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Témoignage de Ghislaine Siguier – 2 novembre 2015
C’était un petit village d’un calme exemplaire, assez éloigné des axes principaux et de la voie
ferrée. Pas d’industrie, pas de commerces, 350 âmes vivant dans la meilleure entente. Parfois on se
serait cru seul au monde dans ce silence.
Puis une maison s’est vendue, une nouvelle famille s’est installée. Il se disait promoteur éolien avec
mission d’implanter des éoliennes sur toute la côte ouest. Nous étions tous favorables à l’éolien et
lui avons ouvert les bras. Il lui fallait une vitrine pour son commerce et nos élus ont saisi la balle au
bond. En secret. Lorsque nous avons appris l’existence du projet, il était achevé. Ce qui nous a
choqués, c’était d’abord la réaction offusquée d’une élue, apprenant la nouvelle par la presse. Notre
maire clamait pourtant que tout s’était fait dans la transparence ! Ce qui nous a contrariés, c’était la
hauteur de ces machines, 135 m en bout de pale, et la proximité du lieu d’implantation ainsi que
l’endroit, jugé à l’unanimité le plus pénalisant pour le village. Ce qui était illégal, c’était que nos
élus soient parties prenantes dans le projet, décisionnaires et bénéficiaires, mais nous avait affirmé
le maire, « il s’agit d’un projet d’utilité publique ». Quant aux élus, ils se sacrifiaient pour la bonne
cause, devenus d’un coup de baguette magique, de vrais écolos !
Nous avons tenté de faire déplacer le lieu d’implantation et le type de machines. Trop tard, le
« promoteur » n’était qu’un VRP de cette marque, il n’était pas question de modifier quoi que ce
soit. Ce fut une longue bataille, à armes inégales : des boulettes de mie de pain contre des blindés.
Nous avions eu beau mettre en avant le niveau sonore annoncé par la fiche technique 103 dB, (fiche
aussitôt retirée du site Internet du promoteur), les effets des infrasons dont nous avions appris
l’existence, l’impact sur la valeur de l’immobilier, rien n’y fit, même pas les enquêtes publiques.
D’abord le commissaire enquêteur a nié l’objet du projet. Ces quatre grands cercles sur le plan que
nous n’avions même pas pu voir dans un premier temps, nous contraignant à revenir en groupe, ne
représentaient pas forcément des éoliennes. Il pouvait s’agir de bassins de lagunage, ou d’antennes
relais, ou, ou… Pour la seconde enquête publique, les avis défavorables étaient nettement
majoritaires. Beau succès car il avait fallu braver la menace du maire : « il y aura du retour de
bâton pour ceux qui s’opposeront ! » Cela n’avait pas été un frein pour le commissaire enquêteur
qui avait délivré, sans aucun état d’âme, tournant au ridicule les craintes des opposants, un avis
favorable. Le Préfet, quant à lui, avait son idée : pas d’éoliennes à moins de 900 m des habitations,
mais, après de très longues réflexions, lui faisant dépasser le délai de plus de cinq mois pour signer
le permis de construire, il s’était décidé, juste avant de prendre son fameux décret des 900 m !
Elles sont arrivées d’Allemagne au printemps, par tronçons, énormes sur des camions hors gabarit
précédés de CRS. La grue phénoménale est arrivée du Jura avec le personnel. Le village s’est
transformé en chantier géant, des panneaux « Achtung » ont fleuri accompagnés de gardien et
molosse. Un boucan infernal, de la poussière, l’apocalypse.
Puis elles se sont dressées, immenses. Certains, qui n’avaient osé s’opposer, ont commenté : « Ben
si on avait su qu’elles seraient aussi hautes, on n’aurait pas été d’accord ! » Elles ont commencé à
tourner, et nous nous sommes crus à Roissy un jour de grand départ. Tout le ciel résonnait de ce
boucan, de jour comme de nuit.
Dès le début je les ai senties entrer en moi, elles prenaient possession de mon cœur, comme la
batterie d’un orchestre « boum-boum ». Je vibrais des pieds à la tête. Ce qui nous a fait comprendre
le départ précipité du « promoteur » ayant vendu sa maison dès la première éolienne implantée. Il
n’allait pas supporter lui-même les nuisances coûteuses (14 M€) qu’il venait d’ériger sous nos
fenêtres !
II ne fallait rien dire. C’était le mot d’ordre. Nous aurions des sous en compensation, se répandait
notre maire dans la presse. Puis les sous furent captés au passage par le département et la
communauté de communes. Notre maire, avec cette logique qui n’appartient qu’à lui, a fait le tour
de la presse locale pour déplorer que nous ayons à subir les nuisances sans percevoir notre part
d’IFER, ce qui n’était pas juste. Nous avions les nuisances, il était normal que nous soyons
dédommagés !
Oui, sauf que de nuisances, il ne devait pas y en avoir, avait affirmé le promoteur, et qu’il était
interdit d’aborder le sujet, sous peine de se faire qualifier d’en être une soi-même ! Le sommeil est
devenu plus improbable, tant le niveau sonore, auquel nous n’étions pas habitués, nous stressait.
Rester dehors, pour profiter de son jardin est devenu, certains jours, totalement impossible. Plus de
repos dedans, l’enfer dehors. Maux de tête, acouphènes sont entrés dans ma vie. Ceux qui ne
ressentaient rien, ou le prétendaient, fidèles au « il ne faut rien dire », haussaient les épaules !
« C’est dans votre tête ! » Autant se taire ! C’est beaucoup plus tard que j’ai perçu les infrasons, du
moins consciemment. Car si nous en avions eu connaissance avant l’implantation, cela restait de la
théorie. Personne n’en avait tâté ; comment le cas échéant le saurions-nous ? Je me souviens d’avoir
lu un témoignage d’une femme qui avait des nausées la nuit, et d’avoir haussé les épaules en
pensant : il ne faut quand même pas exagérer ! Oui, mon sommeil était devenu agité, je ne trouvais
de repos que dans la forêt landaise où nous avions installé notre caravane et où nous nous évadions
assez souvent, mais je ne savais pas relier mon malaise aux infrasons.
C’est quand j’ai été tirée du lit, vers les 3 h du matin, avec de violentes nausées, prise de panique,
en sueur, n’ayant plus qu’une idée fixe, me sauver, que j’ai fait le lien. Il ne manquait plus que ça !
Toute ma vie j’avais subi le mal des transports, le mal de mer, et voilà que dans un lit stable, dans
une chambre parfaitement horizontale, je ressentais le mal de mer ! Dès la seconde fois, j’ai attrapé
une couette, des chaussettes, un oreiller et je suis partie au loin. Je percevais toujours ce petit bruit
obsédant, comme une vrille dans ma tête. J’ai expérimenté tous les villages, choisissant la place de
la mairie comme dortoir… Jusqu’à 18 km je percevais cette litanie obsédante, enfermée dans ma
petite voiture sans aucun confort.
Puis j’ai eu des douleurs cardiaques. « Déménagez le plus vite possible » m’a ordonné ma
généraliste. Soit, mais avec quels moyens ? J’abandonne une maison que j’ai restaurée pendant plus
d’une décennie, et je loue un taudis ? « Allez passer une ou deux semaines chez votre fille, pour
vous reposer », avec une boîte d’Alprazolam en prime ! J’obtempère car je suis à bout. À miparcours, je constate que mon cœur ne serre plus, que ma tête est redevenue libre. Grand bonheur.
De courte durée car au milieu de la nuit j’entends cet espèce de bruit indescriptible, insupportable,
signature inimitable des infrasons éoliens ! 9 km à vol d’oiseau me séparent des éoliennes de
Lacombe. J’ai fait 500 km pour me retrouver à la case départ !
De retour chez moi, après un automne sous vents d’ouest humides trois semaines consécutives où
pas une nuit de repos n’est permise, pour profiter d’un soudain rayon de soleil je pars marcher avec
une amie. D’un coup je tombe sur la chaussée, mes lunettes me cassent le nez. L’urgentiste me
déclare : « Beau travail, bravo ! ». Je rétorque : « Oui et je suis tombée sans raison, comme une
crêpe qui retombe dans la poêle ! ». Il me lance un regard aigu. Je pense : il ne me croit pas ! « Ma
petite dame, nous allons procéder à des examens du cœur, etc., car contrairement à ce que vous
affirmez, on ne tombe jamais sans raison ! ». Examens négatifs, il s’installe avec son bloc-notes :
« Alors parlons un peu de votre vie, de votre sommeil... ». Directement ou indirectement les
infrasons ont causé cette chute. À qui se plaindre ? Personne ne me croit, même pas mes enfants.
« Tu n’as qu’à mettre des boules Quies ! » Et te taire, c’est le refrain classique des sceptiques.
J’enrage.
La vie continue, maux de tête, acouphènes, humeur de bouledogue, insomnies, nausées, douleurs
cardiaques, les mêmes maux, ce qui varie c’est l’ordre de passage de ceux-ci, en fonction de la force
du vent, de son orientation, de l’humidité.
Avant les élections je demande à la première adjointe qui a toutes les chances d’être élue, ce dont je
me félicite, un peu d’intelligence ne pouvant nuire, s’il y a une chance de faire arrêter les éoliennes
la nuit ? - « Si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à déménager ! », le téléphone m’en tombe des mains
! En en reparlant six mois plus tard, alors qu’elle est élue, que nous discutons sur le trottoir, j’en
profite pour glisser : « Trouves-tu normal qu’à 65 ans je sois obligée d’aller dormir sur la
banquette inconfortable de cette petite voiture ? » En femme pratique elle me répond : « Achètes-toi
un camping-car et pars à 30 km pour aller dormir au calme ! » C’est alors que je lui parle de mes
nouveaux maux, je me croyais pourtant copieusement servie, apparemment je pouvais mieux faire.
Voilà que mon corps vibre. Des vibrations fines, un peu comme lorsque l’on grelotte. Au début cela
me prenait lorsque je changeais de position, en particulier derrière les genoux. Ces vibrations
s’installent maintenant de plus en plus souvent. Elle est dubitative.
Le temps passe sans que rien ne change. Mes courriers à la préfecture restent sans effets. Impossible
de faire arrêter ces éoliennes la nuit, ou simplement lorsqu’elles ne produisent pas. Car ce sont des
Enercon E66 sans boîte de vitesses qu’un léger souffle peut entraîner – voire pas de souffle du tout,
puisque même par temps de brouillard où pas une molécule ne bouge, elles tournent, bien secondées
par fée électricité. À se demander si elles ne transformeraient pas du courant nucléaire en courant
éolien ! Le gestionnaire se vante de leur fonctionnement de 95 à 96,4 % du temps, soit l’équivalent
en nuisances pour nous autres les cobayes vivant dessous ! Elles ne s’arrêtent que pour la
maintenance (de jour) ou lorsque ERDF n’approvisionne pas le réseau.
Une nuit, brutalement, une « décharge électrique » traverse mon cerveau ! Comme un éclair d’orage
dans le ciel ! Il est accompagné d’un bruit « métallique ». Et ce ne sera pas la seule ! Ce qui devient
rare, c’est une nuit sans décharges électriques ! Un soir, couchée en chien de fusil en attendant que
le lit se réchauffe, je reçois une décharge fulgurante et aussitôt mes jambes repliées, remontent vers
mon thorax. Ceci en quelques secondes se produira trois fois, me laissant totalement désemparée.
Au fur et à mesure du temps de nouvelles manifestations sont apparues, sans effacer les
précédentes, sans savoir quels sont les dégâts occasionnés dans mon organisme. Je suis fatiguée, je
perds mon souffle, tout effort m’épuise, je me recroqueville sur moi-même, je n’ai plus de vie
sociale, je ne peux plus respecter un horaire, un rendez-vous, je peux me coucher à n’importe quel
moment, ne tenant plus debout, j’ai besoin de récupérer, l’obsession d’une nuit de vrai repos ne me
quitte plus. Mon moral est très bas. Je n’ai plus aucun espoir. L’éolien industriel est une
industrie sans morale, uniquement avide de fric. Partout où elle passe, elle corrompt les élus.
Elle ruine les peuples. Elle se prétend verte et elle est noire. Elle prétend résoudre des
problèmes de pollution alors qu’elle en crée. C’est une truqueuse, une illusionniste
dangereuse.
Ghislaine Siguier
Ce témoignage est publié sur le site Internet Friends against wind :
http://fr.friends-against-wind.org/testimonies/eoliennes-pas-de-repos-dedans-et-l-enfer-dehors