les zones franches, interfaces de la mondialisation

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les zones franches, interfaces de la mondialisation
LES ZONES FRANCHES, INTERFACES DE LA MONDIALISATION
François Bost
Armand Colin | Annales de géographie
2007/6 - n° 658
pages 563 à 585
ISSN 0003-4010
Article disponible en ligne à l'adresse:
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Bost François, « Les zones franches, interfaces de la mondialisation »,
Annales de géographie, 2007/6 n° 658, p. 563-585. DOI : 10.3917/ag.658.0563
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ARTICLES
Les zones franches,
interfaces de la mondialisation
Free zones and globalization
François Bost
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Résumé
L’étude des zones franches constitue encore un thème peu abordé en géographie
et en économie. Celles-ci illustrent pourtant de manière remarquable l’ouverture
du monde aux échanges internationaux, comme en témoigne leur multiplication
au cours des deux dernières décennies, y compris dans les pays les plus rétifs au
capitalisme. En 2007, 123 pays sur 192 étaient dotés d’un régime de zone franche.
À cette date, 1 257 zones franches étaient recensées dans le monde, dont
76 % dans les pays du Tiers-monde et d’Europe orientale. Actives tant dans les
activités à fort coefficient de main-d’œuvre, que sur les créneaux les plus technologiques, ces zones franches employaient environ 45 millions de personnes en
2007. Cet article dresse un inventaire inédit de leur présence par ensembles géographiques et donne quelques pistes de recherche afin de mieux les analyser.
Abstract
Free Zones are still rarely analyzed in geographical and economic studies. Yet
they are a striking illustration of the opening of the world to the international
exchanges: in the last two decades, they tremendously increased even in the
countries the most reluctant to capitalism. In 2007, 123 countries out of 192 had
Free Zones. That year, 1,257 Free Zones were listed throughout the world, 75%
of which were located in Third World and Eastern Europe countries. Represented in low-value added activities as well as in the most high-tech sectors, these
Free Zones employed approximately 45 million people in 2007. This article draws
up a much-needed inventory of their presence by geographical area and outlines new tracks for further research.
Mots-clés
Systèmes dérogatoires, division internationale du travail, industrie, investissements directs étrangers, mondialisation, zone franche, zone économique
spéciale.
Key-words
Derogatory legislation, industry, export processing zone, free trade zone, foreign
direct investment, globalization, special economic zones.
Introduction
Expression par excellence de la libéralisation accélérée des échanges depuis
le milieu des années 1980, de l’ouverture de la quasi-totalité des pays de la planète à l’économie de marché, ou encore de l’envolée sans précédent du commerce
international et des investissements directs étrangers (IDE), les zones franches se sont considérablement multipliées dans les années 1980-2000. À cet
égard, elles apparaissent comme de remarquables marqueurs de la diffusion
de la mondialisation à l’échelle planétaire, au point que la question n’est
Ann. Géo., n° 658, 2007, pages 563-585, © Armand Colin
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Maître de Conférences à l’Université Paris-X-Nanterre, Laboratoire Géographie Comparée
des Suds et des Nords (GECKO)
ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007
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plus tant de savoir dans quels pays se situent ces espaces destinés à attirer
entreprises et activités exportatrices grâce aux avantages qui leurs sont accordés,
mais plutôt d’identifier ceux n’ayant pas encore légiféré en leur faveur. Nombre
d’États, principalement dans le Tiers-monde, en ont fait des outils et des leviers
importants – voire décisifs – pour entrer dans la spirale vertueuse du développement. Les études de cas montrent en effet que les zones franches jouent un
rôle souvent important dans ces pays en matière de création d’emplois nouveaux (principalement dans l’industrie, via la sous-traitance internationale)
et de formation de la main-d’œuvre, de diversification de l’économie (avènement de nouvelles filières d’activités) et des exportations, de transferts de
technologie ou encore d’apport de devises fortes (Madani, 1999 ; Bost,
2007).
Bras armé souvent indispensable, mais non exclusif, de la stratégie de développement dite de « substitution d’exportations » selon le modèle asiatique, les
zones franches constituent vis-à-vis de l’extérieur (bailleurs de fonds et investisseurs étrangers) un signe fort, celui d’une volonté d’insertion dans les rouages
de l’économie mondiale par le biais de l’exportation de biens manufacturés et
de services (cas, remarquable, de la Chine et des pays d’Europe orientale).
En dépit de leur rôle économique essentiel, les zones franches n’ont
curieusement fait l’objet jusqu’à maintenant que d’un très petit nombre de
travaux spécifiques, tant chez les économistes que chez les géographes.
Vingt ans exactement après la publication du petit atlas de Roger Brunet 1
sur la question, une équipe de géographes constituée autour de l’Atlas mondial
des zones franches 2 entend combler ce manque, en élevant les zones franches au rang d’objet géographique à part entière.
Après avoir dressé dans une première partie un inventaire actualisé de la
diffusion du « phénomène » zone franche à travers le monde, le présent article
propose une grille d’analyse des interactions spatiales tissées à partir et vers
les zones franches, depuis l’échelle locale jusqu’aux échelles de la mondialisation. Dans une troisième partie, un bilan de leur efficacité économique
est présenté.
1
L’impressionnante floraison mondiale des zones franches
1.1 Différents types zones franches
Par définition, le concept de zone franche (Free Zone) renvoie à un principe
juridique universel, à savoir la possibilité pour une entreprise implantée dans
un périmètre donné de se soustraire plus ou moins durablement au régime
commun en vigueur dans le pays d’accueil, principalement dans les domaines
douanier et fiscal, voire en matière de droit de travail (bien que cela soit
loin d’être la règle contrairement aux idées reçues).
1
2
Roger Brunet, Atlas des zones franches et des paradis fiscaux, Paris, Fayard/Reclus, 1987, 78 p.
François Bost (dir.), Atlas mondial des zones franches, Paris, La Documentation française, à
paraître.
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Le terme générique de zone franche recouvre en fait plusieurs types
différents, que les États adaptent en fonction de leurs stratégies de développement respectives, ce qui explique la très grande variété des situations
observées de par le monde. De surcroît, nombre de pays les mettent en
place simultanément afin d’en optimiser les retombées favorables.
Les « zones franches commerciales » (Free Trade Zones) constituent un
premier type très classique, tant dans les pays industrialisés que dans le
Tiers-monde. Localisées dans les périmètres portuaires (ports francs) et
aéroportuaires (zones franches aéroportuaires), au débouché ou le long des
grands axes de communication (maritimes, ferroviaires et routiers), ou
encore dans les régions transfrontalières, celles-ci sont surtout présentes
dans les lieux jouant un rôle important en matière de transit international
(transbordement, éclatement des marchandises, etc.) : Colón (Panama),
Djebel Ali (Émirats Arabes Unis), Hambourg (Allemagne), Jurong (Singapour), Port-Louis (Maurice), Yantian (Chine), etc. Leurs fonctions diverses
(négoce international, réexportation, etc.) en font de véritables plaques
tournantes du commerce international, tant aux échelles régionale que continentale, voire mondiale pour les plus importantes d’entre-elles. Lieux de facilitation essentiel le long de la chaîne logistique, les zones franches commerciales sont donc dotées – pour les plus dynamiques d’entre-elles – des
infrastructures de transbordement et de stockage les plus modernes, notamment pour traiter les conteneurs.
Les sociétés d’import-export et les transitaires peuvent y décharger librement – donc sans droits de douane ni taxes – et avec des formalités réduites
toutes sortes de marchandises importées dans l’attente de leur réexportation
(après un temps plus ou moins long de stockage), ou de leur vente sur le
marché national. Dans ce second cas, les marchandises paient alors les droits
de douane et les taxes prévues sitôt l’enceinte franchie, selon leur valeur en
date de leur entrée dans la zone franche commerciale. La suspension des
droits de douane et des taxes n’est donc que momentanée, à la grande différence des zones franches à vocation industrielle pour l’exportation. Cependant, le stockage des marchandises à proximité immédiate ou relative des
marchés visés permet aux exportateurs de répondre dans les meilleurs délais
aux évolutions de la demande. Ceux-ci peuvent donc jouer sur les fluctuations tarifaires et monétaires, ou encore choisir le meilleur moment pour
écouler leurs marchandises (par exemple en anticipant sur des appels d’offre,
des commandes, etc.). Par ailleurs, une légère transformation des marchandises peut permettre à ces dernières de bénéficier de droits de douane plus
avantageux lors de leur réexportation. Mais les activités autorisées dans les
zones franches commerciales sont strictement limitées à tout ce qui ne s’apparente pas à une fabrication : stockage, empaquetage, assemblage simple, mise
sur palette, etc.
Les « zones franches d’exportation » (Export Processing Zones, ou EPZ),
appelées aussi « zones franches industrielles et de services » constituent un
second type, auquel renvoie le plus souvent le terme générique de zone
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Articles
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franche. Celles-ci sont spécifiquement dédiées à la production manufacturière et, de plus en plus, à la fourniture de services, notamment en liaison
avec internet et le traitement informatique de l’information. Depuis peu,
elles s’ouvrent aussi aux secteurs des médias et de la santé. Très peu présentes dans les pays industrialisés, elles sont en revanche emblématiques du
monde en développement, en raison de leurs coûts de main-d’œuvre moins
élevés. Leur localisation est également très dépendante de la proximité des
grandes infrastructures de transport, de même que des espaces urbains les
plus attractifs, afin de profiter des économies d’agglomération et de la présence d’une main-d’œuvre abondante.
Les entreprises agréées dans les zones franches d’exportation bénéficient
d’avantages différents et surtout beaucoup plus conséquents par rapport à
ceux des zones franches commerciales. En effet, elles peuvent importer en
franchise de droits de douane des matières premières, des équipements et
autres intrants nécessaires à la production des biens qu’elles fabriquent ;
elles peuvent également exporter leur production sans payer de droits de
douane à la sortie (ceux-ci n’étant payés que dans les pays de destination,
sauf si ces derniers ont prévu de les en dispenser dans le cadre des accords
de l’OMC ou dans celui d’accords bilatéraux). Les entreprises agréées
bénéficient aussi dans l’immense majorité des cas d’une fiscalité réduite,
voire nulle, durant un temps fixé par la loi (3, 5, 10, 15, 20 années, etc.),
alors que les entreprises implantées dans les zones franches commerciales
paient des impôts, au même titre que celles situées hors zone franche. Passé
ce délai, elles rentrent alors dans le régime commun et deviennent imposables, soit au même niveau que les autres, soit à un niveau encore attractif
durant une période transitoire, afin de ne pas les inciter à se délocaliser.
En contrepartie des avantages octroyés, les entreprises franches doivent
répondre à un certain nombre de conditions d’agrément, notamment l’obligation d’exporter un pourcentage élevé de leur production, variant dans la
plupart des cas entre 80 et 100 %. Elles doivent également travailler dans
des secteurs d’activité destinés à diversifier la structure économique du pays
récipiendaire (la traditionnelle « montée en gamme » prônée par les politiques de développement). Dans la plupart des cas, les entreprises agréées
peuvent vendre sur le marché local une petite part de leur production telle
que définie par la loi (notamment des invendus, des produits dotés de
menus défauts, etc.) et après autorisation des autorités de tutelle. Cependant, cette part est assujettie au paiement des droits de douane et des taxes
locales afin d’éviter une distorsion de concurrence vis-à-vis des entreprises
situées en régime commun.
D’autres avantages complètent ces dispositifs dans des proportions variables. Ils sont d’ailleurs souvent jugés aussi attractifs par les entreprises que
les seuls avantages douaniers et fiscaux : simplification des procédures administratives via un guichet unique regroupant toutes les démarches nécessaires ; bâtiments standardisés et modulables offerts à la location afin d’accélérer la procédure d’implantation (cas de Maurice) ; proximité des infrastructures
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majeures (aéroport international, port en eau profonde, etc.) ; tarifs préférentiels (eau, électricité, télécommunications, etc.) ; libre rapatriement des bénéfices en devises ; larges exonérations fiscales pour les salariés expatriés ; etc.
Au total, ces dispositions permettent aux entreprises locales et étrangères
agréées de profiter d’un environnement des affaires allégé des lourdeurs
bureaucratiques qui restent bien souvent l’apanage des régimes communs,
notamment dans les pays en voie de développement.
L’examen détaillé des lois relatives aux zones franches montre cependant
une grande uniformisation des textes et des avantages concédés au cours des
années 1980-2000, en contradiction avec le discours commun sur la surenchère systématique entre les pays. Il faut y voir l’influence directe des grands
organismes de développement, tel que l’ONUDI ou la Banque mondiale,
qui financent les études préparatoires et de faisabilité.
Bien que quelquefois confondus avec elles, les « paradis fiscaux » ne
constituent nullement un type particulier de zones franches, même si les
uns et les autres ont en commun de se soustraire à l’impôt. Les paradis fiscaux
ont en effet pour vocation de faciliter, dans la discrétion la plus complète, les
transactions financières des firmes transnationales qui y ont implanté des filiales
destinées à réaliser, pour le compte des maisons mères, les bénéfices qui échapperont à la taxation dans leurs pays d’origine. « Zones grises » par excellence
de l’économie mondiale, les paradis fiscaux sont aussi dénoncés par les institutions financières internationales en raison des facilités qu’ils apportent
en matière de blanchiment d’argent sale (corruption, trafics illicites, etc.).
Leurs fonctions exclusivement bancaires et financières n’ont donc rien à
voir avec celles des zones franches, dont la finalité est fondamentalement
la production industrielle ainsi que la fourniture de services commerciaux.
1.2 Trois modalités d’implantation possibles
Initialement, les zones franches ont été pensées comme des espaces de taille
relativement restreinte, rigoureusement délimités, coïncidant avec des zones
d’activités. Celles-ci sont généralement entourées de hauts murs et leurs
accès strictement contrôlés (police, douane). Ce dispositif reste de loin le
plus répandu à travers le monde. Si la grande majorité des zones franches
sont sans population résidente à l’intérieur, certaines d’entre-elles cependant – toutes localisées en Asie orientale et en Inde – peuvent être qualifiées d’« intégrées ». Leur main-d’œuvre est logée directement sur place,
selon un zoning distinguant les niveaux de qualification (ouvrières et
ouvriers en dortoirs, logements individuels pour l’encadrement) et les sexes
(certaines zones franches ont néanmoins prévu des baraquements pour les
couples), tandis qu’elles disposent d’un certain nombre de commodités
(supermarchés, édifices religieux, espaces récréatifs, centres téléphoniques,
etc.) visant à limiter les sorties.
Dans un second temps, les pouvoirs publics d’un certain nombre de pays
ont préféré au concept de zone franche celui des « points francs ». Il s’agit
d’un statut juridique attribué à des entreprises exportatrices répondant aux
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Articles
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mêmes exigences que dans les zones franches (et donc bénéficiant des
mêmes avantages fiscaux et douaniers). En revanche, celles-ci sont libres de
s’implanter où elles le souhaitent dans le pays d’accueil, généralement à
proximité de certaines matières premières, sur les bassins de main-d’œuvre,
à proximité d’infrastructures particulières ou encore dans les régions transfrontalières. Le Mexique a été le premier pays à inaugurer cette formule en
1965, au travers des entreprises connues sous le nom générique de maquiladoras (2 820 établissements début 2006). Celles-ci ont été dans un premier temps invitées à se localiser le long de la frontière avec les États-Unis,
avant d’être autorisées à se répandre dans tout le pays. Cependant, les plus
importantes concentrations de maquiladoras se localisent toujours le long
de la frontière américano-mexicaine, autour de villes ayant joué la carte de
la spécialisation : Tijuana (électronique), Ciudad Juarez (pièces détachées
automobiles), Matamoros (composants électroniques), etc. Plusieurs pays
ont suivi l’exemple mexicain avec succès, à l’instar de Maurice et de Madagascar en Afrique. Plus nombreux encore sont les pays qui ont joué sur les
deux possibilités en proposant un régime mixte (zones franches et points
francs), afin de diversifier les opportunités d’implantation pour les entreprises (Cameroun, Ghana, Inde, Kenya, Jordanie, Namibie, Pakistan, Sénégal,
Togo, etc.).
Les « zones économiques spéciales » (ZES) constituent une troisième
modalité d’implantation possible. Apparues en Chine en 1978, celles-ci se
définissent comme de très vastes territoires pouvant atteindre plusieurs centaines de km2 – voire plusieurs milliers lorsqu’elles se calquent dans certains
cas sur des régions administratives entières – au sein desquels les entreprises
agréées peuvent s’implanter librement, soit dans des zones industrielles et
des parcs d’activités, soit sous la forme de points francs. Les ZES englobent
dans tous les cas de figure des villes (en totalité ou en partie), des zones
d’activité en plus ou moins grand nombre, des espaces ruraux (réserves foncières), des infrastructures de transport, etc. Les ZES sont très caractéristiques des pays souhaitant encadrer étroitement l’essor de leurs activités,
ainsi que l’implantation des firmes étrangères (Chine, Inde, Iran, Jordanie,
Lettonie, Philippines, Pologne, Russie, Ukraine).
1.3 Où ne sont-elles pas encore ?
Le patient et rigoureux décompte opéré dans le cadre de l’Atlas mondial
des zones franches a permis d’établir très précisément à 1 257 le nombre
total des zones franches de par le monde à la mi-2007, tous types confondus
(zones franches commerciales, industrielles et de services, zones économiques
spéciales). Ce chiffre considérable et totalement inédit revoie très largement
à la hausse la fourchette estimative des quelques 850 zones franches avancée
au milieu des années 1990 par des organismes comme l’ONUDI, la Banque
mondiale ou le Bureau International du Travail (BIT). Le nouveau décompte
n’intègre pas les 100 zones franches urbaines françaises (ZFU), ni les Enterprise
Zones du Royaume-Uni qui relèvent d’une autre catégorie, en raison de leur
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vocation particulière (elles ne sont pas destinées à exporter et visent à la
seule régénération urbaine de quartiers en difficulté).
Le « phénomène » zone franche ne transparaît cependant qu’imparfaitement au travers de ce chiffrage. En effet, il ignore tout d’abord les points
francs qui, dans certains pays, peuvent être très nombreux. Leur décompte
reste difficile, en raison de l’appareillage statistique incomplet de nombreux
pays (à l’exception du Mexique). D’autre part, ces zones franches présentent des visages très différents et difficilement comparables, depuis les plus
importantes d’entre-elles – accueillant plusieurs centaines d’entreprises et
puissamment inscrites dans les échanges internationaux – jusqu’aux plus
modestes, qui peinent à se remplir – lorsqu’elles ne sont pas dans certains cas
des « coquilles vides » (cas de la plupart des zones franches en Argentine).
Tab. 1 Les zones franches dans le monde, un état des lieux (situation en octobre 2007).
An inventory of free zones in the world (October 2007).
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Nombre de pays dotés
de régimes de zone franche
Nombre de zones franches*
par régions
Amérique du Sud
8
66
5,3 %
Amérique centrale
7
71
5,7 %
Caraïbes
7
73
5,8 %
Amérique du Nord
2
263
20,9 %
Europe occidentale
13
41
3,3 %
Europe orientale
et balkanique
15
89
7%
3
43
3,4 %
Pays du Sud et de l’Est
de la Méditerranée
11
71
5,7 %
Afrique Subsaharienne
et océan Indien
32
94
7,5 %
6
46
2,9 %
Ex-pays de l’URSS
Péninsule Arabique
et golfe Persique
Asie du sud
Asie orientale
Océanie
TOTAL
5
41
3,65 %
13
359
28,6 %
1
–
123
1 257
100 %
*Zones franches industrielles et de services, zones franches commerciales et zones économiques
spéciales (hors zones franches urbaines en France, Enterprise Zones au Royaume-Uni, maquiladoras et points francs qui entrent dans d’autres catégories).
Source : F. Bost (dir.), Atlas mondial des zones franches (à paraître).
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Régions
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Formes prises par les zones franches à travers le monde en 2007.
The various forms of free zones worldwide in 2007.
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Fig. 1
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La carte (fig. 1) matérialisant les États dotés d’un régime de zone
franche témoigne du caractère désormais universel de la formule, puisque
123 pays sur un total de 192 pays indépendants avaient légiféré en leur
faveur à la mi-2007, soit 64 %. La liste ne paraît pas close, puisque plusieurs pays affichent depuis plusieurs années des velléités en la matière
(Lesotho, Sao Tomé et Principe, Rwanda, etc.). Cependant, le « remplissage » de la carte ne doit pas faire illusion. Les pays présentant les meilleures
dispositions en la matière en sont déjà presque tous dotés et verrouillent
leurs positions, si bien que les nouveaux venus – relevant essentiellement
des pays les plus pauvres – apparaissent plutôt lancés dans une tentative
désespérée de rattrapage, par effet de suivisme, faute de véritable alternative
économique. Aussi ce mouvement pourrait-il bien se tarir assez vite, devant
les difficultés rencontrées par les derniers arrivants.
Amorcée essentiellement à partir des années 1950, la dynamique en
faveur des zones franches s’est progressivement renforcée pour atteindre
son maximum à partir des années 1980 jusqu’à aujourd’hui, à l’occasion de
la montée en puissance des pays du Tiers-monde (notamment avec l’affirmation des pays émergents) et des pays d’Europe orientale (libérés de
l’emprise du communisme) dans les échanges internationaux. Certaines
zones franches emblématiques ont joué à cet égard un rôle essentiel dans
la diffusion de ce phénomène, souvent bien au-delà de leurs sphères
d’influence respectives, en s’offrant comme modèle à imiter. Ainsi en va-til de la zone franche de Shannon en Irlande, qui annonçe même avoir
« vendu » son savoir-faire dans plus de 70 pays. Ou encore, dans le monde
en développement, de la « zone libre » de Colón (Panama) pour l’Amérique centrale ; de la zone franche de Manaus (Brésil) pour l’Amérique du
Sud ; des trois Foreign Trade Zones de Porto Rico et de la zona franca de
La Romana en République Dominicaine pour les Caraïbes ; de celle de
Maurice pour l’Afrique subsaharienne et l’océan Indien ; de Djebel Ali
(Émirats Arabes Unis) pour le Moyen-Orient ; ou encore de celles de
Kaoshiung et de Hsinchu à Taiwan, de Masan (Corée du Sud), enfin de
Shenzhen (Chine) en Asie orientale.
Quel que soit leur type, les zones franches sont présentes aussi bien dans
les pays industrialisés de la Triade, que dans les pays en voie de développement et d’Europe orientale, avec néanmoins une très nette prédominance
pour ces derniers (108 pays et 952 zones franches, soit 76 % du total mondial), y compris dans les pays encore idéologiquement rétifs au capitalisme
(Corée du nord, Cuba).
Avec seulement 13 pays concernés, l’Asie orientale se taille la part du
lion (28,6 % du total mondial des zones franches), emmenée par la Chine,
qui en totalise 156 à elle seule (répondant à six types juridiques différents).
Celle-ci est suivie de très loin par les Philippines (37), la Corée du Sud
(29), Singapour (29), l’Indonésie (15) ou encore Taiwan (15). Le Viêt
Nam parait en revanche en retrait (5 EPZ et 2 High Tech Park), comme s’il
tablait davantage sur ses 110 zones industrielles. La vigueur des dispositifs de
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zone franche en Asie orientale est inséparable de l’exceptionnelle dynamique enregistrée en matière de délocalisation industrielle et de services
depuis les pays industrialisés. Mais contrairement aux idées reçues, les
entreprises locales y sont beaucoup plus nombreuses que les entreprises
étrangères, grâce à leur capacité à capter les activités externalisées (outsourcing) dans le cadre de la sous-traitance internationale.
L’Asie occidentale s’emploie, quant à elle, à refaire son retard. Celles du
Bangladesh (6 EPZ) et du Sri Lanka (10 EPZ) comptent déjà parmi les
hauts lieux du sourcing mondial des grandes chaînes du textile-habillement
des pays industrialisés, tandis que l’Inde (8 EPZ et 15 ZES) se singularise
à l’échelle planétaire par sa stupéfiante – et irréaliste ? – frénésie créatrice
(416 projets d’ouverture approuvés ou en passe de l’être en 2007 !).
La Péninsule Arabique et le golfe Persique (46 zones franches, dont 15
ZES, réparties dans 6 pays) a réalisé une percée très remarquée, surtout au
travers d’Oman (8 zones franches), de l’Iran (3 zones franches et 15 ZES)
et des Émirats Arabes Unis (17 zones franches), dont Dubaï apparaît désormais comme l’un des archétypes mondiaux sur le plan des facilités commerciales offertes.
Les pays du sud et de l’est de la Méditerranée sont assez bien représentés dans ce panorama mondial (71 zones franches dans 11 pays), en
raison de leur proximité avec l’Europe occidentale qui fournit l’essentiel des
délocalisations d’activités et des débouchés en retour. La Turquie, avec ses
21 zones franches, a su jusqu’à maintenant assez bien résister face à la
déferlante des produits textiles chinois. En revanche, les 267 000 emplois
recensés dans les points francs tunisiens (appelés localement « Entreprises
totalement exportatrices »), auxquels s’ajoutent ceux des deux zones franches de Bizerte et de Zarzis, apparaissent davantage menacés, en raison de
l’incapacité des quelques 2 360 entreprises concernées à monter en gamme
vers des produits à plus forte valeur ajoutée. Confronté à l’explosion de sa
population et à la montée inquiétante du chômage, la Jordanie a poussé
pour sa part très loin la déclinaison du concept de zone franche afin de
renforcer tous azimuts son attractivité internationale. Outre ses 6 zones
franches publiques, sa vaste ZES autour du port d’Aqaba, mais aussi ses
points francs, ce pays a surtout créé un type particulier de zones franches,
baptisées Qualifying Industrial Zones, ou QIZ (13 en 2007, représentant
20 % du total de la valeur des exportations jordaniennes : textile, bijouterie,
cuir, produits pharmaceutiques). Apparues en 1998 dans la foulée des
accords de paix israélo-jordaniens, celles-ci sont spécifiquement tournées
vers l’exportation en direction des États-Unis (accès libre et sans quotas)
qui, par ce biais, témoignent de leur souci d’appuyer leur allié traditionnel
dans la région, du fait de son rôle d’État-tampon entre Israël et l’Irak.
Fortes de 37 000 emplois directs, les QIZ ont incontestablement étoffé un
secteur industriel jusque-là très déficient.
L’Afrique subsaharienne est la région qui totalise le plus grand nombre
de pays dotés d’un régime de zone franche (32 pays sur 48), sans pour
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autant avoir inversé la donne sur le plan manufacturier, car leur attractivité
reste très faible auprès des investisseurs locaux et étrangers. Sur les 94
zones franches recensées en 2007, 41 relèvent de surcroît du seul Kenya (2
EPZ publiques ; 39 EPZ privées, souvent minuscules et n’abritant volontairement qu’un très petit nombre d’entreprises). Quelques pays ont fait
cependant avec un certain succès des zones franches un pilier de leur stratégie de développement, à l’instar de Maurice à partir de 1970, de Madagascar et du Togo (1989), du Kenya (1990) ou du Ghana (1995). Pionnier
à l’échelle du continent africain, le Sénégal (1974) a cependant totalement
échoué dans sa stratégie d’accueil des entreprises étrangères en mal de délocalisation alors que les moyens déployés furent initialement très importants.
Bien que pionnière en la matière (Uruguay dès 1923 ; Porto Rico en
1947 ; Panama en 1948 ; Brésil en 1957), l’Amérique latine s’est laissée
doubler par l’Asie orientale dans les années 1960 et 1970. Pour la plupart
d’entre eux adeptes de la stratégie de substitution aux importations – destinée à satisfaire en priorité les marchés domestiques –, ces pays n’ont pas
fait de l’exportation de biens manufacturés une priorité. L’ensemble ne
compte cependant pas moins de 203 zones franches en 2007 (dont 66 en
Amérique du Sud et 71 en Amérique centrale). Au sein des Caraïbes (66
zones franches), la République Dominicaine occupe une place déterminante, avec un total de 58 (dont 33 privées), très largement tournées vers
la satisfaction du marché nord-américain (produits textiles).
Un certain nombre de pays du Tiers-monde n’apparaissent pas encore
dotés de zones franches. Il s’agit essentiellement d’îles situées en position
très excentrée par rapport aux grands centres d’impulsion économique et
aux principales routes du commerce mondial, ce qui les contraint à faire
d’autres choix de développement (tourisme notamment), à l’instar de
l’Océanie (seul le Vanuatu s’est doté d’un texte en 2003), ou de pays
enclavés (Afrique subsaharienne, Asie centrale et occidentale). L’absence
d’accès à la mer constitue un frein évident au développement international
des échanges, sachant que beaucoup de zones franches se localisent de préférence en position d’interface, dans des ports actifs et sur des axes maritimes majeurs. Le niveau de développement atteint par les pays constitue
également un facteur discriminant. Ainsi, la moitié des 50 PMA (pays les
moins avancés) ne dispose pas de textes en la matière, faute de pouvoir proposer un environnement des affaires attractif, des infrastructures modernes
(notamment en terme de transport), un niveau de formation de la maind’œuvre suffisant, ou plus simplement parce qu’ils présentent un risquepays trop important pour les investisseurs.
Les pays industrialisés se singularisent par leur intérêt relatif vis-à-vis des
zones franches (15 pays, 305 zones franches, dont 76 % pour les seuls
États-Unis). Ceux-ci n’en ont guère besoin, il est vrai, pour assurer leur
développement, si ce n’est pour tenter de redynamiser des territoires excentrés (cas de l’Union européenne, avec les Canaries, la Corse ou encore
Madère ; ou encore du Japon, avec son unique zone franche implantée dans
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ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007
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l’île lointaine d’Okinawa) ou faciliter la fonction de hub portuaire et aéroportuaire dans certains lieux précis. Pourtant pionnière en la matière, avec
ses ports francs hérités de la Hanse (dont Hambourg et Brême), de même
qu’avec ses « villes franches » médiévales, l’Europe occidentale n’en totalise
officiellement que 41 (dont 8 ports francs en Allemagne), réparties dans 13
pays. La plus connue reste celle de Shannon, en Irlande, qui a démarré ses
activités industrielles et commerciales en 1958 en se positionnant comme
tremplin européen pour les entreprises nord-américaines. Elle a joué un
rôle essentiel dans l’essor industriel de ce pays (électronique et pharmacie),
avant de se fondre dans le paysage économique (32 % de la valeur des
exportations en 1966, contre seulement 2,8 % en 2006). En dehors de ses
100 zones franches urbaines (ZFU), la France a appliqué le concept de
zone franche à l’ensemble de la Corse en 1996. Puis, elle a créé deux
petites zones franches : l’une le long de l’estuaire de la Gironde (terminal
à conteneurs du Verdon) à partir de 1999, mais ses 59 ha peinent à se remplir ; l’autre en Guyane, à Rémire-Montjoly, dans la périphérie de Cayenne.
Bien plus ambitieuse apparaît en revanche la politique des États-Unis en la
matière, au travers de leurs 263 zones franches commerciales (General
Purpose Zones), mises en œuvre depuis 1934 (mais en fait surtout depuis la
crise des années 1970) et présentes dans la plupart des ports et des villes
importantes (façades littorales, Manufacturing Belt, « vieux » sud et centreouest), auxquelles s’ajoutent environ 400 Subzones, ou points francs, qui
jouèrent un rôle significatif dans le mouvement de réindustrialisation des
années 1980-1990 (assemblage automobile notamment).
Fait très significatif, la floraison des zones franches dans les pays
d’Europe orientale et balkanique (89 zones franches dans 15 pays) a suivi
dans des délais très brefs l’effondrement du communisme au début des
années 1990. Nombre d’observateurs y ont vu la marque tangible de leur
forte volonté d’insertion dans les rouages de l’économie mondiale. Les
résultats les plus probants ont été enregistrés dans les pays d’Europe
médiane entrés dans l’Union européenne et devenus très attractifs dans le
cadre des délocalisations depuis l’Europe occidentale. La Pologne possède
ainsi 14 ZES depuis 1994, qui ont joué un rôle essentiel dans l’apprentissage des règles de l’économie de marché, au même titre que les zones franches de Bulgarie (6), de Roumanie (6) ou de la République Tchèque (9).
Mais les 12 zones franches répertoriées dans les pays baltes et les 44 recensées dans les pays de l’ex-Yougoslavie jouent encore pour la plupart un rôle
très marginal.
2
Zones franches et interactions spatiales :
une grille d’analyse
L’étude des zones franches offre à la géographie économique et industrielle
un champ d’investigation très vaste permettant notamment d’aborder à
toutes les échelles l’analyse des relations et des flux entre entreprises,
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acteurs du développement et territoires sous un angle renouvelé. Cette
approche par les interactions spatiales pose notamment la question essentielle de la plus ou moins bonne insertion des zones franches dans le tissu
économique d’accueil (soit les fameuses « retombées » locales), mais aussi
dans les rouages de la mondialisation (sous l’angle de l’attractivité vis-à-vis
des investisseurs étrangers et des débouchés à l’export), surtout dans le cas
des zones franches d’exportation, qui constitueront le cœur de notre questionnement. L’exercice est complexe, ne serait-ce qu’en raison de la difficulté à cerner de manière globale le fonctionnement d’une zone franche en
relation avec son environnement économique, ou encore des insuffisances
des appareils statistiques. Les interactions sont en effet multiples, très variables selon le type de zone franche, le niveau de développement des pays
d’accueil, les entreprises et les secteurs d’activité concernés. Certaines de
ces interactions présentent également une volatilité forte (notamment à
l’international), difficile à suivre, par exemple en ce qui concerne les marchés ou les relations de sous-traitance. Enfin, la question des seuils à partir
desquels l’on peut parler d’intégration plus ou moins réussie n’a guère été
tranchée, si bien que les interprétations et les exigences peuvent varier
selon les observateurs.
La confrontation entre la réalité observée sur le terrain et l’approche
théorique reste néanmoins pertinente. Quelques pistes sont proposées dans
cette seconde partie. La réflexion s’appuie sur le modèle ci-contre (fig. 2),
qui synthétise les principales interactions spatiales tissées entre une zone
franche d’exportation et son environnement économique, déclinées aux
niveaux local, régional et national (à gauche du schéma), et international
(à droite).
2.1 Quels effets d’entraînement sur les tissus économiques d’accueil ?
Eu égard à la grande variété des situations observées, mais aussi devant la
rareté des études monographiques approfondies consacrées aux zones franches, il est encore difficile de pousser bien loin les conclusions. Les travaux
déjà existants ou actuellement menés permettent cependant d’affirmer que
l’« effet d’enclave » – souvent dénoncé a priori par les détracteurs des
zones franches – est à fortement relativiser. Selon ces derniers, celui-ci
caractériserait des zones franches qui fonctionneraient en quelque sorte dos
tourné au reste du territoire national, en n’entretenant avec lui que le strict
minimum (apport de main-d’œuvre notamment). Cette analyse s’appuie
notamment sur différents éléments qui incarnent effectivement leur extraversion : l’existence de barrières physiques et douanières qui les soustraient
du régime commun, leur vocation fondamentalement exportatrice, leur
localisation en position d’interface, ou encore leur propension à attirer les
entreprises étrangères. Dans cette perspective, les zones franches sont souvent décrites comme « plaquées » sur les économies d’accueil et très largement dépendantes de l’international pour leurs approvisionnements en
intrants, leurs capitaux, leurs technologies ou encore leurs débouchés.
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Fig. 2
ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007
Zones franches et interactions spatiales : un modèle de fonctionnement idéal.
Free zones and spatial interactions : an ideal type.
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Construit à partir de l’étude fine d’un échantillon représentatif de zones
franches 3, le modèle théorique ci-contre témoigne de la diversité des interactions qui lient les zones franches aux territoires d’accueil, déclinées
depuis l’échelle locale jusqu’à l’échelle nationale. Naturellement, ce modèle
renvoie à une situation idéale. La composition, l’intensité ainsi que le rayon
d’action des dynamiques et des flux concernés varient en effet très fortement en fonction des situations observées.
Les cas d’insertion de zones franches les moins probants sont essentiellement relevés dans les pays pauvres et peu industrialisés, en raison de la
faiblesse générale des tissus économiques d’accueil qui ne permet pas la
démultiplication de leurs retombées favorables, notamment du fait de la
quasi-absence d’entreprises locales partenaires situées hors zone franche,
par exemple dans la sous-traitance, la fourniture d’intrants, etc. De surcroît,
la faible valeur ajoutée des produits fabriqués, leur hétérogénéité, de même
que la sophistication peu poussée des process industriels expliquent que les
transferts de technologies, d’expériences et de savoir-faire vers le reste de
l’environnement économique soient aussi très limités. Faute d’entrepreneurs
locaux actifs sur les créneaux manufacturiers à l’export, ces zones franches
n’accueillent généralement que des PMI-PME étrangères dans une logique
sectorielle « attrape-tout » préjudiciable à la spécialisation et à la montée en
gamme, et donc au développement de relations inter-entreprises (cas de l’Afrique
subsaharienne par exemple). Finalement, l’insertion locale des zones franches dans ces pays ne se réalise qu’au travers des emplois (au mieux quelques milliers), des salaires distribués ou encore des devises engrangées par
l’Etat. Faute de personnels d’encadrement qualifiés, les entreprises agréées
ont enfin recours à des expatriés, ce qui accroît encore leur extraversion.
Quelques rares PMA échappent en partie à ce schéma, à l’instar de Madagascar (au travers de ses points francs) et du Bangladesh (six EPZ), qui ont
su jouer la carte de la spécialisation (textile-habillement) et pour lesquels
les retombées locales se traduisent par des volumes d’emplois très importants (respectivement 100 000 et 124 000 personnes en 2007), ainsi que par la
constitution de véritables filières textiles à l’amont (usines de fil et de tissus
notamment). Dans le cas de Madagascar cependant, les investisseurs locaux
demeurent très minoritaires, si bien que les entreprises étrangères présentes
ne peuvent guère compter sur eux pour les appuyer dans leurs opérations
de lobbying auprès des pouvoirs publics.
Si l’insertion idéale reste encore à définir, nombre de zones franches
implantées dans des pays émergents d’Asie orientale (Chine, Corée du Sud,
Malaisie, Taiwan, Singapour, Indonésie, etc.), d’Amérique Latine (Brésil,
Uruguay, etc.), ou d’Europe orientale (Pologne) en présentent un certain
nombre de caractéristiques de par la diversité des interactions qu’elles ont
su tisser avec leurs milieux d’accueil, tant par leurs approvisionnements en
3
Ce modèle idéal a été construit dans le cadre de l’Atlas mondial des zones franches en cours.
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intrants auprès de fournisseurs locaux (matières premières, composants), la
sous-traitance qu’elles génèrent hors zone franche, ou encore le nombre
élevé d’entreprises locales qui s’y sont installées, multipliant ainsi les opportunités de joint-venture avec des entreprises étrangères. Leur spécialisation
souvent observée sur des activités à valeur ajoutée croissante et à fort contenu
de savoir-faire est incontestablement à l’origine d’effets d’entraînement mutuels,
de même qu’à la constitution d’une « atmosphère » industrielle. Cette dernière
est encore renforcée lorsque plusieurs zones franches sont présentes au sein
d’une même agglomération (à l’instar de ce qui s’observe à Taiwan, autour
de Kaohsiung et de Taichung) en complémentarité avec des zones industrielles
et d’activités classiques, ou lorsqu’une zone économique spéciale très attractive
attire plusieurs milliers d’entreprises (cas de Shenzhen en Chine). Ces effets
d’entraînement ne sont pas sans rappeler ce qui s’observe dans les « clusters »
technologiques, ou encore dans les « districts industriels » au sens marshallien.
Si la composante recherche & développement est généralement absente des
zones franches en raison de leur vocation essentiellement productive, celle-ci a
fait néanmoins son apparition dans des parcs technologiques développés sur
le modèle dérogatoire. L’un des exemples les plus emblématiques est sans
conteste celui de Hsinchu, à Taiwan, qui a ouvert ses portes en 1980, à 70 km
de Taipei. Bénéficiant d’une exemption de l’impôt sur les sociétés durant 5 ans,
les quelques 300 entreprises actuellement implantées (circuits intégrés, optoélectronique, ordinateurs et périphériques, télécommunications, biotechnologies,
etc.), dont une cinquantaine seulement sont étrangères, emploient au total
plus de 100 000 personnes, souvent très qualifiées. Désormais, près de 80 % des
semi-conducteurs taiwanais y sont fabriqués, dont l’île est le troisième
exportateur mondial. Sur son modèle, deux nouveaux parcs technologiques
ont été créés, l’un à Tainan en 1995, la quatrième ville du pays, l’autre à
Kaohsiung.
Les effets multiplicateurs générés par les zones franches sur les tissus
économiques d’accueil dépendent enfin fortement de l’ambition affichée
par les États en la matière, ainsi que de leur rôle assigné en matière d’aménagement du territoire. Si certains pays ne disposent que d’une seule zone
franche, de surcroît peu attractive (Cameroun, Libye, Sénégal, Venezuela,
Yémen, etc.), ceux-ci font exception. La norme est désormais de les multiplier, voire de décliner le concept sous toutes ses formes possibles.
2.2 Une insertion diversement réussie dans l’économie internationale
Contrairement aux idées reçues, toutes les zones franches n’ont pas vocation à s’inscrire puissamment dans les échanges internationaux, c’est-à-dire
à apparaître comme des nœuds incontournables de la mondialisation et de
la division internationale du travail (DIT). Seules les grandes zones franches
commerciales – notamment portuaires – et les zones franches d’exportation
les plus dynamiques peuvent prétendre jouer pleinement ce rôle à l’échelle
mondiale. Dans la grande majorité des cas, la vocation de leurs marchés est
au mieux régionale, ce qui est déjà fort enviable, en adéquation avec la
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dynamique de régionalisation de l’économie mondiale telle qu’elle
s’observe aujourd’hui. Certaines zones franches n’ont même qu’une vocation transfrontalière avec un pays voisin.
L’origine préférentielle de certains investisseurs étrangers, de même que
les débouchés prioritaires en terme de marchés de consommation déterminent finalement les interactions spatiales aux échelles supranationales. Ainsi
les 58 zones franches de la République Dominicaine sont-elles fondamentalement dépendantes du marché nord-américain, comme les points francs
de Maurice ou les zones franches de l’Europe Orientale (Pologne, République
Tchèque, Roumanie, etc.) peuvent l’être de l’Europe occidentale.
La spécialisation sectorielle de certaines zones franches dans les hautes
technologies, principalement en Asie orientale, précisément sur des produits
connaissant des rythmes de renouvellement très rapides et des marchés réellement mondiaux (informatique, téléphonie, etc.), explique en revanche la
grande variété de leurs donneurs ordres et des nationalités en terme d’investissements directs étrangers (IDE). Il en va de même dans le cas de ces zones
franches, plus nombreuses encore (Asie orientale et occidentale, Caraïbes,
Maghreb, Turquie, etc.), spécialisées dans des produits manufacturés ou des
services à fort coefficient de main-d’œuvre bon marché (textile-habillement,
chaussure, jouet, électronique grand public, composants informatiques, centres
d’appels téléphoniques, saisie informatique, etc.), dont les débouchés se
trouvent presque exclusivement dans les pays industrialisés, voire les pays
émergents les plus avancés.
Sous-tendu par les nouveaux impératifs de flexibilité et de compétitivité
des firmes, le recours de plus en plus systématique aux délocalisations
industrielles et de services depuis les pays industrialisés a constitué au cours
des années 1970-2000 le principal moteur de la dynamique enregistrée au
sein des zones franches les plus actives dans le monde en développement,
tant par l’implantation de filiales de firmes importantes que de PMI-PME
innovantes. Parallèlement, des entreprises se sont développées dans ces
zones franches à partir de capitaux locaux ou dans le cadre de joint-venture.
Il n’est pas rare que ces entreprises soient même majoritairement représentées. Souvent reconnues pour leurs savoir-faire techniques, technologiques
et managériaux, de même que pour leurs coûts de revient ultra compétitifs,
ces entreprises locales dispensent dans bien des cas les firmes étrangères de
s’implanter en propre au profit du sourcing, ces dernières préférant alors
s’approvisionner en direct via leurs centrales d’achat. Aussi ces zones franches ont-elles joué un incontestable rôle de catalyseur de l’activité économique, surtout dans les pays émergents.
Depuis le début des années 2000, ces flux nord-sud se sont enrichis
d’une nouvelle composante, sud-sud cette fois, depuis certains pays émergents aux coûts de main-d’œuvre de moins en moins compétitifs (Corée
du Sud, Taiwan, etc.) vers les zones franches de pays qui entendent bien
profiter de cette opportunité de croissance nouvelle (Chine, Viet-Nâm,
etc.).
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Dans le contexte contemporain de concurrence exacerbée entre les
firmes, ces zones franches dynamiques sont ainsi devenues des lieux
d’implantation privilégiés pour la sous-traitance internationale, que celle-ci
soit de « capacité » (effets de volumes) ou de « spécialité » (compétence
reconnue). Les stades de la production y sont diversement représentés
(assemblage final, sous-assemblage, production de composants plus ou
moins complexes), ce qui permet d’apprécier leur degré d’inscription dans
la division internationale des processus productifs (DIPP).
Des outils et des leviers utiles
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3.1 Des effets d’entraînement reconnus sur l’emploi
Les créations d’emplois générées par les zones franches sont censées théoriquement compenser le manque à gagner fiscal qui prive les États de ressources budgétaires supplémentaires, notamment dans les domaines sociaux,
éducatifs ou de la santé. Aussi les détracteurs des zones franches ne manquent-ils pas de monter au créneau lorsque les résultats ne sont pas rapidement au rendez-vous. Les occasions de le faire ont été nombreuses, en
raison des ambitions souvent disproportionnées affichées originellement par
nombre d’États rapportées à leurs possibilités réelles. Le Togo, par exemple,
tablait sur 100 000 emplois en 1990 lors de l’inauguration de la zone franche
de Lomé !
Cependant, c’est bien sur le front de l’emploi que les zones franches
présentent le bilan le plus appréciable. Plusieurs petits pays – insulaires en
particulier – ont joué pleinement sur ce levier, si bien que l’emploi manufacturier
y est essentiellement assuré par les zones franches. C’est le cas, par exemple, à
Maurice (55 000 emplois en 2006, après avoir atteint 92 000 emplois à la fin
des années 1990), ou encore en République Dominicaine (175 000 emplois).
Dans certains petits pays très pauvres, l’impact est encore plus fort. Ainsi,
au Togo, les 61 entreprises agréées en zone franche sont devenues – hors
secteur primaire – plus pourvoyeuses d’emplois (10 000 environ en 2006) que
celles situées en régime commun, au point de représenter plus de la moitié
des emplois du secteur secondaire togolais ! C’est dire l’incapacité structurelle de l’économie togolaise (et, par extension, des pays les plus pauvres)
à créer des emplois industriels en régime commun, d’une part en raison de
l’étroitesse du marché de consommation national, mais aussi du manque de
compétitivité des entreprises locales, de leurs difficultés chroniques à exporter
au niveau sous-régional, ou à investir dans la modernisation de leur outil
de production (Bost, 2007). Inversement, dans les pays en développement
fortement peuplés, l’emploi dans les zones franches apparaît logiquement
dilué et ne revêt pas en valeur relative la même importance que pour les
petits pays (0,5 % de l’emploi formel dans l’industrie en Inde, par exemple).
Il est même tout à fait négligeable dans les pays développés : les 110 entreprises de Shannon, par exemple, ne représentaient que 7 207 emplois directs
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3
Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 581
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en 2006, tandis que l’ensemble du dispositif étasunien ne concernait que
330 000 personnes seulement.
Quoiqu’il en soit, la mise en œuvre de programmes de zones franches
ambitieux s’est traduite dans nombre de pays en développement par une
évolution structurelle et très significative de l’emploi. En effet, ceux-ci ont
tout d’abord participé à l’essor du salariat dans des pays surtout dominés
par l’emploi informel. Ils ont aussi contribué au développement de l’emploi
féminin en dehors des secteurs traditionnels de l’agriculture et des services
domestiques, notamment dans les zones franches dominées par les activités
à faible valeur ajoutée et à forte intensité de main-d’œuvre (assemblage,
sous-assemblage, etc.), où la main-d’œuvre féminine peut représenter jusqu’à
80 % du total. Le profil moyen du salarié en zone franche est donc d’abord
celui d’une femme, jeune de surcroît. Les hommes redeviennent en revanche
majoritaires dans les activités à plus forte valeur ajoutée. Enfin, la présence
d’entreprises fortement inscrites dans les échanges internationaux contribue
à la hausse du niveau de formation de la main-d’œuvre, via les transferts
de technologie et l’apprentissage de process industriels plus complexes. Ce
volet rencontre cependant rapidement ses limites dans la mesure où
l’emploi féminin est assez peu représenté dans les activités à technologies
avancées. A ces emplois directs doivent enfin être rapprochés les emplois
indirects (sous-traitance, services, fourniture, etc.), dont le nombre dépend
étroitement des interactions tissées avec le tissu économique local. Selon les
pays concernés, le ratio varie ainsi de 0,2 (Afrique subsaharienne, Amérique
centrale) à 3 (Asie orientale).
Si les appareillages statistiques se sont étoffés au fil des années, il reste
néanmoins délicat de suivre l’évolution de l’emploi en zone franche à
l’échelle mondiale en raison des approximations entourant encore certains
pays, la Chine en premier lieu. En 1997, une première estimation du BIT
établissait à 22,5 millions le nombre de personnes employées dans ce cadre
(à rapporter aux 800 000 personnes recensées en 1975 par le BIT), dont
18 millions pour la seule Chine (ce qui en dit long sur la force de frappe
manufacturière de ce pays promu « atelier du monde »). En 2002, le BIT
a réactualisé ces chiffres, avec respectivement 37 et 30 millions d’emplois
concernés. Aucune nouvelle estimation n’a été proposée depuis, y compris
par les autorités chinoises. Le chiffre de 40 millions de personnes en Chine
est depuis souvent avancé par différentes sources, mais invérifiable pour le
moment.
Les données rassemblées dans le cadre de l’Atlas mondial des zones franches permettent assurément d’établir entre 5,6 et 6 millions le nombre
d’employés dans les zones franches en 2006 (hors Chine), puisque la majorité des pays les plus actifs en la matière disposent de chiffres officiels. Soit
un total d’environ 46 millions de personnes, si l’on retient la fourchette des
40 millions en Chine. Le Mexique apparaît avec environ 1,1 million d’emplois
dans les maquiladoras comme le second employeur mondial en la matière,
suivi de près par les Philippines (904 000) et l’Inde (800 000, dont 700 000
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3.2 La diversification sectorielle n’est pas toujours au rendez-vous
La mise en concurrence des zones franches performantes aboutit dans le
meilleur des cas à des « montées en gamme » sectorielles (on parle aussi de
« sorties par le haut »). Les activités à faible valeur ajoutée et au contenu
technologique limité sont alors progressivement abandonnées et relocalisées, notamment dans d’autres zones franches moins avancées sur le plan
technologique (Chine notamment), au profit d’activités à plus forte valeur
ajoutée (du textile-habillement à l’électronique par exemple) et nécessitant
un personnel plus qualifié, moins nombreux et beaucoup mieux payé, de
même que des investissements beaucoup plus capitalistiques. Maurice en
fournit un remarquable exemple, avec la délocalisation vers les points francs
malgaches du textile bas et moyen de gamme, et la réorientation progressive de ses activités en zone franche au profit des nouvelles technologies de
l’information et de la communication (centres d’appels téléphoniques, services informatiques, conception de logiciels et d’outils pour internet etc.),
afin de rester compétitive face à la montée des salaires.
Observé couramment dans les pays émergents, ce schéma idéal fait
cependant encore largement défaut dans les pays à revenus intermédiaires
et les PMA. Ceux-ci restent en effet généralement confinés sur des activités
à faible valeur ajoutée, ce qui n’est pas sans nourrir beaucoup d’inquiétude
à moyen terme face à la montée en puissance de la Chine sur ce créneau.
Quoiqu’il en soit, les zones franches ont joué un rôle important – voire
majeur – dans la diversification des exportations des pays en développement, y compris pour les plus pauvres d’entre eux. De véritables filières
industrielles sont souvent nées à cette occasion (textile-habillement, jouet,
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dans les points francs, ou Export Oriented Units). Derrière ce quatuor de
tête figurent les pays situés entre 300 000 et 100 000 emplois : États-Unis
(330 000) ; Malaisie (300 000) ; Sri Lanka (270 000) ; Tunisie (267 000) ;
Ukraine (137 000) Bangladesh (124 000) ; Pologne (112 000) ; Thaïlande
(108 000) ; Honduras (106 000) ; Madagascar (100 000) ; Brésil (100 000) ;
Taiwan (100 000). Un quatrième groupe, compris entre 100 000 et 50 000
emplois, paraît un peu moins étoffé : Égypte (80 000) ; Brésil (80 000) ;
Nicaragua (60 000), Maurice (55 000) ; Espagne (50 000). Les pays situés
entre 40 000 et 10 000 emplois en zone franche sont à peine plus nombreux : Turquie (40 000), Kenya (39 000), Jordanie (37 000), Bolivie
(33 000), Maroc (18 000) ; Ghana (10 000), Togo (10 000). Aussi, la plupart des pays dotés de régimes de zones n’emploient-ils au mieux que quelques milliers de personnes, à l’instar du plus fameux d’entre eux l’Irlande
(Shannon employait 7 207 personnes en 2006).
Au total, en dehors de deux PMA (Madagascar et Bangladesh), les
zones franches paraissent surtout réussir dans les pays émergents les plus en
phase avec la mondialisation, en raison de leur environnement des affaires
réactif et efficace, de leurs infrastructures performantes, ou encore du
niveau de formation de leur main-d’œuvre.
Articles
Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 583
chaussure, articles de sport, électronique grand public, etc.), si bien que les
pays les plus dynamiques en la matière (Malaisie, République Dominicaine,
Maurice, Madagascar, Mexique, etc.) réalisent désormais entre le tiers et les
deux tiers de leurs exportations et de leurs entrées de devises grâce à leurs
zones franches.
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Signe tangible de l’intérêt porté à leur égard, les zones franches sont encore
vivement encouragées dans le Tiers-monde par de grands organismes de
développement multilatéraux (Organisation des Nations Unies pour le
Développement Industriel, ou ONUDI ; Banque mondiale ; etc.) ou bilatéraux (Overseas Private Investment Corporation, ou OPIC ; etc.), ce qui
leur confère une caution de poids, en plus d’un appui financier. L’Organisation Mondiale du Commerce a appris à composer avec elles – en dépit
de l’entorse au principe de la libre-concurrence – car elles constituent dans
nombre de pays l’un des rares moyens pour accéder à l’industrialisation et
entrer dans les échanges internationaux.
Mais la montée en puissance de l’emploi en leur sein, de même que leur
participation de plus en plus active au commerce mondial ont souvent placé
les zones franches sous le feu roulant des critiques au cours des
années 1980 et 1990, en raison des atteintes aux libertés syndicales et des
conditions de travail difficiles qui ont pu être observées dans un certain
nombre d’entre-elles. À la faveur des montées en gamme industrielles (qui
nécessitent une main-d’œuvre plus qualifiée et mieux formée), de la progression de la syndicalisation, mais aussi de l’amélioration des conditions
de travail (notamment à l’instigation des firmes étrangères soucieuses de
préserver leur image de marque), ces critiques se sont faites moins virulentes au fil des années. Si des abus sont toujours dénoncés à juste titre,
principalement dans les zones franches hyper concurrentielles d’Asie orientale (tout particulièrement en Chine) et du Mexique, les études de cas
(hors Chine) montrent que ceux-ci ont plutôt tendance à se déplacer hors
zone franche, notamment chez les sous-traitants locaux, peu regardants en
la matière et sans prises directes avec l’opinion publique des pays industrialisés… La dureté des conditions de travail reste cependant le lot commun
de l’immense majorité des zones franches du Tiers-monde (mais sont-elles
si différentes de celles relevées dans l’industrie hors zone franche ?). Aussi
la main-d’œuvre ouvrière peu qualifiée connaît-elle une forte rotation,
après quelques années intensives passées à capitaliser un petit pécule qui
sera souvent investi dans le cadre d’une activité personnelle (petits commerces
par exemple). Les rémunérations pratiquées par les entreprises en zone franche
sont en effet en moyenne supérieures à celles relevées hors zone franche, à
qualification égale, donc plus attractives, précisément pour se mettre à
l’abri d’un trop fort turn over de la main-d’œuvre.
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Conclusion
584 • François Bost
ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007
L’attention internationale portée sur les zones franches s’est cependant
déplacée depuis le milieu des années 2000. Critiquées hier, les zones franches
font désormais l’objet de certaines inquiétudes face à la participation grandissante de la Chine aux échanges internationaux de biens manufacturés
(surtout depuis la levée des Accords sur les Textiles et les Vêtements, le
1er janvier 2005), qui prive nombre de zones franches du Tiers-monde de
leurs débouchés à l’export. L’emploi tend en effet à stagner dans ces pays,
tandis que de nombreuses entreprises étrangères commencent à relocaliser
vers la seule Chine leurs activités déjà délocalisées… S’il est encore bien
hasardeux de pronostiquer la disparition à terme des zones franches, il est
incontestable que nombre de pays du Tiers-monde ne sortiront pas indemne
de cette nouvelle donne.
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Université Paris-X-Nanterre
Département de Géographie
200, av. de la République
92001 Nanterre Cedex
[email protected]
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