Milieux Continus Généralisés et Matériaux Hétérog`enes

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Milieux Continus Généralisés et Matériaux Hétérog`enes
Milieux Continus Généralisés
et Matériaux Hétérogènes
Samuel Forest
à Jürgen Olschewski
à Gilles Canova
A complicated theory in mechanics, although it may be socially
or sociably useful at a particular time and place, does not enlighten and hence does not endure.
C. Truesdell, A first course in rational continuum mechanics,
1977.
G. Ligeti, Continuum, 1969.
Préface
Samuel Forest m’a invité à écrire quelques lignes de présentation de son ouvrage intitulé Milieux Continus Généralisés et Matériaux Hétérogènes.
J’ai accepté bien volontiers cette invitation. Elle constitue pour moi un témoignage de
confiance et d’amitié. Je n’éprouve pas le besoin de faire une présentation détaillée
de son ouvrage. L’énoncé du titre, la table des matières et l’introduction rédigée par
lui-même suffisent, en effet, pour présenter l’objet de son livre. Par ailleurs, la légitime
réputation de Samuel Forest qui fait partie des jeunes membres les plus brillants de
l’Ecole Française de la Mécanique des Matériaux suffit pour retenir l’attention des
lecteurs. Je préfère replacer, si besoin est, son ouvrage dans l’évolution récente des
sciences des matériaux et de la mécanique, et souligner combien sa démarche est fructueuse au niveau des applications.
La mécanique des milieux continus et, plus particulièrement, celle des solides qui fait
l’objet de ce livre, est longtemps restée une discipline en soi qui, comme son nom le
sous-entend, ignorait les détails microstructuraux de la matière. Or, ce sont très souvent ces détails qui sont importants. L’exemple le plus connu est celui de la taille
de grain d’un polycristal de structure cristallographique cubique centrée. Un grain fin
est synonyme d’une résistance mécanique renforcée et d’une grande déformabilité, la
température de transition entre la rupture ductile et la rupture fragile étant d’autant
plus faible que la taille de grain est petite. Les aciers modernes qui nous ont permis de
faire des progrès considérables dans la tenue de nos automobiles font largement appel à
cette propriété remarquable. De leur côté, les physiciens de la déformation des solides
se préoccupaient du comportement des défauts des cristaux, notamment les défauts
linéaires que sont les dislocations, à l’origine de cette plasticité et, reconnaissons-le,
faisaient souvent avec beaucoup d’adresse intuitive, des ”petits” modèles qui permettaient d’élaborer sinon des modèles ”complets” de prévision très précis, mais donnant
au moins les ordres de grandeur des effets microstructuraux, comme celui de la taille
de grain dans les polycristaux. Les deux communautés se sont longtemps ignorées.
Même si la situation n’est pas encore idyllique, il faut reconnaı̂tre que, depuis une vingtaine d’années, les choses ont beaucoup évolué. En France, grâce notamment à l’action du Groupement scientifique ”Grandes Déformations et Endommagement” s’est
mise en place une solide communauté scientifique de physiciens des matériaux, de
métallurgistes et de mécaniciens des milieux continus pour constituer ce qu’on peut appeler l’Ecole Française de la Mécanique des Matériaux. L’ouvrage présenté par Samuel
Forest fait partie de cette mouvance maintenant bien reconnue au niveau international.
Comme il le dit lui-même dans son introduction, l’auteur de cet ouvrage cherche à
réunir l’école de pensée de l’homogénéisation, technique qui permet d’estimer les propriétés globales d’un matériau hétérogène à partir de la connaissance de celles de ses
constituants et d’informations sur la distribution des phases qui le constituent, et l’école
de pensée des milieux continus généralisés. Il cherche ainsi à enrichir les résultats de la
première approche qui n’est pas capable, dans un premier temps, de prévoir les effets
d’échelle, comme ceux de la taille de grain. L’auteur s’attaque avec beaucoup de bonheur à diverses facettes de ce rapprochement entre les deux écoles. Il le fait sur le plan
théorique, mais va beaucoup plus loin puisque son ouvrage renferme de nombreuses
applications.
Samuel Forest présente ainsi une excellente synthèse de diverses théories et des calculs de microstructures. Son livre restera, gageons-le à l’avance, comme un ouvrage
de référence pour tous les étudiants, les chercheurs et les ingénieurs travaillant dans
ce domaine. La question du volume élémentaire représentatif tant débattue par tous
les mécaniciens des matériaux est abordée avec des matériaux aussi variés que fascinants, comme les mousses métalliques d’aluminium et de nickel, ou encore la crème
glacée. L’identification des règles de transition d’échelle est illustrée par le traitement
des aubes de turbine multiperforées et la réponse d’agrégats polycristallins massifs ou
en couches minces.
En exprimant à Samuel Forest mes félicitations et ma confiance, je formule le vœu que
son ouvrage soit largement diffusé. Je souhaite qu’il contribue à faire encore mieux
connaı̂tre au delà de nos frontières la qualité de la recherche consacrée à la mécanique
des matériaux et développée par nos équipes durant les deux dernières décennies.
André Pineau
Professeur à l’Ecole des Mines de Paris
Membre de l’Académie des Technologies
Avant–propos
La modélisation continue de la matière est l’outil fondamental de l’ingénieur pour la
simulation du comportement des matériaux et des structures. Remarquablement efficace, elle fait toutefois abstraction des caractéristiques de la microstructure sous–
jacente. Cet ouvrage fait le point sur les méthodes aujourd’hui disponibles permettant d’intégrer certaines caractéristiques de la microstructure des matériaux dans la
modélisation continue. Il fait se rencontrer ces disciplines a priori distinctes que sont
la mécanique des milieux continus généralisés et les sciences des matériaux.
Cet ouvrage est issu de mon mémoire d’habilitation à diriger des recherches présenté
publiquement le 15 novembre 2004 devant le jury composé de MM. D. Leguillon, P.
Ponte–Castaneda, P. Suquet, E. Busso, G. Cailletaud, G. Maugin et F. Sidoroff. Je les
remercie de s’être penché sur ce travail de synthèse.
Les éléments présentés dans cet ouvrage constituent le résultat (et le prélude !) d’un
travail d’équipe(s). Le travail s’est déroulé au sein de l’équipe Comportement et Calcul
de Structures du Centre des Matériaux de l’Ecole des Mines de Paris. Georges Cailletaud, mon directeur de thèse, est aussi l’instigateur de la démarche mise en avant dans
cet ouvrage, à savoir le calcul de microstructures.
Je n’insisterai pas beaucoup dans ce travail sur la programmation numérique dans le
code par éléments finis des milieux continus généralisés divers et variés. Cela veut
simplement dire que l’environnement de programmation orientée–objet au sein du code
Z–set est tout à fait adapté à ce genre d’approche et que la mise en œuvre effective
ne présente pas de difficulté majeure. Je dois cette chance à Jacques Besson, Frédéric
Feyel, Ronald Foerch et Stéphane Quilici. Le fonctionnement et l’évolution des moyens
informatiques au Centre ne sont possibles que grâce à Grégory Saint–Luce et Valérie
Mounoury, avec laquelle l’équipe partage la thématique de recherches sur le calcul de
microstructures.
Le travail avec l’équipe Métallurgie Mécanique est indispensable pour mettre les
modèles farfelus à l’épreuve de la réalité expérimentale. Ma formation initiale et continue en sciences et en politique ou philosophie, je la dois à André Pineau.
La thématique mousses métalliques s’est développée grâce à Yves Bienvenu et Jean–
Dominique Bartout de l’équipe Procédés, sans oublier Michel Croset de la société Nitech, symbole des espoirs et désillusions du capitalisme moderne. Des coopérations
sous forme de coencadrement de thèses ont eu lieu et sont en cours avec A.–F.
Gourgues, Michel Boussuge, Luc Rémy et Jean–Loup Strudel.
Les analyses d’images 2D et 3D présentées dans cet ouvrage ont été réalisées par
Franck Nguyen du Centre des Matériaux, et par les étudiants en thèse concernés. Elles
sont aussi le fruit de discussions avec le Centre de Morphologie Mathématique de
l’Ecole des Mines de Paris. Le travail avec D. Jeulin est des plus fascinants et est
appelé à se développer encore.
Les travaux de thèse de doctorat de M.–D. Dupuits–Rey, J.–M. Cardona, F. Barbe,
P. Boubidi, R. Parisot, J.–S. Blazy, T. Kanit, V. Goussery, Th. Dillard, S. Flouriot, A.
Zeghadi, S. Graff, N. Marchal, K. Madi, M. Mazière, F. Siska et J. Belloteau constituent
autant de briques à l’édifice présenté. Je les remercie pour l’étroite coopération et aussi
pour leur patience.
De nombreuses références bibliographiques introuvables citées dans cet ouvrage ont
été obtenues par Odile Adam. Les développements présentés dans ce travail ont été
possibles grâce au soutien du directeur du Centre des Matériaux, J.–P. Trottier, et de sa
secrétaire générale Liliane Locicéro.
Les 18 mois d’échanges intenses et stimulants avec Gilles Canova avant sa disparition
brutale, sont à l’origine d’une relation soutenue et une compréhension mutuelle avec
le GPM2 de Grenoble, en les personnes de Rémy Dendievel et Marc Fivel. Autour des
mousses métalliques et de l’ESRF, les discussions à bâtons rompus et les premières
coopérations se développent avec Eric Maire (INSA–Lyon) et Luc Salvo (GPM2). J’ai
rencontré en Karam Sab, de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, le mécanicien–
mathématicien hors pair, capable de transformer une intuition en théorème.
C’est Rainer Sievert qui m’indiqua en 1991 qu’il n’allait pas de soi que le tenseur
des contraintes fût symétrique. Depuis ce temps–là, grâce à sa patiente rigueur et son
obstination, nous avons exploré de fond en comble des théories fascinantes. Jürgen Olschewski nous a quittés trop tôt mais il nous a transmis une grande capacité d’ouverture
aux approches de physiciens ou mécaniciens, aussi abracadabrantes qu’elles puissent
apparaı̂tre au premier abord aux ingénieurs endurcis (par la force des choses). De là ma
passion pour le Berlin scientifique, riche en histoire et en secrets, loin de la publicité
actuelle (Freigeist von Berlin).
Le cycle de séminaires internationaux organisés par G. Maugin sur le thème Geometry,
Continuum and Microstructure depuis 1997 a maintenu ma curiosité en éveil sur les
théories les plus extrêmes des matériaux.
Béreins, le 23 décembre 2005.
Samuel Forest
Table des matières
1
Introduction
15
1.1
Objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15
1.2
Plan de l’ouvrage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
16
1.3
Notations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
17
2 Thermomécanique des milieux continus généralisés
19
2.1
Problématique et contexte scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . .
19
2.2
Milieux continus d’ordre supérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
20
2.2.1
Milieu micromorphe en transformations finies : équations de
bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
21
Milieu micromorphe en transformations finies : lois de comportement élastoviscoplastiques . . . . . . . . . . . . . . . .
24
Cas limites : Cosserat et second gradient . . . . . . . . . . . .
26
Milieux continus de degré supérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . .
28
2.3.1
Thermomécanique du second gradient . . . . . . . . . . . . .
28
2.3.2
Milieux à gradient de variable interne . . . . . . . . . . . . .
36
2.3.3
Milieux continus d’ordre ou de degré supérieur sans loi
d’écoulement plastique supplémentaire . . . . . . . . . . . .
38
2.4
Résumé : abrégé de MMCG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
41
2.5
Le monocristal de Cosserat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
46
2.2.2
2.2.3
2.3
11
TABLE DES MATIÈRES
12
2.6
3
2.5.1
Plasticité confinée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
46
2.5.2
Formulation tridimensionnelle du modèle de Cosserat du monocristal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
52
2.5.3
Localisation de la déformation et plasticité en pointe de fissure
54
2.5.4
Discussion : sur les modèles de plasticité cristalline généralisés
56
Vers des milieux encore plus généralisés ? . . . . . . . . . . . . . . .
58
Milieux continus généralisés et homogénéisation
63
3.1
63
Problématique et contexte scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.1.1
3.1.2
3.2
64
Cas des milieux périodiques . . . . . . . . . . . . . . . . . .
68
Homogénéisation en présence de champs moyens lentement variables
72
3.2.1
Structures à gros grains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
73
3.2.2
Construction d’un milieu de substitution du second gradient
thermoélastique par la méthode des développements asymptotiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
76
3.2.3
Conditions non–homogènes au contour . . . . . . . . . . . .
78
3.2.4
Définition des degrés de liberté macroscopiques d’un milieu de
substitution micromorphe . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
79
Construction d’un milieu de substitution de Cosserat par
développements polynomiaux . . . . . . . . . . . . . . . . .
80
3.2.6
Cas périodique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
83
3.2.7
Application à des composites linéaires et non linéaires . . . .
84
Homogénéisation des milieux continus généralisés . . . . . . . . . .
90
3.3.1
Homogénéisation des milieux de Cosserat . . . . . . . . . . .
90
3.3.2
Homogénéisation des milieux micromorphes . . . . . . . . .
94
3.3.3
Application à la plasticité cristalline . . . . . . . . . . . . . .
94
3.2.5
3.3
Approche statistique des milieux aléatoires sous champs
moyens hétérogènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
TABLE DES MATIÈRES
3.4
3.5
Le problème de l’inclusion pour un milieu d’ordre supérieur . . . . .
13
100
3.4.1
Inclusion et hétérogénéité élastiques dans un milieu de Cosserat 104
3.4.2
Conséquences sur les modèles d’homogénéisation simplifiés .
3.4.3
Qu’est–ce qu’un trou dans une mousse ? . . . . . . . . . . . . 115
Homogénéisation et régularisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4 Eléments de calcul de microstructures
114
116
119
4.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
119
4.2
Objectifs et méthodes du calcul de microstructures . . . . . . . . . .
120
4.2.1
Objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
120
4.2.2
Méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
122
La question du Volume Elémentaire Représentatif en physique et
mécanique des matériaux hétérogènes . . . . . . . . . . . . . . . . .
127
4.3.1
Les préjugés sur le VER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
127
4.3.2
Approche statistique et numérique . . . . . . . . . . . . . . .
131
4.3.3
Biphasés aléatoires élastiques et viscoplastiques . . . . . . . .
133
4.3.4
Polycristal élastique et élastoplastique : le cuivre . . . . . . .
134
Identification des règles de transition d’échelles . . . . . . . . . . . .
136
4.4.1
Aubes et chambres de combustion multiperforées . . . . . . .
137
4.4.2
Changement d’échelle pour le polycristal . . . . . . . . . . .
137
Couches minces multicristallines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
138
4.3
4.4
4.5
4.5.1
Comportement mécanique des revêtements de zinc de tôles
galvanisées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
138
Modélisation et simulation du maclage . . . . . . . . . . . .
139
Mousses métalliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
141
4.5.2
4.6
4.6.1
Morphologie des mousses métalliques . . . . . . . . . . . . . 143
TABLE DES MATIÈRES
14
4.6.2
4.7
5
Phénomènes de localisation dans les mousses d’aluminium :
simulation et régularisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
146
4.6.3
Microfoam : un modèle de mousse micromorphe . . . . . . .
150
4.6.4
Modélisation du comportement élastoplastique des mousses de
nickel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
156
Vers le design de microstructures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
158
Conclusions et problèmes ouverts
161
5.1
Un point sur les avancées réalisées . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
161
5.2
Problèmes ouverts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
164
5.3
Milieux continus généralisés, microstructures et enseignement . . . .
165
A Notations et rappels d’algèbre tensorielle
167
B Notations et rappels d’analyse tensorielle
171
Références bibliographiques
173
Index
195
1
1.1
INTRODUCTION
OBJECTIFS
Le mot microstructure évoque des choses tout à fait différentes dans l’esprit des chercheurs théoriciens suivant l’école de pensée qui les a formés. Pour les uns (français,
anglais par exemple), il est indissociable du mot homogénéisation, technique qui permet de remplacer un matériau hétérogène dont on connaı̂t en partie au moins la microstructure, par un matériau homogène équivalent. Cette méthode permet d’estimer
les propriétés globales d’un matériau hétérogène à partir de la connaissance de celles
de ces constituants et d’informations sur la distribution des phases. Pour d’autres (allemands, américains par exemple), les milieux à microstructure évoquent les milieux
continus généralisés développés par Mindlin, Eringen etc, au début des années 1960.
Autant dire que ces deux mondes, s’ils ne s’ignorent pas, n’ont que peu communiqué
pendant trente ans de 1960 à 1990 environ. Kröner par exemple, qui a reconnu dans
le monocristal un milieu de Cosserat et, a développé la démarche autocohérente en
homogénéisation, a appartenu aux deux mondes, mais on ne trouve nulle part une allusion à un quelconque lien entre les approches. En guise d’exemple, le comportement
mécanique des polycristaux métalliques a été décrit avec succès essentiellement par homogénéisation (Sanchez-Palencia and Zaoui, 1987). Au contraire, c’est la mécanique
des milieux continus généralisés qui a été utilisée pour modéliser celui des cristaux
liquides (Lee and Eringen, 1973; Papenfuss, 2000).
L’objectif du travail présenté dans cet ouvrage est de tisser les liens entre ces deux
pans de modélisation des matériaux. Quelle est la différence fondamentale entre les
méthodes d’homogénéisation et l’utilisation de milieux micromorphes pour décrire
l’influence de la microstructure sur la réponse d’un matériau ? Pourquoi une approche
et pas l’autre ? Quelles sont les avantages et inconvénients de chacune ? On explore
dans cet ouvrage les différentes facettes du problème.
En fait, les objectifs des deux approches diffèrent fondamentalement. On ne cherche
pas à reproduire les mêmes effets avec ces méthodes : les méthodes d’homogénéisation
classiques permettent de décrire l’influence de la morphologie des constituants sur
le comportement macroscopique, tandis que les milieux continus généralisés peuvent
rendre compte de véritables effets d’échelle. Il s’agit d’effets d’échelles au sens large :
effet de taille de constituant ou de structure. Ce terme n’est en particulier pas cantonné
ici aux effets de taille observés classiquement en mécanique de la rupture et que des
méthodes statistiques permettent souvent de décrire avec suffisamment de précision.
Un des objectifs de cet ouvrage est de montrer clairement les destinations distinctes
des deux approches.
Dès lors, il est logique de vouloir combiner les deux approches pour faire d’une pierre
deux coups : prendre en compte l’effet de la morphologie de la distribution des phases
sur le comportement du matériau et prévoir des effets d’échelles (effets de taille des
constituants, effets de forts gradients de sollicitation). C’est ce que nos tentons de faire
dans ce travail.
15
16
CHAPITRE 1. INTRODUCTION
L’ouvrage présenté est un essai sur la mécanique des milieux hétérogènes et se base sur
le mémoire d’habilitation présenté par l’auteur en novembre 2004. Il contient de nombreux résultats aujourd’hui bien établis mais évoque aussi de nombreux problèmes ouverts. Des perspectives de recherches sont proposées à la fin de chaque chapitre. Ce travail s’adresse donc aux étudiants, ingénieurs et chercheurs en mécanique ou en sciences
des matériaux qui, dans des congrès, dans des ouvrages ou codes de calculs, ont rencontré les milieux de Cosserat et autres théories du second gradient, en se demandant
ce que de telles théories pourraient bien apporter à la modélisation en mécanique des
matériaux et des structures.
1.2
PLAN DE L’OUVRAGE
Dans cet ouvrage, l’accent est mis délibérément sur une présentation détaillée du formalisme de la mécanique des milieux continus généralisés, qu’il s’agisse des milieux
de Cosserat ou des modèles à gradients, pour les petites comme pour les grandes transformations. Il est en effet rare dans la littérature de brosser un tableau général de cette
mécanique, incluant thermodynamique et lois de comportements non linéaires. Dans
(Eringen, 1999), la théorie du second gradient et les modèles à gradients de variable interne sont exclus. Dans (Fleck and Hutchinson, 1997) au contraire, ce sont les milieux
d’ordre supérieur qui sont oubliés. C’est un peu comme si l’on écrivait un livre uniquement sur les poutres de Timoshenko ou les plaques de Mindlin, et que l’on exclût
les poutres de Bernoulli et les plaques de Kirchhoff. L’objectif est de réconcilier ces
approches et de voir les atouts et limites de chacune. C’est l’objet du chapitre 2.
Dans une lecture plus rapide, on pourra se rendre directement au paragraphe 2.4 qui
donne une présentation synthétique sous forme de tableaux des principales équations
régissant ces milieux, écrites dans le contexte des petites perturbations.
Le chapitre 3 tisse les liens entre homogénéisation et milieux continus généralisés en
abordant deux problèmes distincts. Le premier est la construction d’un milieu homogène de substitution généralisé à partir d’un milieu classique hétérogène soumis
à des gradients de sollicitation macroscopique non négligeables. Le second est l’homogénéisation des milieux continus généralisés hétérogènes.
Toutes ces méthodes sont utilisées dans le chapitre 4, consacré au calcul de microstructures. On le présente comme une véritable discipline entre la mécanique des structures
et la métallurgie physique. La problématique est plus générale que la modélisation des
effets d’échelles et inclut d’autres questions comme la notion de volume élémentaire
représentatif.
A de nombreuses reprises, on montre des calculs par éléments finis avec des milieux
de Cosserat et des milieux micromorphes. Les informations sur la programmation
numérique sont rassemblées dans l’exemple du paragraphe 3.4.1.
Pour des raisons évidentes de place, les applications pratiques mises en valeur dans ce
travail et qui seules peuvent garantir un avenir à cette mécanique du raffinement, sont
décrites moins en détail tout en insistant sur l’intérêt et le succès de l’approche et en
renvoyant le lecteur aux publications dont elles font l’objet pour plus d’information.
1.3. NOTATIONS
17
L’ouvrage se termine par une bibliographie que nous avons voulue très étendue. Elle
reste malgré tout non exhaustive. On a choisi dans chaque cas des contributions majeures ou originales, parfois insuffisamment connues.
1.3
NOTATIONS
Les grandeurs et équations de cet ouvrage sont présentées en utilisant une notation
intrinsèque, sans recours systématique à une base particulière. Nous avons choisi aussi
délibérément des notations faisant apparaı̂tre explicitement l’ordre du tenseur concerné
ainsi que la façon dont il peut opérer sur d’autres grandeurs. En dépit de la possible
lourdeur qui en résulte, cela permet d’isoler certaines formules de leur contexte tout en
leur conservant une signification claire. C’est d’autant plus important que l’ordre des
tenseurs varie de 1 à 6 en mécanique des milieux continus généralisés. On notera aussi
l’usage systématique de l’opérateur nabla. Les annexes A et B donnent le détail des
notations, quelques rappels mathématiques et des exemples d’explicitation de certaines
formules de cet ouvrage.
Abréviations
Diverses abréviations ont cours dans cet ouvrage même si elles sont en général évitées :
MHE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Milieu Homogène Equivalent
MHS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Milieu Homogène de Substitution
MCG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Milieu Continu Généralisé
MMCG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mécanique des Milieux Continus Généralisés
VER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Volume Elémentaire Représentatif
18
CHAPITRE 1. INTRODUCTION
2
2.1
THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS
GÉNÉRALISÉS
PROBLÉMATIQUE ET CONTEXTE SCIENTIFIQUE
La théorie classique des champs exposée magistralement dans le volume (Truesdell
and Toupin, 1960) se place sous les auspices des principes du déterminisme et de
l’action locale qui stipulent que l’état de contrainte courant en un point matériel est
déterminé par l’histoire d’un voisinage arbitrairement petit de cette particule. Dans ce
cadre, un milieu est dit matériellement simple si l’ensemble des variables cinématiques
nécessaires pour déterminer la contrainte en un point matériel se réduit à l’histoire du
gradient de la transformation, notée F
. (Truesdell and Noll, 1965) en donnent une ca∼
ractérisation plus précise, laissée en langue anglaise pour ne pas sacrifier l’efficacité de
la formule :
“A material is simple at the particle X if and only if its response to deformations
homogeneous in a neighborhood of X determines uniquely its response to every deformation at X.”
Nous parlerons indifféremment dans la suite de milieu classique, de Cauchy (ou de
Boltzmann comme on le lit dans certaines contributions allemandes) au lieu de milieu
matériellement simple.
Dans ce chapitre, nous nous en tenons au principe de l’action locale mais les milieux
continus présentés ne sont pas matériellement simples. Nous parlerons ici de milieux
continus généralisés. Les auteurs (Truesdell and Noll, 1965) évoquent les milieux de
degré n, pour lesquels la contrainte au point matériel X dépend des gradients de la
transformation jusqu’à l’ordre n. Les milieux matériellement simples sont de degré 1.
Les milieux de degré 2 feront l’objet du paragraphe 2.3. On parle parfois de non localité
faible pour les matériaux de degré n. Les lois strictement non locales font intervenir
explicitement l’influence de l’entourage plus lointain du point matériel voire du solide
entier au travers de relations intégrales. La théorie non locale est explorée par (Eringen,
1976), mais elle n’est pas abordée dans ce travail.
Les milieux polaires sont évoqués aussi dans (Truesdell and Noll, 1965) qui rendent
justice au chef–d’œuvre longtemps inconnu des frères Cosserat (Cosserat and Cosserat,
1896; Cosserat and Cosserat, 1909). Il s’agit en particulier de renoncer à la symétrie du
tenseur des contraintes de Cauchy, hypothèse décrite ainsi dans le texte :
Cauchy’s second law is a constitutive assumption, postulating that all torques are the
moments of forces or, in other words, that there are neither body couples nor couple
stresses.
Les milieux polaires, dits de Cosserat, sont des milieux orientés, c’est–à–dire pour
lesquels il faut imaginer un trièdre de vecteurs appelés directeurs, attaché à chaque
point matériel. L’aspiration initiale des frères Cosserat était de réaliser l’unification de
la théorie de l’élasticité de Cauchy et de celle de l’éther de MacCullagh–Maxwell.
19
20
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
Il existe d’ailleurs un article sur ce thème dans le second ouvrage mythique de la
mécanique des milieux continus généralisés (Kröner, E., 1967) qui représente le point
culminant du renouveau de la MMCG mais en sonna aussi le glas.
On peut prêter une acception plus large au terme non local en considérant que tout
milieu où se manifestent des effets d’échelles a un caractère non local. Nous proposons
le test suivant pour mettre en évidence une certaine non localité du milieu : prendre
une matrice infinie de ce milieu, y percer un trou sphérique et solliciter l’ensemble à
l’infini. Si la réponse au bord du trou dépend de sa taille, alors nous dirons que le milieu
est non local. On jugera ensuite s’il l’est fortement ou faiblement.
Le second renouveau notable de la MMCG commence au début des années 1980
avec l’apparition d’applications nouvelles concernant le comportement non linéaire des
matériaux, souvent hétérogènes d’ailleurs. Le recours à ces milieux pour régulariser les
phénomènes de localisation dans les matériaux adoucissants a été un moteur essentiel
dans le développement de lois de comportement non linéaires en MMCG. Il ne faut
pas oublier cependant que, même si les années 1960 ont été consacrées à écrire les
équations de bilan, les lois de comportement élastique linéaire mais aussi en transformations finies, les premières théories élastoplastiques des milieux de Cosserat par
exemple remontent aux contributions de (Sawczuk, 1967; Lippmann, 1969; Besdo,
1974).
L’ordinateur et les mesures de champs sont les deux éléments, numérique et
expérimental, qui rendent enfin possible l’utilisation pratique de ces théories fascinantes. Citons deux ouvrages montrant la diversité des problèmes abordés : (Mühlhaus, 1995; Forest et al., 2001c). Ce dernier ayant marqué, en présence de E. Kröner,
l’anniversaire de la conférence de Freudenstadt (Kröner, E., 1967).
L’exposé des principes de la thermodynamique des milieux continus proposé ici suit le
schéma de la thermodynamique rationnelle, qui reste un cadre adéquat pour les milieux
d’ordre et/ou de degré supérieur (Truesdell and Noll, 1965; Truesdell, 1974; Truesdell,
1979; Germain et al., 1983; Müller, 1985; Muschik, 1993; Muschik et al., 2001). La
formulation des lois de comportement généralise le formalisme désormais bien établi
dans (Lemaitre and Chaboche, 1985; Maugin, 1992; Besson et al., 2001). La théorie
est présentée ici de manière générale mais on trouvera des solutions analytiques de
problèmes élémentaires mettant en jeu les milieux considérées dans les références
(Cardona and Forest, 2000; Besson et al., 2001; Forest and Sievert, 2003; Forest and
Sedláček, 2003). De même, nous ne précisons pas les critères de plasticité particuliers utilisables dans la pratique, renvoyant pour cela aux références (Chambon et al.,
2001a; Forest and Sievert, 2003). On en trouvera néanmoins un exemple détaillé dans
le dernier chapitre au paragraphe 4.6.2. Au paragraphe 2.5.3 est abordé le problème
de la fissure dans un milieu de Cosserat élastoplastique. Le cas de la fissure dans un
milieu élastique a été traité par (Sternberg and Muki, 1967) pour un milieu de Cosserat
contraint et par (Eringen et al., 1977) pour un milieu non local général.
2.2
MILIEUX CONTINUS D’ORDRE SUPÉRIEUR
Les milieux continus d’ordre supérieur possèdent des degrés de liberté supplémentaires
indépendants par rapport au milieu de Cauchy classique. Il s’agit toutefois d’une
21
2.2. MILIEUX CONTINUS D’ORDRE SUPÉRIEUR
théorie du premier gradient dans la mesure où seul les gradients d’ordre 1 des degrés
de liberté sont introduits dans la modélisation, comme dans la théorie classique. Nous
avons choisi de présenter dans le détail le milieu micromorphe comme archétype des
milieux d’ordre supérieur. La présentation des équations de bilan est limitée au cas
statique.
2.2.1
MILIEU MICROMORPHE EN TRANSFORMATIONS FINIES : ÉQUATIONS DE
BILAN
Le milieu micromorphe se caractérise par la donnée en chaque point d’un vecteur
déplacement u et d’un tenseur de micro–déformation χ, définissant un champ non
∼
nécessairement compatible, par rapport à une configuration de référence (Eringen
and Suhubi, 1964; Mindlin, 1964; Germain, 1973b; Eringen, 1976; Eringen, 1992;
Eringen, 1999). Déplacement et micro–déformation constituent les degrés de liberté
indépendants du milieu :
DOF := {u , χ}
(2.1)
∼
Equations d’équilibre du mouvement
On utilise ici le principe des puissances virtuelles pour établir les équations d’équilibre
du milieu micromorphe (Germain, 1973b; Maugin, 1980), même si elles ont été à l’origine construites d’une manière différente (Eringen and Suhubi, 1964; Mindlin, 1964).
Pour cela, on définit l’ensemble V ◦ des champs de vitesse généralisés virtuels, les ensembles V et V c des variables indiquant respectivement le raffinement de la description
de la puissance des efforts intérieurs et de contact :
V ◦ = {u̇ , Ξ̇
:= χ̇.χ−1 },
∼
∼ ∼
V = {u̇ , Ξ̇
, u̇ ⊗ ∇c , Ξ̇
⊗ ∇c },
∼
∼
V c = {u̇ , Ξ̇
} (2.2)
∼
On remarquera que le champ de tenseur Ξ̇
n’est en général pas le gradient d’un champ
∼
de vitesses. Les puissances virtuelles des efforts intérieurs, de contact et de volume sur
le domaine D considérées sont supposées admettre des densités telles que :
Z
Z
Z
P (i) =
p(i) dV, P (c) =
p(c) dS, P (e) =
p(e) dV
(2.3)
D
∂D
D
De manière générale, les densités de puissances virtuelles sont des formes linéaires sur
les espaces de modélisation correspondants V, V c , V ◦ :
p(i) = σ
: (u̇ ⊗ ∇c ) + ∼
s : (u̇ ⊗ ∇c − Ξ̇
)+S
:̇(Ξ̇
⊗ ∇c )
∼
∼
∼
∼
p(c) = t .u̇ + M
: Ξ̇
,
∼
∼
p(e) = f .u̇ + P
: Ξ̇
∼
∼
(2.4)
(2.5)
Les tenseurs de contraintes généralisées σ
, s et S
ont été introduits en fonction de
∼ ∼
∼
l’ordre des tenseurs gradients présents. Le tenseur des contraintes σ
est symétrique
∼
pour des raisons d’invariance de la puissance des efforts intérieurs par changement de
référentiel euclidien. Les contraintes relatives ∼
s sont les efforts intérieurs associés à un
22
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
écart de transformation entre la microstructure et la matière. Les efforts surfaciques et
volumiques associés aux déplacement sont t et f respectivement. Les efforts M
et P
∼
∼
peuvent se décomposer en parties symétrique et antisymétrique, correspondant respectivement à des doubles forces et des couples volumiques appliqués au point matériel
(Germain, 1973a). L’espace virtuel des vitesses généralisées sur lequel est définie la
puissance des efforts extérieurs volumiques peut être élargi en ajoutant des doubles et
⊗ ∇c
triples forces associées à u̇ ⊗ ∇c (et ce, même dans la théorie classique) et Ξ̇
∼
(Germain, 1973a; Germain, 1973b).
La puissance des efforts intérieurs sur le domaine D peut être mise sous la forme :
Z (i)
+∼
s)).∇c + (Ξ̇
:S
).∇c − u̇ .((σ
+∼
s).∇c )
P
=
(u̇ .(σ
∼
∼
∼
∼
D
c
− ∼
s : Ξ̇
−
Ξ̇
:
(S
.∇
)
dV
∼
∼
∼
Z =
+
s
).n
+
Ξ̇
:
S
u̇ .(σ
.n
dS
∼
∼
∼
∼
Z∂D
c
.∇
)
+
s
)
+
−u̇ .((σ
+∼
s).∇c ) − Ξ̇
: ((S
dV
(2.6)
∼
∼
∼
∼
D
Le principe des puissances virtuelles stipule alors que la puissance des efforts intérieurs
équilibre la puissance des efforts appliqués pour tout champ de vitesses virtuelles ϑ∗ et
pour tout sous–domaine D sur le corps matériel V :
P (i) (ϑ∗ ∈ V) = P (c) (ϑ∗ ∈ V c ) + P (e) (ϑ∗ ∈ V ◦ )
(2.7)
En considérant des champs virtuels s’annulant sur le contour ∂D, on obtient tout
d’abord les équations de champ suivantes :
(σ
+∼
s).∇c + f = 0,
∼
S
.∇c + ∼
s+P
= 0,
∼
∼
∀x ∈ V
(2.8)
Les conditions d’équilibre sur le bord viennent ensuite :
t = (σ
+∼
s).n ,
∼
M
=S
.n ,
∼
∼
∀x ∈ ∂V
(2.9)
Nous obtenons deux équations d’équilibre généralisant les équations de conservation
de quantité de mouvement et du moment cinétique. Remarquer que le tenseur de
contraintes ∼
s introduit un couplage entre ces deux équations. Le vecteur contrainte
t n’enregistre que la somme des contributions des deux tenseurs forces de contraintes
σ
et ∼
s. Il n’y a pas de condition aux limites spécifique pour chacun de ces tenseurs
∼
car ∼
s est le tenseur dual de Ξ
dans l’expression de la puissance des efforts intérieurs,
∼
grandeur qui ne dérive pas d’un champ de vecteurs.
Conservation de l’énergie
Le premier principe de la thermodynamique des milieux continus est écrit sous la forme
globale suivante :
(2.10)
Ė + K̇ = P (e) + P (c) + Q
23
2.2. MILIEUX CONTINUS D’ORDRE SUPÉRIEUR
où E est l’énergie interne totale du corps V , K son énergie cinétique et Q l’apport
total de chaleur. Par le biais du principe des puissances virtuelles, et en supposant que
la puissance des efforts d’accélération P (a) qui n’est pas explicitée ici, est toujours
telle que
P (a) = K̇,
(2.11)
la forme suivante est obtenue :
Ė = P (i) + Q
(2.12)
Nous admettons aussi l’existence d’une densité massique d’énergie interne et du
champ de vecteur flux de chaleur q , ainsi qu’une possible source interne de chaleur
r, tels que :
Z
Z
Z
r dV
(2.13)
Ė =
ρ˙ dV ; Q = −
q .n dS +
V
∂V
V
La forme locale du bilan d’énergie en découle :
ρ˙ = p(i) − q .∇c + r
(2.14)
c’est–à–dire
s : (u̇ ⊗ ∇c − Ξ̇
)+S
:̇(Ξ̇
⊗ ∇c ) − q .∇c + r (2.15)
ρ˙ = σ
: (u̇ ⊗ ∇c ) + ∼
∼
∼
∼
∼
Formulation du second principe
Le second principe sous sa forme globale s’écrit :
Ṡ ≥ N
(2.16)
où S est l’entropie totale du corps et N le flux total d’entropie. On introduit la densité
d’entropie massique η telle que
Z
Z
Z
r
S =
ρη dV et N = −
Φ .n dS +
dV
(2.17)
T
V
∂V
V
Le vecteur flux d’entropie Φ est supposé satisfaire la relation suivante, T désignant la
température :
q
Φ =
(2.18)
T
La forme locale du second principe est alors :
q r
ρη̇ +
.∇c −
≥ 0
(2.19)
T
T
L’inégalité de Clausius–Duhem s’obtient en combinant (2.14) et (2.19) :
ρ (T η̇ − )
˙ + p(i) −
q
.(∇c T ) ≥ 0
T
(2.20)
24
2.2.2
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
MILIEU MICROMORPHE EN TRANSFORMATIONS FINIES : LOIS DE COMPORTEMENT ÉLASTOVISCOPLASTIQUES
Il est temps de choisir des mesures de déformation pour le milieu micromorphe qui
soient invariantes par changement de référentiel euclidien. Pour cela, nous nous inspirons de la forme alternative suivante de l’expression de la puissance des efforts
intérieurs :
p(i)
:̇ ((χ̇.χ−1 ) ⊗ ∇c )
= σ
: (Ḟ
.F −1 ) + ∼
s : (Ḟ
.F −1 − χ̇.χ−1 ) + S
∼
∼ ∼
∼ ∼
∼
∼ ∼
∼ ∼
−1
= σ
: (Ḟ
.F −1 ) + ∼
s : (χ.(χ−1 .F
) .F
)
∼
∼ ∼
∼
∼
∼
∼
−1
−1
−1
+ S
:̇
χ
.(χ
.(χ
⊗
∇))
:
(χ
F
)
∼
∼
∼
∼
∼
∼
(2.21)
où () désigne la dérivée temporelle totale de la quantité entre parenthèses. Le gradient
de la transformation est F
:= 1
+ u ⊗ ∇. On obtient donc le jeu de mesures de
∼
∼
déformation cherché :
T
:= χ−1 .(χ ⊗ ∇)}
{C
:= F
.F
, χ−1 .F
,K
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
(2.22)
c’est–à–dire le tenseur de Cauchy–Green droit, la déformation relative et une mesure
invariante du gradient de micro–déformation, à l’instar de (Germain, 1973a).
La formulation de lois de comportement non linéaires a été abordée très tôt dans (Eringen and Claus, 1970; Hlavàček, 1972) et plus récemment (Sansour, 1998). Nous en
proposons une ici dans l’esprit de la plasticité anisotrope classique en grandes transformations (Mandel, 1973). Nous partons de la décomposition multiplicative du tenseur
de micro–déformation totale :
e p
χ=R
.χ U
.χ
(2.23)
∼
∼
∼
∼
e
où seul χ U
est symétrique. Si l’évolution de χp est connue, une telle décomposition
∼
∼
est unique pour peu qu’un choix de 3 directeurs physiques soit fait, dont la rotation par
rapport à la configuration de référence est décrite par la rotation de Cosserat R
. Cette
∼
rotation est en général distincte de celle apparaissant dans la décomposition polaire de
χ. Il s’agit d’une introduction naturelle et générale du trièdre directeur de Cosserat dans
∼
l’esprit de (Mandel, 1973). L’étape suivante consiste à introduire une décomposition
multiplicative pour le gradient de la transformation F
, décomposition dès lors unique :
∼
]
T
e ] p
F
:= R
.F
= ]F
.F
∼
∼
∼
∼
∼
(2.24)
Il reste alors à proposer une décomposition du gradient de micro–déformation K
en
∼
parties élastique et plastique. Pour commencer, on adopte la décomposition additive
proposée de manière heuristique dans (Sansour, 1998) :
e
p
K
=K
+K
∼
∼
∼
(2.25)
La déformation relative prend alors la forme :
e ] p
χ−1 .F
= χp−1 .Υ
.F
,
∼
∼
∼
∼
∼
e
où Υ
est la déformation élastique relative.
∼
avec
e
e−1 ] e
Υ
= χU
.F
∼
∼
∼
(2.26)
25
2.2. MILIEUX CONTINUS D’ORDRE SUPÉRIEUR
Exploitation de l’inégalité de Clausius–Duhem
L’étape essentielle à ce stade consiste à fixer l’ensemble Z des variables d’état dont
sont supposées dépendre toutes les fonctions considérées, à savoir la densité d’énergie
interne , l’énergie libre de Helmholtz Ψ et l’entropie η :
e
e
eT ] e
e
Z := {C
:= ] F
, α}
.F
,Υ
,K
∼
∼
∼
∼
∼
(2.27)
où les α sont des variables internes associées aux processus dissipatifs. En substituant
l’énergie libre Ψ = − T η dans l’inégalité de Clausius–Duhem (2.20) et en tenant
compte de la dépendance vis–à–vis des variables d’état, nous obtenons :
(
1 ] e−1] ] e−T
∂Ψ
˙ e + (] U eT ] s] F e−T − ρ ∂Ψ ) : Υ̇e +
F
σ
F
−ρ
e) : C
e
∼
∼
∼ ∼
∼
∼ ∼
2 ∼
∂C
∂Υ
∼
∼
−T
: (χ−T F
)−ρ
(χT .S
∼
∼
∼
∼
p ] p−1
∂ψ
e
eT ]
e−T
+ (] F
.( σ
+ ]∼
s).] F
) : (] Ḟ
.F
)
e ):̇K̇
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∂K
∼
−T
(χT .S
)) :̇ K̇
: (χ−T F
∼
∼
∼
∼
∼
q
∂Ψ
c
α̇ − .(∇ T ) ≥ 0
− ρ
∂α
T
e ] χ e−1
+ (χ U
.∼
s. U
) : (χ̇p .χp−1 )
∼
∼
∼
+
∼
p
(2.28)
où apparaissent les contraintes tournées dans le référentiel attaché au trièdre de Cosserat :
T
T
]
σ
:= R
.σ
.R, ] ∼
s := R
.s
.R
(2.29)
∼
∼
∼ ∼
∼
∼ ∼
Les lois d’état d’hyperélasticité s’en déduisent, en suivant l’argumentaire de Coleman–
Noll :
∂Ψ ] eT
∂Ψ ] eT
e
e−1
]
σ
= 2] F
.ρ
(2.30)
, ]∼
s = χU
.ρ
e. F
e. F
∼
∼
∼
∼
∼
∂C
∂Υ
∼
∼
S
= χ−T . ρ
∼
∼
∂Ψ
T
T
F
),
e : (χ
∼
∼
∂K
∼
R := ρ
∂Ψ
∂α
(2.31)
Il faut ajouter la température T à l’ensemble Z pour une formulation thermomécanique
complète. La relation classique suivante est alors obtenue :
η=−
∂Ψ
∂T
(2.32)
La dissipation intrinsèque se réduit alors à :
D
p
eT ]
e−T
p−1
e ] χ e−1
(] F
.( σ
+ ]∼
s).] F
) : (] Ḟ
.] F
) − (χ U
.∼
s. U
) : (χ̇p .χp−1 )
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
q
p
−T
c
−T
T
+ (χ .S
: (χ F
)) :̇ K̇
− Rα̇ − .(∇ T ) ≥ 0
(2.33)
∼
∼
∼
∼
∼
T
=
Afin de garantir la positivité de la dissipation en toute circonstance, on se limite
délibérément à la classe de matériaux dits standards (Halphen and Nguyen, 1975),
26
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
pour lesquels il existe un potentiel convexe de dissipation Ω(Σ
, S , S , R) fournissant
∼ ∼ ∼0
les lois d’écoulement plastique et d’écrouissage :
]
p
p−1
Ḟ
.] F
=
∼
∼
∂Ω
,
∂Σ
∼
χ̇p .χp−1 = −
∼
∼
∂Ω
,
∂S
∼
p
=
K̇
∼
∂Ω
,
∂S
0
∼
α̇ = −
∂Ω
∂R
(2.34)
avec
eT ]
e−T
Σ
= ]F
.( σ
+ ]∼
s).] F
,
∼
∼
∼
∼
e ] χ e−1
S
= χU
.∼
s. U
,
∼
∼
∼
−T
T
: (χ−T F
)
S
0 = χ .S
∼
∼
∼
∼
∼
(2.35)
Autre décomposition élastoplastique proposée pour le tenseur gradient de
micro–déformation
La décomposition (2.25) du gradient de micro–déformation K
n’est pas la seule en∼
visageable. Il est possible d’en choisir une autre qui garantisse que les déformations
élastiques généralisées soient définies sur une même configuration intermédiaire
relâchée isocline. Cela signifie qu’il existe une décomposition pour laquelle la configuration intermédiaire est obtenue pour un relâchement simultané des trois tenseurs
de contraintes. La signification physique de cette configuration intermédiaire relâchée
commune apparaı̂tra clairement dans le cas de la plasticité cristalline par exemple (cf.
sur la configuration courante doivent
paragraphe 2.5). Pour cela, les lois d’état pour S
∼
avoir la même forme dans le cas de grandes déformations plastiques que pour un comportement purement hyperélastique, à savoir :
S
= χe−T . ρ
∼
∼
∂Ψ
eT
eT
]F
)
e : (χ
∼
∼
∂K
∼
avec
e
.χ U
χe = R
∼
∼
∼
(2.36)
Cette relation n’a donc pas la même forme que la relation correspondante (2.31)3 obtenue pour une décomposition purement additive de K
. On peut vérifier que les relations
∼
(2.36) sont satisfaites si la décomposition de K
en
parties
élastique et plastique prend
∼
la forme suivante :
e
p
p
= χp−1 . K
: (χp ] F
)+ K
(2.37)
K
∼
∼
∼
∼
∼
∼
i.e. une décomposition seulement quasi–additive. Il ne s’agit ici que d’une preuve
du caractère suffisant d’une telle décomposition pour garantir les relations d’hyperélasticité (2.36). Une preuve de sa nécessité est plus délicate mais est en principe
possible en suivant un argumentaire similaire à celui utilisé par (Sievert, 1992) dans le
cas des milieux de Cosserat en transformations finies.
2.2.3
CAS LIMITES : COSSERAT ET SECOND GRADIENT
Nous avons vu au passage qu’une formulation non ambiguë des lois de comportement du milieu micromorphe nécessite le choix d’un trièdre directeur dont χ décrit la
∼
rotation et la déformation (Mandel, 1973). On appelle milieu de Cosserat un milieu
micromorphe pour lequel χ se réduit à une rotation R
. C’est le premier milieu continu
∼
∼
2.2. MILIEUX CONTINUS D’ORDRE SUPÉRIEUR
27
généralisé introduit par (Cosserat and Cosserat, 1909), même si Cauchy, puis Voigt
et Boltzmann à la fin du XIXème siècle évoquent déjà les couples de contrainte. Le
milieu de Cosserat peut être interpréter comme un milieu micromorphe possédant la
liaison interne :
χ.χT = 1
(2.38)
∼
∼ ∼
Cette liaison indique que le trièdre directeur attaché à chaque point n’est autorisé qu’à
tourner au cours de la déformation. Les mesures de déformation du milieu de Cosserat
sont alors :
1
T
T
]
F
:= R
.F
, ]Γ
:= − ∼
.(R
⊗ ∇))
(2.39)
: (R
∼
∼
∼
∼
∼
∼
2
Lorsque la micro–déformation se limite à une rotation R
, alors χp = 1
dans (2.23) et
∼
∼
∼
la décomposition du gradient de la micro–déformation (2.37) se réduit à :
χ
e ] p
p
K
= χK
.F
+ χK
∼
∼
∼
∼
(2.40)
Cela se traduit de la manière suivante en termes de mesures de déformation du milieu
de Cosserat (2.39)
]
1 χ e] p 1 χ p
1
1 χ
T
= −( ∼
.F
+ ∼
) (2.41)
Γ
:= − ∼
: (R
.(R
⊗∇)) = − ∼
: K
: K
: K
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
2
2
2
2
qui a la forme suivante
]
e ] p
F
= ]F
.F
,
∼
∼
∼
]
e ] p
p
Γ
= ]Γ
.F
+ ]Γ
∼
∼
∼
∼
(2.42)
1 χ p
p
Γ
=− ∼
: K
∼
∼
2
(2.43)
avec les identifications
]
1 χ e
e
Γ
=− ∼
: K
,
∼
∼
2
]
C’est précisément la décomposition qu’ont proposée indépendamment (Sievert, 1992)
et (Dluzewski, 1992). On renvoie à (Forest et al., 1997; Forest and Sievert, 2003) pour
une description détaillée du milieu de Cosserat.
Une autre liaison interne pour le milieu micromorphe consiste à imposer en tout point :
−1
=0
χ−1 .F
∼
∼
∼
(2.44)
ce qui signifie que la micro–déformation est égale au gradient de la déformation. Le
champ de micro–déformation devient alors compatible et doit suivre strictement la
matière. L’ensemble des variables entrant dans la modélisation des efforts intérieurs
devient alors :
V = {u̇ , u̇ ⊗ ∇c , u̇ ⊗c ∇ ⊗ ∇c }
(2.45)
ce qui correspond à la théorie du second gradient explorée au paragraphe 2.3. Enfin, si
l’on force la rotation de Cosserat à suivre la rotation matérielle de la décomposition polaire de F
, on obtient le milieu de Koiter ou théorie des couples de contraintes (Koiter,
∼
1963).
Nous insistons sur le fait que lorsqu’on impose des liaisons internes, des contraintes de
réaction subsistent que l’on détermine in fine grâce aux équations de bilan de départ.
28
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
2.3
MILIEUX CONTINUS DE DEGRÉ SUPÉRIEUR
La théorie du second gradient a été développée au début des années soixante à travers
les travaux magistraux (Toupin, 1962; Toupin, 1964; Mindlin and Eshel, 1968). Dans
(Germain, 1973a) se trouve une présentation très élégante basée sur la méthode des
puissances virtuelles, méthode adoptée dans cet ouvrage. Il ne semble pas toutefois
qu’une formulation thermomécanique complète incluant en particulier explicitement
le gradient de température dans les lois de comportement ait été proposée. C’est l’objet
du paragraphe 2.3.1, basé sur les contributions (Cardona et al., 1999; Forest et al.,
2000b).
2.3.1
THERMOMÉCANIQUE DU SECOND GRADIENT
On considère le corps matériel V et sa frontière ∂V . Par simplicité, la surface ∂V est
supposée deux fois continûment différentiable de sorte qu’en chaque point x ∈ ∂V
la normale n (x ) et la courbure moyenne R sont définies sans ambiguı̈té. L’existence d’arêtes et/ou de sommets est traitée dans (Germain, 1973a). On reprend la
démarche systématique mise en œuvre pour le milieu micromorphe au paragraphe 2.2.1
en considérant les espaces de vitesses généralisées virtuelles suivants :
DOF := {u , Ṫ }
V ◦ = {u̇ , Ṫ },
V = {u̇ , u̇ ⊗ ∇c , u̇ ⊗ ∇c ⊗ ∇c , Ṫ , Ṫ ⊗ ∇c }
(2.46)
(2.47)
Le pari est donc fait d’attribuer à la température T le statut de véritable degré de liberté.
Ce n’est pas choquant dans le cadre de la thermodynamique rationnelle qui suppose
l’existence de la température de manière formelle sans préciser son contenu physique
(Muschik et al., 2001). Comme toujours, dans une théorie systématique, les choix seront jugés à la lumière des relations de bilan et de comportement obtenues in fine.
L’ensemble V utilisé dans (Germain, 1973a) est complété ici par l’introduction de la
vitesse de variation de la température et de son gradient. Les champs u̇ sont supposés
au moins deux fois continûment différentiables, tandis que les champs de vitesse de
température sont pris continûment différentiables.
La densité de puissance virtuelle des efforts intérieurs est la forme linéaire la plus
générale portant sur l’ensemble des variables de V :
p(i) = σ
: (u̇ ⊗ ∇c ) + S
:̇ (u̇ ⊗ ∇c ⊗ ∇c ) + a(i) Ṫ + b (i) .(∇c Ṫ )
∼
∼
(2.48)
L’axiome de la puissance virtuelle des efforts intérieurs stipule que P (i) est nulle
pour tout mouvement de corps rigide isotherme. Il a déjà été appliqué à l’équation
(2.48) dans laquelle n’interviennent que des grandeurs objectives. Les grandeurs duales
associées aux premier et second gradients de vitesses sont le tenseur des forces–
contraintes σ
et le tenseur dit des hyper–contraintes S
(Sijk = Sikj ). Deux grandeurs
∼
∼
duales supplémentaires a(i) et b (i) ont été introduites. La partie purement mécanique
de la puissance des efforts intérieurs est donc complétée par une contribution thermique
convective, distincte de la contribution purement calorique qui apparaı̂t dans l’équation
de l’énergie. L’application du théorème de la divergence (B.11) à l’équation (2.48)
2.3. MILIEUX CONTINUS DE DEGRÉ SUPÉRIEUR
29
fournit, pour tout sous–domaine D ⊂ V :
Z P (i) (u̇ , Ṫ ) =
− (σ
− S
.∇c ).∇c .u̇ + (a(i) − b (i) .∇c )Ṫ dV
∼
∼
ZD (i)
c
c
.
u̇
+
(S
)
:
(
u̇
⊗
∇
)
+
b
.n
+
.∇
).n
.n
Ṫ
dS
(σ
−
S
∼
∼
∼
∂D
(2.49)
Comme il subsiste encore un gradient de la vitesse dans la contribution surfacique, on
peut une seconde fois appliquer le théorème de la divergence mais dans le cas d’une
surface fermée sans arête pour simplifier, selon l’identité (B.16) :
Z (i)
c
c
c
(i)
P (i) (u̇ , Ṫ ) =
.
u̇
+
(a
.∇
).
Ṫ
dV
− (σ
−
S
.∇
).∇
−
b
∼
∼
ZD c
+
(σ
− S
+
2RS
:
(n
⊗
n
)
−
(S
).D
.u̇
.∇
).n
.n
t
∼
∼
∼
∼
∂D
+
S
: (n ⊗ n ) .Dn u̇ + b (i) .n Ṫ dS
(2.50)
∼
où Dn et D t désignent respectivement les opérateurs dérivées normale et tangentielle
définies par les équations (B.14).
La distinction usuelle entre efforts à distance et efforts de contact est maintenue. Une
expression générale de la puissance des efforts à distance est :
Z :Ω
+ P
:D
+ P
:̇ (u̇ ⊗ ∇c ⊗ ∇c )
P (e) =
f .u̇ + C
∼
∼
∼
∼
∼
D
+ a(e) Ṫ + b (e) .∇c Ṫ dV
(2.51)
où D
et Ω
sont respectivement les parties symétrique et antisymétrique du gradient
∼
∼
des vitesses. Les grandeurs duales introduites sont les simples forces de volume f ,
les couples de volume C
et les doubles forces de volume P
qui peuvent en principe
∼
∼
ne
peuvent
quant à elles exister
exister dans la théorie classique. Les triples forces P
∼
qu’au sein d’un milieu de degré 2. Par souci de généralité, les forces généralisées a(e)
et b(e) ont été ajoutées. La puissance des efforts extérieurs peut elle aussi être scindée
en une contribution volumique et une contribution surfacique, en vertu du théorème de
la divergence comme dans (2.50).
La dernière étape concerne les efforts de contact. Il est nécessaire d’avoir franchi les
deux étapes précédentes pour préciser le contenu de l’espace V c (Germain, 1973a).
En effet, la forme la plus générale de la puissance des efforts de contact apparaı̂t en
considérant la forme de la contribution surfacique dans (2.50).
V c = {u̇ , Dn u̇ , Ṫ }
(2.52)
p(c) = t .u̇ + M .Dn u̇ + a(c) Ṫ
(2.53)
où t est le vecteur contrainte, M une double force normale et a(c) la grandeur duale
associée à Ṫ .
30
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
L’application du principe des puissances virtuelles (2.7) conduit aux équations
d’équilibre du milieu du second gradient en volume :
τ∼ .∇c + f = 0
τ∼ = σ
− P
− C
− S
.∇c + P
.∇c
∼
∼
∼
∼
∼
avec
c
b .∇ − a = 0
(i)
a = a
avec
(e)
− a
et b = b
(i)
− b
(e)
(2.54)
(2.55)
et au contour :
t
=
τ∼ .n + 2RS
: (n ⊗ n ) − (S
.n ).D t
∼
∼
M
=
S
: (n ⊗ n )
∼
=
b .n
(c)
a
(2.56)
Constatons d’abord que l’équilibre purement mécanique est décrit par une seule
équation aux dérivées partielles faisant intervenir la divergence d’un tenseur de
contraintes effectives τ∼ , contre deux équations pour le milieu micromorphe (2.8).
L’écriture de la conservation du moment cinétique conduit à la seconde loi de Cauchy
qui stipule que la partie antisymétrique de σ
est égale à la densité volumique de couples
∼
C
.
Les
contraintes
effectives
contiennent
la
contribution des contraintes intrinsèques
∼
σ
, celles pour lesquelles des lois de comportement seront nécessaires. En revanche,
∼
l’ordre du système d’équations aux dérivées partielles est plus élevé que dans le cas
classique puisque la divergence est appliquée deux fois. La deuxième équation de bilan
concerne uniquement les contributions thermiques supplémentaires introduites dans la
modélisation. Elle peut même être interprétée comme une définition de a en fonction de
b. La formulation classique est identiquement retrouvée en remarquant qu’alors b = 0
et que par conséquent a = b .∇ = 0. Cela confirme le fait que, dans le cas classique,
il n’est nul besoin d’introduire le terme aṪ dans la puissance des efforts intérieurs.
Le premier principe de la thermodynamique des milieux continus s’exprime au travers
du bilan d’énergie (2.14) qui prend ici la forme :
:̇ (u̇ ⊗ ∇c ⊗ ∇c ) + a(i) Ṫ + b (i) .∇c Ṫ − q .∇c + r
ρ ˙ = σ
: (u̇ ⊗ ∇c ) + S
∼
∼
(2.57)
Lois de comportement élastoviscoplastique
L’inégalité de Clausius–Duhem s’écrit ici :
ρ (T η̇ − )
˙
+
+
..
σ
: (u̇ ⊗ ∇c ) + S
. u̇ ⊗ ∇c ⊗ ∇c
∼
∼
q
a(i) Ṫ + b (i) .(∇c Ṫ ) − .(∇c T ) ≥ 0
T
(2.58)
Il faut maintenant préciser l’ensemble des variables d’état dont vont dépendre les
fonctions thermodynamiques. Nous commençons par faire le choix des mesures de
déformation généralisées invariantes. Nous sommes guidé pour cela par l’expression
de la puissance des efforts intérieurs sous la forme déduite de :
p(i)
= σ
: (Ḟ
.F −1 ) + S
:̇ ((Ḟ
.F −1 ) ⊗ ∇c ) + a(i) Ṫ + b (i) .∇c Ṫ
∼
∼ ∼
∼ ∼
∼
31
2.3. MILIEUX CONTINUS DE DEGRÉ SUPÉRIEUR
−T 1
−1
−1
−1
= σ
: (F
. Ċ
F
)) + b (i) .(∇Ṫ .F
.F −1 ) + S
:̇ (F
.K̇ : (F
)
∼
∼
∼
∼
∼ ∼
∼
∼
2∼ ∼
(2.59)
Les mesures de déformation adaptées sont donc :
T
{C
:= F
.F
,
∼
∼
∼
−1
K
:= F
.(F
⊗ ∇),
∼
∼
∼
∇T }
(2.60)
Les premières lois de comportement non–linéaires ont été composées par (Green et al.,
1968) et (Dillon and Kratochvı́l, 1970). Elles rentrent dans la classe des matériaux standards, généralisée aux milieux du second gradient par (Fleck and Hutchinson, 1997;
Gologanu et al., 1997; Forest and Sievert, 2003). Nous adoptons la décomposition multiplicative du gradient de la transformation, suivant ainsi (Rice, 1971; Mandel, 1971),
et une décomposition additive de K
, comme dans (Chambon et al., 2001b) :
∼
e
p
F
=F
.F
,
∼
∼
∼
e
p
F
=R
.U e .F
,
∼
∼ ∼
∼
e
p
+K
K
=K
∼
∼
∼
(2.61)
e
où U
est symétrique. A nouveau, comme F
n’est ni objectif, ni invariant, le choix
∼
∼
d’un trièdre directeur est nécessaire pour que la décomposition multiplicative ne soit
pas ambiguë (Mandel, 1973). Les variables d’état du système sont alors :
e
eT
e
e2
e
Z = {C
:= F
.F
=U
,K
, α, T, ∇T }
∼
∼
∼
∼
∼
(2.62)
L’exploitation de l’inégalité de Clausius–Duhem (2.58) conduit1 alors aux lois d’état :
e
σ
= 2F
.ρ
∼
∼
∂Ψ
eT
,
e .F
∼
∂C
∼
−T
S
=F
.ρ
∼
∼
∂Ψ
T
T
F
),
e : (F
∼
∼
∂K
∼
R=ρ
∂Ψ
∂α
(2.63)
∂ψ
∂ψ
T
.F
, ρη = −ρ
+ a(i)
(2.64)
∼
∂∇T
∂T
Comme pour le milieu micromorphe, il est possible de choisir la décomposition du
second gradient de telle sorte qu’il existe une configuration intermédiaire pour laquelle
les forces–contraintes et hypercontraintes soient relâchées simultanément :
b (i) = ρ
p−1
e
p
p
p
K
=F
.K
: (F
F
)+K
∼
∼
∼
∼
∼
∼
(2.65)
∂Ψ
eT
eT
F
)
e : (F
∼
∼
∂K
∼
(2.66)
qui donne alors
e−T
S
=F
.ρ
∼
∼
Si la contrainte généralisée b (i) n’avait pas été introduite, une dépendance de l’énergie
libre vis–à–vis de ∇T aurait été impossible, comme dans le cas classique. Dans le
cadre d’une théorie du second gradient une telle dépendance ne peut être exclue a
priori. Cela justifie a posteriori la généralisation introduite en début de parcours. Nous
constatons aussi que la contribution a(i) qui n’est autre que la divergence de b (i) , en
vertu des équations d’équilibre (2.55), vient modifier la loi d’état pour l’entropie.
1 On fait l’hypothèse de séparation de la dissipation intrinsèque et de la dissipation due au transport de
la chaleur, hypothèse classique en thermomécanique des milieux continus que l’on maintient dans le cadre
généralisé. La contribution linéaire en ∇c Ṫ dans l’inégalité de Clausius–Duhem est supposée faire partie de
la dissipation intrinsèque.
32
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
La dissipation résiduelle est finalement obtenue :
q
.∇c T ≥ 0
T
(2.67)
La positivité de la dissipation intrinsèque est alors garantie par le choix d’un potentiel
de dissipation Ω(Σ
, S , R) convexe par rapport à ses arguments tel que :
∼ ∼0
p
p
e
−1
−1
p−1
e−1
D=σ
: (F
:̇ (F
.K̇ : (F
F
.Ḟ
)) − Rα̇ −
.F
.F
)+S
∼
∼
∼ ∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
eT
Σ
=F
.σ
.F e−T ,
∼
∼
∼ ∼
p
p−1
Ḟ
.F
=
∼
∼
∂Ω
,
∂Σ
∼
T
−T
−T
S
=F
.S
: (F
F
)
∼
∼
∼
∼
∼0
p
=
K̇
∼
∂Ω
,
∂S
0
∼
α̇ = −
∂Ω
∂R
(2.68)
(2.69)
Autre formulation possible : modification du flux d’entropie
Il est clair qu’un terme supplémentaire est nécessaire dans l’inégalité du second principe, sans quoi une dépendance de l’énergie vis–à–vis de ∇T est impossible. Il y a
trois possibilités pour ajouter ce terme. Dans l’esprit du “travail de capillarité” introduit par Serrin (Dunn and Serrin, 1985; Dell’Isola and Seppecher, 1995; Faciu, 1998),
nous aurions pu ajouter la contribution w .∇c dans le bilan d’énergie :
ρ ė = p(i) − q c .∇ + w .∇c + r
(2.70)
en laissant à p(i) la forme que lui donnent Mindlin et Germain. Nous pouvons vérifier
que le choix
w = Ṫ b
(2.71)
conduit alors au même bilan d’énergie (2.57), et par suite aux mêmes lois d’état
et de dissipation résiduelle. Dans (Dunn and Serrin, 1985) par exemple, les auteurs
ne souhaitent pas modifier la forme classique de la puissance des efforts intérieurs
p(i) = σ
: (u̇ ⊗∇c ) dans leur théorie du second gradient (isotherme). Le travail de ca∼
pillarité w .∇c est alors introduit pour tenir compte des hypercontraintes, comme c’est
nécessaire si l’on souhaite une dépendance des fonctions thermodynamiques par rapport au second gradient du déplacement. Le choix (2.71) correspond donc à une attitude
similaire pour l’extension de la théorie du second gradient au cas thermomécanique
général. Nous préférons en fait enrichir la puissance des efforts intérieurs, comme nous
l’avons fait dans la section précédente, et, par conséquent, établir des équations de bilan
supplémentaires, car la méthode des puissances virtuelles présente au moins l’avantage
de fournir des conditions aux limites supplémentaires claires, ce qui n’est pas le cas
lorsqu’on travaille sur l’équation locale de l’énergie seule.
Une troisième attitude est possible, qui consiste à renoncer à la proportionnalité entre
flux d’entropie et flux de chaleur (2.18). Il faut en fait, en suivant (Müller, 1985),
considérer la relation entre flux d’entropie et flux de chaleur comme une véritable loi
de comportement. C’est pourquoi on introduit, en toute généralité, le flux d’entropie
supplémentaire k à déterminer :
Φ =
q
+ k
T
(2.72)
33
2.3. MILIEUX CONTINUS DE DEGRÉ SUPÉRIEUR
Le second principe garde la forme :
ρ η̇ + Φ .∇c ≥ 0
(2.73)
le bilan d’énergie (2.14) restant inchangé. L’inégalité de Clausius–Duhem prend la
forme :
− ρ (Ψ̇ + η Ṫ ) + σ
: (u̇ ⊗ ∇c ) + S
:̇ K̇
+ (k T ).∇ − Φ .(T ∇) ≥ 0 (2.74)
∼
∼
∼
Pour ne pas alourdir les expressions dans ce paragraphe, nous nous en tenons au cadre
de la thermoélasticité, c’est–à–dire que l’on suppose une dépendance de l’énergie libre
en fonction de (C
, K
, T, T ∇), et sa dérivée temporelle s’écrit :
∼
∼
Ψ̇ =
∂ψ
∂ψ
∂ψ
∂ψ
∂ψ
: Ċ
+
:̇K̇
+
Ṫ − (
.∇)Ṫ + (Ṫ
).∇
∼
∼
∂C
∂K
∂T
∂∇T
∂∇T
∼
∼
(2.75)
de sorte que
∂Ψ
1 −1
∂Ψ
−T
−T
e−T
T
: (F
F
) − ρ
( F
:σ
:F
− ρ
):̇K̇
) : Ċ
+ (F
.S
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
2
∂C
∂K
∼
∼
+ (b c .∇ − ρη − ρ
∂Ψ
)Ṫ
∂T
+ (k T − Ṫ b ).∇c − Φ .(T ∇) ≥ 0
(2.76)
∂Ψ
où b = ρ
.F T . Le moment est venu de préciser la forme choisie pour le flux
∂∇T ∼
d’entropie supplémentaire, dans le but de garantir la positivité de la dissipation en toute
circonstance. Un choix tout indiqué en examinant l’inégalité précédente, est :
k =
Ṫ
b
T
(2.77)
Ce choix est similaire à la stratégie développée par (Maugin, 1990; Maugin and Muschik, 1994), dans le cas de la théorie des milieux à gradient de variables internes. Les
lois d’état s’écrivent alors :
∂ψ T
.F
,
∼
∂C
∼
∂ψ
T
T
: (F
F
),
∼
∼
∂K
∼
∂ψ
+ b .∇c
∂T
(2.78)
qui sont identiques à (2.63). Il apparaı̂t que l’introduction du flux d’entropie
supplémentaire permet de donner un autre cadre au même jeu d’équations de bilan
et d’équilibre que dans l’approche proposée initialement. Des différences peuvent apparaı̂tre toutefois dans l’équation de la chaleur selon la forme de la loi de conduction
retenue. Ce point fait l’objet de la fin du paragraphe suivant. Remarquons simplement
ici que la dissipation thermique résiduelle est, pour les deux théories,
σ
= 2F
.ρ
∼
∼
−T
= F
.ρ
S
∼
∼
Φ .∇c T ≥ 0
ρη = −ρ
(2.79)
mais que Φ vaut q /T dans la première théorie, contre q /T + Ṫ /T b dans la seconde.
34
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
Thermoélasticité linéaire et équation de la chaleur
En choisissant un état thermomécanique de référence
(C
=1
, K = 0, T0 , (∇T )0 = 0)
∼0
∼ ∼ 0
l’ensemble des équations cinématiques, de bilan et de comportement sont linéarisées.
Le contexte des petites perturbations exige des déformations, rotations, gradients de
déformation, variations de température et gradients de température suffisamment petits.
Les variables pertinentes deviennent :
ε = { u ⊗ ∇} ,
∼
K
=∼
ε ⊗ ∇,
∼
∆ = T − T0 ,
∇T
(2.80)
La même information est contenue dans u ⊗ ∇ ⊗ ∇ et dans ∼
ε ⊗ ∇. Il n’y a donc
qu’une seule théorie du second gradient, même si elle peut être présentée d’au moins
trois façons différentes comme dans (Mindlin and Eshel, 1968). En effet, le gradient
de ∼
ε s’exprime comme une fonction linéaire de u ⊗ ∇ ⊗ ∇. Inversement, le second
gradient du déplacement est lié au gradient de déformation par la relation établie par
(Toupin, 1962) en grandes transformations :
−T
F
⊗∇=F
.(C
⊗∇+∼
1T : (∇ ⊗ C
)−∇⊗C
)
∼
∼
∼
∼
∼
(2.81)
∼
i.e. dans le contexte des petites déformations :
u ⊗∇⊗∇=∼
ε⊗∇−∼
.∼
: (∇ ⊗ ∼
ε)
(2.82)
L’énergie libre est alors une forme quadratique par rapport à toutes ces variables
ρΨ
=
+
1
1
1
ε:C:∼
:̇A:̇K
+∼
ε:M
+H
:̇∆K
ε − ∆ε
:C
:̇K
:α
− β∆2 + K
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼ ∼
2∼ ∼
2
2∼ ∼
∼
∼
1
∇T.B
.∇T + ∆ F .∇T − K
:̇ (A
.∇T (2.83)
:P
).∇T + ∼
ε:N
∼
∼
∼
∼
∼
∼
2
∼
Les lois d’état se déduisent des équations (2.63) :
σ
∼
=
S
∼
=
b (i)
=
ρη
C
: (ε
− ∆α
) + M
:̇ K
+ N
. ∇T
∼
∼
∼
∼
∼
∼
(2.84)
A
− P
⊗ ∇T ) + ∼
ε:M
:̇ (K
+ ∆H
∼
∼
∼
∼
∼
(2.85)
ε:N
− K
:̇(A
:P
) + ∆F
∼
∼
∼
∼
(2.86)
∼
∼
∼
∼
=
∼
∼
∼
∼
+ B
. ∇T
∼
(C
:α
):∼
ε − H
:̇ K
+ β ∆ − F .∇T + a(i)
∼
∼
∼
∼
(2.87)
∼
dans lesquels on peut reconnaı̂tre les contributions de la théorie classique et les termes
supplémentaires. En particulier, il existe une déformation libre (eigenstrain) thermique
∆α
et, de la même façon, un gradient de déformation libre thermique (eigen-[strain
∼
gradient]) P
⊗ ∇T , dont l’interprétation est donnée dans (Cardona et al., 1999) et qui
∼
est en fait la motivation initiale pour le développement de la théorie proposée ici.
En se restreignant au cas où les propriétés du matériau sont indépendantes de la
température, on peut exprimer les lois de comportement thermoélastique sous la forme
35
2.3. MILIEUX CONTINUS DE DEGRÉ SUPÉRIEUR
d’une relation entre le tenseur des contraintes effectives τ∼ (cf. équation (2.54)) et les
gradients de déformation et de température :
∗
τ∼ = C
:
(ε
−∆α
)+(M
−M
):̇K
+(N
−H
).∇T
−A
−
∇
⊗
P
⊗
∇T
::
∇
⊗
K
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
(2.88)
∗
où Mijpqr
= Mpqijr . Dans cette expression, le second gradient de la déformation, i.e.
le troisième gradient du déplacement, et le second gradient de la température apparaissent nécessairement, tout en restant dans le cadre d’une théorie de degré 2.
On termine par une analyse de la forme de l’équation de la chaleur obtenue. En toute
généralité, l’équation de la chaleur découle du bilan d’énergie (2.14) :
ρT η̇ = −∇.q + r
(2.89)
En substituant les lois d’état dans (2.89) et remarquant que a(i) n’est autre que la divergence de b (i) (on se limite à b (e) = 0 sans perte de généralité), l’équation de la
chaleur linéarisée vaut :
T β Ṫ = r − q .∇
− T∼
ε̇ : C
)
:α
+ T (A
:P
) :: (∇ ⊗ K̇
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
− TB
: (∇ ⊗ ∇Ṫ ) − T (N
−H
):̇K̇
∼
∼
∼
∼
(2.90)
Dans le cas isotrope, toutes les propriétés tensorielles d’ordre impair sont identiquement nulles de sorte que le dernier terme disparaı̂t. Il subsiste dans l’équation proposée
en plus du
un terme de couplage thermomécanique non classique (A
: P
) :: ∇K̇
∼
∼
∼
∼
∼
terme rituel ∼
ε̇ : C
:α
. Dans le cas purement thermique aussi, la théorie introduit un
∼
∼
∼
terme nouveau. Pour garantir la positivité de la dissipation thermique (2.79), la loi de
Fourier s’impose :
T Φ = q = −κ
.∇T
(2.91)
∼
La partie purement thermique de l’équation de la chaleur se simplifie dans le cas isotrope :
β Ṫ = κ∇.∇T − B∇.∇Ṫ + r
(2.92)
où ∇.∇ est l’opérateur laplacien. Il est frappant de constater que cette équation est
identique à la première équation de Cattaneo qui est décrite par exemple dans (Vernotte,
1958; Cattaneo, 1958; Müller and Ruggeri, 1993). L’argument de Cattaneo était plutôt
basé sur une modification de la loi de Fourier :
q = −κ ∇T + B ∇Ṫ
(2.93)
qui autorise, à l’occasion, un flux de chaleur du froid vers le chaud (up–hill conduction),
contrairement à la théorie formulée ici. Cattaneo a par ailleurs proposé une seconde
modification de la loi de Fourier dans le but de conférer un caractère hyperbolique
à l’équation de la chaleur. Mais on entre là dans le domaine de la thermodynamique
étendue et non plus de la thermodynamique rationnelle (Lebon et al., 1998).
Qu’en est-il si l’on préfère la formulation basée sur le flux d’entropie supplémentaire ?
Dans ce cas, la positivité de la dissipation thermique (2.79) est garantie par une loi de
Fourier généralisée de la forme
T Φ = q + Ṫ b = −κ
.∇T
∼
(2.94)
36
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
c’est–à–dire
q = −κ
.∇T − Ṫ ∇T
∼
(2.95)
On remarque que cette équation n’est ni l’équation classique, ni celle de Cattaneo
(2.93). Dans ce contexte, l’équation de la chaleur s’écrit :
ρT η̇ = −(T Φ ).∇ + r
(2.96)
de sorte que, en introduisant la loi de Fourier généralisée (2.94) et en tenant compte de
la dépendance de l’entropie par rapport au second gradient de la température au travers
du terme b .∇ dans (2.78)3 , nous obtenons la même équation aux dérivées partielles en
température que (2.92).
A la fin de cette exploration de la théorie du second gradient anisotherme, nous avons
le choix entre un travail des forces internes modifié et une loi de Fourier classique, ou
bien une loi de Fourier généralisée autorisant un flux de chaleur du froid vers le chaud.
Dans les deux cas, l’équation de la chaleur la plus générale reste la première équation
de Cattaneo, complétée par un couplage thermomécanique étendu.
2.3.2
MILIEUX À GRADIENT DE VARIABLE INTERNE
Il existe une autre classe de milieux présentant une non localité limitée mais permettant de rendre compte d’effets d’échelle ou de structures de déformation observés dans
les matériaux. Il s’agit des modèles dits à gradients de variable interne, le plus fameux
étant le modèle développé par (Aifantis, 1987; Aifantis, 1999). Dans ces travaux, ce
sont apparemment les équations de comportement seules qui sont affectées par l’introduction du gradient ou, de manière plus visible, du laplacien d’une grandeur scalaire
telle que la déformation plastique cumulée. Il existe de nombreuses variantes dont certaines se trouvent dans (Peerlings et al., 2001). La structure du problème mécanique aux
limites est prétendument inchangée. En fait, lorsque l’on cherche à écrire rigoureusement le cadre thermomécanique de cette classe de modèles, ce qui est rarement fait, on
peut montrer que des conditions aux limites supplémentaires sont nécessaires, comme
l’indique l’ordre supérieur des équations aux dérivées partielles étendues, conditions
qui révèlent l’existence de contraintes généralisées. Un tel cadre fédérateur est proposé dans (Forest et al., 2002; Forest and Sievert, 2003) et est résumé ci–dessous. Il
complète les formulations proposées par (Valanis, 1996; Sievert et al., 1998; Huang
et al., 2001; Fleck and Hutchinson, 2001). Par simplicité, nous nous restreignons ici au
contexte des petites perturbations.
Puissance des efforts intérieurs enrichie
Il faut sélectionner une variable γ parmi les variables internes α du modèle classique
d’origine et l’élever au rang de véritable degré de liberté. Il peut s’agir d’un scalaire
comme d’un tenseur d’ordre quelconque. En conséquence,
DOF := {u , γ}
V = {u̇ , u̇ ⊗ ∇, γ̇, ∇γ̇},
(2.97)
V c = {u̇ , γ̇}
(2.98)
37
2.3. MILIEUX CONTINUS DE DEGRÉ SUPÉRIEUR
La densité de puissance des efforts intérieurs et de contact sont des formes linéaires sur
les ensembles précédents :
p(i) = σ
:∼
ε̇ + Aγ̇ + B .∇γ̇,
∼
p(c) = t .u̇ + Ac γ̇
(2.99)
où doivent apparaı̂tre les contraintes généralisées A et B . L’application du principe
des puissance virtuelles conduit aux équations d’équilibre pour σ
et t , mais aussi pour
∼
les quantités supplémentaires :
σ
.∇ = 0,
∼
A = B .∇,
t =σ
.n ,
∼
Ac = B .n
(2.100)
Les conditions d’équilibre et aux limites supplémentaires apparaissent clairement. Il
faut imposer au bord du solide (et non à la frontière de la zone plastique comme le
proposent certaines contributions), la variable γ elle–même ou la réaction associée.
e
L’énergie libre de Helmholtz est a priori une fonction Ψ(ε
, ∇γ, α, T )(γ peut tout à
∼
fait continuer à apparaı̂tre dans α, on ne s’intéresse ici qu’à sa contribution non locale)
où la partition classique de la déformation totale est adoptée :
ε=∼
εe + ∼
εp
(2.101)
∼
Les lois d’état s’écrivent :
σ
=ρ
∼
∂Ψ
,
e
∂ε
∼
B =ρ
∂Ψ
,
∂∇γ
R=ρ
∂Ψ
,
∂α
η=−
∂Ψ
∂T
(2.102)
La dissipation intrinsèque se réduit alors à :
D=σ
:∼
ε̇p + Aγ̇ − Rα̇
∼
(2.103)
L’existence d’un pseudo–potentiel de dissipation Ω(σ
, A, R) convexe en ces arguments
∼
garantit la positivité de D :
ε̇p =
∼
∂Ω
,
∂σ
∼
γ̇ =
∂Ω
,
∂A
q̇ = −
∂Ω
∂R
(2.104)
Cas particuliers : variable interne scalaire, tensorielle, cas indépendant du
temps
Dans de nombreux modèles de la littérature, la variable interne γ est un scalaire et on
suppose en outre qu’il existe une contrainte équivalente σeq telle que :
σ
:∼
ε̇p = σeq γ̇
∼
(2.105)
La dissipation intrinsèque s’écrit alors :
D = τ eff γ̇ − Rα̇
avec τ eff := σeq + B .∇
(2.106)
ce qui suggère de choisir un pseudo–potentiel de dissipation fonction de la contrainte
effective τ eff et R :
γ̇ =
∂Ω
,
∂τ eff
ε̇p = γ̇
∼
∂τ eff
∂σeq
= γ̇
,
∂σ
∂σ
∼
∼
α̇ = −
∂Ω
∂R
(2.107)
38
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
Par simplicité, c’est un potentiel quadratique en ∇γ qui est choisi, si bien que, dans le
cas isotrope ou cubique :
B = c ∇γ, A = c ∆γ
(2.108)
où c est un paramètre matériau ayant la dimension MPa.m2 . Le signe de c est dicté par
le fait que le potentiel quadratique est défini positif. Le laplacien est noté ici ∆. Si la
seule variable interne prise en compte est α = γ, la dissipation intrinsèque s’écrit :
D = (σeq + c∆γ − R)γ̇
(2.109)
Dans le cas indépendant du temps, le critère de plasticité prend la forme :
σeq = R − c ∆γ
(2.110)
Il s’agit de la forme bien connue de nombreux modèles de plasticité avec effet de
gradient de l’école Aifantis. La mise en œuvre d’un critère de ce genre se trouve dans
(Vardoulakis and Aifantis, 1991).
On peut choisir une variable tensorielle telle que la déformation plastique elle–même
εp . Les tenseurs de contraintes associés à ∼
ε̇p et ∼
ε̇p ⊗∇ sont respectivement des tenseurs
du second et troisième ordre. La dissipation intrinsèque (2.103) devient maintenant :
∼
D = τ∼ eff : ∼
ε̇p − Rα̇,
.∇
avec τ∼ eff := σ
+A
=σ
+B
∼
∼
∼
∼
(2.111)
En utilisant le potentiel viscoplastique Ω(τ∼ eff , R), les trois lois d’évolution (2.104) se
réduisent à deux :
ε̇p =
∼
∂Ω
∂Ω
∂Ω
=
=
,
eff
∂τ∼
∂σ
∂A
∼
∼
α̇ = −
∂Ω
∂R
(2.112)
Autre formulation possible : modification du flux d’entropie
Comme pour la thermomécanique du second gradient, on peut préférer consigner les
termes supplémentaires qui apparaissent nécessairement dans un milieu à gradient de
variable interne, dans un flux d’entropie supplémentaire k . Le degré de liberté γ reprend alors son statut de variable interne. C’est la stratégie développée dans (Maugin,
1990; Maugin and Muschik, 1994).
2.3.3
MILIEUX CONTINUS D’ORDRE OU DE DEGRÉ SUPÉRIEUR SANS LOI
D’ÉCOULEMENT PLASTIQUE SUPPLÉMENTAIRE
On aura sans doute remarqué, dans la théorie élastoplastique du second gradient
p
du gradient de la déformation
présentée au paragraphe 2.3.1, que la partie plastique K
∼
K
=
ε
⊗
∇
ne
coı̈ncide
pas
en
général
avec
le
gradient
de la déformation plastique
∼
∼
p
ε ⊗ ∇. Les auteurs (Gologanu et al., 1997; Fleck and Hutchinson, 1997) insistent
∼
sur ce point un peu délicat et surprenant. Cela signifie–t–il qu’il n’est pas possible de
construire une théorie avec le gradient de la déformation plastique ? Si, bien sûr, mais
c’est un milieu à gradient de variable interne, exploré dans le paragraphe précédent.
39
2.3. MILIEUX CONTINUS DE DEGRÉ SUPÉRIEUR
Nous retournons la question de la manière suivante : est–il possible de construire une
théorie du second gradient (i.e. avec explicitement u ⊗ ∇ ⊗ ∇ dans l’espace de
modélisation) avec une liaison interne obligeant la partie plastique du second gradient
à coı̈ncider avec le gradient de la déformation plastique ? La réponse est oui. Il s’agit
d’une théorie du second gradient avec gradient de variable interne. Il semble qu’elle ait
été envisagée et formulée pour la première fois dans (Forest and Sievert, 2003). Elle est
esquissée ici pour montrer la souplesse et la généralité du cadre général défendu dans
cet ouvrage.
Les parties élastique et plastique du gradient de déformation K
= ∼
ε ⊗ ∇ sont
∼
désormais définies par :
e
:= ∼
εe ⊗ ∇,
K
∼
p
:= ∼
εp ⊗ ∇
K
∼
(2.113)
La conséquence principale de cette hypothèse est qu’il n’est plus besoin de se donner
p
une loi d’écoulement K̇
, ce qui rend le modèle plutôt économique. En contrepartie,
∼
la déformation plastique doit être élevée au rang de degré de liberté. V et V c doivent
encore être élargis :
V = {u̇ , u̇ ⊗ ∇, u̇ ⊗ ∇ ⊗ ∇, ∼
ε̇p , ∼
ε̇p ⊗ ∇},
ε̇p },
V c = {u̇ , Dn u̇ , ∼
(2.114)
de sorte que
p(i) = σ
:∼
ε̇ + S
:̇ K̇
+A
:∼
ε̇p + (B
−S
):̇(∼
ε̇p ⊗ ∇)
∼
∼
∼
∼
∼
∼
(2.115)
c
p(c) = t .u̇ + M .Dn u̇ + A
:∼
ε̇p
∼
(2.116)
La raison pour laquelle la différence (B
−S
) est introduite à la place d’un seul tenseur
∼
∼
de contrainte généralisé, est la volonté de séparer les rôles joués par S
et B
: ils tra∼
∼
e
p
et
K
respectivement.
Le
tenseur
A
est
introduit
d’abord
par
souci
de
vaillent avec K
∼
∼
∼
généralité, mais en fait il va jouer un rôle essentiel dans l’exploitation du second principe. Comme à l’accoutumée, on a introduit des simples et doubles forces t et M , et
c
la contrainte généralisée A
. L’application du principe des puissances virtuelles (2.7)
∼
conduit, d’une part, aux équations d’équilibre déjà connues (2.54) et aux conditions
aux limites (2.56), et, d’autre part, à deux conditions supplémentaires :
A
= (B
−S
).∇,
∼
∼
∼
c
A
= (B
−S
).n
∼
∼
∼
(2.117)
L’espace des variables d’état dont vont dépendre les fonctions thermodynamiques
s’étend à :
e e
(2.118)
Z = {ε
,∼
ε ⊗ ∇, ∼
εp ⊗ ∇, α, T }
∼
La dissipation intrinsèque est évaluée :
D
= σ
:∼
ε̇ + S
:̇ K̇
+A
:∼
ε̇p + (B
−S
) :̇ (∼
ε̇p ⊗ ∇) − ρΨ̇
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∂Ψ
∂Ψ
e
=
σ
−
ρ
:
ε̇
+
S
−
ρ
:̇(∼
ε̇e ⊗ ∇)
∼
∼
e
e⊗∇
∼
∂ε
∂ε
∼
∼
∂Ψ
p
:̇(∼
ε̇ ⊗ ∇)
+
B
−ρ p
∼
∂ε
⊗∇
∼
∂Ψ
+ (σ
+A
):∼
ε̇p − ρ
α̇
∼
∼
∂α
(2.119)
40
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
dont découlent les lois d’état :
σ
=ρ
∼
∂Ψ
,
e
∂e
∼
S
=ρ
∼
∂Ψ
e,
∂K
∼
B
=ρ
∼
∂Ψ
p,
∂K
∼
R=ρ
∂Ψ
∂α
(2.120)
Il ne reste finalement plus que :
D = τ∼ eff : ∼
ε̇p − Rα̇
avec
τ∼ eff := σ
+ (B
−S
).∇
∼
∼
∼
(2.121)
La force motrice pour l’activation de la plasticité est donc la contrainte équivalente :
τ∼ eff . Une forme générale des lois de comportement garantissant la positivité de la dissipation est donnée par le choix d’un potentiel viscoplastique Ω(τ∼ eff , R) tel que :
ε̇p =
∼
∂Ω
,
∂τ∼ eff
α̇ = −
∂Ω
∂R
(2.122)
Dans le cas d’un milieu micromorphe, la situation est similaire. En effet, en revenant à
la relation qui lie le second gradient du déplacement au gradient de la déformation, déjà
évoquée (équation (2.82)) et que nous rappelons ici sous une forme un peu différente
et pour définir l’opérateur linéaire ℵ
:
∼
∼
∼
ε⊗∇+1
: (∇⊗ε
)−∇⊗ε
⇐⇒
u ⊗∇⊗∇ = ∼
∼
∼
∼T
u ⊗∇⊗∇ = ℵ
:̇ (ε
⊗∇) (2.123)
∼
∼
∼
∼
∼
L’opérateur ∼
1T est défini par l’équation (A.3). La notation indicielle correspondante
∼
est donnée aussi au paragraphe 1.3, équation (B.19). Dans le contexte des petites perturbations, le tenseur des déformations relatives du milieu micromorphe s’écrit :
e
p
+e
e
=u ⊗∇−χ=e
∼
∼
∼
∼
(2.124)
En appliquant l’opérateur gradient à cette équation, nous obtenons l’équation de compatibilité suivante :
K
=ℵ
(2.125)
:̇ (ε
⊗ ∇) − e
⊗∇
∼
∼
∼
∼
∼
∼
Il est alors tentant de définir ainsi les parties élastique et plastique du gradient de la
micro–déformation :
e
e
e
K
:= ℵ
:̇ (ε
⊗ ∇) − e
⊗ ∇,
∼
∼
∼
∼
∼
∼
p
p
p
:= ℵ
K
:̇ (ε
⊗ ∇) − e
⊗∇
∼
∼
∼
∼
(2.126)
∼
∼
Cette liaison interne donne lieu à une nouvelle théorie du milieu micromorphe
élastoplastique, plutôt économique puisqu’il n’est plus besoin d’écrire de loi
d’écoulement pour la partie plastique du gradient de micro–déformation. En contrepartie, il faut la formuler comme un modèle à gradient de variable interne (en l’occurrence
p
p
e
e
on retient ℵ
:̇ (ε
⊗ ∇) − e
⊗ ∇) et inclure ℵ
:̇ (ε
⊗ ∇) − e
⊗ ∇ dans l’énergie
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
∼
libre. On trouvera la formulation complète dans (Forest and Sievert, 2003).
Enfin, dans le cas d’un milieu de Cosserat, il possible aussi d’exprimer le tenseur de
courbure en fonction du gradient de la déformation relative. Dans le contexte des petites
perturbations, cela se voit à travers les relations :
e
p
e
= u ⊗∇+∼
.Φ = e
+e
∼
∼
∼
(2.127)
41
2.4. RÉSUMÉ : ABRÉGÉ DE MMCG
e
⊗∇ = u ⊗∇⊗∇+∼
.κ
∼
∼
(2.128)
où Φ est ici le vecteur micro–rotation de Cosserat. Finalement, nous obtenons
κ
=
∼
1
T
+e
))
: (e ⊗ ∇ + ∇ ⊗ (e
∼
∼
2∼ ∼
(2.129)
Cette équation est explicitée au paragraphe 1.3, équation (B.18). Un opérateur d’ordre
5 ℵ est défini, tel que :
∼
∼
⊗ ∇)
κ
= ℵ :̇ (e
∼
∼
(2.130)
∼
∼
Il est naturel alors de décomposer le tenseur de courbure totale en deux contributions :
e
e
κ
:= ℵ :̇ (e
⊗ ∇),
∼
∼
∼
∼
p
p
κ
:= ℵ :̇ (e
⊗ ∇)
∼
∼
(2.131)
∼
∼
La théorie non–linéaire de Cosserat qui en résulte fait par conséquent l’économie d’une
p
loi d’évolution pour κ̇
(Ehlers and Volk, 1998; Forest and Sievert, 2003).
∼
m zy
σ yy
σ xy
σ yx
m zx
y
+
=
σ xx
x
L
σ xx
mzx
Figure 2.1 : Illustration des forces et couples de contraintes qui s’appliquent sur un
élément de volume de milieu de Cosserat.
2.4
RÉSUMÉ : ABRÉGÉ DE MMCG
Dans les tableaux 2.1, 2.2 et 2.3 sont rassemblées les équations caractérisant les milieux
de Cosserat, micromorphe et du second gradient. En particulier les relations d’élasticité
isotrope sont données, dans le contexte des petites transformations. Toutes les équations
sont écrites également sous forme indicielle pour éviter toute ambiguı̈té. Il faut bien
faire la distinction entre un milieu de Cauchy éventuellement soumis à des couples de
volume c , dus par exemple aux forces de Laplace en électromagnétisme, et un milieu
de Cosserat pour lequel il existe des couples de surfaces décrites par le tenseur m
des
∼
couples de contraintes. L’interprétation de ces couples de contraintes est suggérée par le
schéma de la figure 2.1. Le chapitre suivant permettra de donner des interprétations plus
précises dans le cas de matériaux hétérogènes grâce à l’homogénéisation. Le milieu de
Cosserat fait l’objet de l’ouvrage de (Nowacki, 1986) où l’élasticité est étudiée de fond
en comble.
Remarquons que le tenseur des forces de contraintes σ
dans le modèle de Cosserat
∼
n’est en général pas symétrique car c’est la grandeur duale de la déformation relative
42
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
e
, elle–même généralement non symétrique. Par rapport à la théorie micromorphe, ce
∼
tenseur de contrainte peut être interprété de la manière suivante :
Cosserat
micromorphe
σ
=σ
+ }∼
s{
∼
∼
(2.132)
Les constantes d’élasticité sont au nombre de 5 pour un milieu du second gradient
isotrope, 6 pour un milieu de Cosserat isotrope, et 11 pour un milieu micromorphe
(si les termes de couplage sont nuls, 18 sinon). Nous obtenons l’équivalence des relations contraintes d’ordre supérieur/gradient de (micro)–déformation pour les cas micromorphe et second gradient, en faisant dans le potentiel micromorphe
A1 = A2 , A3 , A4 = A5 = A8 , A10 = A14 , A11 = A13 = A15
(2.133)
Les notations retenues sont issues de (Kessel, 1964; Toupin, 1964; Mindlin, 1964;
Mindlin and Eshel, 1968; Ilcewicz et al., 1986).
Il est essentiel de noter l’unité des constantes d’élasticité liant les courbures aux couples
de contraintes, ou le second gradient aux hypercontraintes : MPa . mm2 . Il est possible
par exemple d’écrire la constante β de l’élasticité isotrope sous la forme :
β = µle2
(2.134)
en faisant explicitement apparaı̂tre la longueur caractéristique le .
Lorsque le module µc de l’élasticité isotrope des milieux de Cosserat devient très grand,
la partie antisymétrique de la déformation de Cosserat, autrement dit la rotation relative
tend vers 0, afin que les contraintes restent finies. Le cas limite µc = ∞ correspond au
milieu de Cosserat contraint, dit de Koiter (couple–stress theory).
Une dernière remarque permet de faire le lien entre une théorie micromorphe simplifiée
et une classe de modèles non locaux bien étudiée dans la littérature (Peerlings et al.,
2001). Nous considérons pour cela un milieu micromorphe pour lequel seule la partie
symétrique χs de χ est retenue (microstrain model, dans la terminologie d’Eringen).
∼
∼
Les lois d’élasticité de ce milieu micromorphe sont mises sous la forme très simplifiée :
s = b(ε
− χs )
∼
(2.135)
S
= AK
∼
∼
(2.136)
∼
∼
où A et b sont les seuls modules introduits. Les autres lois de comportement concernant
σ
et ∼
ε peuvent être quelconques (en particulier non linéaires). La seconde équation
∼
d’équilibre du milieu micromorphe prend alors la forme suivante :
χsij −
A
∆χsij = εij
b
(2.137)
où ∆ désigne l’opérateur laplacien. On reconnaı̂t dans cette équation une extension de
la formulation dite implicite de gradient de déformation (implicit gradient formulation)
étudiée dans le détail dans (Peerlings et al., 2001). La variable χs y prend le nom un
∼
peu trompeur de déformation non locale. Il s’agit bien d’une extension car la formulation originale ne considère qu’un invariant scalaire de la déformation et non le tenseur
complet de déformation ∼
ε. Ce modèle un peu ad hoc dans la littérature apparaı̂t ici
comme un cas particulier de milieu d’ordre 2.
43
2.4. RÉSUMÉ : ABRÉGÉ DE MMCG
Degrés de liberté
(u , Φ )
(ui , Φi )
Mesures de déformation
e
= u ⊗∇+∼
.Φ
∼
κ
=
Φ
⊗∇
∼
eij = ui,j + ijk Φk
κij = Φi,j
Equations d’équilibre
σ
.∇ + f = 0
∼
m
.∇
−
:
σ
+c =0
∼
∼
∼
σij,j + fi = 0
mij,j − ijk σjk + ci = 0
Conditions aux limites
t =σ
.n ,
∼
M =m
.n
∼
ti = σij nj ,
Mi = mij nj
Elasticité isotrope
}
{
σ
= λ1
Tr e
+ 2µ { e
+ 2µc } e
∼
∼
∼
∼
∼
{ }
} {
µ = α1
Tr κ
+ 2β κ
+ 2γ κ
∼
∼
∼
∼
∼
σij = λekk + (µ + µc )eij + (µ − µc )eji
mij = αekk + (β + γ)κij + (β − γ)κji
Tableau 2.1: Milieu de Cosserat : équations de bilan et lois d’élasticité isotrope
44
CHAPITRE 2. THERMOMÉCANIQUE DES MILIEUX CONTINUS GÉNÉRALISÉS
Degrés de liberté
(u , χ)
∼
(ui , χij )
Mesures de déformation
ε = { u ⊗ ∇}
e
=u ⊗∇−χ
∼
∼
K
=χ⊗∇
∼
∼
∼
εij = u(i,j)
eij = ui,j − χij
Kijk = χij,k
Equations d’équilibre
(σ
+∼
s).∇ + f = 0
∼
(σij + sij ),j + fi = 0
S
.∇ + ∼
s+P
=0
∼
∼
Sijk,k + sij + Pij = 0
Conditions aux limites
t = (σ
+∼
s).n ,
∼
.n
M
=S
∼
∼
ti = (σij + sij )nj ,
Mij = Sijk nk
Potentiel d’élasticité isotrope
W
1
1
1
1
λεii εjj + µεij εij + b1 eii ejj + b2 eij eij + b3 eij eji
2
2
2
2
+ g1 εii ejj + g2 εij (eij + eji )
1
1
+ A1 Kiik Kkkj + A2 Kiik Kjkj + A3 Kiik Kjkk + A4 Kijj Kikk
2
2
1
1
+ A5 Kijj Kkik + A8 Kiji Kkjk + A10 Kijk Kijk
2
2
1
1
1
+ A11 Kijk Kjki + A13 Kijk Kikj + A14 Kijk Kjik + A15 Kijk Kkji
2
2
2
=
Relations d’élasticité isotrope
σij = λεpp δij + 2µεij + g1 epp δij + g2 (eij + eji )
sij = g1 εpp δij + 2g2 εij + b1 epp δij + b2 eij + b3 eji
Spqr
= A1 (Krii δpq + Kiip δqr ) + A2 (Kiiq δpr + Kiri δpq ) + A3 Kjjr δpq
+ A4 Kpii δqr + A5 (Kipi δqr + Kqii δpr ) + A8 Kiqi δpr
+ A10 Kpqr + A11 (Kqrp + Krpq ) + A13 Kprq + A14 Kqpr + A15 Krqp
Tableau 2.2: Milieu micromorphe : équations de bilan et lois d’élasticité isotrope