Cuba selon saint Fidel - l`Institut d`Histoire sociale
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Cuba selon saint Fidel - l`Institut d`Histoire sociale
dossier CUBA : SUITE ET FIN propos de Jaime Leygonier* recueillis par Antoine de Tournemire Cuba selon saint Fidel ans l’histoire de Cuba, telle que l’a revisitée Fidel Castro, on peut opposer une sorte d’Ancien Testament, où tous les gouvernements sont mauvais, puis un Nouveau Testament, s’ouvrant sur la venue de Fidel Castro qui, tel le Messie, apporte le Salut à Cuba. En conséquence, tout livre publié après 1959 réécrit l’histoire cubaine. Par exemple, Tomas Estrada Palma, qui fut le premier président de la République de Cuba entre 1902 et 1906, un homme simple, proche du peuple au point de prendre le tramway comme tout le monde et d’aller lui-même faire ressemeler ses chaussures chez le cordonnier, est présenté par les livres post-révolutionnaires comme un traître à la patrie! Fidel Castro a même fait démolir sa statue! Voilà pour l’Ancien Testament. Dans le Nouveau, le rôle de Castro est très surestimé et son insurrection contre Batista très embellie. Nombre d’actions, prétendument héroïques, seraient aujourd’hui qualifiées de « terroristes » – et c’est d’ailleurs comme cela que la majorité des Cubains les jugeaient avant 1959. La guérilla luttait contre une armée extrêmement démoralisée et inefficace qui ne comptait alors que 4000 soldats pour un pays de six millions d’habitants. Rien à voir avec les 300000 que Fidel Castro se vantait d’avoir armés dans les années 1960-1970! J’ai rencontré quelqu’un qui faisait partie d’un- groupe d’étude chargé d’évaluer le rôle de Fidel Castro dans la guérilla. Sur les cartes, les membres de ce groupe ont découvert un certain nombre de zigzags dans les mouvements des guérilleros. Ceux-ci n’attaquaient jamais de front: ils fuyaient souvent devant les soldats de Batista. Mais pour donner à ces zigzags une allure plus noble que celle d’une « fuite », ils sont désignés officiellement, encore aujourd’hui, sous le nom de « marches stratégiques »! «D * Jaime LEYGONIER est professeur d’histoire en retraite à La Havane. Il n’a pas de mots assez durs pour dépeindre la façon dont Fidel a révisé l’histoire de l’île, notamment grâce aux manuels scolaires. N° 35 49 Fidel Castro, toujours entouré de pionniers… « C’est dans les enfants que la Patrie trouve son trésor le plus précieux. Nous ne serions pas des révolutionnaires responsables si nous ne nous préoccupions pas de faire en sorte que ce trésor soit travaillé par des mains expertes, par des maîtres vraiment révolutionnaires qui aident les enfants, dès leurs premières lettres, à savoir, à comprendre la vie, à avoir une conduite sociale… Qu’ils enseignent à ces enfants, dès les premières lettres, à être de véritables révolutionnaires… » Fidel Castro, En minas de frio, 1962 Le rôle du Che est également l’objet de diverses manipulations. On a beaucoup parlé récemment, y compris dans la presse, de la « Grande bataille de Santa Clara »[1]. Dans les livres, c’est une bataille merveilleuse, durant laquelle les guérilleros ont mis en échec un train blindé. En réalité, pendant cet affrontement légendaire, il n’y eut que deux blessés et un mort. C’est peu pour la « plus belle bataille de l’humanité! ». On sait maintenant qu’il y eut un accord entre les militaires gouvernementaux et la guérilla, avant le prétendu combat. Pendant l’attaque, l’armée tirait en l’air pour sauver les apparences et un avion lança une bombe. Puis les soldats se rendirent. En 2007, on a fêté à Cuba le centenaire de la naissance du philosophe Rafael Garcia Barcena[2]. En avril 1953, il fut envoyé en prison pour avoir tenté de s’emparer de la base de Columbia à La Havane, la plus importante base militaire du pays. Mais à Cuba, on ne parle que de l’attaque de la caserne Moncada, un objectif de second ordre visé par Castro quelques mois plus tard. 1. Une ville du centre du pays, où a été érigé le mausolée de Guevara. 2. Rafael Garcia Barcena (1907-1961), poète, philosophe et révolutionnaire, s’opposa d’abord au dictateur Machado et participa en 1936 à la fondation du Parti révolutionnaire cubain (le PRC) avant de suivre Eduardo Chibas dix ans plus tard, lors de la scission entre « orthodoxes » – qu’il approuvait – et « authentiques ». Fondateur de la Société cubaine de philosophie, il démissionna de l’École supérieure de Guerre pour protester contre le coup d’État de Batista en mars 1952. Il fut nommé ambassadeur au Brésil par Fidel Castro en 1959. Une courte mission, puisque deux ans après, malade, il revint mourir à La Havane. 50 ÉTÉ- AUTOMNE 2008 On retrouve le même poids de la propagande dans les récits du débarquement de la Baie des Cochons. C’était grandiose, avec des soldats qui mouraient sur la Playa Giron et des avions qui bombardaient des bateaux! À l’école primaire, nous devions faire des dessins de ces affrontements[3]. La réalité est plus modeste que ce qu’on nous racontait. Durant la « crise des fusées » d’octobre 1962, on entendait des rumeurs selon lesquelles des avions contre-révolutionnaires jetaient des caramels empoisonnés sur Cuba. On nous disait que si l’on trouvait ces caramels par terre, il ne fallait surtout pas en manger! Le peuple est fatigué de ce type de propagande, mais elle fonctionne toujours[4]. Même les idées neuves de Fidel Castro sont sujettes à caution: il a, en fait, largement pillé le programme d’autres partis – dont le Parti orthodoxe – y compris des mesures économiques préconisées dans les années 1950 par une banque cubaine qui servait largement les intérêts de Batista. Des projets, comme ceux de la réforme agraire, de la diversification de l’économie et de l’ouverture économique ne sont pas de lui. Mais ces mesures, il ne les a pas appliquées ou bien, après avoir commencé à les appliquer, il a, ensuite, fait tout le contraire. C’est ainsi qu’il a accentué la monoculture du sucre jusqu’à ce qu’il arrête tout et démantèle l’industrie sucrière, il y a quelques années. Juste avant la vague de l’éthanol! Quel visionnaire!… » 3. Aujourd’hui encore! (ndlr) 4. Les Américains sont régulièrement accusés de provoquer des épidémies, notamment de dengue (ndlr). 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