Les personnes âgées et la conduite automobile : vers une stratégie
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Les personnes âgées et la conduite automobile : vers une stratégie
Les personnes âgées et la conduite automobile : vers une stratégie ergothérapique nationale pour le dépistage et l’évaluation des conducteurs à risques Nicol Korner-Bitensky, Darene Toal-Sullivan et Claudia von Zweck On demande de plus en plus aux ergothérapeutes de participer au dépistage et à l’évaluation des personnes susceptibles d’être des conducteurs à risques. Dans cette série sur la conduite automobile, nous examinerons d’abord les questions relatives au dépistage des conducteurs âgés au Canada et au rôle des ergothérapeutes. Nous présenterons également trois recommandations de l’Association canadienne des ergothérapeutes (ACE) qui ont été émises pour répondre à une demande du Bureau du Coroner en chef de l’Ontario. En décembre 2005, l’Association canadienne des ergothérapeutes (ACE) a reçu une demande du Bureau du Coroner en chef de l’Ontario par suite d’une enquête du coroner sur le décès d’un piéton qui aurait été fauché par un conducteur atteint d’une maladie neurologique progressive. Un groupe d’experts nationaux, comprenant des membres de l’ACE et d’autres experts, ont formulé des recommandations en fonction d’un système de vérification des faits scientifiques, de la loi provinciale et de la jurisprudence. Pourquoi s’intéresse-t-on de plus en plus aux conducteurs âgés? Comme le nombre de personnes âgées est en croissance, le nombre de personnes détenant un permis de conduire augmente également. Au Canada, 71 % des personnes âgées de 65 à 69 ans détiennent un permis de conduire et 23 % des personnes âgées de 85 ans et plus ont également un permis de conduire (Transports Canada, 2004). Pourquoi créer une stratégie ergothérapique nationale? Si l’on tient compte du nombre de kilomètres parcourus, les risques de collisions chez les conducteurs âgés entraînent des taux de morbidité et de mortalité identiques à ceux du groupe à risques élevés, c’est-à-dire les jeunes conducteurs. Ces pourcentages commencent à s’élever après l’âge de 70 ans, et ils montent en flèche après l’âge de 80 ans (National Highway Traffic Safety Administration, 2004). De toute évidence, les accidents liés à la conduite automobile sont la principale cause de mort accidentelle chez le groupe d’âges de 65 à 74 ans. Nous devons donc nous attendre à une croissance exponentielle des collisions si des actions ne sont pas prises à l’échelle nationale pour améliorer la sécurité des conducteurs âgés. En raison de leur formation Dépistage - Le dépistage tente de faire la distinction entre les personnes qui doivent se soumettre à une évaluation plus approfondie de leur aptitude à conduire prudemment et celles qui sont aptes à conduire en toute sécurité. et de leurs compétences professionnelles, les ergothérapeutes peuvent contribuer à renverser cette dangereuse tendance. Évaluation – L’évaluation est un examen plus détaillé des aptitudes à la conduite automobile et de la sécurité au volant. On reconnaît généralement que l’évaluation doit être effectuée par un professionnel de la santé ayant de l’expertise dans l’évaluation de la conduite automobile, qui s’avère le plus souvent être un ergothérapeute Pourquoi observe-t-on chez les aînés des pourcentages de collisions plus élevés? Outre les problèmes médicaux, les changements sensoriels, cognitifs et physiques associés au vieillissement peuvent influer sur l’aptitude à conduire en toute sécurité. Il existe beaucoup de faits scientifiques suggérant que les changements apportés aux fonctions cognitives et de perception augmentent les risques d’accident. Les risques d’accidents sont-ils élevés chez tous les aînés, ou ces risques sont-ils associés aux problèmes de santé ? Cette question a fait l’objet de vives discussions. La plupart des groupes d’aînés prétendent qu’il est discriminatoire de se fonder uniquement sur l’âge pour évaluer les risques. Pour appuyer cet argument de façon partiale, le dépistage national par groupe d’âges à l’aide de tests de la vue, d’épreuves sur route et du renouvellement plus fréquent du permis de conduire en personne n’ont pas eu beaucoup d’impact sur la fréquence et la sévérité des collisions (Grabowski, Campbell et Morrisey, 2004). Ceci nous amène à poser les questions suivantes aux ergothérapeutes : Cette situation existe-t-elle p a rce que le dépistage à grande échelle est inefficace ou parce que le processus actuel de dépistage est basé sur le mauvais processus ou les mauvais outils? Le dépistage est-il effectué par le professionnel de la santé le plus judicieux? Directives et lois provinciales actuelles Actuellement, dans sept provinces, ce sont les médecins qui ont le devoir de déclarer les conducteurs à risques au plan médical au ministère des Transports concerné; trois provinces ont des structures de déclaration discrétionnaires. Certaines provinces, comme le Québec, ont élargi le mandat de la déclaration afin d’inclure d’autres professionnels de la santé. L i s ez la version complète en couleur au www. c a o t. c a 3 Recommandation #1 de l’ACE Nous croyons qu’il est important de rehausser la responsabilité des professionnels de la santé autres que les médecins afin qu’il participent à l’identification des conducteurs à risques pouvant avoir besoin d’une évaluation. À cet effet, l’ACE a émis les recommandations suivantes : Un médecin praticien ou un dispensateur de soins de santé agréé qui est préoccupé par de graves troubles d’o rd re médical ou fonctionnel permanents pouvant avoir une incidence sur la sécurité au vo l a nt, doit fa i re état de ses préoccupations au ministère des Transports en remplissant un « Formulaire de préoccupations liées à la sécurité du conducteur ». • Le terme « dispensateur de soins de santé agréé » signifie un membre d’une profession de la santé réglementée. • Le terme « trouble d’ordre fonctionnel » signifie le fonctionnement réduit dans un ou plusieurs des domaines suivants qui sont reconnus comme étant importants pour la conduite pru d e nte : la cognition, la vision, la perception visuelle, les fonctions physiques (y compris la motricité et la sensation) de même que le comportement. • L’expression « doit faire état » indique une responsabilité obligatoire. Pourquoi proposons-nous ce changement? À propos des auteures – 1. Raisons expliquant l’inclusion des dispensateurs de soins de santé agréés : • Cette recommandation est conforme à la tendance à faire appel à des équipes interdisciplinaires pour offrir des soins de santé aux Canadiens. • De solides preuves sont ressorties de deux sondages menés récemment au Canada voulant que même si les médecins (Jang et al, 2007) et les psychiatres (Ménard et al, 2006) appuient la déclaration obligatoire en général, ils disent ne pas se sentir vraiment prêts à jouer ce rôle. Quoiqu’il soit peu probable que d’autres professionnels de la santé se sentent davantage prêts, le but consiste à fournir plus d’occasions d’identifier les personnes susceptibles d’adopter un comportement non sécuritaire au volant. De nombreux Canadiens ont des troubles d’ordre médical ou fonctionnel qui peuvent avoir une incidence sur la prudence au volant, mais il arrive Nicol Korner-Bitensky est professeure agrégée à l’Université McGill, Faculté de Médecine, École de physiothérapie et d’ergothérapie et chercheur au Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation du Montréal métropolitain. Vous pouvez joindre Nicol par courriel à nicol.korner-bitensky@ mcgill.ca. Darene Toal-Sullivan est la directrice de la pratique professionnelle de l’ACE . Claudia von Zweck est la directrice générale de l’ACE . 4 A ct u alités ergothérapiques volume 9.4 souvent qu’ils ne consultent pas de médecins pendant de longues périodes de temps. Nous avons des preuves récurrentes dans les nouvelles que les personnes dont les fonctions sont en déclin qui continuent à conduire ont des résultats catastrophiques. Il faut donc augmenter la capacité d’identifier ces personnes avant qu’un événement catastrophique ne se produise, en incluant notamment les professionnels de la santé qui ont beaucoup de contact avec les aînés ou les personnes handicapées. • Il est aussi important de souligner que le dépistage peut entraîner la recommandation d’une évaluation à la conduite automobile, accompagnée d’interventions positives de la part d’un ergothérapeute ou de conseils pour favoriser la conduite automobile en toute sécurité chez les personnes ayant des handicaps particuliers. Malheureusement, la plupart des individus perçoivent actuellement la déclaration des préoccupations liées à la sécurité du conducteur comme une action punitive. • En ce qui concerne les aspects légaux de la déclaration et les responsabilités professionnelles liées au respect de la nature confidentielle des renseignements du patient, il est important que tous les professionnels de la santé canadiens participant à la déclaration obligatoire aient une protection juridique. Raisons expliquant l’utilisation du terme trouble fonctionnel : Nous avons entrepris des travaux exhaustifs afin de dresser une liste des problèmes de santé pouvant entraîner une déclaration obligatoire. Cependant, le terme trouble fonctionnel a été considéré comme étant le plus approprié pour les raisons suivantes : • La déclaration d’un trouble médical en particulier par son nom (par exemple, la démence) peut amener une personne à ne pas obtenir des soins de santé pour des symptômes ou à sous-déclarer des symptômes. • Les comportements non sécuritaires au volant sont souvent attribuables à un mélange de troubles de comportement, physiques, de perception visuelle et cognitifs. L’ampleur de ces troubles et leur influence sur la conduite sont par ailleurs complexes. Par exemple, dans les dernières décennies, une personne ayant une lésion de la moelle épinière ayant pour conséquence une incapacité d’utiliser les membres inférieurs et un usage limité des membres supérieurs était considérée comme étant inapte à la conduite automobile. Cependant, ces handicaps physiques, bien que sévères, n’empêchent pas la conduite automobile si la personne a les capacités visuelles, de perception et les attitudes requises pour conduire à partir de mouvements minimaux. • La septième édition de L’évaluation médicale de l’aptitude à conduire : Guide du médecin, de l’Association médicale canadienne (www.cma.ca) reconnaît que « les normes médicales pour les conducteurs ne peuvent souvent pas être appliquées sans tenir compte des effets du problème médical sur les capacités fonctionnelles la personne ». • Dans les sphères médicale et légale, on se préoccupe de plus en plus du fait qu’une décision basée uniquement sur le diagnostic peut entraîner une violation des droits de la personne. Cette discrimination est ici liée à la décision fondée sur un diagnostic, plutôt que sur l’évaluation de la capacité fonctionnelle d’une personne de conduire en toute sécurité. • En ce qui concerne les exigences liées à l’âge, il n’existe pas suffisamment de preuves pour avancer que le dépistage basé uniquement sur l’âge réduit les accidents. Encore une fois, on devrait plutôt baser la décision sur les résultats de l’évaluation des capacités fonctionnelles. Un dépistage fondé uniquement sur l’âge de la personne risquerait de porter atteinte aux droits de la personne. Recommandation #2 de l’ACE – Utilisation du Formulaire de préoccupations liées à la sécurité du conducteur à travers le Canada Au Canada, il n’y a pas de procédé normatif pour déclarer des préoccupations face à la sécurité d’un conducteur. Par ailleurs, comme il incombe dans une large mesure au médecin de déclarer ses préoccupations, il n’existe pas de formulaire général pouvant être utilisé par les autres professionnels de la santé. L’ACE propose donc l’utilisation du Formulaire de préoccupations liées à la sécurité du conducteur (voir le site web de l’ACE) pour déclarer une inquiétude éventuelle en ce qui concerne la sécurité d’un conducteur au Registraire provincial des véhicules automobiles. Le formulaire n’exige pas la déclaration d’un examen ou d’un diagnostic médical; il demande plutôt au professionnel de la santé de décrire ses préoccupations face aux troubles fonctionnels d’un conducteur pouvant représenter des risques pour la conduite automobile. De toute évidence, cette déclaration ne remplacerait pas les formulaires du médecin, de l’ophtalmologiste et de l’optométriste utilisés pour déclarer des troubles médicaux précis. Recommandation #3 de l’ACE – Le rôle de l’ergothérapeute dans le dépistage et l’évaluation des conducteurs à risques : Rehausser les compétences des ergothérapeutes dans trois volets d’expertise. Le dépistage, l’évaluation et l’intervention en matière de conduite automobile sont des sujets complexes. Les ergothérapeutes sont des intervenants de choix pour offrir leur expertise dans chacun de ces trois volets. Cependant, l’ACE reconnaît qu’une formation spécialisée est requise pour oeuvrer dans ce domaine. Il est donc recommandé qu’une formation spécialisée comportant trois volets soit offerte dans l’ensemble du pays. 1. Formation générale du professionnel de la santé – Ce professionnel de la santé aurait l’expertise pour dépister les personnes à risque de conduire de façon imprudente et pour aider les personnes âgées à se procurer de l’information sur le vieillissement en santé et le maintien de la mobilité. 2. Formation avancée de l’ergothérapeute – Cet ergothérapeute aurait l’expertise pour évaluer les aspects physiques, cognitifs, visuels, de perception ainsi que les comportements associés à l’aptitude à conduire prudemment, à partir d’évaluations standardisées hors route et sur route. 3. Formation hautement spécialisée de l’ergothérapeute – Cet ergothérapeute aurait une expertise hautement spécialisée dans l’évaluation, l’entraînement et la réadaptation à la conduite automobile, la modification des véhicules, l’utilisation d’aides techniques pour la conduite automobile, etc. Il sera important de cibler le manque d’ergothérapeutes ayant les compétences professionnelles dans chacun de ces volets, et de trouver des facilitateurs pour répondre aux besoins en matière de formation professionnelle. L’ACE poursuit actuellement des activités en vue d’atteindre ces objectifs. La suite de cet article sera publiée dans le numéro de septembre des Actualités ergothérapiques. 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