Le « crowdfunding » prêt à tout pour grandir
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Le « crowdfunding » prêt à tout pour grandir
L'enquête www.wiseed.com expertise Le « crowdfunding » prêt à tout pour grandir Les plates-formes de financement participatif rivalisent pour attirer projets et investisseurs en attendant la consolidation inévitable du secteur. www.agefi.fr/actualite-eclairages par Alexandra Oubrier A bondance. Quatre-vingt-une plates-formes de financement participatif sont enregistrées auprès de l’Orias, le registre des intermédiaires en banque, assurance et finance : 29 en tant que « conseil en investissement participatif » (CIP, investissement en capital) et 52 en tant qu’« intermédiaire en financement participatif » (IFP, investisse30 L’agefi hebdo / du 15 au 21 octobre 2015 ment en prêt). A cela s’ajoutent celles qui sont restées « conseil en investissement financier », même si la cote est mal taillée, ou celles qui ont opté pour un statut d’« agent prestataire de services de paiement ». Mais aussi celle, pour l’instant unique, qui a obtenu l’agrément de « prestataire en services d’investissement » (Eos Venture), ou encore celles qui se positionnent sur l’accompagnement technique à la recherche de fonds sans agrément particulier. Depuis l’encadrement du métier en octobre 2014, la dynamique de création est impressionnante, même si tout le monde n’a pas opté pour les nouveaux statuts de CIP et d’IFP. Finance Participative France (FPF), l’association professionnelle qui les représente notamment auprès des pouvoirs publics et des régulateurs, compte pour l’heure 63 plates-formes membres qui ont collecté plus de 133 millions d’euros au premier semestre 2015 (voir le graphique), soit deux fois plus qu’il y a un an. Le crowdfunding commence même à toucher le grand public : 1,75 million de Français ont installés et vient de lancer le financement de sociétés coopératives, la première étant Ethiquable, marque bien connue du commerce équitable. Pour Stéphanie Savel, présidente de Wiseed et porte-parole des plates-formes d’equity au sein de FPF, « il n’y a pas encore de mouvement de concentration entre plates-formes, qui sont encore de taille modeste bien qu’en forte croissance et qui disposent d’une grande marge de développement. Mais si la viabilité économique n’est pas au rendez-vous, la question se posera. Pour l’heure, l’enjeu, ce sont les volumes ». Envol du prêt participatif Fonds collectés en millions d’euros 100 60 37,4 40 24,6 20 3,5 0 9,8 Capital Début de rationalisation Même discours chez SmartAngels qui, avec 15.000 membres, a déjà financé 27 entreprises pour un montant total de 15 millions d’euros : « Certaines platesformes envisagent de se rapprocher, on assiste à un début de rationalisation du marché car toutes ne parviendront pas à atteindre une taille critique », estime Benoît Bazzocchi, son fondateur. La plate-forme de crowdfunding immobilier Hexagon-e, par exemple, envisage ainsi de s’allier à un généraliste, ce qui permettrait quelques économies d’échelle. SmartAngels, pour sa part, a conclu un partenariat avec Allianz : l’assureur sélectionne certains projets et propose à ses propres clients d’y investir leur épargne tout en abondant les sommes ainsi placées. D’ailleurs, investisseurs institutionnels, clubs Contribution moyenne par investisseur (baromètre du crowdfunding) : 3.876 euros en capital, 3.029 euros en obligations, 338 euros en prêt rémunéré, 63 euros en don sans récompense, 53 euros en don avec récompense. Comment se développer Financement Participatif France, l’association professionnelle regroupant les plates-formes de crowdfunding, a formulé quinze propositions pour se développer en France. L’une des plus importantes concerne la fiscalité : les plates-formes de prêt voudraient que les investisseurs puissent compenser les pertes et les revenus des prêts rémunérés de façon à ce que seul le solde soit imposé. Elles souhaiteraient également introduire une franchise d’imposition sur les intérêts perçus s’alignant sur d’autres produits financiers (4.600 euros pour un individu, 9.200 euros pour un couple). De même, les plates-formes d’equity demandent une exonération d’impôt sur les plus-values de cession si les parts de 85,1 1er semestre 2013 1er semestre 2014 1er semestre 2015 80 société ont été conservées plus de cinq ans. Par ailleurs, certaines plates-formes de prêt voudraient pouvoir financer les besoins de trésorerie des entreprises, intégrer l’intermédiation des bons de caisse (comme le prévoit l’article 168 de la loi Macron dans une ordonnance à venir) et allonger la durée des prêts (notamment pour le financement d’infrastructures). Côté crowdequity, les plates-formes voudraient pouvoir vendre d’autres titres financiers que les actions et les obligations : titres participatifs, titres associatifs, actions de préférence et obligations convertibles. Elles demandent également à pouvoir communiquer sur les projets, à l’instar des plates-formes de prêt. 19,3 10,2 Prêt 19,1 23,7 Source : Baromètre du crowdfunding – Financement Participatif France déjà mis de l’argent sur un projet, soit 750.000 de plus qu’à la mi-2014. Dans un tel foisonnement, chaque plate-forme doit trouver suffisamment de projets à proposer et suffisamment d’investisseurs pour les financer. Sans oublier la nécessité de se différencier pour toucher des publics plus ou moins ciblés. Dans le crowdequity, à côté des généralistes déjà bien identifiés, de nouvelles plates-formes misent sur leurs particularités : 1001Pact sélectionne des entreprises à fort impact social ; ABFunding située à Lyon s’adresse aux entreprises de la région Rhône-AlpesAuvergne ; Hoolders propose de financer des sociétés œuvrant dans trois secteurs seulement, santé, silver economy et objets connectés ; StayHome a imaginé un dispositif de portage immobilier qui permet aux propriétaires en difficulté financière de revendre leur bien immobilier à un groupe d’investisseurs tout en restant locataires, puis de le racheter une fois leur situation assainie. Les plates-formes plus anciennes, qui ont beaucoup fait pour donner de la notoriété à leur nouveau métier, cherchent aussi à se diversifier. Wiseed, par exemple, a déjà financé 80 projets pour 30 millions d’euros depuis son lancement en 2008, tout cela grâce à 53.000 membres. C’est déjà beaucoup mais l’activité n’est pas encore rentable. La plate-forme toulousaine s’est donc diversifiée en proposant de financer des projets immobiliers de promoteurs Don d’investisseurs, clubs de business angels et conseillers en gestion de patrimoine s’intéressent de près au financement participatif et hésitent moins à placer de l’argent dans ce qu’ils considèrent comme une nouvelle classe d’actifs. SmartAngels travaille aussi sur des tours de table ouverts uniquement à des investisseurs professionnels, une autre façon d’attirer des flux financiers. Une tendance appréciée des plates-formes qui y voient un moyen de boucler certaines levées de fonds plus rapidement et de sécuriser l’investissement des particuliers. D’ailleurs, Bpifrance réfléchirait à la création d’un fonds de garantie spécifiquement pour les particuliers ayant pris des participations en capital via des holdings. Car l’une des clés de la démocratisation du crowdfunding réside dans la capacité des plates-formes à sécuriser les investisseurs, en particulier dans le prêt aux entreprises. Les plates-formes de prêt insistent donc toutes sur la qualité de leur sélection. Chez Prexem, par exemple, le score a été élaboré en partenariat avec Polytechnique et permet de fixer les taux d’intérêt selon la probabilité de défaut du projet. « Nous avons travaillé plusieurs mois et analysé les données de 870.000 sociétés », souligne Valéry Giard, fondateur de Prexem, en activité depuis mai 2015. Outre cet effort particulier, la plateforme a créé son propre fonds de protection alimenté par une partie de ses fonds propres et par 0,5 % des montants levés par son intermédiaire. Même objectif, autre méthode pour Finsquare qui a souscrit une assurance auprès de Groupama Gan pour garantir le versement de 50 % des mensualités restant dues avec toutefois une franchise de six mois. Malheureusement, l’assurance n’était pas encore entrée en vigueur du 15 au 21 octobre 2015 / L’agefi hebdo 31 u L'enquête La créativité des entrepreneurs n’a pas de limites lorsque le premier défaut est survenu parmi les projets financés. « Notre modèle de ‘scoring’ est amélioré continuellement. Néanmoins, aucun outil ne permet de déceler les PME qui entrent dans une période tumultueuse parce que leur carnet de commandes est vide, explique Polexandre Joly, fondateur de Finsquare. La santé commerciale future n’apparaît ni dans les comptes de résultats, ni dans les comptes bancaires. » C’est l’une des raisons pour lesquelles le site va intégrer l’analyse comportementale dans son processus d’instruction des dossiers. En attendant que l’assurance puisse jouer son rôle, Finsquare a choisi de rembourser les prêteurs sur ses fond propres pour ce premier défaut. Bon de caisse Unilend a également eu à faire face à quelques défauts de ses emprunteurs, mais pour l’un des cas, l’administrateur judiciaire a effectivement inclus les prêteurs dans la procédure de recouvrement. Unilend a aussi enrichi les sources des données analysées pour chaque entreprise candidate afin de mieux sélectionner les projets éligibles. La plate-forme affiche 172 projets financés pour un montant total de 13 millions d’euros, et mène des discussions avec plusieurs banques qui voudraient mettre en place des coopérations leur permettant d’envoyer leurs clients vers la plate-forme lorsqu’elles ne peuvent les financer en totalité. Par ailleurs, Lendopolis a signé un accord avec Gan L’avis Nicolas Bertapelle, fondateur de Jasmin, conseil en marketing « L’arrivée de Kickstarter en France pourrait en encourager d’autres » Selon certaines plates-formes de « crowdfunding », le régulateur ralentit leur émergence : qu’en est-il selon vous ? Non, au contraire, l’environnement réglementaire est plutôt favorable au développement du crowdfunding avec la création, le 1er octobre 2014, d’un cadre officiel et légal pour le financement participatif enregistré à l’Orias(1), régulé par l’ACPR(2) et l’AMF(3). A l’heure actuelle, 76 plates-formes de crowdfunding sont immatriculées en France, dont près d’une trentaine sont spécialisées pour les prêts aux PME/TPE. De plus, le plafond des prêts a été repoussé à 1 million d’euros par projet et le montant de prêt par prêteur à 1.000 euros. Dans un premier temps, le gouvernement prévoyait de limiter le prêt à un montant maximal de 300.000 euros, avec une limitation supplémentaire à 250 euros par prêteur. 2014 1er semestre 2015 376.733 € 394.940 € Prêt Non rémunéré 1.326 € 978 € Rémunéré 65.448 € 88.684 € Obligations 0 514.909 € Sans contrepartie 2.858 € 2.732 € Avec contrepartie 3.477 € 3.592 € Don Source : Baromètre du crowdfunding – Financement participatif France 32 fonds et, in fine, les chances de réussite des projets. Les plates-formes peuvent ainsi mettre en ligne plus de projets tout en diversifiant les sources de financement. De grands acteurs étrangers du « crowdfunding » avaient annoncé leur arrivée en France. Finalement, il ne s’est pas passé grand-chose, pourquoi ? Il y a des barrières réglementaires à l’entrée (statuts différents des plates-formes), ce qui freine l’expansion de l’activité des platesformes hors de leurs frontières nationales. Or la Commission européenne cherche à unifier les textes des différents pays membres de l’Union européenne mais cela prendra du temps. De plus, dans des pays très matures comme les EtatsUnis ou le Royaume-Uni, le crowdfunding est désormais très connu et les montants financés de plus en plus importants. En France, il reste à De plus en plus de plates-formes accueillent faire un gros effort pédagogique pour éduquer des institutionnels parmi leurs investisseurs, au les consommateurs. Mais l’arrivée récente du risque de devenir de simples outils numériques géant américain Kickstarter en France (juin 2015) pour la finance : qu’en pensez-vous ? pourrait encourager d’autres acteurs étrangers à C’est une formule gagnant-gagnant au sens où s’implanter dans l’Hexagone… les entreprises peuvent placer leur excédent de (1) Registre unique des intermédiaires en assurance, trésorerie, tandis que les montants par prêteur banque et finance. sont plus importants dans le cas de personnes (2) Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. morales et permettent d’accélérer la levée de (3) Autorité des marchés financiers. Obligations, la formule gagnante Montant de la collecte moyenne par projet Capital de... DR Expertise L’agefi hebdo / du 15 au 21 octobre 2015 pour proposer un bilan assuranciel à ses emprunteurs afin d’améliorer leur notation de crédit. La sécurité procède à la fois de dispositifs de protection (assurance, fonds de garantie…) et de l’entrée d’acteurs institutionnels dans le modèle en tant que partenaires du côté des emprunteurs autant que du côté des investisseurs. Ce type d’accord devrait donc se multiplier. D’autant plus que le bon de caisse, instrument financier peu régulé, a été remis au goût du jour car il permet aux personnes morales de prêter à des entreprises, ce qui n’est pas possible dans le cadre actuel du financement participatif. Plusieurs plates-formes l’utilisent donc pour contourner cet obstacle, de même que certaines plates-formes d’equity proposent également des obligations pour enrichir leur offre et répondre à des besoins différents. D’autres modèles apparaissent : Lendix a par exemple créé une société de location financière qui lui permet d’acheter certains biens que des entreprises préfèrent louer. La créativité des entrepreneurs du financement participatif n’a pas de limites. Les frontières deviennent donc assez floues entre les métiers du prêt et de l’investissement en capital. Les statuts correspondants, IFP et CIP, et les titres qu’ils pourront émettre pourraient donc être revus afin de clarifier les pratiques. Une ordonnance faisant suite à la loi Macron devrait être rédigée d’ici mai 2016. Entre-temps, les plates-formes poursuivront leur course aux volumes et à l’ingéniosité, quitte à prendre quelques risques calculés. n