L`écologie humaine, source de bien

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L`écologie humaine, source de bien
Texte de la conférence de Patrice de PLUNKETT :
L'écologie humaine, source de bien-être,
« Chercher le bien-être » est le leit-motiv de la société actuelle. Cette
idée inspire non seulement le marketing du cadre de vie et du confort,
mais elle a envahi tous les autres domaines, dont le politique et le
spirituel.
Le POLITIQUE est sommé de ne plus viser à rien d'autre qu'au « bienêtre » matériel et psychique de l'individu, vu comme un consommateur
et non comme un citoyen.
Le SPIRITUEL lui-même est réduit à un bien-être qui s'étendrait du
physique au mental : une sorte de confort supérieur, orné d'emprunts à
ce que les Occidentaux appellent« spiritualités orientales », et qui n'est
qu'un recyclage commercial d'éléments sortis de leur contexte culturel.
Les grandes religions sont ainsi sommées de s'aligner, elles aussi, sur
cette « spiritualité » réduite à un « bien-être » (une certaine
conception du bien-être).
Le christianisme tout spécialement fait l'objet de cette sommation, car il
est considéré aujourd'hui comme hostile au bien-être ! Ce qui lui crée un
double problème...
Problème externe, dans la mesure où la société ambiante considère
le christianisme avec un a priori défavorable (à cause de son image
d'hostilité au bien-être).
Problème interne, dans la mesure où des chrétiens (plus proches
de la société ambiante que de la culture chrétienne) ne comprennent pas
pourquoi l'Eglise ne s'aligne pas sur la société.
Ce quiproquo repose sur une erreur de perspective. En réalité le
christianisme a bel et bien une conception du bien-être, comme on
peut le constater par exemple dans les textes de sainte Hildegarde
de Bingen.
Mais cette conception chrétienne n'a aucun rapport avec la
conception du bien-être qui règne dans la société actuelle, et qui
s'est emparée de tout dans notre vie quotidienne.
Si vous consultez l'internet, on vous explique que le bien-être
« de
satisfactions
financières,
psychologique
provient
professionnelles et sentimentales » : c'est ce à quoi se résume
l'horizon humain selon l'idéologie actuelle. Et ces satisfactions, qui
les définit ? Le marketing commercial. Il réduit l'homme à un rôle
d'individu consommateur dans tous les domaines y compris "sentimental » (actuellement « sentiment » et « consumérisme sexuel »
sont devenus synonymes : c'est l'un des nombreux domaines où le
modèle économique actuel est incompatible avec la vision
chrétienne.
Le ressort du marketing est de nous faire consommer toujours plus,
dans tous les domaines, donc acheter toujours plus de services, de
biens et d'objets : tout ce qui était gratuit autrefois doit devenir
payant, et si nos besoins en objets utiles sont saturés, le marketing
est là pour nous donner envie d'acheter toujours plus
d'objets inutiles. C'est la consommation de masse, sans laquelle
notre système économique s'écroulerait.
Cette société du matérialisme individualiste dévitalise en nous les
dimensions non-marchandes : le culturel, le spirituel, et jusqu'à la
sociabilité, gravement atteinte dans les vieux pays riches : selon le
dernier rapport de la Fondation de France, cinq millions de Français
(et ce chiffre s'est aggravé de 10 % entre 2013 et 2014) sont
désormais touchés par la solitude subie et durable, du fait du
délitement du lien social (dispersion des familles, dissolution des
réseaux de voisinage) qui est un effet direct du modèle économique
ultra-libéral.
D'autre part, ce modèle, étant productiviste, nous enferme dans
l'acte machinal de CAPTER et d'ACCUMULER des biens de confort :
souvent des outils de divertissement, gadgets à faire du bruit ou
pseudo « réseaux sociaux », conçus pour nous détourner de nousmême... tout en prétendant être « plus intimes à nous-même que
(on
nous-même »,comme saint Augustin le disait de Dieu !
voit pourquoi le pape François qualifie ce système d'«idolâtrie»)
On voit aussi la radicalité du différend entre ce système (cette
société) et le christianisme, dont l'idée du bien-être est totalement
autre : cette société recherche un faux bien-être, et elle le
recherche pour lui-même. Le christianisme, au contraire, cherche
avant tout le Royaume et sa« justice » : c'est-à-dire la grâce, pour
l'homme, d'être « ajusté » au Royaume. Tout le reste lui est
donné « par surcroît » : et ce reste, c'est non pas de CAPTER, mais
de RENDRE GRÂCE ! non pas d'ACCUMULER, mais de s'ÉMERVEILLER... Le bonheur chrétien est la louange et la confiance : et l'état
psychique qu'elles créent « par surcroît » est un bien-être sans
équivalent.
Comme dit saint Aelfred de Rievaulx, contemporain de ste
Hildegarde au XIIesiècle (Le Miroir de la charité, III,3-4, Bellefontaine
1992) :
« Tu rejoins l'auberge de ton coeur, où l'on a coutume de se réjouir avec ceux
qui sont dans la joie, de pleurer avec ceux qui pleurent, d'être faible avec ceux
qui sont faibles, de brûler avec ceux qui sont scandalisés. Là on sentira son
âme unie à celle de tous ses frères par le ciment de la charité ; on n'y est plus
troublé par les aiguillons de la jalousie, brûlé par le feu de la colère, blessé par
les flèches des soupçons ; on est libéré des morsures dévorantes de la
tristesse. Si on attire tous les hommes dans le giron pacifié de son esprit, où
tous sont étreints, réchauffés par une douce affection et où l'on n'est plus avec
eux qu'un coeur et qu'une âme, alors, en savourant cette merveilleuse
douceur, le tumulte des convoitises fait aussitôt silence, le vacarme des
passions s'apaise, et à l'intérieur s'opère un total détachement de toutes
choses nuisibles, un repos joyeux dans la douceur de l'amour fraternel. »
Vous avez entendu : « le tumulte des convoitises fait aussitôt
silence, le vacarme des passions s'apaise... »
Exactement le contraire du système du marketing, qui repose sur la
croissance perpétuelle des convoitises et des passions (ce que les
commerciaux appellent nos pulsions). Et ce n'est pas d'hier,
puisqu'au XVIIIe siècle Bernard Mandeville, un des père fondateurs
de l'idéologie libérale, écrivait dans sa célèbre Fable des
abeilles : « Les vices privés font les profits publics ».
A propos du « bien-être par surcroît » dans le christianisme,
ajoutons ceci : autour du Salut surnaturel et de l'eschatologie, la
vision biblique et la théologie chrétienne nous donnent le bonheur de
nous émerveiller devant le Créateur incommensurable, et de le louer
pour le cosmos qu'Il a créé accordé à nous (puisqu'Il nous a rendus
capables de penser et comprendre le cosmos).
Émerveillement et gratitude, accord supérieur avec le cosmos.. La
vision chrétienne du bien-être est d'un tout autre ordre que la
vision « matérialiste mercantile » (Jean-Paul II) propre au système
actuel. Entre ces deux visions , il y a un gouffre.
Comment jeter un pont par dessus ce gouffre pour atteindre nos
contemporains et leur faire partager le bonheur, le bien-être, de la
vision chrétienne de la vie ?
L'Eglise du pape François est attelée à ce travail de pontonnier, qui
sera long et difficile. Mais elle est aidée aujourd'hui, depuis la rive
d'en face, par d'autres pontonniers, dont certains ne savent pas
qu'ils sont en train d'aller à la rencontre de l'Eglise. Je veux parler
de ce courant nouveau que l'on appelle « écologie humaine ».
(Quant à moi j'aime mieux l'expression : « écologie plénière »).
De quoi s'agit-il ? Le mot « écologie » vient du grec OIKOS, « la
maison » : en écologie environnementale il s'agit de l'environnement
où nous habitons : la biosphère, nos divers biotopes, nos milieux de
vie. L'écologie environnementale veut préserver la biosphère :
l'homme en dépend pour vivre. Or le système économique qui nous
surplombe menace la biosphère par surexploitation : d'où le réflexe
écologique, apparu dans le troisième tiers du XXe siècle.
Mais le système économique menace aussi le milieu humain : d'où
les appels de tous les papes pour changer ce système économique...
Relisons les encycliques sociales : Centesimus Annus, Caritas in
Veritate, et l'exhortation apostolique La joie de l'Evangile.
Face à un productivisme économique qui étouffe les dimensions
spirituelles et culturelles de l'homme, face à un
ultra-libéralisme
qui isole l'individu pour le traiter en matériel jetable (d'où des
souffrances humaines qui font partie du thème de cette session), il
faut une écologie humaine, qui lutte pour sauvegarder ou réinstaurer des milieux de vie respectueux de « l'humain ».
Cette écologie humaine est le complément de l'écologie
environnementale: l'une ne se conçoit pas sans l'autre ! Certains
utilisent le terme « écologie humaine » pour l'opposer à l'écologie
environnementale, dont ils ne veulent pas... parce qu'ils adhèrent au
système économique actuel ; ceux-là ne disent pas la vérité.
Ecologie humaine et écologie environnementale, indissociables,
constituent ensemble l'écologie plénière. Et l'écologie plénière
correspond à la démarche chrétienne de louange, d'émerveillement,
d'intelligence du réel.
Elle est l'une des attitudes, aujourd'hui, des« tout petits » dont parle
l'Evangile (notamment Matthieu 11, 25-27) : ceux qui ne se croient
pas « grands », qui ne veulent pas se fourvoyer dans ce que
l'individu croit pouvoir devenir par ses seules forces et ses caprices :
ceux qui ont assez de modestie et de simplicité pour admettre qu'ils
dépendent, pour exister, des autres êtres humains(écologie
humaine) et de la biosphère(écologie environnementale)...
Cela, tous les vrais écologistes le reconnaissent. Et cette reconnaissance (aux deux sens du mot), les écologistes chrétiens la
couronnent par la conscience de notre dépendance radicale envers le
Créateur, qui à chaque instant nous crée ainsi que toutes les
créatures : ce qui fait de celles-ci « nos soeurs », comme le dit
saint François d'Assise. L'eschatologie enseigne qu'à la fin des temps
nous présenterons la Création au Créateur, Père et Fils, dans le Saint
Esprit : en répondant librement au don du Créateur, en vivant en
relation avec le Créateur, l'homme contribue à l'accomplissement
eschatologique de la Création.
C'est une immense responsabilité. « Si nous abîmons ce monde,
nous serons détruits par les démons et privés de la protection des
anges », dit sainte Hildegarde. Attention : Hildegarde est docteur de
l'Eglise, et elle dit que la verdeur de la planète et la sanctification
des humains ont la même source, qui est le jaillissement de l'amour
divin ; elle dit que, quand l'humanité ne protège pas le reste de la
Création, « la justice de Dieu permet que le reste de la Création
punisse l'humanité ». Le livre de la Genèse et les prophètes
d'Israël disent d'ailleurs la même chose.
Alors ce qui se passe aujourd'hui, c'est que l'écologie plénière, même
quand elle n'a pas conscience de sa proximité avec la vision catholique
judéo-chrétienne, nous fait redécouvrir :
- comment « habiter » la Maison, OIKOS,qu'est le cosmos créé
- comment « habiter tous ensemble » (la famille humaine)
cette planète qui est une île dans l'océan du cosmos
- comment « habiter en jardiniers » la Création, qui nous a été
confiée par le Créateur à la Genèse
- comment « habiter le temps », qui fait lui aussi partie de la Création
puisqu'il commence à la Genèse. (Le croyant sait que la totalité du
temps de l'histoire est un minuscule segment
débordé de toutes parts
par l'éternité : et cette idée nous ramène à l'eschatologie, essentielle
dans l'écologie chrétienne contrairement à ce que prétendent les gens
mal informés).
On voit que le bien-être, à travers l'écologie plénière, atteint des
dimensions inouïes. Faire savoir cela est la mission des écologistes
chrétiens auprès des écologistes non-chrétiens, persuadés depuis les
années 1970 que la Bible autorise l'homme à épuiser la planète...
Le monde et la vie sont le don gratuit de Dieu à l'homme, et ce don
est le vecteur du Salut en Dieu ; un Salut que la Création tout
entière attend à travers l'homme : et l'homme se trouve ainsi
responsable de l'univers, explique saint Paul.
Cette totalité de la promesse divine est la réponse à une intuition de
l'écologie depuis le XXe siècle : ce qu'on a appelé
le« holisme », terme scientifique.
Le « holisme », du grec HOLOS, « totalité », est l'idée qu'un
phénomène est un ensemble indivisible, qui ne se réduit pas à la
juxtaposition de ses diverses parties.
C'est l'opposé du « réductionnisme », qui déconstruit les
phénomènes en les divisant en parties. (Exemple de raisonneurs
réductionnistes : ceux qui séparent l'écologie humaine de l'écologie
environnementale, pour privilégier l'une aux dépens de l'autre :
erreur où tombent, de façon symétrique :
-- les libéraux d'un côté, qui rejettent l'environnemental
-- et, de l'autre côté, les écologistes bobos (qui acceptent
qu'on fasse aux gens ce qui ne doit pas être fait à la nature).
La pensée du HOLOS, au contraire, ne sépare pas ce que Dieu a uni.
Elle correspond, sur le plan naturel, à ce qu'est, sur le plan
surnaturel, le CAT-HOLICISME (du grec KAT-HOLON qui veut dire
«selon la totalité» : à la fois l'universel et l'ensemble du plan divin).
Le « catholique » n'est pas réductionniste : il ne sépare pas. Il ne dit
pas : « ou bien, ou bien », il dit : « et ceci, et cela ».
Il ne dit pas « l'esprit ou bien la matière », parce que ceci et cela (l'esprit
et la matière) sont complémentaires jusque sur le plan surnaturel, où
nous sommes sauvés par la Passion-Résurrection du Christ.
Le Salut est le rachat solidaire de l'humanité par le Christ Dieu et homme
: or « par Lui tout a été fait », dit le Symbole de Nicée-Constantinople .
le Salut en Jésus-Christ est donc aussi l'accomplissement de la
Création, solidaire dans la lumière et la gloire du Créateur, comme le
dit sainte Hildegarde de Bingen...
Or, si l'on descend au niveau de l'écologie (plénière bien sûr), on trouve
comme un reflet naturel de ce holisme surnaturel.
L'écologie envisage les relations, les interactions, le mutualisme,
entre les êtres vivants et le reste de l'écosystème dont ils font
partie.
Ceci
en écologie environnementale, mais aussi dans la sociologie
humaine et en économie !
Le vrai bien-être de l'homme est menacé par le système
économique actuel qui sépare et oppose ce qui devrait être associé ;
en effet ce système dresse l'homme contre la nature, mais aussi :
-
l'homme contre lui-même (par la concurrence de tous contre tous)
l'individu contre la famille (le lien familial est pulvérisé)
l'individu contre son peuple (le déclin actuel du politique)
l'individu contre l'espèce (la dénatalité des vieux pays riches)...
Toutes ces souffrances sociales (sans oublier le chômage de
masse lié à l'idée nouvelle de « croissance sans emplois ») viennent
du modèle économique actuel : l'idole Argent, dit le pape François.
D'où, face à ce modèle déshumanisant, l'apparition du courant
d'écologie plénière qui veut recréer une société à dimension
humaine, accordée à l'environnement : donc un véritable bien-être.
Ce qui est passionnant aujourd'hui, par exemple, c'est de découvrir que
non seulement des publications du courant écologique radical, mais
même un politicien comme José Bové, sont en guerre contre l'industrie
des mères porteuses et « la dérive ultralibérale de la procréation
médicalement assistée » - comme dit le biologiste d'extrême gauche
Jacques Testart. De même, le groupe de Grenoble "Pièces et main
d'œuvre", opposé à l'industrie biotechnologique, milite contre ce qu'il
nomme « l'artificialisation de la reproduction humaine »...
En prenant ces positions, des militants venu de la gauche de
gauche, parfois très anticléricaux, convergent sans le savoir avec
d'autres militants, plus jeunes, venus des milieux catholiques et de
la Manif pour tous, et qui prônent ce qu'ils appellent quant à eux
une « écologie intégrale » : c'est l'écologie plénière.
Cette rencontre entre gens venus d'horizons opposés est un signe
des temps. Elle annonce la découverte commune d'un art de vivre :
et c'est la promesse de nombreuses réponses à notre thème de
réflexion de ce soir, l'écologie humaine (ou plutôt plénière) en tant
que source de bien-être.
Car le tout n'est pas de contempler de belles idées : il faut se
demander comment les vivre.
Pour que l'écologie humaine soit plénière et, par là, source de bienêtre, elle doit « reconstruire un rapport ajusté au monde qui nous
entoure » - comme dit Gaultier Bès, chef de file du courant des
Veilleurs issu de LMPT.
La même idée est exprimée par d'autres formules :
-- « sobriété heureuse »
-- « moins de biens, plus de liens »
-- « vivre plus simplement
pour que chacun puisse simplement vivre »...
Il s'agit d'expérimenter dans la vie quotidienne des façons de vivre
simples et directes qui nous libèrent de l'idole Argent, de la
consommation égocentrique, et qui nous rapprochent de nos frères
humains ; des façons de vivre « où l'acte personnel retrouve une
valeur plus grande que la fabrication des choses et la manipulation
des êtres » (Ivan Illich). Là est le seul véritable bien-être.
Partout dans le monde, des milliers d'expériences de libération se
développent aujourd'hui :
-- réseaux de maintien de la culture paysanne
-- réseaux de don et d'entraide
-- systèmes d'échanges locaux
-- coopératives de distribution
-- entreprises d'économie sociale et solidaire...
-- expériences scolaires (réussies !) qui libèrent les enfants du
formatage mental et de l'addiction aux marques commerciales...
Ainsi la voie est ouverte : fondons des familles, des associations,
des écoles, comme autant de « zones libérées » du matérialisme
mercantile.
Ne laissons pas dire que le bien-être c'est la consommation d'objets
: mais ne laissons pas dire non plus que le bien-être se réduit à des
bricolages individuels et à des techniques, soi-disant spirituelles, de
fuite hors de la réalité !
Sainte Hildegarde nous dit : « Le corps est entouré des énergies de
l'âme qui s'étendent au monde entier. »
Donc :
1. réconcilier les hommes avec eux-mêmes et avec le reste de
la Création, c'est la tâche de "l'écologie plénière" et c'est une
source de bien-être sans équivalent
2. rendre la nature créée participante de la nature divine par
l'accueil de l'Esprit Saint, c'est la tâche du chrétien.
Ces deux tâches sont inséparables. Non seulement elles sont
inséparables, mais leur union rouvre au croyant un champ d'action
où l'évangélisation va de pair avec le bien de tous :
Il y a là un signe des temps.
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