Appelants Marcel-de-Montigny-et-al

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Appelants Marcel-de-Montigny-et-al
Dossier no 32860
COUR SUPRÊME DU CANADA
(EN APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL
DE LA PROVINCE DE QUÉBEC)
ENTRE :
MARCEL de MONTIGNY, personnellement et ès qualités
d’héritier et de liquidateur de la SUCCESSION DE
LILIANE de MONTIGNY et ès qualités d’héritier de la
SUCCESSION DE CLAUDIA ET BÉATRICE BROSSARD
et
SANDRA de MONTIGNY, personnellement et ès qualités
d’héritière et de liquidatrice de la SUCCESSION DE
LILIANE de MONTIGNY
et
KAREN de MONTIGNY, personnellement et ès qualités
d’héritière et de liquidatrice de la SUCCESSION DE
LILIANE de MONTIGNY
APPELANTS
(appelants)
-etSUCCESSION DE FEU MARTIN BROSSARD
représentée par M. Roger Brossard, son liquidateur
INTIMÉE
(intimée)
MÉMOIRE DES APPELANTS
Me Jean-Félix Racicot
852, rue des Bernaches
Mont-St-Hilaire (Québec)
J3H 0C4
Me Pierre Landry
Noël et Associés
111, rue Champlain
Gatineau (Québec) J8X 3R1
450 466-3630 – tél.
450 466-7315 – téléc.
[email protected]
819 771-7393 – tél.
819 771-5397 – téléc.
[email protected]
Procureur des appelants
Correspondant des appelants
Henri A. Lafortune Inc.
450 442-4080 – tél.
450 442-2040 – téléc.
[email protected]
2005, rue Limoges
Longueuil (Québec) J4G 1C4
www.halafortune.ca
L-3121-08
-2Me Michel Rocheleau
Bélanger Sauvé, s.e.n.c.r.l.
Bur. 1700, 1, Place Ville-Marie
Montréal (Québec) H3B 2C1
Me Guy Régimbald
Gowling Lafleur Henderson, s.e.n.c.r.l.
Bur. 2600, 160, rue Elgin
Ottawa (Ontario) K1P 1C8
514 878-3089 – tél. (poste 265)
514 878-3053 – téléc.
[email protected]
613 786-0197 – tél.
613 788-3559 – téléc.
[email protected]
Procureur de l’intimée
Correspondant de l’intimée
-iTABLE DES MATIÈRES
MÉMOIRE DES APPELANTS
PARTIE I
–
PARTIE II –
Page
EXPOSÉ CONCIS DES FAITS
.........................................1
EXPOSÉ CONCIS DES
QUESTIONS EN LITIGE
.......................................12
PARTIE III – EXPOSÉ CONCIS DES ARGUMENTS
.......................................13
(a) PREMIÈRE QUESTION : Quelle est l'indemnité
adéquate pour le « solatium doloris et perte de
soutien moral » dans le présent dossier et le juge
de première instance et la Cour d'appel ont-ils
commis une erreur manifeste et déterminante?
....................................... 13
i - M. Marcel de Montigny
....................................... 14
ii - Mme Karen de Montigny
....................................... 16
iii - Mme Sandra de Montigny
....................................... 16
iv - Les dommages
....................................... 17
(b) DEUXIÈME QUESTION EN LITIGE : Est-ce que le
décès de l'auteur d'actes intentionnels, susceptible
d'entraîner l'attribution de dommages exemplaires à
ses victimes, est une fin de non recevoir à la
condamnation de sa succession à des dommages
exemplaires? Si non, quel est le montant de tels
dommages qui devrait être accordé dans le cas
présent?
....................................... 21
i - Dommages exemplaires, supplément ou chef
distinct?
....................................... 22
ii - Objectifs des dommages exemplaires
....................................... 25
- ii TABLE DES MATIÈRES
MÉMOIRE DES APPELANTS
Page
PARTIE IV – ORDONNANCE DEMANDÉE
AU SUJET DES DÉPENS
.......................................34
PARTIE V
.......................................35
– ORDONNANCES DEMANDÉES
PARTIE VI – TABLE ALPHABÉTIQUE DES
SOURCES
__________
.......................................37
-1Mémoire des Appelants
Exposé concis des faits
MÉMOIRE DES APPELANTS
PARTIE I – EXPOSÉ CONCIS DES FAITS
1.
M. Martin Brossard était le conjoint de Mme Liliane de Montigny et ils vivaient
jusqu'à la date de leur séparation, soit en novembre 2001, dans une résidence de
Brossard avec leurs deux filles Claudia (4 ans) et Béatrice (moins de 2 ans).
2.
Le 15 avril 2002, M. Martin Brossard écrit une lettre de suicide (P-9, dossier des
Appelants (ci-après, « D.A. »), vol. 2, p. 160) dans laquelle il annonce le meurtre de
Mme Liliane de Montigny et celui de leurs deux filles Béatrice et Claudia.
3.
En voici un passage :
« Il y a 6 mois liliane m'a enlever tous mes rêves tous ce que
j'avait travailler fort. Après avoir compléter notre famille jamais je
n'accepterai que 1 ans après notre deuxième fille et notre maison
de rêve que je ne compte plus dans tes plans. Toute ma fierté tu
as toute pris. Comme ton arrogance et ton indiférence je pense
que ce n'était pas la bonne attitude à prendre. Pareille pour la
maison on avait toujours dit que si on se séparait on vendrait la
maison. la encore tu m'a menti. Pense tu que j'aurait accepter de
partager ma place dans cette maison et surtout dans ma chambre,
et non, je ne partage pas ma femme et surtout pas mes enfants.
Une famille c'est un papa et une maman t'en veut pas parfait Vlà 6
mois tu as fait le choix que tu ne voulait pas que je reviennes
maintenant c'est mon tour. J'ai du caractère de boeuf moi aussi.
Je vous les tu dit que c'est pas humain de faire ça à quelqu'un. Je
n'avait pas le droit de faire ce que j'ai fait mais toi non plus. »
4.
Le 22 avril 2002, M. Martin Brossard passe à l'acte. Mme Liliane de Montigny est
étranglée et leurs deux filles Béatrice et Claudia sont noyées par M. Martin Brossard qui
se suicide ensuite en se pendant. Le rapport des enquêteurs P-12 (D.A., vol. 2, p. 176),
conclut ainsi :
-2Mémoire des Appelants
Exposé concis des faits
« Conclusion :
À ce jour, l'enquête nous amène à conclure à trois (3) meurtres
commis par Martin Brossard suivi de son suicide. Pour
l'instant, appuyé par les versions des témoins, la lettre
explicative trouvée chez Martin Brossard, la scène de crime et
la note trouvée sur le comptoir de cuisine chez madame
DeMontigny. De plus, l'autopsie conclut un meurtre par
strangulation, deux (2) meurtres par noyade et un suicide par
strangulation. »
5.
Les rapports du coroner ont ces conclusions :
•
P-1, D.A., vol. 2, p. 146, relativement à Mme de Montigny :
« Mort violente d'une femme de 32 ans, causée par strangulation
et asphyxie. Il s'agit d'un homicide. »
•
P-1, D.A., vol. 2, p. 148, relativement à Claudia Brossard :
« Mort violente d'une fillette de 4 ans causée par une noyade. Il
s'agit d'un infanticide. »
•
P-1, D.A., vol. 2, p. 150, relativement à Béatrice Brossard :
« Mort violente d'une fillette âgée de 1 an causée par une noyade.
Il s'agit d'un infanticide. »
6.
La vie des Appelants a été bouleversée par la mort tragique de ces êtres chers.
7.
Les grandes lignes des faits pertinents ont été résumées par l'honorable juge
Trudel aux paragraphes 4 à 29 du jugement dont appel (D.A., vol. 1, p. 4 et s.).
8.
Certains faits méritent néanmoins un traitement particulier. En effet, les
Appelants soumettent que l'erreur manifeste et déterminante du juge de première
instance dans l'attribution des dommages apparaît à la lecture de la preuve.
-3Mémoire des Appelants
9.
Exposé concis des faits
Le juge de première instance fait, aux paragraphes 98 à 114 de son jugement
(D.A., vol. 1, p. 24 à 27), un résumé des dommages causés aux Appelants. Les
Appelants attirent l'attention de la Cour aux passages suivants de la preuve:
i - Témoignage de Sandra de Montigny :
•
D.A., vol. 3, p. 101, lignes 8 et s.
Liens avec sa soeur
•
D.A., vol. 3, p. 118, lignes 10 et s. Liens avec les enfants
•
D.A., vol. 1, p.143, lignes 5 et s.
Réaction lors de l'annonce
•
D.A., vol. 1, p. 146, lignes 1 à 15
Réaction de Karen, annonce
« C'est une des pires choses à avoir à dire à quelqu'un. J'ai dit:
"Martin s'est suicidé." Puis elle a déjà commencé ... elle a
commencé à pleurer puis là, je me disais: si elle pleure à ça, ça va
vraiment ... ça va vraiment pas aller bien quand je vais lui dire le
restant. »
« J'ai dit: "Karen, c'est pas tout. Il a pris Liliane puis il a pris
Claudia, il a pris Béatrice avec lui." Puis elle est comme tombée à
terre puis elle a commencé à faire une crise puis elle criait. Puis
là, je savais pas quoi faire pour la réconforter puis j'essayais de la
lever puis je disais: "Karen, il faut s'en aller... il faut s'en aller." »
•
D.A., vol. 1, p. 148, lignes 20 et s. Réaction de M. Marcel
•
D.A., vol. 1, p. 150, lignes 10 et s. Impuissance
« Donc, c'est pas juste ta peine à toi, c'est ta peine... c'est la peur
de regarder les membres de ta famille puis de voir leur souffrance
puis de savoir que t'es, premièrement, pas vraiment dans une
position de les aider, parce que t'es en train de vivre ton... l'enfer à
toi-même toute seule. »
•
D.A., vol. 1, p. 151, lignes 5 et s.
Lendemain
•
D.A., vol. 1, p. 156, lignes 18 et s. Prise de médication
-4Mémoire des Appelants
Exposé concis des faits
« Q - Suite au drame, madame, comment avez-vous vécu les mois
qui ont suivi?
R - Je prenais beaucoup de médicaments puis j'avais
extrêmement peur de moi-même: je pensais... je pensais que
c'était certain qu'il y aurait un soir que je serais pas capable
de faire la nuit puis que le matin, que je trouverais une façon
de ... de terminer ma vie. Puis peut-être deux (2) semaines
après que Liliane est décédée, j'étais allée chercher des
médicaments puis je me souviens que je m'étais assurée
d'en avoir assez, que si j'en prenais, disons que je me
réveillerais plus. »
•
D.A., vol. 1, p. 157, lignes 5 et s.
Idées suicidaires
•
D.A., vol. 1, p.158, lignes 23 et s.
Changement de département
« J'ai pas été capable (de) retourner dans le même département
où est-ce que j'étais avant, parce que je travaillais beaucoup avec
Liliane puis on faisait beaucoup de mandats ensemble. Donc j'ai
demandé un transfert pour que je sois sur un autre étage, pour
que je sois dans un département différent avec du nouveau
monde, du monde qui connaissait pas Liliane, qui la connaissait
juste en passant, mais qui avait jamais travaillé avec elle. »
•
D.A., vol. 1, p. 159, lignes 20 et s. Vertige
•
D.A., vol. 1, p. 161, lignes 1 et s.
Peur transposée sur son enfant
« Mais j'ai peur tout le temps que quelque chose va lui arriver. J'ai
même... je sais que c'est pas normal, mais moi, je suis convaincue
que quelqu'un va me l'enlever. Puis, souvent, je regrette d'avoir eu
un enfant parce qu'on dirait que je suis allée me remettre dans la
même position que j'étais quand j'aimais Claudia. Sauf que
maintenant, c'est encore pire, parce que c'est mon enfant à moi. »
•
D.A., vol. 1, p. 162, lignes 1 et s.
Attaques de panique
« Puis je m'étais juré que je reprendrais plus de médicaments
parce qu'après que j'étais tombée enceinte, il a fallu que j'arrête
de prendre des médicaments puis je m'étais juré que je
-5Mémoire des Appelants
Exposé concis des faits
recommencerais plus. Mais j'ai pas été capable de pas prendre de
médicaments. Il a fallu que je prenne des médicaments pour
l'anxiété, des médicaments pour dormir. »
•
D.A., vol. 1, p. 163, lignes 1 et s.
Peur, estime de soi
« Puis, je me souviens juste d'avoir dit à mon mari: "Un jour, là,
notre fille, elle va me voir comme ça puis elle va me voir que je
suis - je m'excuse l'expression, mais... - que je suis fuckée puis
que, moi, je suis pas comme les autres puis que je suis pas
normale.
Parce que, moi, j'ai peur tout le temps que quelqu'un va m'enlever
mon mari, va m'enlever ma soeur, va m'enlever mon père, va
m'enlever ma petite fille. Puis j'ai dit: "On n'aurait pas dû avoir
d'enfant." Parce que je le sais dans ma tête que qu'est-ce que je
ressens, c'est pas normal, mais je suis pas capable de m'arrêter
de le ressentir. »
•
D.A., vol. 1, p. 165 et 166
Effet sur relation de couple, vie sexuelle
ii - Témoignage de Marcel de Montigny :
•
D.A., vol. 3, p. 42, lignes 1 et 20 et s.
Absence de vie
« Ma vie a été perturbée, comme je vous dis, c'est... il n'y a pas
une heure dans la journée que je n'y pense pas. »
(...)
« D'accord. Alors, quand je parle de ma vie, moi, j'ai une grande
perte de jouissance de la vie, bien en fait, je n'ai plus de
jouissance du tout, j'ai tout perdu suite au décès de ma fille puis
de mes deux (2) petites-filles. »
•
D.A., vol. 1, p. 181, lignes 5 et s.
Visites et déjeuners avec sa fille
•
D.A., vol. 1, p.181, lignes 20 et s.
Visites et garde des enfants
•
D.A., vol. 1, p. 182, lignes 12 et s. Visites et garde des enfants
-6Mémoire des Appelants
Exposé concis des faits
•
D.A., vol. 1, p. 184, lignes 10 et s. Arrivée sur les lieux
•
D.A., vol. 1, p. 185, lignes 14 et s. Choc
•
D.A., vol. 1, p.188, lignes 4 et s.
Réaction aux meurtres
« Ah bien, là, on a rentré dans l'appartement, là puis les filles
pleuraient. Moi, je devais pleurer aussi un peu, peut-être.
J'essayais de les consoler. Alors, si je me mettais à pleurer, ça
aide pas à consoler personne. Alors, j'essayais d'être le plus fort
possible de... le plus fort possible, si on veut. »
•
D.A., vol. 1, p. 189, lignes 12 et s. Absence d'amélioration
•
D.A., vol. 1, p. 190 et 191
Absence de vie
•
D.A., vol. 1, p. 193, lignes 6 et s.
Absence de sommeil
« Q - Vos problèmes de sommeil, est-ce que vous avez été
chercher de l'aide ou de la médication pour ça?
R - Oui, oui. Je prends des Imovan; on appelle ça des pilules
pour dormir, mais dans les faits, on devrait plutôt appeler ça
des pilules pour tomber dans le coma, parce que c'est
vraiment pas du sommeil qu'on subit quand on... quand on
prend ces pilules-là et qu'ils font effet. »
•
D.A., vol. 1, p. 204, lignes 10 et s. Absence
« Bien, c'est sa présence, encore une fois, je la verrai plus jamais.
J'entendrai plus sa voix, ça... c'est fini. C'est pas, là... et c'est
tellement difficile. Des fois, ça m'arrive, là... je crois qu'elle est
encore vivante. Imaginez-vous... et je crois que les petites sont
encore vivantes et elle va m'appeler et puis je vais voir les petites.
Je vais les revoir, je sais qu'elle est vivante, je le sais, là. Ça peut
durer cinq (5) minutes, dix (10) minutes et puis là, bien, on dirait
que dans mon cerveau, bien là, ça change, là.
Je réalise, là, que c'est... c'est vrai qu'elles sont mortes et puis j'ai
pas... c'est ça. »
-7Mémoire des Appelants
•
Exposé concis des faits
D.A., vol. 1, p. 206, lignes 10 et s. Culpabilité
« Beaucoup de... je ressens de la culpabilité, aussi, parce que
j'aurais pu, si j'avais été plus vigilant, peut-être que j'aurais vu...
peut-être que j'aurais vu que quelque chose marchait pas. Il aurait
fallu... j'aurais pu poser des questions. »
•
D.A., vol. 1, p. 210, lignes 17 et s. Absence de sommeil, effets santé
« Parce que ma santé... ma santé physique s'en ressent
beaucoup. J'ai... j'ai eu des problèmes de prostate cette année, en
deux mille cinq (2005), j'ai eu un problème de coeur. En deux mille
quatre (2004), j'ai... j'avais perdu l'ouïe, j'entendais moins bien. A
fallu que je... j'ai subi un examen et puis de l'oreille droite, j'avais
perdu cinquante-trois pour cent (53%) de la capacité et de l'oreille
gauche, soixante (60)…
Q - Donc, vous, vous dites que vos autres problèmes de santé
sont reliés à ce drame-là?
R - Bien, sont reliés au fait que je dors très très peu. Parce que
si au moins... si je dormais, disons, six (6) heures, bien ça
me ferait moins de temps à... à penser à ce qui est arrivé et
puis ça me reposerait. On a... le corps humain a besoin de
sommeil et puis je sais très bien que, présentement, j'ai un
gros problème puis va falloir que je le règle. Comment? Je le
sais pas encore. »
iii •
Témoignage de Jacques-Yves Gadbois :
D.A., vol. 2, p. 44-45
Réaction suite aux meurtres
Effets sur les Appelants
« Q - Quand vous avez vu monsieur Marcel de Montigny, le père,
un fois que vous avez ramené Karen et Sandra, la première
fois que vous avez vu monsieur Marcel de Montigny,
comment était-il à ce moment-là?
R - Je dirais que monsieur de Montigny, son corps était là, mais
c'est tout. Il avait rien à l'intérieur. Il était blanc, il avait
presque pas d'émotions et je pense qu'il était tellement
étourdi par tous les événements... Je pense qu'une des
-8Mémoire des Appelants
Exposé concis des faits
choses les plus importantes pour monsieur de Montigny,
c'est qu'il était très déçu qu'il a pas été capable de protéger
Liliane. Alors, je pense que... il pense qu'il a échoué dans
son rôle comme père puis il était... il avait rien.
Q - Donc, il était comme vide?
R - Vide. »
•
D.A., vol. 2, p.48, lignes 15 et s.
Prise de médication de Sandra
Effets sur relation de couple
« Mais Sandra a commené à prendre des médicaments pour
essayer de dormir, pour reprendre ses forces. Elle dormait pas
beaucoup. Je sais que Karen puis Marcel dormaient pas
beaucoup aussi et qu'à ce jour, monsieur de Montigny, il dort
quelques heures par soir. C'était des temps très difficiles.
C'était trois (3) personnes qui avaient plus de force, presque pas
de force à vivre. C'était difficile sur la relation, parce que Sandra
était vraiment par terre dans ses émotions elle était pas capable
de gérer ses émotions puis de faire une journée sans... sans
pleurer. Elle était toujours fatiguée. C'était un... c'était un temps
très difficile pour nous. Puis ça a pris plusieurs mois avant qu'on a
commencé à voir un peu la lumière à la fin du tunnel. »
•
D.A., vol. 2, p. 50-51, lignes 5 et s. Effets sur le couple
« Son coeur était pas dans la relation, son coeur était pas dans la
vie. C'était ... c'était très difficile pour nous. À ce jour, on continue
à avoir des problèmes reliés au fait que, moi, de mon côté, je
trouve qu'elle fait des généralisations sur les hommes directement
reliées à ce qui est arrivé avec... avec Martin Brossard et ses... sa
soeur puis Claudia et Béatrice. »
iv -
Témoignage de Karen de Montigny :
•
D.A., vol. 3, p. 171, lignes 10 et s. Liens avec sa soeur, amie
•
D.A., vol. 3, p. 182, lignes 1 à 5
•
D.A., vol. 3, p. 188, lignes 17 et s. Rapprochement familial, décès mère
Gardiennage des enfants
-9Mémoire des Appelants
Exposé concis des faits
« Q - Et suite au, suite au décès de votre mère, est-ce qu'il y a eu
une modification dans les relations avec votre père?
R - J'avais plus besoin de support et lui, il avait plus besoin de
support, donc les quatre (4) dans la famille, on s'est... ça
nous a rapprochés. On était les seuls qui pouvaient
comprendre ce qu'on vivait, donc ç’a créé un rapprochement
entre les quatre (4). »
•
D.A., vol. 3, p. 191
Cauchemars, médication
« Q - Est-ce que vous pourriez nous décrire ce que vous entendez
par les graves préjudices moraux que vous avez ressentis?
R - C'est difficile à décrire. Il faudrait que vous le viviez pour que
je puisse vous le faire comprendre. C'est très difficile, puis
pas vraiment facile de l'expliquer.
Q - Je ne veux pas vous limiter dans votre réponse.
R - Si je peux vous le dire le plus clairement, c'est comme un
cauchemar qui ne finit pas.
Q - Est-ce que vous avez des médicaments? Vous avez pris des
médicaments par la suite...
R - Oui.
Q - Est-ce que vous en avez encore?
R - Je ne les prends plus, j'essaie de ne pas les prendre, c'est
très difficile de les prendre.
Q - Quelle sorte de médicament est-ce que c'est?
R - C'est les mêmes médicaments que j'ai pris après que ma
mère est décédée, il m'en restait, donc j'ai continué de les
prendre au besoin, mais je perds la mémoire et je suis
désorientée quand je les prends, donc j'essaie de ... »
•
D.A., vol. 2, p. 112, lignes 15 et s. Réaction lors de l'annonce
« Tout arrête. Mes jambes ont lâché. Je suis tombée.
- 10 Mémoire des Appelants
Exposé concis des faits
Apparemment que je criais, mais je m'en souviens pas. Je me
souviens juste que, tout à coup, j'ai frappé le plancher, puis c'était
tellement dur. Je ne comprenais plus l'espace autour de moi. Le
plafond tournait, tout tournait. Je n'étais vraiment plus consciente
de ce qui se passait. J'étais dans une bulle. »
•
D.A., vol. 2, p. 116, lignes 10 et s. Lendemain
« Je pense, quand on se réveille après une journée de même, les
premiers moments qu'on se réveille, on ne s'en souvient plus, on
pense que c'était un mauvais rêve. Puis à un moment donné, la
réalité nous refrappe puis c'est... On a comme un sentiment même
avant de réaliser qu'il y a quelque chose qui est pas correct dans
le monde. Puis, pour un instant, on ne s'en souvient plus. Puis, là,
ça frappe puis ça revient tout en même temps. Puis je pense que
c'est pire. »
•
D.A., vol. 2, p. 122, lignes 10 et s. Effets sur Mme Karen, sommeil, rêves
« Alors, surtout au début, c'était des cauchemars, je dirais,
fréquence de quatre (4) ou cinq (5) nuits par semaine. ... »
•
D.A., vol. 2, p. 124, lignes 1 et s.
« C'était la réalité le cauchemar »
•
D.A., vol. 2, p. 126 et 127
Explications de Karen, demeure dans
la maison
•
D.A., vol. 2, p. 134, lignes 10 et s. Crampes
« C'est ça. C'est des calmants. C'est parce que j'avais des
crampes, selon le docteur, ça me faisait des crampes, mes
intestins se contractaient puis ça relâche pas tout seul. Ça fait que
c'était vraiment... c'est vraiment douloureux, c'est plus capable de
marcher, plus capable de se lever. Je les prenais quand je n'étais
plus capable de fonctionner. »
10.
Les Appelants soumettent qu'à la lecture des interrogatoires et témoignages, le
résumé fait par le juge de première instance minimise l'impact causé aux Appelants par
ces graves événements et constitue une erreur manifeste et déterminante.
- 11 Mémoire des Appelants
11.
Exposé concis des faits
Que les Appelants ont présenté une requête en dommages contre la succession
du tueur pour obtenir compensation (déclaration ré-ré-amendée, D.A., vol .1, p. 55).
12.
Que jugement a été rendu par le juge de première instance, l'honorable juge
Clément Trudel, j.c.s., le 24 mars 2006 (D.A., vol. 1, p. 3 et s.).
13.
Que les Appelants ont porté ce jugement en appel, et la Cour d'appel a accueilli
en partie l'appel afin de faire droit à la demande visant le remboursement des frais
funéraires (D.A., vol. 1, p. 29).
14.
Il est à noter que les faits ne sont pas contestés dans la présente affaire.
----------
- 12 Mémoire des Appelants
Exposé concis des questions en litige
PARTIE II – EXPOSÉ CONCIS DES QUESTIONS EN LITIGE
15.
Le présent appel soulève les questions suivantes qui feront l'objet de
l'argumentation des Appelants :
(a)
PREMIÈRE QUESTION : Quelle est l'indemnité adéquate pour le « solatium
doloris et perte de soutien moral » dans le présent dossier et le juge de première
instance et la Cour d'appel ont-ils commis une erreur manifeste et déterminante?
(b)
DEUXIÈME QUESTION EN LITIGE : Est-ce que le décès de l'auteur d'actes
intentionnels, susceptible d'entraîner l'attribution de dommages exemplaires à
ses victimes, est une fin de non recevoir à la condamnation de sa succession à
des dommages exemplaires? Si non, quel est le montant de tels dommages qui
devrait être accordé dans le cas présent?
----------
- 13 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
PARTIE III – EXPOSÉ CONCIS DES ARGUMENTS
(a)
PREMIÈRE QUESTION: Quelle est l'indemnité adéquate pour le « solatium
doloris et perte de soutien moral » dans le présent dossier et le juge de
première instance et la Cour d'appel ont-ils commis une erreur manifeste et
déterminante?
16.
Premièrement, les indemnités accordées par le juge de première instance sont
les suivantes (vol. 1, p. 27) :
17.
Liliane
Claudia
Béatrice
Marcel de Montigny
30 000
6 000
6 000
Sandra de Montigny
10 000
2 000
2 000
Karen de Montigny
10 000
2 000
2 000
Le juge ne s'attarde pas à la faute, ni au lien causal dans son analyse, ces faits
n'étant pas contestés, il ne reste qu'à établir le dommage.
18.
Les citations des auteurs Baudouin et Deslauriers retenues par le juge de
première instance (D.A., vol. 1, p. 23 et 24), sont pertinentes et établissent bien l'état du
droit relativement au « solatium doloris et perte de soutien moral ». Certains critères
établis par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Gosset sont pertinents dans la
présente affaire :
a)
Circonstances du décès;
b)
l'âge de la victime et du parent;
c)
la nature et la qualité de leur relation;
d)
la personnalité du parent et sa capacité à gérer les conséquences
émotives du décès.
- 14 Mémoire des Appelants
19.
Exposé concis des arguments
Nous soumettons qu'il faut analyser ces critères en fonction non pas d'une
norme objective mais d'une norme qui est subjective à chaque victime. En effet, pour
certaines personnes, un lien étroit nécessite une présence quasi constante alors que,
pour d'autres, peut-être plus réservées ou introverties, elles peuvent être encore plus
comblées par une relation moins démonstrative. C'est le dommage causé à chaque
victime qu'il faut réparer de façon intégrale.
i
20.
-
M. Marcel de Montigny :
La preuve est éloquente quant aux effets causés à M. Marcel de Montigny.
Le passage le plus frappant se retrouve aux pages 189 et 190 du volume 1 :
« Q - Après évidemment les événements, comment vous avez
vécu ça?
R - Très difficilement. C'est encore difficile puis le problème que
j'ai, c'est que ça s'améliore pas, ça se détériore. J'avais... en
fait, je savais pas si ça... ce qui se passait... si ça se
détériorait ou non, mais c'est pire que c'était, disons, la
première année puis la deuxième année, c'était pire puis
cette année, c'est encore pire que c'était à ce moment-là.
Il n'y a pas... je pense, je pense à ça quasiment vingt-quatre
(24) heures par jour, j'arrête pas. Et puis quand je me
couche, si je me réveille, je dors plus de la nuit. Donc
présentement, là, je dors environ une heure et demie (1 1/2)
par nuit depuis peut-être un an, un an et demi (1 1/2). C'est
extrêmement difficile.
Q - Et votre vie aujourd'hui, c'est quoi?
R - Ah, ma vie, en fait, j'en ai plus de vie. C'est pas... c'est pas
une vie, ça, c'est ... quand on n'est pas capable de chasser
de son esprit quelque chose comme ça, c'est... c'est
invivable. C'est invivable. La nuit, si je dors une heure et
demie (1 1/2), comme exemple, je peux être quoi, six (6)
heures, six heures et demie (6 1/2) seulement qu'à penser...
à penser à ça tout le temps puis à essayer de pas y penser,
mais même si j'essaie de pas y penser, c'est ... j'y pense
pareil.
- 15 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
Ça revient tout le temps. Ça revient tout le temps et puis je
revois les événements, je les imagine : qu'est-ce qui a pu se
passer. Je les vois en train de se faire assassiner (...). »
21.
Mme Sandra de Montigny témoigne ainsi de la réaction de son père à l'annonce
des décès (D.A., vol. 1, p. 148) :
« Q - Et quand vous dites, vous avez vu votre père, il était
comment, votre père, quand vous l'avez vu pour la première
fois après le drame?
R - Je me souviens que je l'ai vu, c'était comme si toute la vie
était partie dans ses yeux, il restait plus rien. »
22.
À la lecture de la preuve, les souffrances morales de M. de Montigny affectent
aussi sa qualité de vie en troublant énormément son sommeil qui est perturbé par des
sentiments de culpabilité et de chagrin intense (D.A., vol. 1, p. 206, lignes 10 et s., &
D.A., vol. 1, p. 189, lignes 12 et s.; absence de sommeil : D.A., vol. 1, p. 193, lignes 6
et s., & D.A., vol. 1, p. 210, lignes 17 et s.). Ces souffrances se situent à l'extrémité du
spectre. La vie de M. Marcel de Montigny a basculé ce jour-là.
23.
M. Gadbois, le gendre de M. Marcel de Montigny, explique ceci quant à la
capacité de M. de Montigny de gérer cette situation :
« C'est pas un monsieur qui - je pense - est capable de gérer bien
ses émotions. » (D.A., vol. 2, p. 46, ligne 9)
24.
Ceci dit, M. Marcel de Montigny a témoigné de ses relations avec sa fille qui
allaient beaucoup mieux la voyant régulièrement, allant notamment déjeuner seul avec
elle aux 2 semaines (D.A., vol. 1, p. 181, lignes 5 et s.). Il a expliqué les bonheurs
simples qu'il vivait avec ses petites filles (D.A., vol. 1, p. 181 et 182) et qui lui apportaient
beaucoup de joie. L'intimée doit prendre la victime (l'appelant) dans l'état qu'il est.
- 16 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
ii -
Mme Karen de Montigny :
25.
La preuve a démontré que Mme Karen de Montigny est tombée littéralement à
terre lors de l'annonce du drame (D.A., vol. 2, p. 112, ligne 9). Elle témoigne des rêves
qu'elle faisait qui perturbaient son sommeil (D.A., vol. 2, p. 124) :
« Mais c'est quand je me réveillais que c'était pénible. C'était la
réalité qui était pénible. Puis mon copain me disait souvent: "Aie
pas peur, c'était juste un mauvais rêve. It's only a dream." Mais
c'était pas ça le problème. Le rêve, il était beau. C'est la réalité
que j'étais pas capable. C'était la réalité qui était le cauchemar.
C'était de se réveiller qui était pénible. »
26.
En plus des souffrances psychologiques, elle avait aussi des crampes (D.A., vol. 2,
p. 134). Mme Karen de Montigny était très proche de sa soeur (D.A., vol. 3, p. 171), la
qualifiant de sa meilleure amie. Naturellement, elle aimait ses nièces, qu'elle gardait
régulièrement (aux 2 semaines) (D.A.,vol. 3, p. 183, lignes 1 à 5). Elle était la marraine
de Béatrice et avait un attachement particulier à son égard (D.A., vol. 3, p. 190, ligne 21).
iii -
Mme Sandra de Montigny :
27.
Mme Sandra de Montigny a appris les meurtres sur son lieu de travail par la
directrice des ressources humaines (D.A., vol. 1, p. 142, ligne 16). C'est elle qui a dû
l'annoncer à sa soeur Karen (D.A., vol. 1, p.145 in fine et 146). Elle a dû prendre de la
médication qui avait des effets négatifs sur sa santé, elle a même pensé au suicide
(D.A., vol. 1, p. 156 et 157, ligne 19). Elle a changé de département au travail car elle
ne pouvait supporter le regard de gens qu'elle connaissait (D.A., vol. 1, p. 159). Elle a
eu des crises de vertige (D.A., vol. 1, p. 159 in fine), des attaques de panique (D.A.,
vol. 1, p. 162). Elle transpose sa peur sur son enfant (D.A., vol. 1, p. 161). Elle décrit
aussi, aux pages 166 et 167 du vol. 1, les effets de ces événements sur sa relation de
couple. En voici un extrait :
- 17 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
« Donc, ma façon de ... d'avoir une voix à travers tout ça, à travers
qu'est-ce qui est passé, c'est que je parle toujours des injustices
envers les femmes puis je pense que comme... pour un mari, ça
devient un fardeau très pesant à vivre toujours avec ça et, évidemment, ça a affecté notre vie sexuelle, ça affecte toutes les choses
que j'aurais jamais pensé... quand elle est décédée, si tu m'avais
demandé toutes les choses que ça aurait pu affecter, ça, j'aurais
pas pensé que ça aurait affecté ma relation énormément. Mais je
dirais, après trois (3) ans, je vis encore des séquelles de ça. »
28.
Le juge de première instance a résumé les relations existant entre les soeurs et
les petites filles, notamment aux paragraphes 109 et 110 de son jugement (D.A., vol. 1,
p. 26). Qu'il suffise de dire qu'elles étaient très proches et que Lilianne avait pris un peu
le rôle de leur mère au décès de cette dernière.
iv -
Les dommages :
29.
Les Appelants soumettent respectueusement qu'à la lumière des constatations
antérieures, les exemples suivants d'indemnités pour dommages moraux établissent
que le jugement de première instance et celui de la Cour d'appel contiennent une erreur
manifeste dans l'attribution des indemnités aux Appelants :
a) Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268 (Recueil de sources des
Appelants (ci-après, « R.S.A. »), vol. 1, onglet 1);
Homme 19 ans, démêlés avec la justice, sans diplôme, liens non
constants avec sa mère (voir Opinion du juge Fish, note 27, Gosset c.
Augustus, [1995] ILJCAN 5101, R.S.A., vol. 1, onglet 10) :
Mère:
25 000 $
Note: Il ne s'agit pas d'un plafond d'indemnité fixé par la Cour suprême,
mais d'une application à des faits particuliers (voir Baudouin, Jean-Louis,
- 18 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 6e éd., 2003, Cowansville,
Éditions Yvon Blais, p. 375, rubrique 485, R.S.A., vol. 2, onglet 20).
b) Ruest c. Boily, [2002] ILJCan 12748 (QC C.S.) (R.S.A., vol. 2, onglet 14);
Mort d'un enfant de 10 ans suite à un accident de ski :
Mère :
70 000 $
Père :
75 000 $
Soeur de 6 ans :
12 500 $
c) Stéfanik c. Hôpital Hôtel-Dieu de Lévis, [1997] ILJCAN 8479 (QC C.S.)
(R.S.A., vol. 2, onglet 15);
Perte d'un enfant de 7 ans, erreur médicale :
Mère :
60 000 $
Père :
60 000 $
d) Tremblay c. Kyzen, [2006] ILJCAN 3275 (QC C.S.) (R.S.A., vol. 2, onglet 17);
Mort d'un homme de 29 ans (accident de travail) :
Épouse :
80 000 $
Enfant :
50 000 $
Parents :
30 000 $
e) Larose c. Hurtubise, [2005] ILJCAN 30281 (QC C.S.) (R.S.A., vol. 1,
onglet 12);
Homme de 35 ans, accident, immeuble s'écrase :
Épouse :
80 000 $
Fille :
40 000 $
Fille :
50 000 $
- 19 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
f) Beaudin c. Québec (P.G.), [2005] ILJCAN 20474 (QC C.S.) (R.S.A., vol. 1,
onglet 3);
Homme, décès en prison :
Mère :
35 000 $
Père :
20 000 $
Sœur :
15 000 $
Frère :
5 000 $
g) Tessier c. Paquette, [2005] ILJCAN 24164 (QC C.Q.) (R.S.A., vol. 2,
onglet 16);
Mort d'un homme (vie écourtée de 6 mois) :
Enfants :
2 000 $
h) Lacombe c. Hôpital Maisonneuve-Rosemont, [2004] ILJCAN 12790
(QC C.S.) (R.S.A., vol. 1, onglet 11);
Femme 66 ans, erreur médicale :
Frère :
9 000 $
i) Chalifoux c. Major, 2006 QCCQ 6906 (R.S.A., vol. 1, onglet 4);
Mort d'un berger allemand empoisonné par un voisin à l'antigel :
30.
Perte de jouissance du chien pour son maître :
1 000 $
Dommages pour choc émotif :
1 000 $
Total dommages moraux :
2 000 $
Nous soumettons respectueusement que les jugements dont appel contiennent
une erreur manifeste lorsqu'ils attribuent comme compensation à M. Marcel de
Montigny la somme de 30 000 $ pour la perte de sa fille, et les montants de 6 000 $
pour chacune de ses petites-filles. De même les Appelants soumettent que le juge de
- 20 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
première instance a commis une erreur manifeste et déterminante lorsqu'il attribue des
montants de 10 000 $ aux Appelants pour la perte de leur soeur et de 2 000 $ pour la
perte de chacune de leurs nièces (et filleule selon le cas).
31.
Considérant la qualité de la relation et surtout l'attachement des Appelants à
l'égard des défuntes, les circonstances macabres des décès et l'effet de ces morts sur
la vie des Appelants : ces montants qui se rapprochent, pour les petites-filles, à des
montants accordés pour la perte d'un chien, ne constituent pas une réparation intégrale
ou acceptable du préjudice subi.
32.
Le montant accordé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Augustus c.
Gosset en 1990 (précité), semble encore après 18 ans, être considéré comme un
plafond d'indemnité. En dollars actualisés, ce montant, qui ne devrait pas être un
plafond, serait aujourd'hui beaucoup plus élevé.
33.
Il est difficile de concevoir des circonstances plus tragiques pour découvrir la
mort d'êtres chers, et une preuve importante a été faite des conséquences des décès
sur la vie des Appelants. De plus, la qualité des relations dans l'arrêt Augustus c.
Gosset n'a rien à voir avec le présent dossier.
Même si la mort d'un animal de
compagnie peut causer des souffrances à son maître, il est difficile d'accepter que la
mesure de cette souffrance puisse se comparer à la perte d'une filleule morte
assassinée par son père.
34.
Les Appelants soumettent respectueusement qu'il n'est pas suffisant d'affirmer,
comme le fait la Cour d'appel, que dans le cas de petits-enfants ou de neveux/nièces,
s'il existe peu de précédents pour arriver à la conclusion que des montants de 6 000 $ à
2 000 $ sont une compensation adéquate du dommage subi. Il est choquant d'imaginer
que la perte pour un grand-père d'un petit-enfant, des suites d'un meurtre par noyade
en même temps que sa soeur et leur mère étranglée puisse être compensée
adéquatement par une indemnité de 6 000 $.
- 21 Mémoire des Appelants
35.
Exposé concis des arguments
Malgré la retenue dont doivent faire preuve les tribunaux d'appel, les Appelants
soumettent que les dommages moraux sont à ce point distants d'une réparation
intégrale des dommages subis qu'ils constituent une erreur manifeste et dominante.
36.
Les comparaisons en matière de dommages moraux sont difficiles à faire.
Néanmoins, les montants accordés en matière de diffamation, notamment dans l'arrêt
Fillion c. Chiasson, [2007] 4 R.J.Q. 867 (R.S.A., vol. 1, onglet 9), où des dommages
moraux de 100 000 $ sont confirmés, peuvent donner une idée des niveaux
d'indemnisation de pareils dommages. Il ne faut pas banaliser la souffrance liée à la
mort. Chaque cas mérite une analyse particulière et, malheureusement, les Appelants
soumettent que l'indemnité accordée dans l'arrêt Augustus c. Gosset est appliquée
comme étant un plafond d'indemnisation et que les montants accordés par les tribunaux
sont inégaux (Gardner, Daniel, « L'arrêt Gosset, dix ans après », dans Le préjudice
corporel, Barreau du Québec, 2006, Cowansville, Éditions Yvon Blais, R.S.A., vol. 2,
onglet 21).
(b)
DEUXIÈME QUESTION EN LITIGE: Est-ce que le décès de l'auteur d'actes
intentionnels,
susceptible
d'entraîner
l'attribution
de
dommages
exemplaires à ses victimes, est une fin de non recevoir à la condamnation
de sa succession à des dommages exemplaires? Si non, quel est le
montant de tels dommages qui devrait être accordé dans le cas présent?
37.
Le juge de première instance exclut les dommages exemplaires pour deux
raisons. Premièrement, il affirme que les dommages exemplaires doivent être accordés
seulement si un autre chef de dommage existe. Ce serait donc une indemnité donnée
en supplément et puisque selon lui le dommage pour perte d'expectative de vie n'est
pas entré dans le patrimoine des défuntes, compte tenu de la courte durée de leur
survie, il n'y a pas lieu d'octroyer des dommages exemplaires (jugement, D.A., vol. 1,
p. 21, par. 82). De plus, il ajoute aussi une deuxième raison, le fait que l'auteur du crime
soit mort, donc qu'il n'y ait plus aucun aspect dissuasif (D.A., vol. 1, p. 21, par 82 in fine).
- 22 Mémoire des Appelants
i
38.
-
Exposé concis des arguments
Dommages exemplaires, supplément ou chef distinct?
L'article 49, al. 2 de la Charte dit ceci :
« En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal pourra en
outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »
Il ne fait aucun doute que le droit des défuntes garanti à l'article 1 de la Charte a été
bafoué par leurs meurtres.
39.
Le mot « outre » a plusieurs définitions, dont :
« Aussi, également, d'autre part » (Dictionnaire Petit Larousse)
40.
Cette honorable Cour, dans l'arrêt Béliveau St-Jacques c. Fédération des
employées et employés, [1996] 2 R.C.S. 345 (R.S.A., vol. 1, onglet 2), a traité de la
question de l'octroi de dommages exemplaires dans le cadre de l'application de la Loi
sur les accidents de travail et les maladies professionnelles.
41.
L'honorable juge Gonthier s'exprime ainsi au nom de la majorité :
« Malgré ces diverses particularités, le recours en dommages
exemplaires fondé sur l'art. 49, al. 2 de la Charte ne peut se
dissocier des principes de la responsabilité civile. Un tel recours
ne pourra en effet qu'être l'accessoire d'un recours principal visant
à obtenir compensation du préjudice moral ou matériel. L'article
49, al. 2 précise bien qu'en cas d'atteinte illicite et intentionnelle à
un droit protégé, "le tribunal peut en outre condamner son auteur
à des dommages exemplaires" (je souligne). Cette formulation
démontre clairement que, même si l'on admettait que l'attribution
de dommages exemplaires ne dépend pas de l'attribution
préalable de dommages compensatoires, le tribunal devra à tout
le moins avoir conclu à la présence d'une atteinte illicite à un droit
garanti. Il y aura donc identification d'un comportement fautif
responsable. C'est la combinaison de l'illicéité et de
l'intentionnalité qui sous-tend la décision d'accorder des
dommages exemplaires. Le lien nécessaire avec le comportement
- 23 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
fautif constitutif de responsabilité civile permet d'associer aux
principes de la responsabilité civile le recours en dommages
exemplaires. »
42.
Il existe une controverse jurisprudentielle et doctrinale quant à l'arrêt Béliveau St-
Jacques précité et au caractère autonome des dommages exemplaires. Dans un article
intitulé « L'évolution des dommages exemplaires depuis les décisions de la Cour
suprême en 1996 : dix ans de cheminement », dans Développements récents en droit
administratif et constitutionnel, Barreau du Québec, 2006, Cowansville, Éditions Yvon
Blais (R.S.A., vol. 2, onglet 20) Claude Dallaire fait une revue de la jurisprudence
traitant du caractère autonome ou non des dommages exemplaires. Il en arrive à la
conclusion que l'arrêt Béliveau St-Jacques doit être lu et interprété à la lumière des
arrêts Syndicat national des employés de l'Hôpital St-Ferdinand c. Curateur public,
[1996] 3 R.C.S. 211 (R.S.A., vol. 1, onglet 2) et Augustus c. Gosset deux autres arrêts
rendus la même année par la Cour suprême du Canada et qui traitent de dommages
exemplaires et, fait non négligeable, jugements auxquels a participé l'honorable juge
Gonthier.
43.
Les Appelants soumettent respectueusement que les dommages exemplaires
pour la violation d'un droit garanti par la Charte ne sont pas tributaires de l'existence
d'un autre chef de dommage. Ces chefs de dommages existent en parallèle, s'il existe
la violation d'un droit garanti par la Charte et une atteinte intentionnelle. Dans l'arrêt
Augustus c. Gosset la Cour rejette la réclamation de la mère du défunt pour des
dommages exemplaires car l'intention du policier n'avait pas été prouvée. Ici, l'intention
de tuer apparaissant à la lettre de suicide ne fait aucun doute.
44.
Dans Augustus c. Gosset, la Cour applique aux dommages exemplaires la règle
de l'arrêt Driver c. Coca-Cola Ltd., [1961] RCS 201 (R.S.A., vol. 1, onglet 8) en ces
termes :
- 24 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
« Ainsi, pour les considérations de politique judiciaire déjà
exposées, la réclamation de l'appelante pour atteinte à la vie de
son fils ne saurait faire l'objet d'indemnisation, tant en vertu de
l'art. 1053 C.c.B.C., que des art. 1 et 49 de la Charte. »
45.
La Cour justifie cette application de la décision Driver précitée par le fait que :
« ... la Charte, pas plus que le droit commun, n'est en mesure de
protéger le droit à une vie qui s'est éteinte. »
46.
Les Appelants soumettent que les objectifs visés par les dommages exemplaires
ne se limitent pas à punir ou à réprimer une situation existante, mais à dissuader et
dénoncer des gestes posés en décourageant notamment l'auteur ou toute autre
personne à poser les mêmes gestes.
47.
Si la victime ne peut poursuivre pour l'abrègement de sa propre vie selon l'arrêt
Driver, compte tenu de la nature même des dommages exemplaires qui ne visent pas
seulement à dédommager la victime mais le mal fait à la communauté, il y aurait lieu de
revoir la décision Augustus c. Gosset qui écarte pour la succession de la victime le droit
à des dommages exemplaires.
48.
La société ne perd pas son intérêt à protéger ses valeurs fondamentales en
dénonçant les meurtres de victimes innocentes parce que la victime est morte. Les
Appelants ne voient pas quel est l'intérêt d'une politique judiciaire qui écarterait la
possibilité pour la société d'appliquer des dispositions aussi fondamentales que les
article 1 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne dans le cas de crimes
contre des enfants et une femme simplement parce que l'auteur du crime a pris soin de
tuer ses victimes.
49.
Les Appelants ayant par ailleurs amendé devant la Cour d'appel leur procédure
introductive afin de réclamer aussi personnellement des dommages exemplaires, et ce,
conformément au jugement Augustus c. Gosset (voir procès-verbal, D.A., vol. 1, p. 63)
- 25 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
rendant à leur égard cette question théorique car ils ont d'autres dommages. La
question demeure néanmoins pertinente relativement aux successions.
ii -
Objectifs des dommages exemplaires :
50.
Les Appelants soumettent respectueusement que le juge de première instance a
erré en droit lorsqu'il a écarté l'octroi de dommages exemplaires compte tenu du décès
de l'auteur, donc de l'absence d'effet dissuasif (D.A., vol. 1, p. 21, par. 82).
51.
Dans l'arrêt Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] 3 R.C.S. 268 (R.S.A., vol. 2,
onglet 18) (opinion du juge Binnie au paragraphe 94), la Cour suprême du Canada
énumère notamment les objectifs suivants des dommages exemplaires :
« (6) L'objectif de ces dommages-intérêts n'est pas d'indemniser
le demandeur, mais (7) de punir le défendeur comme il le mérite
(châtiment), de le décourager -- lui et autrui -- d'agir ainsi dans
l'avenir (dissuasion) et d'exprimer la condamnation de l'ensemble
de la collectivité à l'égard des événements (dénonciation). »
52.
Dans un article intitulé « L'évolution des dommages exemplaires depuis les
décisions de la Cour suprême en 1996: dix ans de cheminement », dans
Développements récents en droit administratif et constitutionnel, Barreau du Québec,
2006, Cowansville, Éditions Yvon Blais, Claude Dallaire précise que le but des
dommages exemplaires vise aussi à :
« ...décourager le contrevenant de bafouer les droits de la victime,
ainsi que ceux de quiconque, les dommages exemplaires ont
également pour but de donner une leçon aux autres citoyens
désirant agir selon des plans similaires. Du même souffle, les
tribunaux s'assurent que les citoyens respecteront mieux les lois
et que les valeurs que la société a choisi de protéger seront mieux
sauvegardées. »
- 26 Mémoire des Appelants
53.
Exposé concis des arguments
Nous soumettons que le juge de première instance s'est arrêté aux objectifs de
châtiment et de dissuasion à l'égard de l'auteur, sans traiter de la dissuasion d'autrui et
de la dénonciation des actes.
54.
Les Appelants soumettent que le Canada se veut un chef de file dans la
protection des droits fondamentaux des femmes et des filles. Que le Canada a voté,
dans le cadre de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, pour l'adoption de la
Déclaration sur l'élimination de la violence contre les femmes, Rés. AG 48/104, Doc.
Off. AG NU, 48e session, supp. no 49, Doc. NU/A/RES/48/104 (1993) (R.S.A., vol. 2,
onglet 23). Que cette déclaration mentionne notamment ceci :
« 6.
Condamne vigoureusement les violences physiques,
sexuelles et psychologiques infligées au sein de la famille,
qui englobent, sans que la liste de ces actes soit
exhaustive, l'administration de coups, les violences
sexuelles contre les femmes et filles du ménage, la
violence liée à la dot, le viol conjugal, l'infanticide féminin,
(...), les crimes à l'encontre des femmes commis au nom de
l'honneur, les crimes passionnels, (...)
7.
Souligne que la violence contre les femmes dans la famille
s'inscrit dans le contexte d'une discrimination de jure et de
facto à l'égard des femmes et de la condition d'infériorité
réservée à la femme dans la société, et qu'elle est
exacerbée par les obstacles auxquels bien souvent se
heurtent les femmes qui essayent d'obtenir réparation de
l'État;
14.
Souligne que les États ont l'obligation concrète de
promouvoir et de protéger les droits fondamentaux des
femmes et d'agir avec la diligence voulue en matière de
prévention, d'enquête et de répression visant toutes les
formes de violence contre les femmes, et demande aux
États:
14.
c)
De condamner la violence contre les femmes et de ne
pas invoquer la coutume, la tradition ou des pratiques
liées à la religion ou à la culture pour se soustraire à
leur obligation d'éliminer la violence;
- 27 Mémoire des Appelants
14.
55.
d)
Exposé concis des arguments
D'amplifier les efforts tendant à élaborer ou appliquer
des mesures législatives, éducatives, sociales et
autres destinées à prévenir la violence contre les
femmes, notamment l'adoption et l'application de lois,
la diffusion d'informations, la collaboration active avec
les acteurs communautaires et la formation du
personnel juridique, judiciaire et sanitaire, et, si
possible, la mise en place ou le renforcement de
services de soutien. »
Que cette déclaration représente l'importance que plusieurs pays, dont le
Canada, accordent à l'élimination de la violence faite aux femmes, et les lois doivent
être interprétées de façon à respecter ces intentions manifestées clairement par le
Canada.
56.
Qu'à l'article 19 de la Convention internationale des droits des enfants, les pays
signataires, y compris le Canada, s'entendent pour écrire :
« Les États parties prennent toutes les mesures législatives,
administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger
l'enfant contre toutes formes de violence, d'atteinte ou de
brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de
mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence
sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un
d'eux, de son ou de ses représentants légaux ou de toute autre
personne à qui il est confié. »
57.
Lorsqu'il est question de mesures législatives et éducatives, les Appelants
soumettent que la Charte des droits et les dommages exemplaires sont de telles
mesures qui permettent de tenter de protéger les enfants en dénonçant ce qui est aussi
une forme d'éducation.
58.
Que, dans le cas présent, M. Martin Brossard a commis 3 meurtres, sur 1 femme
et deux fillettes, parce qu'il n'acceptait pas de ne plus les posséder, de ne plus les
contrôler. Il s'agit d'un crime passionnel à l'égard de sa conjointe. Quant à ses filles, il
- 28 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
est difficile de qualifier ces infanticides, il répugne à l'esprit humain d'imaginer de tels
actes de lâcheté et de barbarie.
59.
Dans la décision Chalifoux c. Major (précitée), une somme de 2 000 $ a été
accordée au propriétaire d'un chien qui a été empoisonné par un voisin. Le juge Pierre
E. Audet qualifie ainsi l'objectif des dommages :
« [64] À titre de dommages-intérêts punitifs, pour punir le geste
répréhensible et décourager ceux qui seraient tentés de
poser un geste similaire, la somme de 2 000 $ est
octroyée. »
60.
Le juge Audet a bien saisi les différentes fonctions des dommages exemplaires
et recherche non seulement le châtiment mais aussi la dénonciation et la dissuasion de
tiers.
61.
Dans le cas présent, compte tenu des gestes posés, de la preuve incontestable
(D.A., P-9, vol. 2, p. 158) des motivations qui ont animé M. Martin Brossard, de la
situation des victimes, de la reconnaissance internationale du besoin de protection des
femmes, des fillettes et des enfants en général, un message clair doit être envoyé, par
l'imposition de dommages exemplaires importants.
62.
Le patrimoine de l'auteur de ces crimes ne peut pas être laissé intact et ne pas
subir une ponction nécessaire pour démontrer la dénonciation ferme et déterminée de
la société qui n'accepte pas ces gestes ou d'autres semblables qui touchent à l'intégrité
de femmes et d'enfants. Les conjointes et les enfants ne sont pas un bien que l'on
s'approprie. Ce sont des êtres humains indépendants.
63.
Les Appelants trouvent préoccupante la conclusion de la Cour d'appel au
paragraphe 37 de son jugement :
« En second lieu, en supposant qu'il faille adresser un message à
toute personne qui serait tentée de poser des gestes analogues à
ceux commis par Martin Brossard, je suis d'avis qu'une pareille
- 29 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
mise en garde serait sans portée véritable. Comment, en effet,
imaginer que la personne ayant formé le dessein de s'enlever la
vie après avoir préalablement assassiné les membres de sa
famille pourrait être dissuadée de mettre ce projet à exécution en
raison de la perspective de voir sa succession diminuée de
sommes plus ou moins substantielles? Le degré de désespoir
requis pour envisager une telle extrémité rend illusoire la
perspective qu'on puisse obtenir un quelconque effet dissuasif par
une condamnation à des dommages punitifs. » (D.A., vol. 1, p. 36)
64.
L'objectif de dissuasion ne doit pas s'analyser dans l'esprit d'une personne ayant
déjà formé le dessein de commettre des actes criminels. L'objectif de dissuasion doit
s'entendre de façon préventive, afin de faire naître dans le coeur et l'esprit des citoyens
un sentiment de responsabilisation face à la vie d'autrui. La dissuasion et la
dénonciation ont aussi deux fonctions différentes. Nulle part la Cour d'appel ne traite de
dénonciation. Pourtant, le Canada a signé des conventions internationales visant
justement à dénoncer ces gestes, mais quand vient le temps de donner un effet
juridique à ces principes, il n'y en a aucun. Les tribunaux deviendraient incapables
d'agir comme gardiens des principes fondamentaux, comme le droit à la vie, en
dénonçant clairement la réprobation de la société, qui leur a confié ce rôle, envers des
actes aussi abjects.
65.
Afin de déterminer le quantum adéquat des dommages exemplaires, il faut
étudier notamment les critères définis à l'article 1621 C.c.Q., soit : la gravité de la faute,
la situation patrimoniale du défendeur, l'importance de la réparation à laquelle le
débiteur a déjà été tenu et la prise en charge par un tiers de l'indemnité.
66.
Pour ce qui est de la gravité de la faute, les gestes posés sont particulièrement
choquants, abusifs et malveillants. M. Martin Brossard a étranglé son ex-conjointe, et
noyé deux petites filles en les gardant submergées dans l'eau du bain, l'une ayant eu
probablement connaissance de la mort de sa soeur. Imaginer un enfant de 2 ou 4 ans,
qui voit son père, en qui il porte confiance et amour, le réveiller et le porter jusqu'au bain
et le maintenir sous l'eau pour lui enlever la vie est particulièrement révoltant. Doit-on
- 30 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
rappeler que le C.c.Q. prévoit à son article 32 que tout enfant a droit à la protection, à la
sécurité et à l'attention que ses parents peuvent lui donner?
67.
L'importance de la réparation déjà ordonnée est un autre critère. Jusqu'ici, et
sujet au présent appel, l'on ne peut pas dire que les montants accordés sont énormes.
Pour la perte des enfants, c'est 20 000 $ au total qui a été accordé aux Appelants et
une somme de 50 000 $ pour la perte de Liliane de Montigny. Ce facteur favorise donc
clairement une condamnation appréciable.
68.
Dans l'ouvrage Le Bail résidentiel, la Charte québécoise et les dommages
exemplaires, 2008, Montréal, Wilson et Lafleur Ltée (R.S.A., vol. 2, onglet 22), l'auteur
Denis Lamy dresse une liste des critères élaborés par les tribunaux pour fixer les
dommages-intérêts punitifs et nous soumettons ceux-ci :
« - La force ou la violence utilisée lors de cette conduite.
- Le préjudice causé, qui est le pendant de la gravité de la faute
du défendeur;
- Les préjudices physiques et psychologiques qu'a eus cette
conduite sur la victime;
- Les conséquences diverses qu'a eues cette conduite sur la
victime (souffrance, angoisse, insomnie, cauchemars, perte
d'estime, la peur, les problèmes physiques et psychologiques
divers);
- Le fardeau supporté par la victime au niveau des procédures;
non pas en termes financiers, mais comme partie des difficultés
et responsabilités assumées par la victime dans la poursuite de
sa démarche, laquelle a en définitive un objectif préventif
essentiellement social;
- La motivation de la conduite répréhensible ou, au contraire,
l'absence d'explication à cet égard;
- La vulnérabilité intrinsèque de la victime : âge, ...
- 31 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
- La vulnérabilité relative de la victime par rapport à l'auteur du
préjudice; cela inclut la prise en compte de l'inégalité du rapport
de force, y compris les ressources, entre la victime et l'auteur du
préjudice, en somme de la position dominante de l'un par
rapport à l'autre;
- Les obligations du défendeur envers la victime;
- Les avantages ou bénéfices tirés par le défendeur de sa
conduite répréhensible ou qu'il a tenté d'obtenir. »
69.
Tous ces autres facteurs sont autant de motifs supplémentaires pour que la
condamnation monétaire soit d'un montant important. De toute évidence les actes sont
d'une violence extrême, les conséquences sur les victimes énormes (souffrance,
angoisse, insomnie, cauchemars, perte d'estime, peur, problèmes physiques et
psychologiques), la motivation du tueur est aberrante, les victimes étaient vulnérables
et le tueur avait une position d'autorité envers ses enfants, le tueur avait un obligation
de protection envers ses enfants et finalement la succession du tueur bénéficie
directement des gestes criminels posés.
70.
La situation patrimoniale du tueur s'est étrangement grandement améliorée suite
aux meurtres; il a ainsi obtenu le paiement du prêt hypothécaire pour lequel il était codébiteur solidaire, donc touché à la plus-value et ensuite a obtenu le feu vert pour que
le meurtre de la bénéficiaire désignée d'une police d'assurance-vie ne soit qu'un fait
parmi d'autres et sa succession a touché cette assurance et le fonds de retraite.
71.
Dans le présent dossier, les dommages exemplaires prennent une importance
encore plus grande suite aux décisions rendues par la Cour d'appel du Québec dans
les dossiers 500-09-016929-069 et 500-09-016578-064 entre les mêmes parties. Dans
le premier dossier, il était question de l'attribution du bénéfice de l'assurance-vie prise
par M. Brossard sur sa propre vie et pour laquelle il avait nommé Mme de Montigny
bénéficiaire. Puisque Martin Brossard a assassiné Mme de Montigny avant de s'enlever
la vie, l'assureur voulait payer la succession du meurtrier. Malgré une dissidence de
- 32 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
l'honorable juge Pelletier, la majorité de la Cour d'appel (autorisation d'en appeler
rejetée, dossier 32658) a décidé que la règle « nul ne peut bénéficier de son crime » ne
trouvait pas d'application et que la succession du meurtrier pouvait toucher le bénéfice
de l'assurance-vie et du fonds de retraite, soit plus de 300 000 $.
72.
Dans le dossier 500-09-016578-064, il était question du partage de l'immeuble.
Les conjoints avaient pris une assurance-vie hypothécaire couvrant le solde de leur
prêt. L'assureur a payé compte tenu de la mort de Mme de Montigny, M. Brossard
s'étant de toute façon suicidé moins de 2 ans après l'entrée en vigueur du contrat, ce
qui constituait une cause de non-paiement. La succession de Liliane de Montigny
soumettait que l'auteur du crime ou sa succession ne pouvait bénéficier directement ou
indirectement du crime en capitalisant la plus-value découlant du paiement par
l'assureur du prêt hypothécaire, conséquence directe du meurtre. En appliquant les
principes retenus par la Cour d'appel dans le dossier précédent, la succession du
meurtrier a été autorisée à toucher la plus-value de près de 40 000 $.
73.
En refusant l'application de la règle « nul ne peut bénéficier de son crime » les
tribunaux ont permis à la succession d'un meurtrier de toucher des sommes de près de
350 000 $. Il est choquant dans de telles circonstances de prétendre que la Charte,
comme instrument de protection des droits fondamentaux de notre société, n'ait aucun
sanction à apporter aux meurtres d'une femme et de deux fillettes dans des
circonstances outrageuses. En appliquant les principes précités, nous soumettons que
les montants des condamnations doivent être suffisamment élevés pour remplir leurs
fonctions dont l'importance est capitale.
74.
Les Appelants comme les tribunaux ne vivent pas dans un vase clos et nous
avons tous observé, à travers l'actualité, les multiples cas récents d'infanticides et de
meurtres souvent catégorisés « drames familiaux ». Pour cette seule année au Québec,
il y a eu 3 enfants assassinés par leurs parents au Saguenay (janvier 2009), 2 enfants
assassinés par leur père à Piedmont (février 2009), 2 fillettes assassinées à Laval par
- 33 Mémoire des Appelants
Exposé concis des arguments
leur mère (mars 2009). Quel message les tribunaux veulent-ils transmettre relativement
à la vie des enfants? Celui de l'impuissance à faire une différence ou le message que la
justice fera tout en son pouvoir comme gardienne des droits fondamentaux pour
dénoncer sans l'ombre d'un doute l'atteinte à la vie et à plus forte raison celle en
situation de dépendance et de vulnérabilité?
----------
- 34 Mémoire des Appelants
Ordonnance demandée au sujet des dépens
PARTIE IV – ORDONNANCE DEMANDÉE AU SUJET DES DÉPENS
75.
Les Appelants n'ont pas de représentation particulière à faire au sujet des
dépens et s'en remettent à la règle générale voulant que la partie qui succombe
supporte les frais.
----------
- 35 Mémoire des Appelants
Ordonnances demandées
PARTIE V – ORDONNANCES DEMANDÉES
INFIRMER en partie les jugements de première instance et d'appel;
ACCUEILLIR la requête ré-ré-réamendée;
CONDAMNER l’intimée à payer à Marcel de Montigny en sa qualité personnelle la
somme de 300 000 $ majorée des intérêts légaux et de l'indemnité additionnelle à
compter du 22 avril 2002;
CONDAMNER l’intimée à payer à Sandra de Montigny en sa qualité personnelle la
somme de 150 000 $ majorée des intérêts légaux et de l'indemnité additionnelle à
compter du 22 avril 2002;
CONDAMNER l’intimée à payer à Karen de Montigny en sa qualité personnelle la
somme de 150 000 $ majorée des intérêts légaux et de l'indemnité additionnelle à
compter du 22 avril 2002;
CONDAMNER l’intimée à payer aux Appelants Marcel de Montigny, Sandra de
Montigny et Karen de Montigny, à titre de liquidateurs et d'héritiers de la succession de
feu Liliane de Montigny, la somme de cent mille dollars (100 000 $) à titre de
dommages exemplaires, majorée de l'intérêt légal et de l'indemnité additionnelle depuis
le 22 avril 2002;
CONDAMNER l’intimée à payer à l’appelant Marcel de Montigny, à titre de liquidateur
et d'héritier de la succession de feu Claudia Brossard, la somme de cent mille dollars
(100 000 $) à titre de dommages exemplaires, majorée de l'intérêt légal et de
l'indemnité additionnelle depuis le 22 avril 2002;
- 36 Mémoire des Appelants
Ordonnances demandées
CONDAMNER l’intimée à payer à Marcel de Montigny, à titre de liquidateur et d'héritier
de la succession de feu Béatrice Brossard, la somme de cent mille dollars (100 000 $) à
titre de dommages exemplaires, majorée de l'intérêt légal et de l'indemnité additionnelle
depuis le 22 avril 2002;
SUBSIDIAIREMENT, RENVOYER le présent dossier devant la Cour supérieure du
district de Longueuil en vertu des articles 43 (1.1) et 46.1 de la Loi sur la Cour suprême
pour qu'il y soit traité suivant la Loi;
RENDRE toutes les autres ordonnances remédiatrices appropriées dans les
circonstances;
LE TOUT avec dépens dans toutes les Cours.
Fait à Mont-Saint-Hilaire, ce 23 juillet 2009
__________________________________
Me Jean-Félix Racicot
852, rue des Bernaches
Mont-St-Hilaire (Québec)
J3H 0C4
450 466-3630 – tél.
450 466-7315 – téléc.
[email protected]
Procureur des Appelants
- 37 Mémoire des Appelants
Table alphabétique des sources
PARTIE VI – TABLE ALPHABÉTIQUE DES SOURCES
Jurisprudence
Paragraphe(s)
Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268
..... 29,32,33,36,42-44,47,49
Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et
employés, [1996] 2 R.C.S. 345
................................... 40,42
Beaudin c. Québec (P.G.), [2005] ILJCAN 20474 (QC
C.S.)
........................................ 29
Chalifoux c. Major, 2006 QCCQ 6906
................................... 29,59
Driver c. Coca-Cola Ltd., [1961] RCS 201
........................................ 44
Fillion c. Chiasson, [2007] 4 R.J.Q. 867
........................................ 36
Gosset c. Augustus, [1995] ILJCAN 5101 (C.A.Q.)
........................................ 29
Lacombe c. Hôpital Maisonneuve-Rosemont, [2004]
ILJCAN 12790 (QC C.S.)
........................................ 29
Larose c. Hurtubise, [2005] ILJCAN 30281 (QC C.S.)
........................................ 29
Ruest c. Boily, [2002] ILJCan 12748 (QC C.S.)
........................................ 29
Stéfanik c. Hôpital Hôtel-Dieu de Lévis, [1997] ILJCAN
8479 (QC C.S.)
........................................ 29
Syndicat national des employés de l'Hôpital StFerdinand c. Curateur public, [1996] 3 R.C.S. 211
........................................ 42
Tessier c. Paquette, [2005] ILJCAN 24164 (QC C.Q.)
........................................ 29
Tremblay c. Kyzen, [2006] ILJCAN 3275 (QC C.S.)
........................................ 29
Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] 3 R.C.S. 268
........................................ 51
- 38 Mémoire des Appelants
Doctrine
Table alphabétique des sources
Paragraphe(s)
BAUDOUIN, Jean-Louis et Patrice Deslauriers, La
responsabilité civile, 6e éd., 2003, Cowansville, Éditions
Yvon Blais
........................................ 29
DALLAIRE, Claude, « L'évolution des dommages
exemplaires depuis les décisions de la Cour suprême
en 1996: dix ans de cheminement », dans Développements récents en droit administratif et constitutionnel,
Barreau du Québec, 2006, Cowansville, Éditions Yvon
Blais, à la p. 189
................................... 42,52
GARDNER, Daniel, « L'arrêt Gosset, dix ans après »,
dans Le préjudice corporel, Barreau du Québec, 2006,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, à la p. 91
........................................ 36
LAMY, Denis, Le bail résidentiel, la Charte Québécoise
et les dommages exemplaires, 2008, Montréal, Wilson
et Lafleur Ltée, p. 309 à 363
........................................ 68

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