amour, liberté, pauvreté ontologique, dépense

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amour, liberté, pauvreté ontologique, dépense
vendredi 31 décembre 2004
CONFERENCE 24
AMOUR, LIBERTE, PAUVRETE ONTOLOGIQUE, DÉPENSE
Le sujet de l’expérience de la liberté, de la responsabilité et de l’extériorité est
sujet de ses passions. Sujet des affects, des courants, des vagues et des
intensités. SUJET DE L'AMOUR et du frémissement. Il vit une émotion
dérangeante, violente.
Le sujet touche à ce qui le dépasse, il sera secouer par ce trop plein de toucher. Il
se déplace le long d’une frontière. Il erre aux limites d’une PURE PERTE.
L’expérience d’un dénuement complet appartient à la subjectivité. Le sujet de
l’expérience expérimente sa PAUVRETE ONTOLOGIQUE, son essentielle
absence de domicile, les signes de son ouverture à l’indéterminé, celui-ci étant
non encore décidé.
C’est pourquoi il est nécessaire de distinguer ce sujet du SUJET DU
NARCISSISME, la plainte geignarde de soi et l’intériorité larmoyante. Ce sujet ne
veut pas être sujet, il veut être OBJET DES CIRCONSTANCES, d’affect
étrangers. Le sujet du narcissisme est sujet d’une fermeture de soi sensible,
SUJET DE L'IMAGINAIRE. Il fuit la résistance et l’imprévisibilité de la réalité. Afin
de ne pas échouer réellement, il échappe à la DIMENSION DU REEL. Il veut
habiter son propre monde au côté du réel. Le monde narcissique est l’univers du
paraître, des illusions et de l’affirmation de défense. Il se partage en ROYAUME
DU SIMPLE REVE et en un ORDRE DES FAITS NUS. Les “idéalistes” et les
“réalistes” sont également sujets d’une illusion qui résiste au réel.
Le sujet de l’expérience se distingue du sujet du rêve et du sujet des faits, parce
qu’il abandonne l’attache sensible de l’intérieur, afin de rencontrer du neuf au
CONTACT AVEC LE DEHORS qui ne laisse pas intacte sa forme actuelle.
L’expérience en tant que telle aura toujours été l’événement d’une certain toucher,
contact ou blessure.
Tandis que le SUJET NARCISSIQUE effectue sa saisie à l’échelle de la
FERMETURE IDENTITAIRE DE SOI (afin d’empêcher ou de refouler une
blessure factuelle), le sujet de l’expérience est laisser à la facticité de la douleur
même sans se rendre passif par rapport à la douleur. Le SUJET DE LA
DOULEUR doit s’élever au-delà de la douleur sans l’aiguiser ou la nier. C’est le
sujet de l’amour, du contact passionné avec l’intouchable. Il perd et se constitue
dans ce contact. C’est le contact avec le non-contactable, l’événement d’une désindividualisation radicale de soi dans lequel le sujet se constitue comme sujet de
la dépense de soi.
Aimer signifie devenir fou, partir dans le désert d’une instabilité valide et affirmer
ce déplacement de L'OASIS DE LA RAISON au DESERT DE LA DERAISON en
tant que sa vérité, en tant qu’un événement-vérité. Le moment de la katastrophé
(du répit, de la folie, etc.) est le moment de son assentiment par le sujet de
l’amour, qui se (re)connaît dans sa folie constitutive. Afin d’aimer, il est nécessaire
d’avoir le COURAGE DE LA FOLIE. Ce minimum de consistance est nécessaire,
de s’affirmer en tant que soi de la folie et par cette affirmation risquer son soi,
mettre en jeu son soi, qui aime.
Le point commun des amants est la participation à la limite qui les sépare l’un de
l’autre. Il est communauté de limites et de différences. Les amants sont des
voisins. Ils aiment l’autre en articulant leur différence absolue sur un territoire
partagé L’amour est le dépassement de soi d’un sujet relativement à un autre
sujet dont il blesse également l’altérité. Les sujets de l’amour ne veulent pas se
reconnaître dans un autre sujet. L’histoire de l’amour n’est pas une histoire de
retour. Le non-identique est un autre nom pour l’abîme de l’amour. L’amour est
essentiellement sans abîme, sans fond. Elle ébranle le système des raisons et
laissent advenir une sorte de couple-sujet, les singularités abyssales de la
communauté-amour.
Le tragique de l’amour ne décrit pas leur parcours. Au sens où l’on dit qu’une
relation se termine tragiquement. Elle est l’origine du mouvement d’amour en tant
que mouvement d’éloignement de soi réciproque. Les SUJETS DE L'AMOUR
s’affirment en commençant à perdre chacun son soi, son ancienne identité, pour
entrer dans la réciprocité de l’éloignement de soi dans un nouveau lien d’amour et
un nouveau rapport de soi. Le mouvement d’amour est le mouvement-couple
commun de singularités aimantes, qui n’unit rien d’autre que sa volonté d’aimer et
sa décision en faveur de l’autre.
Les amants sont unis en étant désunis. Le caractère de réalité de l’amour est
cette désunion, cette DISPUTE. L’amour repose sur la dispute, sur le POLEMOS
DE L'AMOUR. Elle est “Austrag” (“règlement” selon Heidegger) d’une
différence absolue, d’une différence irréductible: l’événement même en tant
qu’amour, en tant que diaphora. Le sujet de l’amour ne peut être saisi que comme
sujet de cette controverse. Il doit permettre l’autre en tant que limite absolue de
soi, afin de parvenir au plaisir d’une vraie intensité de l’amour c’est-à-dire
prolongement de soi non-narcissique dans l’autre.
Les amants sont des séparés. Ils ne sont pas comme les hommes-boules coupés
en deux du Symposion de Platon. Ils sont séparés originellement. Ils ne furent
jamais un. Ils ne complètent jamais l’autre, comme l’exige une convention un peut
idiote Le sujet de l’amour aime ce qu’il n’est pas Son désir se dirige vers un être
de l’être de la différence distinguée de l’autre aimé. Il est inscrit également une
certaine indifférence dans le désir de la différence. En se décidant pour l’autre, il
efface la valeur de son altérité sans neutraliser par là sa réalité. L’amour signifie
être indifférent envers des différences concrètes (des particularités identitaires).
L’amour n’est rien d’autre que cette affirmation indifférente d’une égalité qui paraît
se balancer au-dessus de différences réelles. Le fond de l’amour est absence de
fondement : le sujet de l’amour se meut à la frontière du dicible, il n’a pas d’alibi, il
ne peut s’expliquer, il est SANS ARGUMENT.
La communauté des amants est la communauté-chaos de sujets, qui touchent
L'ABIME DE L'AMOUR – la limite de la parole – . Toucher le chaos signifie
contacter la profondeur de ce qui n’a pas de fond. Les sujets de l’amour
échangent des regards et des attouchements sur fond d’absence de fond. Ils
assurent l’autre en s’alliant avec la conscience de l’insécurité partagée. Aimer
veut dire tenir aux dangers d’une INCERTITUDE ONTOLOGIQUE, qui saisit l’être
des amants. L’absence d’un ou des amants appartient à la réalité de l’amour,
comme étant son présent. Le sujet de l’amour doit accéder à l’être aimé étranger
“ dans son étrangeté et sa distance”. Il protège, dans cette “vive proximité”, à
cet être une sorte de distance transcendantale (rendue possible par l’être, l’altérité
de l’autre1).
La proximité de l’amour, qui s’exprime dans la communauté des amants, est
vécu-distance, qui appartient à l’expérience de l’altérité. C’est la VIOLENCE DE
L'AMOUR, la pression particulière qui témoigne de toute singularité de l’amour.
Le point commun de l’amour n’est pas l’accord, la complétude, l’économie.
L’harmonia des amants est le CONFLIT, qui fulmine en la fille d’Ares et
d’Aphrodite, entre la GUERRE et L'AMOUR. Le cosmos de l’amour est trop divers
pour être mélodieux comme un beau bijou. L’univers des amants paraît aussi
vieux que l’univers lui-même. L’univers, si nous nommons ainsi la totalité de l’être
dans son incommensurabilité, n’est pas le cosmos. C’est le CHAOS DU
DEVENIR: scène d’une multiplicité irréductible de mouvements et d’événements,
qui ne totalise aucun concept.
Dans ce théâtre, les amants se touchent comme des étrangers : comme si le
sujet plongeait avec un doigt dans le vide. Là où est l’autre, il n’y a rien. C’est
l’altérité absolue, l’impossibilité même de le toucher. Toutefois, l’amour se
distingue complètement de la non-adoration du nihilisme. Car le rien de l’autre,
qui touche à l’amant et commence à cajoler, est son être. L’autre n’est rien sans
être vain. N’être rien signifie être tout : pure indétermination, virtualité parfaite.