A LA RECHERCHE DU DROIT D`APPEL DANS

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A LA RECHERCHE DU DROIT D`APPEL DANS
A LA RECHERCHE DU DROIT D’APPEL DANS LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
1
EN BELGIQUE
INTRODUCTION
1. Qu’en est-il de la faculté de faire appel de décisions juridictionnelles prononcées en
première instance au contentieux administratif en Belgique ? Pour qui ne possède que
quelques rudiments sur l’organisation et le fonctionnement de la justice rendue en matière
administrative en Belgique, la réponse tiendra en peu de mots : il y a pour toute la Belgique
un Conseil d’Etat, lequel statue en premier et dernier ressort, exceptées les hypothèses dans
lesquelles il intervient en cassation administrative, voire en pleine juridiction.
Autant y insister d’emblée, le droit d’appel n’est envisagé ici que dans l’ordre
juridictionnel et comme voie de recours ordinaire. Les recours purement administratifs sont
donc négligés, en particulier les recours préalables obligatoires. Au contentieux de l’excès de
pouvoir, l’épuisement de cette voie de recours est une condition de recevabilité du recours en
annulation devant le Conseil d’Etat; en règle, l’acte susceptible d’être attaqué devant ce
dernier est celui qui a été rendu à la suite du recours administratif 2 .
2. Ainsi donc, il n’y aurait pas de place réservée à l’appel dans le contentieux
administratif en Belgique. Voilà qui est un peu court. Les mots “Il y a pour toute la Belgique
un Conseil d’Etat” introduisent la première phrase de l’article 160 de la Constitution, mais
celle-ci ne s’arrête pas là et la disposition en contient d’autres. Au reste, la Constitution belge
recèle plusieurs règles dont l’objet touche à l’organisation du contentieux administratif.
Au départ et au-delà d’elles, il est donné de s’apercevoir que, somme toute, le
justiciable dispose bel et bien de la faculté de faire appel dans certains litiges administratifs.
C’est que le contentieux administratif ne se réduit évidemment pas au recours en annulation
pour excès de pouvoir. Au reste, une esquisse de la manière dont ce contentieux est organisé
en Belgique permet de se rendre compte que le Conseil d’Etat ne détient pas un monopole sur
la justice administrative.
Tel sera le premier acte de la pièce.
3. Décrire l’organisation du contentieux administratif en Belgique, oblige à devoir
constater que celle-ci ne répond à aucune logique d’ensemble. Ce n’est pas à dire que serait
bannie toute réflexion sur ce que la justice administrative devrait être. Que du contraire, les
idées foisonnent, et depuis longtemps ! Il sied toutefois d’en convenir, la gestation est longue
et difficile.
Contribution rédigée à l’occasion de la journée d’études sur le thème de l’appel, organisée à
1
Nancy, le 6 juin 2008, par la Conférence des Présidents de Tribunal administratif et de Cour administrative
d’appel de France.
Sur cette question, R. ANDERSEN et P. NIHOUL: “Les principes généraux applicables aux
2
recours administratifs internes”, in L’administration contestée - Les recours administratifs internes, Bruxelles,
Bruylant, 2006, pp. 6 et s.
La toute récente irruption, en droit positif, du Conseil du contentieux des étrangers
autorise à croire qu’une impulsion décisive a été donnée. En droit des étrangers, le recours
pour excès de pouvoir passe du Conseil d’Etat vers cette nouvelle juridiction. L’appel y est
négligé, mais un recours en cassation administrative au Conseil d’Etat est institué. Cette
réforme servira-t-elle de modèle à une refonte en profondeur du contentieux administratif en
Belgique ? D’autres orientations sont possibles, aucune éventualité n’est à exclure.
Le deuxième acte permettra de s’en apercevoir.
4. Au sein du Conseil d’Etat de Belgique, coexistent deux grands corps qui, s’ils sont
indépendants l’un de l’autre, n’en oeuvrent pas moins en bonne intelligence. Cette
collaboration confiante se caractérise par la règle du double examen. En principe, elle trouve
à s’appliquer pour chacun des dossiers dont le Conseil d’Etat a à connaître. Tel est en
particulier le cas dans la section du contentieux administratif 3 . La part prise par le membre
de l’Auditorat au contentieux de l’excès de pouvoir mérite que l’on s’y attarde. Deux raisons
militent en ce sens. C’est que, tout d’abord, le traitement des recours en annulation des actes
administratifs unilatéraux est, au Conseil d’Etat, le plus important en volume. Et il se trouve
également que certaines règles de procédure propres à ce contentieux évoquent le droit
d’appel, sans pour autant se confondre avec lui. Une brève incursion dans le référé
administratif parachèvera l’excursion.
Ensuite et enfin, il sera temps de conclure. Mais c’est bien l’appel qui servira de fil
conducteur au propos.
UNE ESQUISSE DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
5. La Belgique naît en 1830, son Conseil d’Etat voit le jour le 9 octobre 1948.
L’explication de cette naissance tardive est de nature historique. Les pères fondateurs du
jeune Etat belge avaient connu les régimes français et hollandais; ils ne souhaitaient pas
reproduire leurs modèles. Le Constituant de 1831 avait toute confiance dans le pouvoir
judiciaire. Un temps timoré dans son contrôle de l’action de l’administration, pour cause de
séparation des pouvoirs, le pouvoir judiciaire s’est enhardi au fil des ans. Le point d’orgue de
cette évolution fut très certainement l’arrêt La Flandria, rendu par la Cour de cassation en
1920 4 . Sans doute mue par la crainte, entretenue par d’aucuns, de voir quand même survenir
un Conseil d’Etat, la Cour de cassation a alors posé les premiers jalons de la compétence de
principe des juridictions de l’Ordre judiciaire pour connaître de la responsabilité civile de la
puissance publique.
Au gré du temps et des besoins, des juridictions administratives à compétence
spéciale ont également vu le jour. Parmi elles, certaines demeurent et d’autres ont fait leur
temps. Dans cette dernière catégorie figurent les conseils de milice et, en degré d’appel, le
Conseil supérieur de milice ; ces juridictions administratives, qui avaient à juger des
3
Le Conseil d’Etat comprend également une section de législation. Par le truchement de celleci, il joue un rôle consultatif en donnant des avis sur des textes à l’état de projet aux pouvoirs législatif et
exécutif.
4
Cass. 5 novembre 1920, Pas., 1921, p. 192.
contestations touchant au service militaire obligatoire, ont disparu avec ce dernier. La
Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux
sauveteurs, quant à elle, compte parmi les juridictions administratives bien vivantes.
D’ailleurs assez récente 5 , elle rend des décisions qui ne sont pas susceptibles d’appel ; un
recours en cassation auprès du Conseil d’Etat est cependant possible. Le nombre de
juridictions administratives à compétence spéciale, présentes et passées, se comptent par
centaines, au point de former une véritable mosaïque 6 . Elles n’ont jamais connu de régime
uniforme et le contentieux dont elles ont à connaître est des plus variables (sécurité sociale,
dommages de guerre, allocations d’études...). Parmi les plus actives aujourd’hui figurent
encore, notamment :
1°) les juridictions ordinales et professionnelles de première instance et d’appel, avec
un pourvoi possible auprès de la Cour de cassation;
2°) le Conseil de la concurrence dont les décisions peuvent faire l’objet, selon les cas,
d’un recours devant la Cour d’appel de Bruxelles ou d’un pourvoi devant la Cour de
cassation 7 ;
3°) les juridictions spéciales chargées du contentieux électoral communal, contre les
décisions desquelles il peut être fait appel auprès du Conseil d’Etat;
4°) la Commission des pensions de réparation et la Commission d’appel, chargées
d’indemniser les militaires victimes de lésions physiques dans l’exercice de leurs
fonctions, dont les décisions prononcées en appel peuvent faire l’objet d’un recours en
cassation administrative devant le Conseil d’Etat 8 ;
5°) la Commission pour l’indemnisation de détentions préventives inopérantes, dont
les décisions ne sont susceptibles d’aucun recours 9 ;
6°) les chambres de première instance et les chambres de recours instituées auprès du
Service d’évaluation et de contrôle médicaux, dont les décisions prononcées en appel
peuvent faire l’objet d’un recours en cassation administrative devant le Conseil d’Etat
10
;
7°) l’organe de recours en matière d’habilitations de sécurité pour l’accès à certains
locaux, bâtiments ou sites, dont les décisions ne sont susceptibles d’aucun recours 11 ;
8°) le Conseil d’Etablissement chargé de connaître du refus d’accès à certaines
professions réglementées, dont les décisions sont susceptibles d’être déférées en
Loi du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres.
Pour un inventaire complet, voy. I. SIRJACOBS et H. VANDEN BOSCH : Les juridictions
administratives en Belgique depuis 1875, tomes I et II, Bruxelles, Archives générales du Royaume, 2006.
7
Loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006.
Lois sur les pensions de réparation, coordonnées le 5 octobre 1948.
8
9
Loi du 13 mars 1973 relative à l’indemnité en cas de détention préventive inopérante.
10
Loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet
1994.
11
Loi du 11 décembre 1998 portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations,
d’attestations et d’avis de sécurité.
5
6
cassation administrative devant le Conseil d’Etat 12 ;
9°) le Conseil du contentieux des étrangers dont les décisions sont susceptibles d’être
déférées en cassation administrative auprès du Conseil d’Etat 13 .
6. Ce développement empirique de la justice administrative en Belgique n’a, jusqu’à
ce jour, jamais cessé. Que l’on se rassure, tout ce petit monde trouve bien évidemment refuge
dans la Constitution ! L’ensemble du contentieux administratif se nourrit d’ailleurs d’elle.
6.1. L’article 144 de la Constitution réserve au pouvoir judiciaire les contestations qui
ont pour objet des droits civils. Le siège de la responsabilité quasi délictuelle figure à
l’article 1382 du Code civil. Voilà qui fonde la compétence des juridictions judiciaires pour
connaître des actions en dommages et intérêts dirigées contre les personnes morales de droit
public en cas de faute commise par celles-ci 14 . Semblable raisonnement prévaut aussi pour
les litiges nés de la formation, l’interprétation, l’exécution et la dissolution des contrats
conclus par l’administration 15 .
Selon les termes de l’article 145 de la Constitution, les contestations qui ont pour
objet des droits politiques sont également du ressort des cours et tribunaux, sauf les
exceptions établies par la loi. C’est sur la base de ce principe que le législateur a confié aux
juridictions judiciaires le pouvoir de juger des contestations relatives à l’application d’une loi
d’impôt 16 . Sont ainsi notamment visées les contestations relatives aux impôts sur les revenus,
à la taxe sur la valeur ajoutée, aux taxes communales 17 . C’est cependant au bénéfice de
l’exception contenue dans la disposition constitutionnelle précitée que le contentieux
électoral communal a pu être confié à des organes juridictionnels dont le nombre et la
composition varient selon les Régions 18 .
Quant à l’article 146 de la Constitution, il énonce que nulle juridiction contentieuse ne
peut être établie qu’en vertu d’une loi. Il trouve un prolongement dans l’article 161 de la
Constitution qui porte qu’”aucune juridiction administrative ne peut être établie qu’en vertu
d’une loi”. Toute la panoplie des juridictions administratives à compétence spéciale trouve un
fondement dans ces dispositions constitutionnelles.
6.2. Dans la Constitution, le titre II, chapitre VI comprend les articles 144 à 159
consacrés au pouvoir judiciaire. Les articles 160 et 161, qui forment le chapitre suivant,
concernent le Conseil d’Etat et les juridictions administratives. Ces deux dernières
12
13
14
Loi du 26 juin 2002 relative à l’instauration du Conseil d’Etablissement.
Voy. infra, n° 7.3.
Le Conseil d’Etat est compétent, en ordre subsidiaire, pour allouer des indemnités lorsqu’en
l’absence de toute faute, naît un dommage exceptionnel provoqué par une rupture d’égalité des citoyens devant
les charges publiques (lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, art. 16). Ce contentieux n’a donné lieu qu’à de
très rares arrêts d’indemnisation. Pour deux exemples récents, arrêts Mathot, n° 155.468 du 22 février 2006 et
Delatte, n° 177.946 du 30 novembre 2007.
15
A l’exception notable de la théorie des actes détachables. Sur celle-ci, voy. not. J. SALMON :
Le Conseil d’Etat, tome 1er, Bruxelles, Bruylant, 1994, pp. 259 et s.
Code judiciaire, art. 569, al. 1er, 32°.
16
17
Mais pas directement le règlement communal qui institue la taxe, dont l’annulation peut être
postulée devant le Conseil d’Etat.
Les collèges provinciaux en Région wallonne, le collège juridictionnel pour la Région de
18
Bruxelles-Capitale et, pour la Région flamande, les conseils du contentieux électoral et la commission flamande
de contrôle des dépenses électorales.
dispositions ne sont inscrites dans la Constitution que depuis 1993. Nous savons que ni le
Conseil d’Etat, ni de nombreuses juridictions administratives à compétence spéciale ne les
ont attendues... Ils avaient déjà trouvé un fondement dans l’article 146 de la Constitution.
Il n’empêche ! La Constitution consacre désormais, sans ambiguïté, l’existence du
Conseil d’Etat 19 , ainsi que celle d’un ordre juridictionnel administratif bien distinct de l’ordre
judiciaire.
6.3. Deux autres règles constitutionnelles requièrent encore ici une attention toute
spéciale.
L’article 158 de la Constitution est la première de celles-là. Cette disposition réserve à
la Cour de cassation le règlement des conflits d’attribution. A ce titre, il lui revient d’arbitrer
les contestations touchant à ce qui, dans le contentieux administratif, revient aux juridictions
de l’ordre judiciaire, d’une part, et au Conseil d’Etat, d’autre part. Ainsi strictement
circonscrite, cette primauté n’est pas sans explication historique : elle apparaît un peu comme
le prix à payer par ceux qui, au sortir de la seconde guerre mondiale et au terme d’un long
parcours, sont parvenus à porter le Conseil d’Etat sur les fonts baptismaux 20 .
Quant à l’article 159 de la Constitution, il porte que “Les cours et tribunaux
n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu’autant qu’ils
seront conformes aux lois”. Le contrôle juridictionnel de la légalité de l’action administrative
s’opère certes par la compétence réservée au Conseil d’Etat d’annuler les actes administratifs
entachés d’un vice de légalité. Sur la base de la disposition constitutionnelle précitée, il est
toutefois au pouvoir des juridictions de l’ordre judiciaire d’arrêter les effets d’un acte
administratif qu’elles jugeraient illégal à l’occasion d’un litige ayant pour objet la
reconnaissance d’un droit subjectif, civil ou politique, et dans lequel l’administration serait
partie prenante 21 . Le raisonnement vaut tant pour les actes réglementaires que pour les actes
individuels 22 .
Le contrôle de la légalité des actes administratifs unilatéraux est donc partagé entre
les deux ordres juridictionnels. La théorie dite de l’objet véritable et direct du recours,
dégagée par la Cour de cassation dès 1952 23 , sert de fil conducteur chaque fois qu’il s’agit de
démêler les fils d’une situation où se pose la question de savoir si le litige porte sur la
reconnaissance d’un droit subjectif ou si le recours tend à l’annulation d’un acte
administratif 24 . Les apparences peuvent être trompeuses. Il se peut par exemple que, sous le
19
En son alinéa 2, l’article 160 de la Constitution n’institue pas seulement la fonction
juridictionnelle du Conseil d’Etat, mais aussi sa fonction consultative.
20
S’ils ne dépassent pas quelques dizaines depuis la création du Conseil d’Etat, les arrêts par
lesquels la Cour de cassation casse ceux du Conseil d’Etat ont tendance à se multiplier ces dernières années.
Pour deux arrêts récents, Cass. 20 décembre 2007 (affaires C.06.0596. F et C.06.0574.F).
21
Voy. par ex. Cass., 20 octobre 2006, R.R.D., 2006, n° 119, pp. 238 et s., note Y. HOUYET, et
Cass. 10 septembre 2007, J.L.M.B., 2008/7, pp. 301 et s., note J. MARTENS,
22
Le Conseil d’Etat recourt également à l’article 159 de la Constitution pour écarter, par la voie
incidente, un acte administratif illégal. A la différence du pouvoir judiciaire et sous réserve de l’application de la
théorie de l’opération complexe, il limite ce contrôle indirect aux seuls actes réglementaires. A propos de la
théorie précitée, voy. J. SALMON : op.cit., pp. 391et s.
Cass. 27 novembre 1952, Pas. I, p. 184.
23
24
Au sujet de cette théorie, lire les études récentes de B. LOMBAERT, F. TULKENS et A.
VAN DER HAEGEN: “Cohérence et incohérences de la théorie de l’objet véritable et direct du recours” in La
couvert d’un procès fait à un acte, le requérant fasse en réalité reproche à l’administration de
ne pas avoir exécuté une obligation corrélative à un droit dont il revendique le bénéfice.
Pour d’aucuns, tout se réduirait finalement à une question de présentation de la
demande 25 : l’on pourrait fort bien, par exemple, indifféremment solliciter l’annulation d’un
acte devant le Conseil d’Etat ou, à l’appui d’une action en dommages et intérêts devant le
juge judiciaire, faire constater par celui-ci que cet acte est constitutif d’une faute civile et que
cette dernière est en relation causale avec le dommage subi. De partagé, le contrôle
juridictionnel de l’action de l’administration serait ainsi devenu concurrent. Cette situation a
ses partisans, pour lesquels l’”abondance des biens ne nuit pas” 26 . Elle connaît aussi ses
détracteurs qui y voient une concurrence malsaine, par cela qu’elle peut déboucher sur des
décisions contradictoires 27 et, in fine, affaiblir la crédibilité de la justice aux yeux du
citoyen 28 . Il fut un temps où l’administration n’avait pas de juge. De la pénurie serait-on
passé à la pléthore?
7.1. Au détour du tableau ainsi brossé, apparaît çà et là la faculté de faire appel et se
dresse également une juridiction flambant neuve. Ces particularités valent le détour.
7.2. Sans être généralisé, le double degré de juridiction n’est pas, au contentieux
administratif, inexistant pour autant. Il est même de principe pour tous les litiges de cette
nature qui, conformément aux articles 144 et 145 de la Constitution, relèvent des attributions
des juridictions de l’ordre judiciaire 29 . Ainsi, il peut être relevé appel d’un jugement
prononcé au contentieux de la responsabilité civile extracontractuelle de la puissance
publique. Le droit de faire appel se conçoit également dans l’ordre juridictionnel administratif
et existe parfois bel et bien. Tel est le cas, par exemple, pour le contentieux dévolu aux
juridictions ordinales. Parfois, l’appel aboutit même à faire passer le justiciable d’un ordre
juridictionnel à un autre : la Cour d’appel de Bruxelles est juge de certaines des décisions
prises par le Conseil de la Concurrence.
protection juridictionnelle du citoyen face à l’administration, Bruxelles, La Charte, 2007, pp. 19 et s., M.
PÂQUES et L. DONNAY: “Juridiction ordinaire et juridiction administrative en droit belge”, C.D.P.K., 2007/1,
pp. 73 et s., M. PÂQUES: “Le recours en annulation”, A.P.T., 2006/4, pp. 202 et s.
25
Sur cette question, voy. M. PÂQUES et L. DONNAY : “Juridiction ordinaire et juridiction
administrative en droit belge”, op. cit., pp. 87 à 91.
26
B. et L. CAMBIER : “Compétences concurrentes ou complémentaires des juridictions au
contentieux administratif, in Mélanges van Compernolle, Bruylant, Bruxelles, 2004, pp. 47 et s.
27
Pour deux décisions récentes et contradictoires, voy. arrêt CE n° 175.489 du 9 octobre 2007,
J.T., 10 novembre 2007, p. 763 et Bruxelles, 7 janvier 2008 , J.T. 12 avril 2008, p. 252. Ces deux décisions,
prises en référé et commentées par D. RENDERS, ont trait à l’ajournement d’un étudiant : le Conseil d’Etat
refuse d’en suspendre l’exécution, alors qu’ensuite et à “causa petendi” inchangée, la Cour d’appel de Bruxelles
ordonne au jury de délibérer à nouveau... A ce sujet, voy. M. LEROY : Contentieux administratif, Bruxelles,
Bruylant, 2004, pp. 844 et s. Sur la question de l’autorité des arrêts de rejet du Conseil d’Etat, voy. P.
LEWALLE : Contentieux administratif, Bruxelles, Larcier, 2002, pp. 1073 et s.
28
B. LOMBAERT, F. TULKENS et A. VAN DER HAEGEN: “Cohérence et incohérences de la
théorie de l’objet véritable et direct du recours”, op. cit., p. 43, M. PÂQUES et L. DONNAY: “Juridiction
ordinaire et juridiction administrative en droit belge”, op. cit., pp. 92-93 et R. ANDERSEN: “Monisme ou
dualisme juridictionnels. Un vrai ou faux dilemme?” in Vigilantibus ius scriptum Feestbundel voor Hugo
VANDENBERGHE, Brugge, Die Keure 2007, p. 20.
29
Certains jugements sont, par exception, rendus en premier et dernier ressort : Code judiciaire,
art. 617.
Il arrive aussi que le Conseil d’Etat lui-même soit juge d’appel : il statue alors en pleine
juridiction 30 , comme c’est le cas au contentieux électoral communal 31 .
Le contentieux de l’appel devant le Conseil d’Etat se distingue nettement du
contentieux de la cassation. Juge d’appel, le Conseil d’Etat statue en effet à nouveau au fond
et en dernier ressort, sans renvoi à la juridiction du premier degré. Il n’a donc égard ni aux
irrégularités de procédure commises par le premier juge 32 , ni aux griefs qui n’ont pas été
soulevés devant celui-ci alors que le requérant avait la possibilité de le faire 33 . Lorsqu’il
statue en degré d’appel, le Conseil d’Etat dispose, par ailleurs, d’un pouvoir d’appréciation
très large; il lui est ainsi donné, par exemple, de décider de ne pas priver un élu communal de
son mandat malgré le dépassement des dépenses électorales autorisées 34 ou encore
d’aggraver la sanction disciplinaire qui a été infligée à un conseiller de l’aide sociale sur
appel de ce dernier 35 ...
Le pouvoir d’annuler l’acte administratif unilatéral illégal 36 n’en demeure pas moins
l’essentiel du contrôle juridictionnel confié au Conseil d’Etat 37 . Et ici, la faculté de faire
appel n’existe pas.
7.3. Il fut un temps, pas si éloigné puisqu’il se situe à l’entame de ce siècle, où plus de 80%
des affaires dont le Conseil d’Etat avait à connaître en annulation étaient des recours
introduits par des étrangers désireux de séjourner durablement sur le territoire national.
Désormais, ce contentieux est confié à une juridiction spécialisée : le Conseil du
contentieux des étrangers 38 . Ce dernier est érigé en juge de pleine juridiction pour les
candidats réfugiés politiques et en juge d’annulation pour le contentieux qui n’a pas trait à
30
31
Lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, art. 16.
S’il advient qu’en confirmant ou en réformant la décision du premier juge, il puisse annuler
les élections, il peut de même modifier la répartition des sièges entre les listes ou l’attribution des sièges au sein
d’une même liste, voire également invalider l’élection d’un candidat.
Arrêt élections communales de Honelles, n° 93.983 du 14 mars 2001.
32
Arrêt élections communales de Charleroi, n° 93.843 du 9 mars 2001.
33
34
Arrêt élections communales de Tubize, n° 51.770 du 24 février 1995.
35
Arrêt Jaumotte, n° 43.823 du 14 juillet 1993, J.T., 780 et J.L.M.B., p. 1345, obs. P.
MARTENS. Par cet arrêt, le Conseil d’Etat révoque un conseiller de l’aide sociale initialement suspendu pour 2
mois par le juge a quo, au motif qu’il avait fait part aux bénéficiaires cependant réguliers d’aide sociale, que
cette aide était le fruit de son appui...
36
Et d’ailleurs aussi d’en suspendre provisoirement l’exécution : c’est le référé administratif qui
sera incidemment évoqué plus loin (sur ce sujet, voy. notamment mon article sur « les procédures d’urgence
devant les juridictions administratives en Belgique », in Olivier GOHIN (dir.) : Les procédures d’urgence :
approche comparative, Paris, ed. Panthéon-Assas, 2008,pp.189 et s.).
37
Lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, art. 14, § 1er.
38
Loi du 15 septembre 2006 réformant le Conseil d’Etat et créant un Conseil du contentieux des
étrangers (M.B. 6 octobre). A ce sujet, voy. M. KAISER : “La réforme du contentieux des étrangers”, in La
protection juridictionnelle du citoyen face à l’administration, Bruxelles, La Charte, 2007, pp. 317 et s., M.
KAISER : “Le Conseil d’Etat et la réforme du contentieux des étrangers: une théorie du contentieux
détachable”, A.P.T., 2006/4, pp. 249 et s., I. DOYEN : “La mise en place de la nouvelle juridiction
administrative spécialisée en matière de contentieux des étrangers”, Rev. dr. étr., 2007/145, pp. 75 et s., L.
CAMBIER: “Le rôle du Conseil d’Etat suite à la réforme du contentieux des étrangers, ibid, pp. 99 et s. et B.
LOUIS : “Le Conseil du contentieux des étrangers: une nouvelle juridiction administrative, hybride et
ambitieuse”, à paraître dans A.P.T., 2007-2008/3.
l’asile, en particulier les refus de régularisation d’étrangers en séjour illégal. Ainsi donc, le
glissement de l’ensemble de ce contentieux du Conseil d’Etat vers le Conseil du contentieux
des étrangers n’a pas été accompagné par l’attribution d’une compétence juridictionnelle
exactement identique.
Cela étant, aucun appel n’est institué contre les décisions prises par ce Conseil, mais
un recours en cassation administrative existe dans tous les cas auprès du Conseil d’Etat 39 . Il
est assorti d’une procédure d’admission, communément dénommé “le filtre”; situé à l’entrée
du Conseil d’Etat et confié aux seuls membres du Conseil, à l’exception des membres de
l’Auditorat, ce filtre vise à arrêter in limine litis tous les recours en cassation administrative
manifestement voués au rejet 40 . Le filtrage est opéré sans audience et par un conseiller
unique. Seuls les recours déclarés admissibles bénéficient du “double examen”, par un
membre de l’Auditorat d’abord, par une formation de jugement composée de trois membres
du Conseil ensuite. Dans le respect du principe d’égalité, le filtre s’applique à tous les
recours en cassation administrative institués auprès du Conseil d’Etat, et donc pas seulement
à ceux qui sont dirigés contre les décisions du Conseil du contentieux des étrangers 41 . C’est
toutefois pour éviter que le Conseil d’Etat ne soit contraint de se consacrer principalement à
ces recours-là, que le mécanisme a été imaginé.
Quant à son organisation, le Conseil du contentieux des étrangers est largement conçu
sur le mode du Conseil d’Etat, à une notable exception près : il ne compte pas d’Auditorat.
Les 32 magistrats que comprend la nouvelle juridiction, s’ils sont assistés de collaborateursjuristes, procèdent eux-mêmes à la mise en état des causes.
LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF CONJUGUE AU FUTUR
8. Jamais jusqu’à ce jour, la Belgique n’a connu une juridiction administrative à
compétence spéciale de l’ampleur de celle du Conseil du contentieux des étrangers. En
raison de la part de plus en plus importante prise par ce contentieux au Conseil d’Etat,
nombreux furent ceux qui ont appelé de leurs vœux la création de cette nouvelle juridiction
spécialisée. Préfigure-t-elle le paysage du contentieux administratif de demain?
Alors que, voici quelques années, un auteur particulièrement avisé rompait une lance
vigoureuse en faveur de cette juridiction, il la voyait également comme une étape vers la
création d’un ou de plusieurs tribunaux d’instance à vocation généraliste 42 . L’idée remonte
aux années soixante 43 et revient régulièrement à l’ordre du jour 44 . Elle n’a toutefois jamais
39
40
41
Lois coordonnées, art. 14, § 2.
Lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, art.20.
D. RENDERS et G. PIJCKE : “La procédure en cassation administrative”, A.P.T., 2006/4, pp.
229 et s.
P. GILLIAUX : “Les juridictions administratives: de l’oubli à l’inconstitutionnalité”, J.T., 15
42
février 2003, pp. 125 et s.
43
M. DUMONT : “Les projets de réforme des juridictions administratives de premier degré”,
dépassé le stade du vœu pieux. Sans doute garde-t-elle ses partisans; aujourd’hui, d’autres
pistes sont toutefois explorées.
9. Le projet de créer des tribunaux administratifs de première instance à compétence
générale et sur une base territoriale, pour récurrent qu’il soit, a connu son heure de gloire
dans la première moitié de la précédente décennie, au moment précis où le Conseil d’Etat et
les juridictions administratives ont investi solennellement les articles 160 et 161 de la
Constitution.
C’est à cette époque que le gouvernement d’alors chargea un groupe de travail
d’établir un projet en ce sens. Il fallait donner du corps à ces dispositions constitutionnelles
et rationaliser l’organisation du contentieux administratif. L’accélération du traitement des
affaires et le souci de rapprocher la justice administrative du citoyen militaient également en
ce sens aux yeux des promoteurs du projet. Un produit fini fut arrêté par les experts désignés
à cet effet, qui mettait fin à l’insouciant désordre ambiant : onze tribunaux administratifs
pourraient être créés sur une base territoriale. Ils reprendraient les compétences de la plupart
des multiples juridictions administratives à compétence spéciale existantes et, au contentieux
d’annulation, se verraient confier la quasi-totalité des compétences du Conseil d’Etat, lequel
interviendrait désormais ici comme juge d’appel. Le dualisme juridictionnel inscrit dans la
Constitution aurait ainsi été “achevé”. Las ! Lorsque le groupe de travail eut terminé sa
mission, l’état de grâce était passé et jamais ce projet ne vit le jour 45 .
Ce n’est pas à dire qu’il a perdu ses partisans, même si la réflexion s’affine encore et
toujours davantage. Dans cette perspective, si l’idée demeure de créer des tribunaux
administratifs de premier degré chapeautés par le Conseil d’Etat, ne serait-il pas plus indiqué
de confier à ce dernier une compétence de cassation sur l’ensemble des jugements rendus par
ceux-là ? Ainsi recentré, son rôle serait alors avant tout d’assurer l’unité de la jurisprudence,
de veiller à une juste application de la loi et, par le dialogue de juge à juge, de faire
progresser la connaissance du droit administratif46 .
10. Les gouvernements se suivent, sans pour autant se ressembler. Aujourd’hui la
question se pose, lancinante : la part belle faite autrefois au dualisme juridictionnel est-elle en
train de céder le pas aux adeptes du monisme juridictionnel ? Certes sibyllin, l’accord
gouvernemental intervenu le 18 mars 2008, pourrait donner à le penser. L’on y découvre la
volonté de créer un tribunal de première ligne qui regrouperait “les juridictions spécialisées
(droit de l’environnement, droit social, droit commercial, droit civil, droit pénal,...), y
compris un tribunal de la famille qui devra encore être créé et éventuellement un tribunal
administratif”.
R.J.D.A., 1964, pp. 51 et s.
44
Proposition de loi relative à la création, l’organisation, la compétence et le fonctionnement des
tribunaux administratifs, doc. parl, Sénat, 2002-2003, n° 2-1419/1.
Sur tout ceci, voy. F. MAUSSION : “Le Conseil d’Etat face à l’arriéré du contentieux : de
45
l’accélération de la procédure à la création des tribunaux administratifs de première instance” in Le Conseil
d’Etat de Belgique cinquante ans après sa création, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 846 et s.
En ce sens, P. GILLIAUX : op. cit., pp. 127-128, qui souligne notamment que “la coexistence
46
des deux types de juridictions devrait conduire à une plus grande qualité de la jurisprudence (et) procurerait
certainement une plus-value à l’Etat de droit”.
Cette déclaration d’intention est portée par un courant de pensée qui vise à faire passer, avec
armes et bagages, l’ensemble du contentieux administratif dans le giron des juridictions de
l’ordre judiciaire. Au contentieux de l’excès de pouvoir, l’appel serait alors de principe et la
Cour de cassation y jouerait le rôle de gardien de la loi qui est déjà le sien par ailleurs. En
retrait par rapport à ce mouvement vers le monisme juridictionnel intégral, circule également
la proposition de confier au pouvoir judiciaire le contentieux d’annulation des actes
administratifs unilatéraux à caractère individuel, pour ne maintenir au Conseil d’Etat que
celui des actes réglementaires.
Simplicité, efficacité, rapidité, proximité sont les maîtres mots des artisans de la thèse
moniste. Elle a ses partisans 47 , mais aussi ses détracteurs qui préconisent un “dualisme
rénové” 48 ou entendent souligner que “la discussion entre les tenants du monisme et du
dualisme juridictionnels, pour intéressante qu’elle soit du point de vue théorique, ne fournit
certainement pas la clef de la solution” 49 . Dans le respect des caractéristiques propres au
système français et au système belge, ces derniers trouvent un allié de choix dans la personne
de Monsieur Pierre MAZEAUD qui, tout récemment, appelait le législateur à respecter le
cœur du métier de juge administratif, à savoir “l’annulation ou la réformation des actes
administratifs, lorsque ces actes traduisent l’exercice de prérogatives de puissance publique,
et dans des domaines ne présentant pas ou peu de recouvrement avec les relations de droit
privé” 50 .
Il reste encore à se souvenir qu’il ne pourrait y avoir de monisme juridictionnel sans
une modification des articles 144 et suivants de la Constitution, notamment les articles 160 et
161.
11. Le dualisme juridictionnel n’est donc pas mort, tant s’en faut. A l’heure où ces
lignes sont rédigées, il semble même encore avoir de beaux jours devant lui. Ce à quoi l’on
assiste ne paraît toutefois pas aller dans le sens d’une simplification de l’organisation du
contentieux administratif. Tout n’est peut-être pas perdu pour autant.
Alors que les uns et les autres s’opposent sur le terrain du monisme et du dualisme, de
nouvelles juridictions administratives à compétence spéciale continuent à fleurir
régulièrement. Déjà mentionnés, l’organe de recours en matière d’habilitations de sécurité
pour l’accès à certains locaux, bâtiments ou sites, le Conseil d’Etablissement chargé de
connaître du refus d’accès à certaines professions réglementées et le Conseil du contentieux
des étrangers illustrent parfaitement cette tendance.
47
P. VAN ORSHOVEN : “Administratieve rechtbanken ? Ja en neen. Pleidooi voor
jurisdictioneel monisme”, R.W., 1994-1995, pp. 897 et s., M. NIHOUL : “Il est temps de réformer le contentieux
administratif”, C.D.P.K., 2007/4, pp.724-725.
X. DELGRANGE et N. LAGASSE : “La création des juridictions administratives par les
48
Communautés et les Régions” in La protection juridictionnelle du citoyen face à l’administration, Bruxelles, La
Charte, 2007, p. 516.
R. ANDERSEN : “Monisme ou dualisme juridictionnels. Un vrai ou faux dilemme ?”, op. cit.,
49
p. 21.
50
“Menace sur la justice administrative”, paru dans Le Monde du 19 mai 2008.
Fortes d’une compétence qui leur est reconnue dans une mesure cependant strictement
limitée 51 , les collectivités fédérées qui composent l’Etat belge ne sont pas en reste52 . Dans cet
esprit, la Communauté flamande a mis sur pied un Conseil du contentieux des examens,
chargé de régler les différends en matière de décisions sur la progression des études dans
l’enseignement supérieur 53 , ainsi qu’un “Collège du maintien environnemental”, chargé de
connaître des contestations nées de l’imposition d’amendes administratives pour non-respect
des règles en matière d’environnement 54 . L’intention lui est également prêtée d’ériger une
juridiction administrative à qui serait confié le contentieux lié à l’octroi et au refus
d’autorisations de bâtir 55 . A chaque fois, le recours pour excès de pouvoir est confié à la
nouvelle juridiction, au “détriment” du Conseil d’Etat, habilité, quant à lui, à connaître des
jugements rendus par elle au titre de la cassation administrative.
Convient-il de persévérer dans cette voie ? Certes, cela se discute. Elle n’est en tout
cas de nature à satisfaire ni ceux qui en appellent à une rationalisation de la justice
administrative, ni ceux qui plaident plus radicalement en faveur de son absorption par le
pouvoir judiciaire. Mais elle constitue, qu’on le veuille ou non, une réalité observable : cellelà même qui incite des commentateurs avertis à faire valoir que “la répartition actuelle des
compétences ne ferait pas obstacle à l’édiction, par le législateur fédéral, d’une loi-cadre,
adoptée à la majorité ordinaire, fixant les principes essentiels à la composition, l’organisation
et la procédure des juridictions administratives de premier degré, loi qui s’imposerait tant aux
autorités fédérales qu’aux communautés et aux régions, dans l’hypothèse de la création d’une
telle juridiction” 56 .
51
Les articles 146 et 161 de la Constitution réservent à l’autorité fédérale le compétence
d’établir des juridictions administratives, mais les Communautés et les Régions peuvent se voir reconnaître une
telle compétence sur le fondement des “pouvoirs implicites” consacrés à l’article 10 de la loi spéciale du 8 août
1980 de réformes institutionnelles. A cette fin, trois conditions doivent être réunies : la création de la juridiction
doit être nécessaire à l’exercice de la compétence de l’entité fédérée, la matière doit se prêter à un régime
différencié et l’incidence des dispositions en cause sur la compétence fédérale doit être marginale. Sur cette
question, voy. X. DELGRANGE et N. LAGASSE : “La création des juridictions administratives par les
Communautés et les Régions”, op. cit., pp. 489 et s.
La section de législation du Conseil d’Etat a elle-même suggéré, sans être suivie, à la Région
52
wallonne de transformer en juridiction administrative la commission wallonne de recours pour le droit d’accès à
l’information en matière d’environnement. Voy. à ce propos B. JADOT : “Protection juridictionnelle du citoyen
face à l’administration et droit d’accès à la justice en matière d’environnement”, in La protection
juridictionnelle du citoyen face à l’administration, Bruxelles, La Charte, 2007, pp. 481-482, J. SAMBON :
“L’accès à l’information en matière d’environnement : de quelques difficultés théoriques et pratiques”, in
L’accès aux documents administratifs, Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 700-701 et R. ANDERSEN :
“Conclusions générales”, ibid., p.966.
Décret du 19 mars 2004 relatif au statut de l’étudiant, à la participation dans l’enseignement
53
supérieur, l’intégration de certaines sections de l’enseignement supérieur de promotion sociale dans les instituts
supérieurs et l’accompagnement de la restructuration de l’enseignement supérieur en Flandre, modifié par le
décret du 30 avril 2004, art. II, 15.
54
Décret du 5 avril 1995 contenant des dispositions générales concernant la politique de
l’environnement, modifié par le décret du 21 décembre 2007, art. 16.4.19.
Voy. les quotidiens Het belang van Limburg des 19 et 20 janvier 2008, p. 4 et De Standaard
55
des mêmes dates, p. 8.
56
X. DELGRANGE, N. LAGASSE en J. VAN NIEUWENHOVE : “De hervorming van de
instellingen en de herzienningsverklaring van 2007. Een grondwettelijke verkenning van enkele voorstellen,
C.D.P.K., 2008/1, p. 22. Adde : X. DELGRANGE et N. LAGASSE : “La création des juridictions
administratives par les Communautés et les Régions”, op. cit., pp. 518 et s.
12. Parmi les arguments des promoteurs du monisme revient le souci de mettre fin à la
nécessité, pour celui qui obtient l’annulation d’un acte auprès du Conseil d’Etat et qui entend
être dédommagé de ce chef, de devoir se tourner vers le juge judiciaire à cette fin. Si la
proposition est exacte, la difficulté pourrait tout aussi bien être résolue en confiant au Conseil
d’Etat le contentieux de la responsabilité civile extracontractuelle des personnes morales de
droit public. Sans porter atteinte au dualisme, l’annulation de l’acte et l’obtention de
dommages et intérêts, consécutive de la faute née de l’illégalité censurée, pourraient ainsi être
obtenues devant le seul juge administratif. Encore conviendrait-il, à cette fin, de modifier
l’article 144 de la Constitution 57 .
Une objection vient à l’esprit : l’expertise acquise par le juge judiciaire au contentieux
de la responsabilité quasi délictuelle ne vaut-elle pas celle que le juge administratif possède
au contentieux de l’excès de pouvoir 58 ? Il est, au demeurant, des changements plus discrets
qui, pour cette raison même, poursuivent imperturbablement leur petit bonhomme de chemin
à la plus grande satisfaction des acteurs au quotidien du contentieux administratif. C’est que
les projets ambitieux ne doivent pas faire ignorer les réformes plus modestes.
En l’état actuel du droit en Belgique, “le recours en annulation formé contre un acte
administratif devant le Conseil d’Etat n’interrompt ni ne suspend la prescription du droit de
réclamer une indemnisation devant un tribunal civil en se fondant sur un acte illicite des
autorités” 59 . En raison de l’encombrement structurel que connaît actuellement le Conseil
d’Etat et du retard qui en résulte dans le traitement des causes, il ne peut être exclu qu’à
l’heure où il prononce un arrêt d’annulation, le bénéficiaire de cette dernière soit forclos à
agir devant le juge judiciaire en réparation du dommage causé, au motif que le délai de
prescription est venu à échéance entre-temps.
Un projet de loi est actuellement en cours d’examen au Parlement, qui tend à ériger le
recours en annulation devant le Conseil d’Etat en cause de suspension du délai de
prescription d’une action civile en dommages et intérêts 60 . Cette initiative recueille une large
adhésion 61 . Il est à espérer qu’elle aboutisse... et qu’il ne faille pas trop en faire usage, ce qui
deviendra réalité lorsque le Conseil d’Etat sera en mesure de statuer avant même que le délai
de prescription vienne à expiration ! Et l’on se souviendra qu’au contentieux de la
responsabilité civile de la puissance publique, la faculté de faire appel garde ses lettres de
noblesse.
57
D. RENDERS : “La réforme du Conseil d’Etat de Belgique”, A.J.D.A., 11 février 2008, p.
231. M. NIHOUL : op. cit.,724. L’article 144 de la Consitution est actuellement soumis à révision; voy. à ce
propos, X. DELGRANGE, N. LAGASSE en J. VAN NIEUWENHOVE : “De hervorming van de instellingen
en de herzienningsverklaring van 2007. Een grondwettelijke verkenning van enkele voorstellen, op. cit, pp. 2223.
58
Voy. à ce sujet R. ANDERSEN : “Monisme ou dualisme juridictionnels. Un vrai ou faux
dilemme ?”, op. cit., p. 21.
59
Cass. 16 février 2006, R.W., 2005-2006, pp. 1618, obs. A. VAN OEVELEN et C.D.P.K.,
2006, pp. 722 et s., note V. PETITAT.
Doc. parl. Sénat, 2007-2008, n°4-10/1 à 5 et doc. parl. Chambre, 2007-2008, n° 52 0832/1 à
60
4. La section de législation du Conseil d’Etat suggère de substituer le régime de l’interruption à celui de la
suspension.
Voy. not. B. LOMBAERT, F. TULKENS et A. VAN DER HAEGEN : “Cohérence et
61
incohérences de la théorie de l’objet véritable et direct du recours”, op. cit., p. 65, R. ANDERSEN : “Monisme
ou dualisme juridictionnels. Un vrai ou faux dilemme ?”, op. cit., p. 21.
L’AUDITORAT ET LES VIRTUALITES DE LA PROCEDURE
13. Au Conseil d’Etat de Belgique cohabitent harmonieusement deux grands corps de
magistrats : le Conseil sensu stricto d’une part, composé de 50 membres parmi lesquels un
premier président et un président, l’Auditorat d’autre part, composé de 92 membres parmi
lesquels l’auditeur général et l’auditeur général adjoint 62 . Ils offrent la particularité d’œuvrer
en étroite collaboration, tout en étant distincts l’un de l’autre.
Les membres de l’Auditorat affectés au contentieux ont une double mission. Ils
procèdent d’abord à l’instruction des dossiers qui leur sont confiés et consignent le fruit de
celle-ci dans un rapport écrit 63 . Ils donnent ensuite leur avis à l’audience, juste avant la
clôture des débats; par cet avis, ils disent publiquement à la formation de jugement ce qu’ils
décideraient s’ils avaient à juger. Ainsi donc, le membre de l’Auditorat du Conseil d’Etat est
tout à la fois, magistrat instructeur 64 et amicus curiae 65 . La règle veut qu’il s’exprime
toujours à titre individuel et en toute indépendance, tant dans ses propos que dans ses écrits.
Le rapport rédigé par le membre de l’Auditorat forme une pièce maîtresse de la
procédure. Outre l’exposé des faits de la cause, il contient une synthèse de l’argumentation
des parties et un examen des exceptions et des critiques de légalité invoquées. Au besoin,
son auteur évoque des questions qu’il soulève d’office lorsqu’elles touchent à la compétence
du Conseil d’Etat, à la recevabilité du recours ou lorsque l’acte déféré à la censure du Conseil
d’Etat est affecté d’un vice qui touche à l’ordre public. En conclusion de son rapport, le
membre de l’Auditorat prend position, par cela qu’il indique si, à ses yeux, l’acte attaqué doit
être censuré ou si la requête doit être rejetée. Ce rapport n’est pas seulement destiné à la
formation de jugement. Il est aussi soumis à la contradiction des parties. Au contentieux de
l’annulation, c’est en considération de celui-ci que les parties établiront un dernier mémoire.
Il n’est donc pas trop d’affirmer que le rapport du membre de l’Auditorat a vocation à donner
au litige un tour qui se veut décisif. Mais il y a plus.
14. La notification du rapport aux parties exige également de l’une d’entre elles
qu’elle sollicite expressément la poursuite de la procédure. A défaut pour elle de le faire, la
solution préconisée par le rapport sera en quelque sorte avalisée par l’arrêt final. Deux
hypothèses doivent ici être distinguées :
1°) soit le rapport conclut au rejet de la requête : en pareille occurrence, le requérant
qui ne solliciterait pas la poursuite de la procédure dans les trente jours de la notification du
rapport, sera réputé se désister de son recours par un arrêt prononcé à l’issue d’une procédure
simplifiée où l’audience n’est pas de règle 66 ;
A ceux-ci s’ajoutent quatre référendaires; ces magistrats effectuent des tâches documentaires
62
au sein du Bureau de coordination, lequel est placé sous l’autorité du premier président.
63
Telle est aussi la tâche des membres de l’Auditorat affectés en législation, lesquels participent
également aux séances de la section de législation avec voix consultative.
64
R. ANDERSEN : “L’arrêt Vermeulen et le rôle de l’auditeur au Conseil d’Etat”, in Les droits
de l’homme au seuil du troisième millénaire, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 12.
M. ROELANDT : “Het auditoraat bij de Raad van State”, in Amicus curiae, quo vadis ?,
65
Bruxelles, Kluwer-Bruylant, 2002, n° 7.2.5.
66
Lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, art. 21, al. 6 et règlement général de procédure, art.
2°) soit le rapport conclut à l’annulation de l’acte attaqué : dans ce cas, il revient à la
partie adverse ou à la partie intervenante 67 de demander la poursuite de la procédure dans les
trente jours de la notification du rapport, faute de quoi le Conseil d’Etat annulera cette fois la
décision contestée, une nouvelle fois à l’issue d’une procédure abrégée et sans
nécessairement passer par une audience 68 .
Le rapport établi par le membre de l’Auditorat n’est pas une décision. Quant à la
demande de poursuite de la procédure exigée par la loi à charge de la partie à laquelle le
rapport donne tort, elle ne doit revêtir aucune forme particulière : il suffit qu’elle soit
introduite dans le délai imparti. Il n’y a donc ni premier jugement, ni faculté d’appel.
D’aucuns considèrent même qu’il ne s’agit là que de “pièges de procédure”. Peut-être. Mais
la mesure de l’importance donnée au rapport par le législateur n’échappe à personne : sans
demande de poursuite de la procédure, le rapport fait la différence, définitivement 69 .
15. Semblable mécanisme a aussi été institué à l’issue d’une procédure en référé
administratif. Là encore, la loi impose à la partie qui succombe au procès en référé de
solliciter la poursuite de la procédure au fond. Ici aussi, une distinction doit être opérée :
1°) si la suspension n’est pas ordonnée et que le requérant s’abstient de demander la
poursuite de la procédure dans les trente jours de la notification de l’arrêt, son
désistement présumé sera décrété à l’issue d’une procédure raccourcie, pouvant elle
aussi se dérouler sans audience 70 ;
2°) si la suspension de l’exécution de l’acte contesté est ordonnée, le silence de la
partie adverse et de la partie intervenante, au-delà des trente jours qui suivent la
notification de l’arrêt, permet au Conseil d’Etat d’annuler cet acte en suivant une
procédure abrégée, sans audience s’il échet 71 .
Par cela même que la poursuite de la procédure au fond est expressément subordonnée à une
initiative de la partie à laquelle l’arrêt prononcé en référé a donné tort, l’on ne peut manquer
d’opérer un rapprochement avec l’appel. Il reste que la demande de poursuite de la procédure
14quater. Une audience aura lieu si le requérant demande à être entendu : les débats porteront seulement sur les
raisons pour lesquelles il s’est abstenu de postuler la poursuite de la procédure en temps utile. Le même
mécanisme prévaut en cassation administrative, à ceci près qu’il n’y a pas là de derniers mémoires (voy. l’arrêté
royal du 30 novembre 2006 déterminant la procédure en cassation devant le Conseil d’Etat, art. 18).
67
Par exemple, le titulaire du permis d’urbanisme attaqué, ou encore le bénéficiaire de la
nomination litigieuse.
68
Lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, art. 30, § 3, et règlement général de procédure, art.
14quinquiès. En ce qui concerne l’audience, voy. par analogie, la note de bas de page n° 66. En cassation
administrative, il n’y a toutefois pas de procédure abrégée pouvant conduire à une “annulation automatique”.
69
Sur l’origine de ces règles de procédure, voy. W. VAN ASSCHE : “Les cours administratives
suprêmes et la régulation du nombre et de la durée des procès”, A.P.T., 1990/2-3, p. 120.
Lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, art. 17, § 4ter, et arrêté royal du 5 décembre 1991
70
déterminant la procédure en référé devant le Conseil d’Etat, art. 15ter. En ce qui concerne l’audience, voy. par
analogie, la note de bas de page n° 66.
Lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, art. 17, § 4bis, et arrêté royal du 5 décembre 1991
71
déterminant la procédure en référé devant le Conseil d’Etat, art. 15bis. En ce qui concerne l’audience, voy. par
analogie, la note de bas de page n° 66.
ne doit nullement être étayée 72 et que la formation de jugement demeure en principe la
même en référé et au fond. Une demande de poursuite de la procédure sollicitée par la partie
adverse n’érige d’ailleurs nullement celle-ci en partie requérante 73 .
16. L’appel est absent du contentieux de l’excès de pouvoir. Des règles de procédure
ont toutefois été mises au point qui, pour autant que les parties en présence entendent ne pas
en rester là, conduisent l’une ou l’autre d’entre elles à devoir prendre une initiative à la suite
du rapport du membre de l’Auditorat ou de l’arrêt prononcé en référé. L’abstention de celle à
qui revient l’initiative aboutit en quelque sorte à rendre définitive la solution dégagée à ce
stade. Cette dernière, en effet, sera simplement entérinée par l’arrêt final.
EN GUISE DE CONCLUSION
17. Le contentieux de l’annulation des actes administratifs unilatéraux pris dans
l’exercice de l’administration active forme la part belle du contentieux administratif en
Belgique. En ce domaine, il n’y a point d’appel possible : le Conseil d’Etat statue en premier
et dernier ressort. Pour autant, la faculté de faire appel surgit de temps à autres sur les
chemins sinueux du contentieux administratif.
L’appel n’y est donc pas de principe mais il existe, nous l’avons rencontré. Ici, c’est
une juridiction administrative à compétence spéciale contre les décisions desquelles il peut
être fait appel. Là, apparaît tout le contentieux administratif dévolu aux juridictions de
l’ordre judiciaire où le droit d’appel est bien sûr la règle. Il est même parfois permis de
“sauter” d’un ordre juridictionnel à un autre. Il advient encore que le Conseil d’Etat lui-même
soit juge d’appel.
Au contentieux de l’annulation, le rapport déposé par le membre de l’Auditorat ne se
confond pas avec un premier jugement. Certes pas, puisqu’il est dépourvu de toute portée
contraignante. Il demeure que, dans la procédure au fond, ce premier examen de l’affaire
débouche sur une conclusion - annulation ou rejet - qui oblige la partie “succombante” à
solliciter la poursuite de la procédure, à peine de voir le Conseil d’Etat lui donner tort sans
autre forme de procès. Si elle ne se confond absolument pas avec l’appel, la demande de
poursuite de la procédure lui emprunte toutefois quelques traits. Et participe du même
registre, l’obligation faite à la partie à laquelle le Conseil d’Etat donne tort en référé de
solliciter formellement la poursuite de la procédure au fond.
18. Même si elle n’est pas totalement absente, la faculté de faire appel n’apparaît donc
que furtivement au travers de la justice administrative en Belgique. Il y a sans doute plus
interpellant. C’est que notre système ne brille pas par sa limpidité et l’accessibilité au juge lequel ? - s’en ressent. Longtemps, nous avions pu croire en la venue de tribunaux
administratifs à compétence territoriale et générale. La question de savoir si le Conseil d’Etat
interviendrait comme juge d’appel ou de cassation demeurait ouverte.
72
73
Comp. Code judiciaire, art. 1057, al. 1er, 7°.
Arrêt Wijns et De Boeck, n° 83.770 du 1er décembre 1999.
Pour l’heure, il devient difficile de prédire la direction que nous prendrons : celle des
tribunaux administratifs ou, à l’opposé, celle du monisme juridictionnel, ou encore celle des
juridictions administratives à compétence spéciale, démultipliées par le pouvoir qui serait
reconnu aux entités fédérées de créer de telles juridictions ? A moins que rien ne change de
sitôt... Le maquis demeure donc une réalité et l’avenir, incertain. N’est-ce pas le propre de
l’avenir ?
19. Pour autant, les idées de réforme ne manquent pas. Mais, n’est-ce pas d’abord en
raison de la lenteur du Conseil d’Etat que le contentieux administratif se trouve être, en
Belgique, plus que jamais à la croisée des chemins 74 ?
La principale raison d’être de la loi du 15 septembre 2006 réformant le Conseil d’Etat
et créant un Conseil du contentieux des étrangers est précisément de permettre au premier
nommé de résorber son arriéré, de telle sorte qu’il puisse réduire de façon drastique la durée
du traitement des causes qui lui sont dévolues. Il s’y emploie. Il est tout aussi vrai que, sauf
par son ampleur, ce n’est pas la première réforme du genre. La pression du justiciable, quant
à elle, est plus forte que jamais. En constituent autant de témoignages, les condamnations
répétées de l’Etat belge par la Cour européenne des droits de l’homme pour non-respect du
délai raisonnable par le Conseil d’Etat 75 . Tel est bien l’enjeu de l’heure, plus que jamais et
quel que soit le mode d’organisation à privilégier.
En rapport avec ce défi, je reste - pourquoi le dissimuler - en admiration devant ces propos
choisis que Monsieur le Doyen Chapus a pu tenir voici vingt-deux ans :
Juger bien, c’est d’abord, en appel comme en premier ressort, juger vite. Si on est
attaché à l’existence d’une juridiction administrative, parce qu’on l’estime la plus
propre à rendre une bonne justice en matière administrative, il faut vouloir qu’elle
soit en mesure de se prononcer rapidement. Il y va de sa crédibilité, c’est-à-dire en
dernière analyse, et s’agissant d’une juridiction qui pourrait ne pas être, qu’il y va de
sa légitimité 76 .
Qu’il me soit permis d’en terminer ainsi. C’est que l’adresse est belle et qu’elle s’applique si
bien à ce qu’au Royaume de Belgique, nous éprouvons aujourd’hui !
Ph. BOUVIER,
Auditeur général du Conseil d’Etat de Belgique.
Dans ce sens, M. PÂQUES et L. DONNAY : “Juridiction ordinaire et juridiction
74
administrative en droit belge”, op. cit., p. 91.
75
Entreprises Robert Delbrassinne s.a. du 1er octobre 2004, Stoeterij Zangersheide n.v. et autres
du 22 décembre 2004, Defalque du 20 avril 2006, de Turck du 25 septembre 2007 et Mathy du 24 avril 2008.
76
Rapport de synthèse : in CNRS et IFSA, Trentième anniversaire des tribunaux administratifs,
éd. du CNRS, 1986, p. 341.
Liste des abréviations
A.J.D.A.
Actualité juridique du droit administratif
A.P.T.
Administration publique trimestriel
C.D.P.K.
Chroniques de droit public – Publiekrechtelijke Kronieken
I.F.S.A
Institut français de sciences administratives
J.L.M.B.
Revue de jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles
J.T.
Journal des tribunaux
Pas.
Pasicrisie
Rev. dr. étr.
Revue du droit des étrangers
R.J.D.A.
Recueil de jurisprudence du droit administratif et du Conseil d’Etat
R.R.D.
Revue régionale de droit
R.W.
Rechtskundig Weekblad