L`immobilier durable: quo vadis?

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L`immobilier durable: quo vadis?
Série «La durabilité chez Notenstein»
L’immobilier durable:
quo vadis?
Dans la série «La durabilité chez Notenstein»
Nous passons la majeure partie de notre
vie dans des bâtiments. Constituant une
large part du patrimoine économique,
ceux-ci se caractérisent par une longue
durée de vie et par une forte consommation de ressources. Aussi vaut-il la peine
de se pencher sur les enjeux de durabilité
qui les concernent. Où en est la Suisse
en matière d’immobilier durable et quelles
sont les évolutions qui se dessinent?
Klaus Kämpf
Histoire d’une notion
La durabilité au sens de stratégie de survie et d’utilisation
raisonnée des ressources vitales est une notion qui plonge
ses racines dans toutes les cultures. Elle va de soi avant tout
dans les sociétés paysannes et ce depuis l’Antiquité. Le
terme «durable» apparaît pour la première fois en 1713 dans
l’ouvrage Sylvicultura Oeconomica de l’administrateur des
mines saxon Hannß Carl von Carlowitz. Inspiré par une
grave pénurie de bois, matériau qui était alors utilisé en
grandes quantités dans la construction et comme combustible, ce traité de sylviculture parle d’«exploitation durable
des forêts». L’auteur y milite aussi pour une utilisation efficace du bois. Ses idées, qui portent également sur les bâtiments, sont étonnamment modernes pour l’époque. Il recommande ainsi une meilleure isolation thermique des maisons lors de leur construction et des fourneaux moins gourmands en bois. Hannß Carl von Carlowitz y aborde aussi les
questions sociales. A ses yeux, l’économie devrait servir
­l’intérêt général et la population avoir droit à une nourriture
et une subsistance suffisantes.
La conception moderne de la durabilité a été formulée en
1987 dans le rapport Notre avenir à tous de la Commission
1
Série «La durabilité chez Notenstein»
mondiale de l’ONU sur l’environnement et le développement («Commission Brundtland»). Après les chocs pétroliers des années 1970, la nécessité d’économiser l’énergie est
devenue une évidence. C’est à partir de là que, dans le secteur immobilier aussi, s’est développé peu à peu le concept
de durabilité (illustration 1).
Illustration 1: Jalons de la durabilité
1713
Hannß Carl von Carlowitz: idée maîtresse
«exploitation durable du bois»
1972
Club de Rome: les limites de la croissance
1973
Premier choc pétrolier
1987
Rapport Brundtland: définition du développement
durable
1992
Office fédéral de l’énergie/Conférence des services
cantonaux de l’énergie: modèle d’ordonnance
Utilisation rationnelle de l’énergie dans les constructions
1994
Kesselring/Winter: concept de la société à 2000 watts
1994
Minergie
2000
Mention du développement durable dans la
Constitution suisse
2004
Recommandation SIA Construction durable – Bâtiments
Source: Notenstein Asset Management
d’immeubles en Suisse s’élève à quelque 2’800 milliards
de francs.
– 45% des besoins en énergie finale de la Suisse sont
­associés aux immeubles.
– Environ 50 millions de tonnes de matériaux de
construction sont utilisés chaque année en Suisse.
L’augmentation quotidienne de la surface de l’habitat
­représente plus de huit terrains de football.
– Les bâtiments comptent parmi les biens ayant la durée
de vie la plus longue. Les erreurs commises
­aujourd’hui sont littéralement gravées dans le marbre
pour devenir les fardeaux de demain.
C’est pourquoi les immeubles se trouvent au cœur du développement durable. En tapant «durabilité» et «bâtiment»
dans le moteur de recherche de Google, on obtient près de
900’000 occurrences. Et même plus de 31 millions en combinant les critères «énergie» et «bâtiment», ce qui signifie
que l’immobilier durable est souvent réduit à l’efficacité
énergétique. A cet égard, la Société suisse des ingénieurs et
des architectes (SIA) a mis en évidence, dès 2004, les nombreux aspects de la construction durable (illustration 2).
Illustration 2: Aspects de la construction durable*
La durabilité ne se résume pas
à l’efficacité énergétique
Selon le rapport Brundtland, le développement durable est
«un développement qui répond aux besoins du présent
sans compromettre la possibilité, pour les générations à venir, de répondre à leurs propres besoins». La durabilité est
donc un concept attaché à l’homme. Il en va de même de la
protection de l’environnement: nous protégeons l’environnement non pas d’abord pour lui-même, mais pour garantir
nos propres ressources fondamentales. Les défis que nous
devons relever aujourd’hui consistent à garantir la cohésion sociale, la santé et la disponibilité des ressources ainsi
qu’à limiter le changement climatique. Les bâtiments revêtent une immense importance dans tous ces domaines.
– Les bâtiments sont essentiels pour l’habitat, le travail,
la formation et la culture. Nous y passons la majeure
partie de notre vie.
– Les bâtiments représentent une part importante de la
richesse nationale. La valeur totale des 1,7 million
Domaine
Sujet
Critères ou objectifs
Société
Collectivité
Intégration, mixité, contacts
sociaux
Aménagement
Identité spatiale
Exploitation,
viabilité
Approvisionnement, transports
publics, accessibilité
Confort, santé
Sécurité, lumière, qualité de l’air
intérieur, rayonnements, bruit
Substance du
bâtiment
Site, durée de vie, flexibilité
Coûts
Coûts sur tout le cycle de vie
(terrain, construction, exploitation,
entretien)
Matériaux de
construction
Disponibilité, impacts environnementaux, polluants
Energie d’exploitation
Chaleur, électricité, énergie
­renouvelable
Sol, paysage
Consommation de sol, biodiversité
Infrastructure
Mobilité, déchets, eau
Economie
Environnement
* Extrait de la liste de critères selon recommandation SIA 112/1 (2004)
Source: SIA
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Série «La durabilité chez Notenstein»
Depuis lors, la SIA a édicté des directives précisant et élargissant les thèmes liés à la durabilité. Cela concerne notamment l’«énergie grise»1, la mobilité en lien avec l’emplacement du bâtiment et le concept de «société à 2000 watts»2.
Durabilité du parc immobilier
Dans les grandes lignes, la durabilité du parc immobilier
suisse se présente aujourd’hui comme suit (illustration 3):
les nouveaux bâtiments affichent en moyenne un haut niveau de durabilité, surtout en ce qui concerne l’énergie
d’exploitation, mais aussi en termes de qualité d’usage et
de confort. La durabilité diminue avec l’âge du bâtiment, le
point le plus bas se situant dans les années 1960. Durant les
années précédentes, la durabilité remonte, au grand étonnement de certains. Cela s’explique par la qualité des sites
et des matériaux de construction.
Illustration 3: Durabilité du parc immobilier en Suisse
(schématisée)
Parmi la multitude de sujets liés à la durabilité, nous allons
aborder plus spécifiquement les domaines de l’énergie, de
l’utilisation des sols et des matières premières minérales. Et
ce pour les raisons suivantes: il faut s’attendre à un durcissement des prescriptions sur l’énergie; l’utilisation des sols
est aujourd’hui un sujet très à la mode dont nous pensons
que l’importance va encore croître; la raréfaction des matières premières minérales est un phénomène peu connu
auquel le secteur de la construction sera confronté dans un
avenir pas si lointain. Les conditions de travail en rapport
avec l’extraction de pierres naturelles dans les pays où les
règles de protection sont moins sévères que chez nous
constituent un autre sujet.
Energie
Prescriptions obligent, les besoins en énergie de chauffage
des nouveaux bâtiments n’ont cessé de diminuer au cours
des 30 dernières années. Adopté en janvier 2015, le Modèle
de prescriptions énergétiques des cantons (édition 2014) fixe
de nouvelles exigences (illustration 4). Le parc immobilier
suisse existant a été construit pour deux tiers avant 1980.
Les besoins en énergie de chauffage de ces immeubles
­représentent un multiple de ceux des nouveaux bâtiments.
On voit donc que les anciennes constructions se taillent la
part du lion dans les besoins totaux en énergie du parc
­immobilier.
Illustration 4: Evolution des valeurs limites des besoins de chaleur
pour les immeubles d’habitation en Suisse
1965
2015
Source: d’après Wüest & Partner
Nouveau bâtiment courant 1975
22
Modèle d’ordonnance 1992
Un examen plus attentif des différentes composantes fait apparaître un tableau un peu plus nuancé. Les immeubles datant des années 1960 sont aussi ceux qui s’en tirent le moins
bien pour l’énergie d’exploitation et la qualité d’usage. Par
contre, le confort d’utilisation ne cesse de diminuer avec
l’âge. C’est exactement le contraire pour la qualité du site et
l’infrastructure (transports publics, approvisionnement):
elles sont en moyenne d’autant meilleures que les immeubles sont anciens. Car les sites bâtis dans le passé sont
aujourd’hui pour la plupart bien intégrés, alors que les nouveaux immeubles sont souvent construits au milieu de
«vertes prairies». Toutefois, le développement des infrastructures élargit l’offre des sites bien desservis, si bien qu’il se
peut que les nouvelles zones de construction actuelles présentent à l’avenir une meilleure qualité de localisation.
12
Modèle de prescriptions 2000
9
Modèle de prescriptions 2008
4,8
Modèle de prescriptions 2014
3,5
0
5
10
15
20
Litres équivalents mazout par m2
25
Source: EnDK
A partir de 2020, les nouveaux bâtiments devront, selon les
souhaits de la Conférence des directeurs cantonaux de
l’énergie, être toute l’année aussi autosuffisants que possible
en matière d’énergie de chauffage et contribuer à leur
propre approvisionnement en électricité. Cette tendance
vers la «maison zéro énergie» est en ligne avec l’évolution
au sein de l’Union européenne. L’énergie grise liée aux ma-
3
Série «La durabilité chez Notenstein»
tériaux et aux processus de construction n’est toutefois pas
prise en compte ici. Or, il apparaît que pour les nouvelles
constructions actuelles, le coût de cette énergie (compte tenu
de la durée d’utilisation escomptée) atteint le même ordre
de grandeur que les besoins en énergie d’exploitation.
Illustration 5: Statu quo et potentiels d’amélioration
Utilisation des sols
L’utilisation de la ressource inextensible que constitue le
sol n’a cessé d’augmenter en Suisse au cours des dernières
années. Aujourd’hui, les bâtiments occupent en moyenne
quelque 200 m2 de sol par habitant. Cela représente au to-
Déchets
tal 3,7% de la superficie du pays. Entre 1983 et 2007, les besoins en surfaces pour l’habitat ont augmenté de 44%, alors
que durant la même période, la population n’a crû que de
19%. Autrement dit, cette augmentation est due en premier
lieu à la demande accrue de surface habitable par personne. Quand bien même le rythme de croissance a ralenti
ces dernières années, l’utilisation accrue des sols ne peut
pas être qualifiée de durable.
Matières premières minérales
L’emploi actuel des ressources minérales n’est pas durable
non plus. Le gravier et le sable sont, en poids, les matières
premières les plus utilisées après l’eau. Toutefois, en plus de
jouer un rôle majeur dans la construction, ces matières remplissent aussi une importante fonction écologique dans la
constitution des nappes phréatiques. En raison du coût élevé
du transport, le gravier et le sable sont des matières premières
prélevées localement, mais les quantités de sable extractibles
sont limitées. Dans le canton de Zoug, par exemple, les réserves de gravier exploitables seront épuisées dans moins de
20 ans au rythme actuel d’extraction. Une façon de ménager
les réserves serait d’utiliser du béton de recyclage pour les applications peu exigeantes. Cela réduirait en plus les quantités
de vieux béton à stocker dans les décharges. L’emploi de béton de recyclage n’en est toutefois qu’à ses débuts.
Les conditions de travail liées à l’extraction de pierres naturelles suscitent encore peu d’intérêt. Dans de nombreux
pays, les normes élémentaires de travail édictées par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et les conventions
de l’ONU sur le travail des enfants ne sont pas respectées.
Afin d’y remédier, la Ville de Zurich a fait œuvre de pionnière en introduisant, dès 2010, une obligation de respecter
ces normes. Concrètement, pour les projets de construction
urbains, des certificats attestant le respect des normes sociales et de travail (p. ex. «Fair Stone Standard») sont exigés
pour les pierres provenant de carrières extra-européennes.
Niveau de
durabilité
Potentiel
­d’amélioration
Ancien
Ancien
Neuf
Neuf
Sources d’énergie
fossiles
–
–
Sites contaminés
Utilisation des sols
–
Environnement
agréable
Mobilité
Accessibilité
Logement abordable
Matériaux exempts de
substances nocives
Provenance des matériaux (aspects sociaux)
–
–
Matières premières
minérales
–
–
Mixité sociale
Eau potable
Légende:
haut
moyen
bas
Parenthèse: le rôle des investisseurs
institutionnels
Les propriétaires sont des acteurs importants en matière de
durabilité immobilière (illustration 6), notamment parce
qu’ils ­influent sur le choix du site, la construction, le niveau
des loyers et l’exploitation des bâtiments, autant de marges
de manœuvre qu’ils peuvent utiliser de manière ciblée pour
améliorer la durabilité.
Illustration 6: Les acteurs (schématisés)
Communauté
Propriétaires
Utilisateurs
Secteur immobilier
et de la construction
Source: Notenstein Asset Management
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Série «La durabilité chez Notenstein»
S’agissant du parc immobilier existant, il est possible
d’améliorer la substance des bâtiments dans le cadre de
­réhabilitations, avec notamment des effets positifs sur le
confort et le bien-être des utilisateurs. La réhabilitation
d’immeubles anciens recèle, comme mentionné plus haut,
un important potentiel de durabilité en termes d’économies d’énergie au niveau de l’exploitation. Or, par année,
seul environ 1% du parc existant fait l’objet de réhabilitations énergétiques. Les propriétaires disposent par définition d’une plus grande liberté d’action avec les nouvelles
constructions (illustration 7).
Illustration 7: Marges de manœuvre des propriétaires
Immeubles
­existants
Localisation
Projets de
nouvelles
­constructions
*
tés ne représentent certes qu’environ 30 milliards de francs
sur l’ensemble du parc existant. Mais, pour ce qui est des
stratégies de durabilité, la situation ne doit guère être plus
brillante chez les autres investisseurs institutionnels.
De quoi l’avenir sera-t-il fait?
Les besoins et les possibilités de l’homme évoluent au fil
du temps. Le principe directeur de la durabilité est en soi
intemporel, mais les thèmes concrets et leur perception
changent. Le rapport Brundtland ne décrit-il pas justement
la durabilité comme un processus?
Illustration 8: Quels sont les thèmes qui nous occuperont
demain?
Intérêt
actuel
Mixité, identité spatiale
Accessibilité
Lumière, ventilation
Durée de vie, flexibilité
Matériaux de construction
Energie d’exploitation
* Une marge de manœuvre existe à l’achat d’un immeuble existant
grande
moyenne
petite
Légende:
Source: Notenstein Asset Management
Tendance
Intérêt
futur
Sources d’énergie fossiles
Déchets
Sites contaminés
Utilisation des sols
Environnement agréable
Mobilité
Accessibilité
Logement abordable
Les 1,7 million de bâtiments que compte la Suisse totalisent une valeur marchande d’environ 2’800 milliards de
francs, dont quelque 800 milliards sont imputables à des
immeubles de rendement. Ces derniers appartiennent pour
environ trois quarts à des investisseurs privés et pour un
quart à des investisseurs institutionnels (y compris fonds et
sociétés immobilières cotées).
Une enquête réalisée auprès des gérants de fonds immobiliers a révélé que, chez les grands gérants de fonds du
moins, la question de la durabilité est prise en compte. Les
stratégies qui découlent de cette réflexion visent principalement à réduire l’énergie d’exploitation. Certains gérants
de fonds calculent des chiffres ad hoc pour leur portefeuille
et définissent des objectifs et des mesures en vue de réduire
la consommation d’énergie. Mais dans l’ensemble, cette démarche reste encore marginale.
En résumé, on retiendra qu’au sein du secteur suisse des
fonds immobiliers, le traitement de la durabilité n’en est
qu’à ses premiers balbutiements. Les fonds immobiliers co-
Matériaux exempts de
substances nocives
Provenance des matériaux
(aspects sociaux)
Matières premières
minérales
Mixité sociale
Eau potable
Légende:
haut
moyen
bas
Source: Notenstein Asset Management
La question se pose de savoir quelles sont les tendances de
développement qui sont d’ores et déjà prévisibles en Suisse
et quels sont les thèmes qui nous occuperont à l’avenir ­
(illustration 8). Sur l’état de l’immobilier durable dans dix
ans, nous avançons les hypothèses suivantes:
– L’efficacité énergétique seule ne suffira plus pour
qu’un bâtiment soit considéré comme durable.
5
Série «La durabilité chez Notenstein»
– Les thèmes suivants retiendront davantage l’attention
qu’aujourd’hui: pénurie des sols, conditions de travail
dans l’extraction des matières premières, matériaux de
construction non toxiques, pénurie des matières premières minérales, mobilité en lien avec l’emplacement
des immeubles, comportement des utilisateurs et gestion efficace des bâtiments.
– Pour les sources d’énergie fossiles, la question de la sécurité d’approvisionnement passera au premier plan
en raison de notre dépendance accrue vis-à-vis de régions politiquement instables.
– L’horizon s’élargira. On prendra en compte tout le cycle de vie d’un bâtiment (notamment sur le plan des
coûts et du bilan énergétique). Chaque immeuble sera
considéré dans le contexte de la zone entière.
– En raison des développements socio-démographiques
(ménages de plus petite taille, structure par âge de la
société, etc.) et de la hausse de la prospérité, les exigences en matière de logement (p. ex. surfaces habitables, configuration et accessibilité) vont évoluer.
– De nouvelles formes de travail et de nouvelles stratégies d’entreprise entraîneront une réduction des besoins en surfaces de bureaux. Les sites intra-urbains
seront de plus en plus affectés à l’habitat.
– L’amélioration des transports publics permettra d’augmenter le nombre de sites durables.
– Le potentiel d’amélioration de l’efficacité énergétique
sera épuisé dans les nouveaux bâtiments. L’importance
des énergies renouvelables va encore s’accroître.
– Le gros des efforts portera sur la réhabilitation énergétique du parc immobilier ancien.
– La domotique (smart buildings) s’étendra peu à peu
dans les nouveaux bâtiments avec, en ligne de mire,
l’amélioration du confort.
– Les nouveaux immeubles produiront et accumuleront
de l’électricité. Le raccordement intelligent au réseau
électrique (smart grid) ne fera que commencer.
– Les baux à loyer pour les immeubles à usage commercial deviendront «plus verts» en incluant des dispositions sur la gestion et l’exploitation durables.
– On misera en outre sur l’amélioration de l’efficacité
(moindre recours, pour le même besoin, à des ressources limitées). La retenue en termes d’exigences
(«suffisance») restera un thème marginal.
Résumé et conclusions
La durabilité passe parfois pour un sujet à la mode ultra
­rabâché. Il n’en reste pas moins que le développement
­durable serait impensable sans la participation du secteur
immobilier. Précisément dans une branche tournée vers le
long terme comme l’est l’immobilier, la notion de durabilité offre un important fil directeur aux différents acteurs.
Cela s’applique aussi en particulier aux propriétaires d’immeubles de rendement pour qui la satisfaction des locataires joue un rôle déterminant. Car le développement durable est orienté vers les besoins actuels et futurs des êtres
humains. A cet égard, nous devons être conscients que la
transposition du principe de durabilité, concept plutôt
­abstrait a priori, en objectifs et actions concrets constitue
un grand défi.
Le niveau de durabilité du parc immobilier suisse est globalement bon. Il n’empêche qu’il reste beaucoup à faire si
l’on ne veut pas épuiser à terme nos ressources sociales,
économiques et écologiques. La durabilité doit être comprise comme un processus, d’autant plus que les champs
d’action changent aussi avec la raréfaction croissante de
nombreuses ressources d’une part et avec les nouvelles
possibilités offertes par la technologie d’autre part.
6
Série «La durabilité chez Notenstein»
Questions au Professeur Holger Wallbaum
Les valeurs limites en matière de consommation
­énergétique des bâtiments et les prescriptions relatives
à l’utilisation des énergies renouvelables deviennent
toujours plus sévères. Est-ce à dire qu’on aura bientôt
réglé la question de la construction durable?
Tel n’est certainement pas le cas. La tendance ainsi décrite
concerne avant tout les nouveaux immeubles. Le parc immobilier existant n’est soumis qu’en partie à ces exigences,
alors que la consommation d’énergie dans le parc immobilier suisse est imputable à 80% à des bâtiments construits
avant 1980. Et ce ne sont pas non plus les immeubles labellisés Minergie P ou Minergie A qui seront certainement
construits en plus grand nombre ces 20 à 30 prochaines
­années qui changeront la donne. Par ailleurs, l’énergie n’est
pas le seul thème qui nous intéresse dans le débat sur la
construction durable. Heureusement, celui-ci peut être
considéré comme réglé du point de vue technique. Ce qui
nous occupe ici, ce sont bien plus les questions de rentabilité, les questions réglementaires, la compatibilité avec la
protection des monuments historiques, etc. Construire de
manière durable inclut toutefois encore d’autres aspects
tels que des loyers socialement supportables, la non-­
utilisation de matières dangereuses pour l’homme et l’environnement, la faible consommation de ressources naturelles pour la construction et l’entretien des immeubles, etc.
Les analystes de marché prévoient une très forte
­croissance grâce aux produits connectés intelligents.
Quelle contribution les smart buildings peuvent-il
­apporter à la durabilité?
Je suis très partagé sur la question des smart buildings.
Nous devons toujours nous rappeler que l’utilisateur peut,
par son comportement, influencer la consommation d’énergie à raison de 20% à 80%. Aussi intelligents soient-ils, les
immeubles peuvent donc être «mal» utilisés du fait de
­comportements inadaptés. De plus, les technologies dites
intelligentes consomment toutes aussi de précieuses ressources naturelles et de l’énergie électrique pour la fabrication et l’exploitation. Cela conduit en partie à des situations absurdes où de nouveaux bâtiments modernes très
bien isolés affichent par mètre carré de surface utile une
consommation d’énergie primaire plus élevée que de
­ ouveaux bâtiments standard «inintelligents». Il est certain
n
que de très gros potentiels existent aussi ici, mais le risque
est grand de jeter le bébé avec l’eau du bain. Par exemple,
les expériences nous ont appris que les contributions mesurées du smart metering dans les immeubles d’habitation
sont nettement moins grandes que ce que la théorie estime
possible. Pour moi, une des principales raisons réside dans
le fait que la technique essaie souvent de substituer
l’homme au lieu de se mettre en symbiose avec ses besoins
et ses exigences, au demeurant très variables. Sans compter
que beaucoup de choses sont techniquement possibles mais
ne nous aident pas réellement dans notre quotidien.
­Voulons-nous vraiment commander notre lait par Internet
­depuis notre frigo lorsque nous sommes bientôt à court?
En revanche, je reconnais un grand potentiel aux «technologies et systèmes intelligents» pour l’optimisation dans les
domaines des zones, des quartiers ou même des villes. Le
recours ici à des systèmes de recensement et de pilotage
­intelligents prendra, à l’avenir, toujours plus d’importance,
surtout en raison du développement des énergies renouvelables, avec une offre d’énergie très fluctuante et l’absence,
pour l’instant, de technologies de stockage avantageuses.
Quel rôle l’homme joue-t-il dans la construction
­durable?
L’homme joue ici un rôle crucial. Il commande, construit,
gère, utilise et déconstruit les immeubles. A côté de la forte
influence sur la consommation énergétique d’un bâtiment,
nous sommes encore loin d’avoir compris les besoins de
confort des hommes. Dans la construction non résidentielle
en particulier, je suis toujours stupéfait de constater combien nous transposons mal dans la réalité bâtie les thèmes
du confort et du bien-être quotidien et surtout annuel.
Ainsi, dans le cadre d’une étude menée avec le Professeur
Windlinger de la ZHAW Wädenswil (Haute école zurichoise de sciences appliquées) et mandatée par la CTI portant sur la «Qualité des bâtiments durables», nous avons
effectué pendant deux ans des mesures physiques dans
27 immeubles de bureaux situés en Suisse alémanique en
vérifiant de nombreux paramètres de confort comme la
température des locaux, l’humidité relative de l’air, mais
aussi la compréhension de la parole; nous avons en outre
réalisé plus de 4’500 entretiens avec les collaborateurs
­travaillant dans les sociétés de services logées dans ces
­immeubles. Ce que nous avons relevé, ce sont des locaux
surchauffés en presque toutes saisons avec, en plus, un air
7
Série «La durabilité chez Notenstein»
très sec en hiver, des systèmes de ventilation bruyants, des
courants d’air ainsi que des aménagements de bureaux peu
propices à la productivité des collaborateurs. Il est clair que
nous ne prenons pas encore suffisamment au sérieux
l’inter­disciplinarité lorsqu’il s’agit de construire et d’exploiter des bâtiments vraiment durables qui apportent réellement aux utilisateurs les «plus» nécessaires. Il faut faire
­enfin converger les paramètres architecture attrayante,
technique de bâtiment rentable et utile sur toute la durée
de vie ainsi qu’organisation et aménagement du monde
du travail adaptés à l’activité.
Quels sont pour vous les défis qui nous attendent en
matière de durabilité des bâtiments?
D’une part, nous devons poursuivre intensivement notre
travail de clarification pour expliquer ce que signifient et
englobent la planification, la construction et la gestion
­durables des bâtiments, sans oublier de montrer que l’énergie n’en constitue qu’une petite part, même si celle-ci
prime le plus souvent dans le débat politique et médiatique. En outre, il me paraît opportun de ne pas vouloir
faire de chaque bâtiment un immeuble Minergie P. Cela ne
se justifie ni sur le plan économique, ni sur le plan écologique, car les mesures prises sur l’enveloppe du bâtiment
impliquent toutes le recours à des ressources naturelles
aussi. Je vois l’avenir avant tout dans des formules individuelles régionales au niveau des zones et des quartiers. Il
convient ici de mettre au point des solutions prenant en
compte l’offre spécifique d’énergie, y compris la récupération de la chaleur rejetée par exemple par des centres de
calcul, et de gérer de manière intelligente les besoins en
énergie (chaleur, froid et électricité) sur la journée et
­l’année. Cela permettra avant tout de relâcher la pression
sur les immeubles anciens qui, sinon, devraient être soumis
tôt ou tard à l’«offre de réhabilitation énergétique» si l’on
veut atteindre les objectifs de la politique énergétique et
climatique. Les conditions économiques actuelles et la
­réaction rationnelle des acteurs du marché qui en découle
ne vont, à elles seules, pas faire avancer les choses, du
moins pas au rythme ni dans les proportions nécessaires.
Quelle est votre vision de la construction durable?
Que nous disposions de conditions différentes permettant
à la construction durable au sens large de vraiment devenir
réalité – dans le neuf comme dans l’ancien. Outre l’accessibilité financière du logement, une consommation énergétique raisonnable couverte par des énergies renouvelables
et l’absence de substances nocives dans la construction et
l’exploitation, la construction durable comporte aussi une
utilisation rationnelle et économe des sols et des autres
­ressources naturelles. Nous ne devons jamais oublier que
les aspirations particulières sont souvent en contradiction
avec ce que la société peut collectivement tolérer. Une
­surface utile bâtie de 50 m2 par personne, aujourd’hui la
norme en Suisse mais qui risque de passer à env. 70 m2 en
2050, n’est écologiquement pas viable même avec de très
bons indices énergétiques. Nous avons besoin ici aussi
d’une «main visible» et d’une compréhension éclairée pour
trouver le juste équilibre, sur le plan national et mondial
ainsi que dans le présent, mais aussi en considération des
futures générations.
Holger Wallbaum est ingénieur de sécurité spécialisé en protection
technique de l’environnement, docteur en architecture et professeur
en construction durable à la Chalmers University of Technology de
Göteborg en Suède. Il a occupé jusqu’en 2012 la chaire de la construction durable à l’EPF de Zurich.
8
Notes finales
1) Besoins en énergie pour la production et le transport des matériaux de construction, processus de construction (y compris démolition, reconstruction).
2) La société à 2000 watts est une vision de politique énergétique
développée à l’EPFZ, selon laquelle les besoins en énergie primaire
de chaque habitant de la Terre ne devraient pas dépasser sur le
long terme une puissance moyenne de 2000 watts. En Suisse, cette
valeur se situe actuellement aux alentours de 6000 watts.
Impressum
Edition série «La durabilité chez Notenstein», mars 2015
Editeur Notenstein Banque Privée SA, Bohl 17, Case postale,
CH-9004 Saint-Gall, [email protected], www.notenstein.ch
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