BPCE facture les dépôts - Le Monde

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BPCE facture les dépôts de grandes firmes
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BPCE facture les dépôts de grandes firmes
LE MONDE ECONOMIE | 12.05.2016 à 11h20 • Mis à jour le 12.05.2016 à 12h13 | Par Jade Grandin de l'Eprevier
Le siège du groupe BPCE, à Paris, en 2015. PHILIPPE WOJAZER / REUTERS
Payer pour confier son argent à la banque ? De grandes entreprises françaises avalent déjà la
pilule. Mardi 10 mai, lors de la présentation de ses résultats annuels, le Groupe BPCE a reconnu
qu’il avait commencé à facturer les dépôts de certains gros clients, surtout ceux de sa banque de
financement et d’investissement Natixis. « Ce n’est pas mécanique, nous le faisons au cas par cas,
a précisé le directeur général de Natixis, Laurent Mignon. Lorsque leur taille de trésorerie est
significative, nous facturons des commissions. » Et François Pérol, le président du groupe, d’ajouter
que « la même politique s’appliquera dans les Banques populaires et les Caisses d’épargne. […]
Les entreprises sont à même de comprendre que, dans l’environnement de taux négatifs, les dépôts
à vue ne peuvent plus être rémunérés comme par le passé. »
C’est la première fois qu’un établissement français admet officiellement répercuter les taux négatifs
sur ses clients non financiers. Depuis juin 2014, la Banque centrale européenne (BCE) ne rémunère
plus les liquidités que les banques lui déposent d’un jour sur l’autre. Au contraire, elle les taxe en
appliquant un taux de dépôt négatif. En mars 2016, elle a encore baissé ce taux, le faisant passer
de – 0,30 % à – 0,40 %.
Même raisonnement pour les grandes entreprises
Jusqu’à présent, les banques répercutaient ces taux négatifs seulement sur leurs clients
institutionnels : banques entre elles, Trésor public, assureurs, gérants d’actifs, fonds de retraite…
Eux sont habitués à cette logique. Dans le contexte prolongé de taux bas, trouver de la rentabilité
est difficile à court ou moyen terme.
L’enjeu est parfois juste de minimiser ses pertes. Entre la BCE qui ponctionne 0,40 % sur un dépôt
et une banque qui prélèverait 0,10 %, le choix est vite fait. « En tant que trésorier, je ne fais pas
beaucoup de différence entre un taux négatif ou positif : je regarde plutôt les écarts entre les taux »,
explique ainsi Pierre Le Veziel, responsable mondial de la trésorerie de la banque d’investissement
de Crédit agricole, Cacib.
http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2016/05/12/bpce-facture-les-depots-de-gra... 13/05/2016
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Lire aussi : La BCE va acheter des obligations d’entreprises dès juin
(/economie/article/2016/04/22/la-bce-va-acheter-des-obligations-d-entreprises-des-juin_4906918_3234.html)
Certaines grandes entreprises tiennent le même raisonnement. En effet, les mieux notées sur les
marchés peuvent émettre des billets de trésorerie à taux négatif – ce qui revient à se faire payer
pour emprunter – puis placer cet argent à taux positif ou nul auprès de banques, réalisant ainsi des
profits purement financiers.
Cet arbitrage permet à Veolia de « gagner jusqu’à 10 millions d’euros par an », détaille Philippe
Capron, directeur général adjoint du groupe en charge des finances, dans une publication de
l’Institut Messine de janvier 2016. « Cette minuscule activité parabancaire est bien sûr parfaitement
légale. Nous avons bien en tête que cet arbitrage ne sera pas durable. Il n’empêche, le seul fait qu’il
soit possible est bien révélateur de l’absurdité de la situation où nous sommes. »
Lire aussi : La réalité économique rattrape les marchés (/economie/article/2016/05/07/la-realiteeconomique-rattrape-les-marches_4915245_3234.html)
Mais pour les entreprises moins proches des marchés financiers, le mécanisme n’est pas forcément
évident. A cause de ce frein psychologique, les banques prennent le sujet avec des pincettes, de
peur de perdre leurs clients. BNP Paribas et la Société générale n’ont pas souhaité commenter.
Pourtant, un connaisseur du secteur confie, sous couvert d’anonymat, que les deux banques
appliquent déjà des taux négatifs à une partie de leur clientèle de grandes entreprises.
Flou juridique
De son côté, M. Le Veziel, chez Cacib, reconnaît que « si les montants déposés par les entreprises
sur les dépôts à vue prenaient des proportions trop importantes, les banques pourraient envisager
de les facturer. Cela consisterait à appliquer des frais, soit à partir du premier centime, soit au-delà
d’un certain montant. On ne parlera pas d’intérêts négatifs. » En mars 2016, les dépôts à vue des
sociétés non financières atteignaient 295 milliards d’euros d’encours, en hausse de 17 % par
rapport à mars 2015, selon les chiffres de la Banque de France.
Les banques avancent d’autant plus prudemment que persiste un flou juridique. En droit, les intérêts
ne sont pas négatifs. « Il n’existe pas de vision claire de ce que l’on peut faire ou ne pas faire »,
souligne M. Le Veziel. Dans un monde où la banque fait payer l’entreprise pour garder son argent,
inversement, elle paye l’entreprise qui lui emprunte de l’argent. Or, comme l’explique Jean-Pierre
Mattout, avocat associé chez Kramer Levin, « selon le code monétaire et financier, une opération de
crédit doit avoir un caractère onéreux : par nature elle comprend une charge pour l’emprunteur, qui
rémunère le risque et le service rendu par la banque ». Si cette charge devient un profit, « on est en
Terra incognita ».
Et l’épargnant français ? Il est encore à l’abri des taux négatifs. Les établissements savent les
dégâts que cela leur causerait en termes d’image de faire payer les déposants. Et dans l’Hexagone,
l’épargne réglementée crée une distorsion : grâce au Livret A, les épargnants bénéficient d’un
placement liquide rémunéré à 0,75 %. Ce qui fait dire à un économiste de banque que, dans
l’environnement actuel de taux bas, « l’épargnant français est bercé d’illusions ».
Lire aussi : Le Livret A, une manne devenue cauchemar pour les banques
(/economie/article/2016/04/22/le-livret-a-une-manne-devenue-cauchemar_4906735_3234.html)
http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2016/05/12/bpce-facture-les-depots-de-gra... 13/05/2016