reportage_Laurent Grabet
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Reportage, Laurent GRABET, 24 Heures Riviera Chablais Bienvenue au Club (VD)! PROSTITUTION Le salon de Roche fait sa pub aux quatre coins du canton depuis des mois. Incursion anonyme dans un «Temple du charme» pas franchement charmant. Ici à Roche, on parle «pipe» et «levrette» comme de la pluie et du beau temps. Les clients sont recouverts d’un seul peignoir aux armes du lieu. Les «filles» aussi ont leur uniforme. Lingerie sexy pour la plupart. Mais les proprios ont l’esprit large: le minishort et le décolleté sont également tolérés. Bienvenu au Club! « À Roche, au cœur de la zone industrielle, nous n’avons pas les mêmes valeurs que les autres salons de massage. Quatre-vingts francs vous suffiront pour le découvrir ». C’est ce que disent ces affiches, qui de Huémoz à Lausanne, vantent depuis plusieurs mois au format XXL les mérites des «plus belles filles de Romandie». Celles du club bien sûr. «Bonjour», lance la réceptionniste drapée dans une politesse masquant mal un certain mépris. L’une de ses missions consiste à remettre au nouveau venu un bracelet, sésame équipé de deux clés. Une pour le vestiaire. L’autre pour accéder aux chambres. Mais rien ne presse. Il est à peine 22h. Jogger en peignoir Les clients, du fringant jeune majeur au quinquagénaire ventripotent, arpentent en sandalettes quelques 1800 m2 répartis sur deux niveaux. Le tout dans une ambiance de joyeux copinage viril. L’improbable ballet peut prendre quelques minutes comme deux heures. Du bar au sauna. Du sauna au billard. Du billard au hammam. Du hammam au bar encore. Du bar au jacuzzi. Du jacuzzi à la chambre enfin. Seule la salle de fitness est totalement désertée. Pas évident de courir quasi nu sur un tapis roulant! De toute façon, les gaillards ne sont pas venus pour ça. Au mur, des fresques érotiques évoquant les lupanars de Pompéi rappellent aux étourdis la direction à suivre. Le plus vieux métier du monde n’a pas pris une ride depuis l’éruption du Vésuve. Dans la grande salle du bar, un écran diffuse un pot-pourri de séquences hard jusqu’à ce qu’excitation, copulation et facturation s’en suivent. La mécanique de l’amour sans amour est bien huilée : la porte de la chambre s’ouvre et claque, le verrou tourne, les jambes s’écartent. Capote. Lubrifiant. C’est parti. Cent vingt francs la demi-heure. Deux cents quarante l’heure. Les victimes consentantes y mettent, paraît-il, du cœur. Rêves de normalité d’une jeune Croate La dizaine de filles présentes ne pousse pas à la consommation. Ni de leurs charmes. Ni des boissons alcoolisées. Elles aussi paient leur entrée. La direction les considère comme des clientes. C’est là l’astuce. Ces indépendantes régulières ou non - sont libres d’agir à leur guise confiait le gérant il y a quelque mois. Imparable défense en cas de descente de police (24 heures du 26 mai 2007)! Beaucoup de ces prostituées, souvent originaires de l’Est, sont sur le pied de guerre depuis 14h et il est déjà minuit passé. Machos, boulot, dodo. Leurs dérisoires parades amoureuses ne le deviennent que davantage à mesure que tournent les aiguilles. Pas grave. Elles font souvent mouche quand même. Et quand ce n’est pas le cas, parfois certaines se lâchent: «J’attends d’avoir assez d’argent, je retourne chez moi, je me marie et je fonde une famille», explique par exemple Juliana* en italien. Le cliché sent le vrai. La plantureuse Croate de 25 ans avoue ne quasiment pas mettre les pieds dehors. Huit heures par jour, elle tente d’enchaîner les passes. Chacune, espère-t-elle, la rapproche de ses rêves de normalité. Comme la plupart de ses «collègues», elle bénéficie d’un visa touriste de trois mois. Christa* concède (en anglais) «pratiquer» en Suisse depuis un an. Et la Bulgare de 23 ans d’estimer soudainement plus raisonnable de s’en tenir aux banalités d’usage. Comme dans un mauvais porno Ici capitalisme et clients sont rois. Trois trentenaires vaudois se sont «payé deux Brésiliennes canons dans une chambre superclasse». Les potes reviennent avec enthousiasme sur leur «exploit». Scénario bâclé de mauvais porno. «Aller, on se casse. Ici c’est glauque», conclut finalement le plus âgé aux faux airs de Franck Dubosc. Post coïtum animal triste… et de mauvaise foi. Le voilà rhabillé. Son look est classieux. Presque BCBG. Un amateur CSP + de galipettes tarifées parmi d’autres. De son côté, Gustave*, bobo parisien de passage dans la région, a satisfait sa curiosité. Mais pas son «penchant pour le frotti-frotta». Sa bonne conscience l’en a empêché. «A moins que ce ne soit ma timidité ou mon faible taux d’alcoolémie», s’interroge-t-il en renfilant son pantalon aux vestiaires. Deux Kosovars d’environ 25 ans font leur entrée en saluant bruyamment un employé. Des habitués. Il est 1h du matin. Il leur reste une heure. C’est clair: eux n’auront pas les états d’âme du banquier français. * Prénoms fictifs © Sauf accord de l’auteur et de la direction du CRFJ, ces travaux, réalisés dans le cadre de la formation, ne sont pas destinés à la publication ni à la diffusion.