises du secteur « viraient des gens plus qu’[elles] ne les embauchaient », Léa a rencontré quelques difficultés dans le monde du travail traditionnel. Avec Coopaname, elle a pu maintenir sa polyvalence, sécuriser son avenir. Cette jeune femme à quelques pas de la trentaine, les cheveux remontés en chignon, souhaite élargir son réseau de diffusion dans des « points de ventes physiques ». Un café avec Léa, à la fois dessinatrice et paysagiste, dans la cuisine de Coopaname. Elle vend des cartes, des marque-pages représentant des créatures délicatement dessinées, aux teintes sombres agrémentées de quelques touches de rouge vif. Un univers poétique qui existe sous le nom de Moon Tribes. Un e-commerce, soit un site qui permet des achats via inter- net, vient d’ouvrir récemment. L’illustratrice de Moon Tribes dessine, découpe puis numérise. Léa le dit tout haut et avec un large sourire, c’est un « grand plaisir de travailler à la main », cela lui permet de se ressourcer. n Lucie Bendaoud Un e-commerce qui permet des achats via Internet vient d’ouvrir. très bas.» Cela devient un gros probléme quand cela reste l’activité principale, ce qui est désormais le cas pour la majorité d’entre eux : le niveau de protection sociale est ridicule. Il y a d’ailleurs une prise de conscience de ce problème par le législateur. « À Coopaname, conclue Luc, nous sommes très critique sur ce statut qui ajoute l’isolement à la précarité. » La rémunération à Coopaname : un régime spécifique À Coopaname, les revenus des salariés varient en fonction de leur production ou de leur activité : si leur niveau diminue, le salaire baisse, ce qui peut entraîner un changement de contrat. Géré par l’administration de la coopérative, le versement des salaires se fait par le biais de la trésorerie. Le principe de la trésorerie ? Lorsqu’un Assidûment Piments Un nom qui arrache pour une initiative qui décoiffe. Piments, acronyme de Plate-forme Initiative et Mobilisation (des jeunes) pour ENTreprendre Solidairement, est une initiative nationale, créée en 2009 à Grenoble, qui « propose aux jeunes qui veulent créer leur activités d’être accompagnés dans leur démarche», nous explique Clémentine, apprentie à Coopaname, cheville ouvrière de ce programme. « Destiné aux jeunes de 15 à 30 ans, pousuit cette brune dynamique, ce dispositif leur permet d’avoir accès aux différentes structures d’accompagnement. » Des soirées organisées avec d’autres porteurs de projets et les représentants des partenaires « leur fournissent l’occasion de trouver la structure qui leur convient le mieux. Il y a aussi des anciens qui viennent faire part de leur expérience. » De plus, des ateliers communs et des formations sont proposés pour s’initier à la création d’activité. Léa, par exemple, a participé à PIMENTS pour développer sa double activité de paysagiste et d’illustratrice (voir page 7). Sitpi Rajendram page 7 < juillet 2016 < DOREMI COOPANAME, L’ ALTERNATIVE ? Quand le psychique rencontre le coopératif Avec Coopaname, Marijo, a réussi sa reconversion dans l’art-thérapie. D epuis 2013, la douce Marijo fait partie de la coopérative où elle entretient un important projet avec une amie de longue date. L’art thérapeutique est le mot clé de son programme, où elle vient en aide à des personnes en difficulté. « La majorité de mes patients, décrit-elle, sont atteints mentalement comme les schizophrènes. » Elle s’occupe également des personnes âgées. « L’art thérapeutique, poursuit-elle, exploite le potentiel de l’art [quel qu’il soit] » dans de nombreux domaines, comme la musique, la peinture, le théâtre. Marijo propose des activités ludiques pour « développer le lien social » entre les handicapés et le monde qui les entoure. L’art thérapie « ce n’est pas guérir mais donner envie de guérir » : Marijo donne de l’espoir et de la bienveillance à ses patients. Elle est depuis un an associée à Coopaname. Cette soigneuse aux lunettes papillons et au grand cœur a travaillé 19 ans dans une maison d’édition scientifique et médicale. Au fil du temps, elle gravit les échelons pour obtenir des postes plus importants. Ce n’était pas sans peine, « j’ai beaucoup souffert » nous confie Marijo. Devenue éditrice, elle se retrouve prise entre la direction et l’équipe, de quoi en perdre la tête. C’est pourquoi, elle prend la décision de quitter cet emploi pour se consacrer à la SCOP (Société coopérative de production) qu’elle a conçu avec son amie. Le projet voit le jour à Nantes. N’ayant pas abouti à quelque chose de concret, l’équipe dissout la SCOP. C’est à ce moment que Marijo se tourne vers Coopaname. Marijo « retrouve le plaisir de travailler », elle apprend les bases de la gestion, soit comment facturer, apprendre à être une entrepreneuse et à concrétiser son projet. « On était ravies de trouver Coopaname », ainsi, ce binôme téméraire résiste encore et toujours ! n Lucie Bendaoud Coopaname, « l’école de la démocratie par la pratique » ? Marijo art-thérapeute, à Coopaname, Paris XXeme. « Je retrouve le plaisir de travailler. » client contacte un salarié de Coopaname, il doit signer un devis. Une fois la prestation assurée, le salarié adresse la facture par mail à Coopaname, qui l’envoie au client. Une fois la facture payée à la coopérative, Coopaname verse l’argent sur le compte du salarié en déduisant des DOREMI > juillet 2016 > page 8 générale. Aurélie Fouquet, traductrice spécialisé dans le secteur alimentaire, utilise ce système afin de se constituer un salaire variable, mais qui ne lui permet pas encore de vivre de son activité. « À mes débuts à Coopaname, je n’avais pas de revenus, expose-t-elle, puis au fur et à mesure de la progression de mon activité j’ai établi un salaire mensuel de 400€. » Au début de l’année 2016, ses revenus avaient diminué avec la fréquence de ses prestations, elle ne se versait donc plus qu’un salaire mensuel de 50€. « À présent, avec une nouvelle expansion de mon activité, je m’attribue un salaire de 1000€ par mois. Je souhaite atteindre le SMIC afin de vivre de mon activité. » Cependant, une question se pose : que se passe-t-il lorsqu’une activité n’est plus rentable ? Coopaname ne licencie pas ses salariés, contrairement aux grandes entreprises. Si un salarié voit son secteur d’activité chuter, son activité est suspendue. Il continue alors de faire partie de Coopaname, mais ne reçoit plus aucun revenu tant que sa production ne reprend pas. Le salarié peut rester dans Coopaname et participer à l’organisation de la coopérative par des moyens autres que financiers. Mais s’il souhaite quitter Coopaname, il peut obtenir une rupture conventionnelle de contrat et conserver les droits chômages liés à son statut de salarié de la coopérative. charges telles que la TVA, les cotisations sociales ou patronales, ou encore le remboursement des frais. En outre 11,5% des revenus sont reversés à Coopaname. Le salarié peut ensuite se verser un salaire à partir du salaire net qui s’accumule sur son compte personnel dans la trésorerie « En Assemblée Générale, on vote très rarement », affirme Jérémie Wach, associé et administrateur de Coopaname. Cela peut paraître paradoxal, mais le vote sans débat n’est pas toujours la manière la plus démocratique de prendre des décisions. Lors des Assemblées Générales organisées deux fois par an, les douze administrateurs, élus par les entrepreneurs qui ont choisi au bout d’un an de s’associer à Coopaname, échangent et se disputent plus qu’ils ne votent. Toutefois, le débat est encadré par une affiche de papier plaquée au mur : Bienveillance, Confidentialité, Respect des horaires et Authenticité sont les règles à respecter pour « travailler l’échange et la liberté de parole sans faire de nivellement par le bas », reprend Jérémie. Ce cadre de dialogue démocratique est d’autant plus important que les déci- COOPANAME, L’ ALTERNATIVE ? Le goût des mots Traductrice multifonctions, Aurélie s’est spécialisée dans le domaine culinaire pour lequel elle organise aussi des évènements. S ay it right ! , (Dis le bien), c’est la devise d’Aurélie Fouquet. C’est aussi le nom de son activité. « Ce que je préfère dans mon travail, c’est trouver le mot juste et voir les clients satisfaits. » Cette jeune femme chaleureuse exerce l’activité de traductrice français-anglais spécialisée dans l’alimentaire. Dotée d’une expérience dans la traduction technique et une formation de traduction généraliste et littéraire, elle travaille sur des cartes et menus de restaurants, des documents marketing, des contenus web, mais aussi des articles de la presse culturelle, scientifique ou économique, des chartes éditoriales, des rapports, du sous-titrage. « J’interviens également dans d’autres activités d’interprétariat, poursuit-elle, transcription, révision et relecture de traduction, coaching en prononciation anglaise. » Très active, elle participe enfin à l’organisation de nombreux évènements autour de la gastronomie ou de l’économie sociale et solidaire. « Coopaname me permet d’exercer mon activité en free-lance, et de rester très polyvalente. Ainsi je peux expérimenter pas mal de choses. » La jeune femme, passionnée par le Royaume-Uni, a passé trois ans à l’Université d’Artois afin d’obtenir une licence d’anglais. Ensuite elle a vécu à Londres dans une famille anglaise durant une année scolaire, durant laquelle elle a enseigné dans un collège. À son retour, en France, elle passe le concours d’admission à un Master dans le but de terminer ses études de traduction à Paris Diderot et Sorbonne Nouvelle. Ses études terminées, elle se lance dans l’entreprenariat. Malgré quelques jobs étudiants, son travail à « Ce que je préfère dans mon travail, c’est trouver le mot juste et voir les clients satisfaits. » sions prises au conseil d’administration sont cruciales au fonctionnement de la coopérative. On y a récemment voté une augmentation de la cotisation versée à Coopaname par les entrepreneurs (voir encadré p. 6). Mais le Conseil d’Administration n’est certainement pas la seule instance importante au sein de la coopérative. À plusieurs niveaux, les coopérateurs participent à la vie démocratique à travers des élections et des réunions mensuelles sous forme d’ « apéros thématiques ». Ce mode de fonctionnement permet une plus grande stabilité de la structure : « une entreprise classique coule une fois sur trois durant les trois premières années, alors que chez les coopératives, c’est plutôt une fois sur quatre », précise Jérémie. Ce système n’est cependant pas infaillible : la boulangerie La conquête du pain, installée en coopérative, à Montreuil, se trouve menacée de fermeture à cause des tensions entre les coopérateurs. Une coopérative sociale et écologique Coopaname, c’est aussi des valeurs communes et une certaine volonté de changer le monde, à travers l’ « économie sociale et solidaire ». Par de petites actions, les adhérents de la coopérative participent à créer un système plus centré sur l’humain et plus respectueux de la Terre. Du jus de pomme bio proposé dans les bâtiments parisiens de Coopaname au choix de fournisseurs du coin pour la buvette du parc, l’écologie et le local semblent être des problématiques qui rassemblent tous les adhérents. Les entrepreneurs voient arriver, grâce au réseau qu’offre la coopérative, de nouveaux clients plus proches et plus locaux, amenés par d’autres adhérents ou des personnes de leur entourage. Un citron, victime d’Aurélie. Coopaname représente son premier emploi officiel. « Ma mission : trouver la bonne formulation. À la fois fluide et fidèle, elle doit aussi savoir faire mouche, tout en rendant un texte impeccable sur le plan stylistique, grammatical, orthographique et typographique » affirme la jeune coopanamienne. Malgré le fait que son activité ne lui permette pas de subvenir encore à la totalité de ses besoins, Aurélie semble heureuse d’exercer un métier lui permettant de lier sa passion pour l’anglais et la gastronomie. n Anaïs Jourdain-Denediou Il s’installe alors un « cercle vertueux de bonnes actions », confie Jérémie Wach, qui doit à Coopaname 30 % de sa clientèle. Ici, on se rend service, et « cela finit tôt ou tard par nous revenir », continue le photographe, qu’on peut parfois croiser sur les marchés derrière le stand brocante de la coopérative. L’ aspect social chez les coopanamiens n’est pas non plus négligeable, au vu des efforts déployés par Eve pour proposer dans son menu de la viande halal et fixer des prix plus qu’abordables, refusant de n’attirer à la buvette « que les bobos parisiens ». Le studio photo de Jérémie a même été transformé en foyer d’accueil pendant quelque temps. n Anaïs Jourdain-Denediou et Maurine Bordeau avec Célia Rodrigues et Lucie Bendaoud page 9 < juillet 2016 < DOREMI COOPANAME, L’ ALTERNATIVE ? Une buvette pour se ressourcer Eve s’est appuyée sur Coopaname pour ouvrir sa buvette dans le parc des Guilands. « Ah c’est vous ! » Perchée sur son escabeau, une grande femme blonde taille les arbres de son jardin. Mais elle n’en a pas moins les pieds sur terre. Eve Bruant, forte d’une expérience de plus de 25 ans dans les cantines de tournage du cinéma, se lance aujourd’hui dans la nouvelle buvette du Parc des Guilands à cheval entre Montreuil et Bagnolet. En mode coopératif ! Cela fait dix jours, qu’Eve Bruant a démarré. Son projet : proposer nourriture et boisson à des prix très abordables dans un parc dont la fréquentation est très populaire. C’est ce qui a séduit le conseil départemental de Seine Saint Denis dont elle a remporté l‘appel d’offre. Dans quelques jours aura lieu l’inauguration… à la mode de cette personnalité joviale : elle a invité quelques copines de 50 ans et plus qui, pour l’occasion, improviseront un défilé de majorettes kitchissime. Avoir de la bouteille pour tenir une buvette, ça peut servir ! Et Eve n’en manque pas. Durant 25 ans, elle a assuré la cantine de nombreux tournages de cinéma. Pour les plus récents : La Chambre bleue de Mathieu Almaric, Deephan de Jacques Audiard, Les Malheurs de So- « Que la tourte soit avec toi ! », Eve en pleine action dans sa nouvelle buvette du parc des Guilands. phie de Christophe Honoré, excusez du peu ! Cette activité, elle l’exerçait en tant qu’intermittente du spectacle, salariée des sociétés de productions. Epuisée, lassée de partir loin de chez elle pour de longues durées, dans des conditions souvent difficiles, elle aspirait à une activité plus stable et proche de chez elle. Food-truck En 2014, elle ouvre un food-truck en bas de chez elle, rue de Chanzy à Mon- « Auto-entrepreneur ? «C’est naze ! » Dans le parc des Guilands à cheval entre Montreuil et Bagnolet, la buvette « Chez Noue » du nom de la cité de La Noue qui la domine. DOREMI > juillet 2016 > page 10 treuil. Cela ne durera que l’espace d’un printemps : « C’était super mais trop fatiguant. Je n’avais pas d’eau, pas d’électricité sur place, il fallait que je me débrouille. C’était difficile toute seule » se souvient Eve qui a pourtant de l’énergie à revendre. Et le statut d’auto-entrepreneur qu’elle avait alors choisi ? « C’est naze ! » C’est alors qu’elle prépare durant deux ans son dossier de candidature pour tenir la buvette et prend contact avec Coopaname : « pour casser l’isolement, bénéficier de conseils et d’un cadre collectif ». C’est d’ailleurs Jerémie Wach (voir p. 4) qui animait la séance d’accueil et de formation de sa promotion baptisée « Les bavards Organisés ». Sa buvette se situe au rez-de-chaussée d’un bâtiment flambant neuf, d’architecture très moderne et aux couleurs acidulées que les promeneurs du parc distinguent de loin. Ouverte de 12h à18h30, du mercredi au dimanche, elle y propose diverses boissons ainsi que des salades et des tartes variées dont elle a le secret. Attentive à son public, elle suggère à ceux qui le souhaitent de la viande halal. Attentive à l’environnement elle travaille avec des fournisseurs locaux. Ratatouille ! n Sharone Mitory et Maya Cissé