1 LA COMMUNAUTE DE L`EMMANUEL, UNE
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1 LA COMMUNAUTE DE L`EMMANUEL, UNE
LA COMMUNAUTE DE L’EMMANUEL, UNE GRÂCE POUR L’EGLISE Paray-le-Monial – Rencontre internationale – Lundi 12 août 2012 Chers amis, Il m’a été demandé de vous partager la façon dont un archevêque dans son diocèse, un cardinal, voyait la communauté de l’Emmanuel, sa place dans l’Eglise, son apport, son charisme, sa grâce propre. Lorsque Laurent Landète, votre modérateur, m’a sollicité pour cette intervention, j’ai répondu « oui » spontanément. Mais, je me suis demandé après, si je n’avais pas été bien imprudent. Etais-je sûr de bien connaître la communauté ? N’était-il pas un peu téméraire d’en parler à ceux qui la vivent depuis des années, qui ont approfondi le charisme dont elle est porteuse ? De toute façon, j’avais accepté. Je ne pouvais plus reculer. Je me lance donc dans l’aventure, vous demandant, par avance, toute votre indulgence. Je vous partage donc ma perception de la communauté en soulignant ce dont elle est porteuse, à mes yeux, pour l’Eglise. Je partirai de ce qui est le plus apparent pour remonter ensuite vers la source. Le charisme de la communauté, sa grâce pour l’Eglise dans le monde de ce temps (comme aurait dit le concile Vatican II), l’apport de la communauté dans une Eglise diocésaine me semblent pouvoir être décrits selon 5 facettes : 1) 2) 3) 4) 5) La passion pour l’évangélisation L’engagement de communautés apostoliques pour la mission L’importance donnée à la compassion et à la miséricorde La place centrale de l’adoration L’ouverture sur l’universel I – LA PASSION POUR L’EVANGELISATION La première chose qui m’a frappé, il y a une trentaine d’années à Marseille, quand j’ai fait connaissance avec des membres de la Communauté de l’Emmanuel, c’était leur passion pour l’évangélisation. Certes, aujourd’hui, l’urgence de l’évangélisation est davantage prise en compte par l’ensemble de l’Eglise. Comme y ont invité les papes Jean-Paul II et Benoît XVI, nous sentons le besoin dans nos pays de la vieille Europe d’une nouvelle évangélisation. Le prochain synode romain consacré justement à ce thème viendra non seulement nous en rappeler l’importance mais aussi, sans doute, nous donner quelques indications pratiques de mobilisation. Mais, je sens que sur le terrain, dans nos diocèses, dans nos paroisses, la dynamique de l’évangélisation est souvent pensée à l’interne, en direction des personnes qui viennent frapper à notre porte, en particulier de ceux et celles qui viennent pour le catéchisme, pour demander un baptême, un mariage, une célébration religieuse des funérailles. Beaucoup essaient d’accueillir au mieux. Et c’est vrai que cet accueil, s’il est pensé dans cette dynamique d’une proposition de la foi, est une des composantes de l’évangélisation. Je le vois, par exemple, quand, dans la préparation au mariage, vis-à-vis de jeunes qui ne sont pas catéchisés (ou parfois l’un ou l’autre pas baptisé), on ne se contente pas de parler du mariage 1 et de préparer une célébration, mais on porte le souci de leur présenter de façon kérygmatique le cœur de la foi chrétienne. Ceci dit, la question se pose avec acuité : que faisons-nous pour tous ceux qui, aujourd’hui, sont loin de la foi chrétienne, ne la connaissent pas, sont étrangers à l’Eglise, ne viennent pas ou ne viennent plus frapper à sa porte, ou ceux qui viennent y frapper, mais de manière tellement intermittente ? Nous sentons bien la nécessité d’une évangélisation qui implique un premier contact, une première annonce, une annonce vraiment nouvelle de l’Evangile à ceux qui ne le connaissent pas. Il faut « aller vers ». Je suis profondément convaincu que fait partie du charisme de l’Emmanuel cette démarche « d’aller vers » : je pense au porte-à-porte, à l’évangélisation de rue, à la semaine de l’évangélisation du Campus étudiant que nous avons vécu sur Bordeaux, aux multiples invitations qui sont lancées, qui sont d’ailleurs dans la dynamique du « Viens et vois » que Jésus adresse à ceux qui vont devenir ses disciples…De combien de conversions d’adultes ou de jeunes n’ai-je pas été témoin de la part de ceux qui avaient accepté de venir à une session de Paray-le-Monial ! Il faut, bien sûr, qu’il y ait des pionniers, des francs-tireurs, des évangélistes de plein vent. Mais la nouvelle évangélisation implique, me semble-t-il, une conversion missionnaire de la communauté chrétienne elle-même. Je parle de conversion, car c’est bien d’une conversion spirituelle dont il s’agit. L’évangélisation, vous le savez, n’est pas le déploiement d’une stratégie rationnellement planifiée. Elle est plutôt la conséquence d’une passion, d’un feu qui brûle, celui de l’amour du Seigneur. Elle est au service de celui qui nous dit : « C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit allumé » (Lc 12, 49). Cela demande tout un travail de conscientisation et de sensibilisation d’une communauté chrétienne. Ce n’est pas toujours très évident au point de départ. Je le vois bien quand, dans des visites pastorales, je pose à des assemblées chrétiennes, la question : comment vivez-vous la dynamique missionnaire ? Dans des semaines d’évangélisation paroissiale, j’ai été frappé par le souci de la communauté de l’Emmanuel d’associer le plus possible l’assemblée paroissiale à cette œuvre d’évangélisation. Et on est surpris de constater combien de fruits spirituels apparaissent dans le cœur d’un certain nombre de paroissiens qui se sont lancés dans la mission. Nous avons vu ce souci d’associer les paroisses et les communautés chrétiennes dans les semaines d’évangélisation des grandes villes européennes (Vienne, Paris, Lisbonne, Bruxelles et Budapest), semaines dans lesquelles la Communauté de l’Emmanuel s’est beaucoup investie. Cela me permet de souligner la façon dont la Communauté est appelée à se situer dans les diocèses qui accueillent son charisme : 1. Avoir des initiatives originales ; 2. Partager sa réflexion et les fruits de la mission plus largement, « les joies et les souffrances de l’apôtre » ; 3. Apporter son aide à une Eglise diocésaine, à des doyennés, à des secteurs (par son expérience, son savoir-faire, son personnel mobilisable) : deux expériences sur Bordeaux : la fête des familles et la semaine d’évangélisation du Campus. Cela ne se serait pas fait ou n’aurait pas eu son ampleur sans le soutien de la communauté ; 4. Participer à cette œuvre commune de la nouvelle évangélisation comme une des composantes et se réjouir de voir de plus en plus partagées comme un bien commun de toute l’Eglise les intuitions fortes de la Communauté ; 5. Apprendre à s’insérer avec simplicité dans l’Eglise diocésaine et ses instances. Avoir conscience que l’Eglise est toujours plus grande que ce que nous en 2 percevons et ce que nous en vivons et que l’évangélisation n’a pas commencé avec nous. Ce charisme de l’évangélisation peut amener aussi la communauté à s’investir dans des domaines plus spécifiques où on discerne des enjeux particulièrement importants : la famille et la vie familiale (avec aussi les propositions d’Amour et Vérité), la culture et l’éducation (on se rend compte aujourd’hui du formidable enjeu d’évangélisation présent dans l’Enseignement catholique à condition qu’il soit porté par des cellules missionnaires), le monde de la santé…Faut-il relever les défis posés par le monde rural, en voie de désertification ecclésiale et humaine (cf. la grande question du manque des médecins en rural…) ?..Je pense aussi à l’immense chantier de l’évangélisation des jeunes, où les frontières Eglise ad intra et Eglise ad extra sont terriblement poreuses. Je pense également aux lieux de pèlerinages qui sont de nos jours des lieux très importants d’accueil de toute une foule de gens, de tous ceux qui y entrent en touristes et ressortent en pèlerins. Importance de la présence de la Communauté à Paray-le-Monial et à l’Ile-Bouchard. Les horizons de la mission restent vastes. D’ailleurs, s’ils nous sont ouverts par les bras largement étendus du Christ, ils ne peuvent être que vastes. II – L’ENGAGEMENT DE COMMUNAUTES APOSTOLIQUES POUR LA MISSION Je suis très impressionné par l’intuition spirituelle de la Communauté de l’Emmanuel (qu’elle partage avec d’autres communautés). Vous avez perçu que l’enjeu et les défis de l’évangélisation appelaient une collaboration étroite des différents états de vie, ministères et charismes dans l’Eglise. D’où l’étroite communion de prêtres, de diacres, de laïcs, de couples et de consacrés pour la prise en charge apostolique d’une mission confiée. C’est un des points qui n’a pas toujours été bien perçu dans certains diocèses qui accueillaient la Communauté. Ceux-ci pensaient accueillir une équipe de prêtres (ou éventuellement un prêtre) qui recevaient chacun une mission de l’évêque et qui auraient la Communauté comme un lieu de ressourcement personnel (avec un fonctionnement semblable à celui d’une association sacerdotale) sans percevoir que c’est dans le cadre d’une communauté apostolique pour la mission que les prêtres vont exercer leur propre ministère presbytéral. Cette communion apostolique fait bénéficier l’évangélisation et l’animation pastorale du dynamisme qu’apporte la diversité des charismes : ministère sacerdotal des prêtres, ministère diaconal pour des diacres permanents, grâce de couples mariés, talents personnels et apports originaux de laïcs, charisme des personnes consacrées, présence parfois de séminaristes. Tous se soutiennent mutuellement et vivent ensemble la grâce d’une véritable fraternité chrétienne. La participation à une maisonnée enracine chacun dans une expérience très concrète de l’Eglise (prière, écoute de la Parole de Dieu, soutien mutuel, partage de la vie et de la mission). Il y a une grâce de consécration dans la Fraternité de Jésus, avec un engagement plus déterminé de fidélité à l’Eglise et de disponibilité en vue de la mission dans le cadre communautaire. De plus, l’appel fait à certains laïcs de se consacrer, au moins momentanément, à des œuvres d’apostolat qui paraissent décisives pour la mission est source d’une efficacité et d’une fécondité assez remarquables. C’est une communion finalisée par la mission. C’est ce qui permet d’échapper à l’idéologie que l’on voit dans certains secteurs de la vie ecclésiale, où tout l’avenir de l’Eglise semblerait dépendre de la prise en charge de plus en plus grande des responsabilités par les laïcs, quitte à 3 demander aux prêtres de faire davantage profil bas. Non, les prêtres ne sont pas les « JeanBaptiste » des laïcs (Il faudrait qu’ils grandissent et que nous, nous diminuions) ! Dans la Communauté de l’Emmanuel, le ministère sacerdotal est bien à sa place. Le curé de paroisse a sa pleine responsabilité pastorale, mais vous faites l’expérience que c’est un plus que de s’associer pour la mission. Le fait que ce soit un laïc qui soit responsable de la vigilance de la communauté me paraît être une bonne chose, si on veut bien garder le cap de la mission, et de la mission vers tous. Le risque étant que, si le responsable était systématiquement le pasteur de la paroisse, la perspective de l’animation de la communauté chrétienne rassemblée occupe très vite tout le champ des préoccupations. Vous n’êtes pas d’ailleurs une communauté hiérarchique, selon l’appellation du Code de Droit canonique, mais une association de fidèles, au service de la mission de l’Eglise. Cette communion me paraît être une chance pour la mission. Elle me paraît être aussi une chance pour les différentes catégories de personnes qui appartiennent à cette communion : - Chance et grâce pour les prêtres qui ne vivent pas tout seuls leur ministère presbytéral. Ils sont en équipe sacerdotale avec tout ce que cela appelle d’ailleurs comme vie commune, prière, échanges et partage du ministère. Ils partagent leur foi en maisonnée et vivent leur apostolat en collaboration avec les laïcs et les consacrés. Cela me paraît correspondre à une forte demande que je sens aujourd’hui chez un certain nombre de séminaristes. - Chance et grâce pour les laïcs qui sont amenés à vivre le plein déploiement de leur vie baptismale, dans cette recherche de la sanctification du quotidien, dans cette disponibilité à la volonté de Dieu. Votre Communauté est un lieu où se découvre et se vit pleinement ce sacerdoce commun de tous les baptisés, que le concile Vatican II, dans sa Constitution Lumen Gentium, a si bien mis en valeur. - Chance et grâce pour les couples qui peuvent vivre aussi dans un engagement commun leur sacrement de mariage. - Chance et grâce pour les consacré(e)s qui vivent l’originalité de leur vocation au sein d’une communauté de tâche et de mission. Tout cela, bien sûr, demande une vigilance pour que l’équilibre de vie et l’originalité de la vocation de chacun soient respectés. Je souligne que la prise en charge d’une paroisse par la Communauté doit se faire avec beaucoup de tact pastoral. En effet, il est important que la communauté paroissiale bénéficie du charisme de toute la Communauté (et pas seulement des prêtres) sans pour autant que l’arrivée de la Communauté ne soit ressentie comme l’OPA par un groupe musclé ne pouvant que marginaliser les paroissiens déjà en responsabilité et provoquer chez eux un sentiment de dépossession. Dans des diocèses où se cherche la mise sur pied d’équipes apostoliques pour la mission (qui ont des objectifs un peu différents de celui des Equipes d’animation pastorale ou paroissiale), la communication de l’expérience de la Communauté de l’Emmanuel (et de la communion des états de vie et de ministères) peut être particulièrement enrichissante. III – L’IMPORTANCE DONNEE A LA COMPASSION ET A LA MISERICORDE Comme je le disais un peu plus haut, cette passion pour l’évangélisation n’est pas une affaire de stratégie, de conquête ou de marketing pour gagner des parts de marchés, trouver de nouveaux clients ou fidéliser les anciens, mais une affaire d’amour, d’amour gratuit et 4 désintéressé. On voit d’ailleurs dans l’Evangile que c’est du cœur du Christ que jaillit la mission. J’aime relire souvent ce passage de l’Evangile selon Saint Matthieu : Jésus parcourait toutes les villes et les villages, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur. A la vue des foules, il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis qui n'ont pas de berger. Alors il dit à ses disciples: "La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux; priez donc le Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers à sa moisson." (Mt 9, 35-38). « A la vue des foules, il fut pris de pitié ». La traduction française est trop faible. Le verbe présent en grec (esplangxnistè) désigne les entrailles. Jésus est frappé aux entrailles, au plus profond de lui-même par la détresse de cette foule, par les besoins qu’il constate et ceux, plus cachés, qu’il pressent. Il va s’engager dans la mission. Marc nous dira qu’il se mit à les enseigner longuement et qu’il nourrit ensuite cette foule affamée. Matthieu nous montre Jésus inviter ses disciples à demander au Père de lui envoyer des collaborateurs pour cette mission de salut. Le cœur du Christ nous révèle le cœur du Père. Le Père de l’enfant prodigue n’est-il pas, lui aussi, pris de pitié, bouleversé au plus profond, à la vue de son fils qui revient (Lc 15, 20) ? Le Samaritain aussi frémit au plus profond de lui-même à la vue de l’homme laissé à demimort sur le chemin (Lc 10, 33). Le cœur de Dieu est un cœur compatissant et miséricordieux. Dans Osée, ne dit-il pas : « Comment te traiterai-je, Ephraïm, te livrerai-je, Israël ?..Mon cœur en moi est bouleversé et toutes mes entrailles frémissent » (Os. 11, 8). Le cœur du Christ se laisse atteindre par la détresse des hommes. L’amour de Dieu se révèle au plus haut point dans le cœur transpercé du Christ, tel que Saint Jean nous le donne à contempler dans son Evangile (Jn 19, 34). La contemplation du cœur de Jésus fait vraiment partie, grâce, entre autres, à Pierre Goursat, du charisme fondateur de la Communauté de l’Emmanuel. Pierre Goursat ne disait-il pas : « J’aimais le Cœur de Jésus avec beaucoup d’amour. Et il précisait : Le Cœur de Jésus, c’est le cœur humain et en même temps le Cœur divin. C’est le Cœur de Dieu, de la Trinité. C’est ce cœur d’amour immense. Alors, quand on a découvert l’Amour du Seigneur comme ça, on est touché » (88-1) ? Quelle grâce pour la Communauté d’avoir ce lieu de ressourcement qu’est Paray-le-Monial, ce lieu source du culte du Sacré-Cœur, ce cœur qui a tant aimé les hommes ! Il ne s’agit pas d’une dévotion particulière, à côté d’autres. C’est le cœur-même de la Révélation. Pierre Goursat disait d’ailleurs : « Ce n’est pas une dévotion le Sacré-Cœur, c’est l’essentiel même de l’Amour de Dieu : Dieu qui a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour le sauver. C’est vraiment un mystère d’amour » (75-E06). C’est ce cœur aimant du Christ qui lui permet d’être présent à tous les hommes, et tout particulièrement à ceux qui souffrent, aux pauvres, aux petits, aux malades, aux possédés, aux exclus, aux pécheurs. Il se laisse toucher par eux et se veut accueillant à tous : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger » (Mt 11, 28-30). 5 Nous avons, nous-mêmes, à nous approcher du cœur du Christ, pour le laisser nous communiquer le feu qui habite son propre cœur. Il faut qu’à notre tour, nous brûlions de ce feu d’amour, que nous soyons des êtres compatissants et pleins de miséricorde. « Soyez miséricordieux, dit Jésus, comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 36). « Montrez-vous bons et compatissants les uns pour les autres, dit saint Paul, vous pardonnant mutuellement, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ » (Eph 4, 32). Aujourd’hui, la vie n’est pas facile pour beaucoup de personnes. Chômage, stress au travail, problèmes affectifs et personnels, maladies, fragilités psychiques et dépressions, difficultés de toutes sortes, solitude…Beaucoup de personnes autour de nous ont un grand besoin d’être accueillies, écoutées, aidées, aimées. Je crois que la compassion est aujourd’hui une composante essentielle de l’évangélisation. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, que le message de Sainte Faustine a aujourd’hui un tel retentissement et que le pape Jean-Paul II ait fait du dimanche après Pâques, celui de la divine Miséricorde Le concile Vatican II, dont nous allons fêter le 50e anniversaire de son ouverture, nous a rappelé, tout particulièrement dans la Constitution Gaudium et Spes et dans le décret Ad Gentes, qu’il ne saurait y avoir d’annonce du salut et de service de la vérité sans charité pastorale, sans amour concret de ceux et celles à qui on s’adresse : « La présence des chrétiens dans les groupes humains doit être animée de cette charité dont nous a aimés Dieu, qui veut que nous aussi nous nous aimions mutuellement de la même charité (cf. 1 Jn 4, 11). La charité chrétienne s’étend véritablement à tous les hommes, sans aucune distinction de race, de condition sociale ou de religion ; elle n’attend aucun profit ni aucune reconnaissance. Dieu nous a aimés d’un amour gratuit ; de même, que les fidèles soient préoccupés dans leur charité de l’homme lui-même, en l’aimant du même mouvement dont Dieu nous a cherchés. Le Christ parcourait toutes les villes et bourgades en guérissant toutes les maladies et infirmités, en signe de l’avènement du Règne de Dieu (cf. Mt 9, 35 s. ; Ac 10, 38) ; de même l’Église est par ses fils en liaison avec les hommes de quelque condition qu’ils soient ; elle l’est surtout avec les pauvres et ceux qui souffrent et de tout son cœur elle se dépense pour eux (cf. 2 Co 12, 15). Elle participe à leurs joies et à leurs souffrances, elle connaît les aspirations et les problèmes de leur vie, elle souffre avec eux dans les angoisses de la mort. À ceux qui cherchent la paix, elle désire répondre dans un dialogue fraternel, en leur apportant la paix et la lumière qui viennent de l’Évangile » (Ad Gentes, n° 12). Dans un livre particulièrement suggestif, intitulé La Foi des démons ou l’athéisme dépassé, le philosophe Fabrice Hadjadj écrit : « Source de la vérité, la communion doit apparaître dans l’énoncé vrai, mais elle doit aussi se déployer dans la manière de le communiquer et comme but de cette communication. L’annonce de la vérité s’accomplit dans un amour divin du prochain, spécialement du pécheur, non pour avoir raison, mais pour être avec lui – communiant. Il s’agit moins de donner une leçon que d’accueillir un frère. Ôtez cet élan de communion, si orthodoxe que soit votre parole, elle procède d’un souffle impur, elle possède un fond démoniaque » (p. 179), puisque justement pour Fabrice Hadjadj, la foi des démons, c’est la vision de la vérité sans l’amour. J’ai été frappé récemment au Cambodge par les témoignages de jeunes convertis, tous venant de familles bouddhistes. Ce qui les a le plus interrogés, marqués, interpellés, c’est l’amour gratuit des chrétiens pour les autres : pourquoi faites-vous cela ? Pourquoi vous intéressezvous à nous ? 6 Je trouve très important que la Communauté de l’Emmanuel donne toute son importance à cette dimension de la compassion et de la miséricorde et qu’elle cherche à les traduire de façon concrète dans de multiples visites, initiatives, invitations ou contacts. Une évangélisation qui oublierait cette dimension ne serait que prosélytisme ou propagande. Il est important de nous aider au cœur de nos diocèses d’en porter la passion. IV – LA PLACE CENTRALE DE L’ADORATION L’accueil de cet amour compatissant et miséricordieux de Dieu se fait au cœur de la célébration eucharistique mais tout particulièrement aussi dans son prolongement qu’est l’adoration eucharistique. Je crois que l’adoration eucharistique tient une place centrale dans le charisme de la Communauté. Cette place, elle l’a dès le début, et ceci à une époque où on pouvait constater dans l’Eglise une désaffection vis-à-vis de l’adoration eucharistique. Vous l’exprimez très clairement dans vos statuts : « La grâce profonde de la Communauté vient de l’Adoration Eucharistique du Dieu réellement présent au milieu de nous « EMMANUEL ». De cette Adoration naît la compassion pour tous les hommes qui meurent de faim, matériellement et spirituellement. De cette compassion naît la soif d’évangéliser dans le monde entier et particulièrement les plus pauvres ». A l’ouverture d’une des premières sessions de Paray-le-Monial organisées par la Communauté de l’Emmanuel, Pierre Goursat disait à ses participants : « Ce qu’il faut faire pour vous tous qui êtes ici, c’est qu’on adore. Quand vous avez du temps, vous allez prier et vous allez adorer. Mais cette adoration a pour but naturellement d’honorer le Corps et le Cœur du Christ mais c’est surtout pour qu’on lui demande qu’Il nous embrase d’amour, que nous soyons embrasés d’amour pour nos frères à notre tour. L’amour du Cœur de Jésus, cela se demande dans l’adoration et la prière confiante. Même si vous êtes une bûche, vous restez aux pieds de Jésus et vous vous mettez à dorer au soleil de son Amour. Alors, je vous en prie, demandez comme un enfant à Jésus cette grande grâce d’avoir le cœur embrasé d’amour pour embraser le monde ! » (77-E26). Et il aimait ajouter : « Il faut que ça brûle ! ». Ainsi, la véritable adoration ne nous replie pas sur nous-mêmes, mais nous rend attentifs aux besoins, aux détresses des hommes. Nous contemplons le Seigneur. Nous accueillons son amour dans notre pauvreté et notre humilité. Nous approchons de son cœur et nous sommes invités à partager sa compassion pour tous les hommes. Je cite encore Pierre Goursat : « Le fait d’adorer le Seigneur, nous fait compatir à toutes les souffrances du monde, nous fait comprendre toutes les souffrances physiques, mais nous invite aussi à prier pour la conversion des pécheurs » (E082) et il ajoutait : « Dans la prière et l’adoration, on est vraiment revêtu de la force du Seigneur mais il faut que cela débouche sur le service de nos frères. » (E024). En fait, l’adoration nous conduit à nous offrir nous-mêmes, à nous unir au Christ pour aimer avec lui et en lui. Elle renvoie à la communion eucharistique. Elle nous rappelle que cette communion est moins repli sur nous-mêmes, fût-ce pour nous nourrir, qu’invitation au don, au don de nous-mêmes à Dieu et aux autres. 7 Dans la place centrale qu’elle donne à l’adoration comme source de l’évangélisation, la Communauté de l’Emmanuel vient nous rappeler que la mission est une action du Seigneur. C’est lui qui est vraiment présent aujourd’hui avec nous, c’est lui qui convertit et qui touche les cœurs par l’action de son Esprit et ce qu’il attend de ses témoins c’est qu’ils brûlent euxmêmes du feu de son Amour. Toute la mission se joue dans l’accueil de cette Présence. Je cite encore une fois Pierre Goursat : « On adore le Seigneur Jésus dans le Saint-Sacrement. Il faut vraiment croire à cette Présence réelle : une présence qui est très réelle et très concrète, parce que le Seigneur s’est incarné, et il veut rester avec nous. Il veut être avec nous. Et c’est une grande joie de savoir qu’il est avec nous. » (E056). V – L’OUVERTURE SUR L’UNIVERSEL Vous êtes une association publique internationale de fidèles. Présents dans les diocèses, vous avez à aider les Eglises particulières à rester ouvertes sur l’Eglise universelle, à vivre une communion affective et effective avec les autres Eglises diocésaines. Membre du Collège des évêques, chaque évêque doit porter le souci de toutes les Eglises et veiller à ce que son Eglise diocésaine vive bien cette ouverture à l’universel. La Constitution Lumen Gentium précise : « C’est pourquoi ils doivent, de toutes leurs forces, contribuer à fournir aux Missions, et les ouvriers de la moisson et les secours spirituels et matériels, tant par eux-mêmes directement qu’en suscitant la fervente coopération des fidèles » (n° 23). Les prêtres eux-mêmes doivent avoir à cœur de porter ce souci de toutes les Eglises. D’ailleurs, le Décret Presbyterorum Ordinis, sur le Ministère et la Vie des prêtres, abordera la question d’une entraide entre diocèses pour la répartition des prêtres : « Le don spirituel que les prêtres ont reçu à l’ordination les prépare, non pas à une mission limitée et restreinte, mais à une mission de salut d’ampleur universelle, « jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8) ; n’importe quelle forme de ministère sacerdotal participe, en effet, aux dimensions universelles de la mission confiée par le Christ aux Apôtres. Le sacerdoce du Christ, auquel les prêtres participent réellement, ne peut manquer d’être tourné vers tous les peuples et tous les temps, sans aucune limitation de race, de nation ou d’époque, comme le préfigure déjà mystérieusement le personnage de Melchisédech. Les prêtres se souviendront donc qu’ils doivent avoir au cœur le souci de toutes les Églises. Ainsi les prêtres des diocèses plus riches en vocations se tiendront prêts à partir volontiers, avec la permission de leur Ordinaire ou à son appel, pour exercer leur ministère dans des pays, des missions ou des œuvres qui souffrent du manque de prêtres. Les règles d’incardination et d’excardination devront d’ailleurs être révisées : tout en maintenant cette institution très ancienne, on l’adaptera aux besoins pastoraux actuels. Là où les conditions de l’apostolat le réclameront, on facilitera non seulement une répartition adaptée des prêtres, mais encore des activités pastorales particulières pour les différents milieux sociaux à l’échelle d’une région, d’une nation ou d’un continent. » (n° 10). Avouons qu’en France, nous ne sommes pas très avancés en termes d’entraide mutuelle dans la répartition des prêtres (sauf la création de la Fraternité des Prêtres pour la Ville dans la région parisienne). Chaque diocèse s’estime pauvre, mais certains sont plus pauvres que d’autres. Certains diocèses ruraux, qui n’ont pas eu d’ordination (ou très peu) depuis des années vont avoir du mal à survivre sans aide dans les années qui viennent. On peut constater que, malgré l’invitation du Concile, une réflexion sur l’incardination n’a pas encore été vraiment menée pour faire face aux besoins de la mission de l’Eglise aujourd’hui. Cette réflexion me paraît pourtant urgente, en particulier pour la Communauté de l’Emmanuel dont les prêtres sont incardinés dans les diocèses, et ceci étant très lié, dès le début, à l’intuition 8 spirituelle de votre fondateur. Comment permettre à des prêtres de la Communauté incardinés dans les diocèses de pouvoir quitter ce diocèse pour servir une communauté ailleurs, remplir une charge au service de la Communauté (dans la formation des séminaristes en particulier) ou bien répondre à une urgence missionnaire, un projet innovant porté par la Communauté ? Il y a là une très réelle question où se joue la capacité d’innovation missionnaire de la Communauté au service de toute l’Eglise. Si tout est figé et si chaque évêque veut garder ses prêtres, c’est l’asphyxie. Je comprends que la Communauté trouve urgent aujourd’hui de travailler cette question. En tout cas, je vois l’enrichissement pastoral et missionnaire que représente cet échange de prêtres, de consacrés et aussi de laïcs entre diocèses. Une des richesses de votre Communauté, c’est sa dimension internationale, c’est son implantation dans différents pays et continents du monde avec son souci d’enracinement et d’inculturation. Votre rencontre internationale, ici à Paray-le-Monial, exprime cette universalité de la Communauté et permet à tous d’expérimenter très concrètement quelle richesse de vie ecclésiale elle contient. CONCLUSION J’ai essayé de rendre compte du charisme de votre communauté et de ce qu’il apporte comme grâce à une Eglise diocésaine et à l’Eglise universelle. Mais, un charisme, on ne le possède pas comme une propriété dont on disposerait, on ne le stocke pas, comme le peuple d’Israël ne pouvait pas stocker la manne dans le désert. Il devait la recevoir de Dieu chaque jour. Il en va de même d’un charisme. Il faut sans cesse le recevoir de Dieu. Il est nécessaire quotidiennement de le demander à Dieu, comme des pauvres, dans la prière. Il vous faut rester disponibles à ce que le Seigneur voudra vous faire vivre et à ses appels. Mais, merci aujourd’hui d’accueillir la grâce du Seigneur et de grandir en elle au jour le jour ! † Jean-Pierre cardinal RICARD Archevêque de Bordeaux 9