L`immobilier durable: quo vadis?
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L`immobilier durable: quo vadis?
Série «La durabilité chez Notenstein» L’immobilier durable: quo vadis? Dans la série «La durabilité chez Notenstein» Nous passons la majeure partie de notre vie dans des bâtiments. Constituant une large part du patrimoine économique, ceux-ci se caractérisent par une longue durée de vie et par une forte consommation de ressources. Aussi vaut-il la peine de se pencher sur les enjeux de durabilité qui les concernent. Où en est la Suisse en matière d’immobilier durable et quelles sont les évolutions qui se dessinent? Klaus Kämpf Histoire d’une notion La durabilité au sens de stratégie de survie et d’utilisation raisonnée des ressources vitales est une notion qui plonge ses racines dans toutes les cultures. Elle va de soi avant tout dans les sociétés paysannes et ce depuis l’Antiquité. Le terme «durable» apparaît pour la première fois en 1713 dans l’ouvrage Sylvicultura Oeconomica de l’administrateur des mines saxon Hannß Carl von Carlowitz. Inspiré par une grave pénurie de bois, matériau qui était alors utilisé en grandes quantités dans la construction et comme combustible, ce traité de sylviculture parle d’«exploitation durable des forêts». L’auteur y milite aussi pour une utilisation efficace du bois. Ses idées, qui portent également sur les bâtiments, sont étonnamment modernes pour l’époque. Il recommande ainsi une meilleure isolation thermique des maisons lors de leur construction et des fourneaux moins gourmands en bois. Hannß Carl von Carlowitz y aborde aussi les questions sociales. A ses yeux, l’économie devrait servir l’intérêt général et la population avoir droit à une nourriture et une subsistance suffisantes. La conception moderne de la durabilité a été formulée en 1987 dans le rapport Notre avenir à tous de la Commission 1 Série «La durabilité chez Notenstein» mondiale de l’ONU sur l’environnement et le développement («Commission Brundtland»). Après les chocs pétroliers des années 1970, la nécessité d’économiser l’énergie est devenue une évidence. C’est à partir de là que, dans le secteur immobilier aussi, s’est développé peu à peu le concept de durabilité (illustration 1). Illustration 1: Jalons de la durabilité 1713 Hannß Carl von Carlowitz: idée maîtresse «exploitation durable du bois» 1972 Club de Rome: les limites de la croissance 1973 Premier choc pétrolier 1987 Rapport Brundtland: définition du développement durable 1992 Office fédéral de l’énergie/Conférence des services cantonaux de l’énergie: modèle d’ordonnance Utilisation rationnelle de l’énergie dans les constructions 1994 Kesselring/Winter: concept de la société à 2000 watts 1994 Minergie 2000 Mention du développement durable dans la Constitution suisse 2004 Recommandation SIA Construction durable – Bâtiments Source: Notenstein Asset Management d’immeubles en Suisse s’élève à quelque 2’800 milliards de francs. – 45% des besoins en énergie finale de la Suisse sont associés aux immeubles. – Environ 50 millions de tonnes de matériaux de construction sont utilisés chaque année en Suisse. L’augmentation quotidienne de la surface de l’habitat représente plus de huit terrains de football. – Les bâtiments comptent parmi les biens ayant la durée de vie la plus longue. Les erreurs commises aujourd’hui sont littéralement gravées dans le marbre pour devenir les fardeaux de demain. C’est pourquoi les immeubles se trouvent au cœur du développement durable. En tapant «durabilité» et «bâtiment» dans le moteur de recherche de Google, on obtient près de 900’000 occurrences. Et même plus de 31 millions en combinant les critères «énergie» et «bâtiment», ce qui signifie que l’immobilier durable est souvent réduit à l’efficacité énergétique. A cet égard, la Société suisse des ingénieurs et des architectes (SIA) a mis en évidence, dès 2004, les nombreux aspects de la construction durable (illustration 2). Illustration 2: Aspects de la construction durable* La durabilité ne se résume pas à l’efficacité énergétique Selon le rapport Brundtland, le développement durable est «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la possibilité, pour les générations à venir, de répondre à leurs propres besoins». La durabilité est donc un concept attaché à l’homme. Il en va de même de la protection de l’environnement: nous protégeons l’environnement non pas d’abord pour lui-même, mais pour garantir nos propres ressources fondamentales. Les défis que nous devons relever aujourd’hui consistent à garantir la cohésion sociale, la santé et la disponibilité des ressources ainsi qu’à limiter le changement climatique. Les bâtiments revêtent une immense importance dans tous ces domaines. – Les bâtiments sont essentiels pour l’habitat, le travail, la formation et la culture. Nous y passons la majeure partie de notre vie. – Les bâtiments représentent une part importante de la richesse nationale. La valeur totale des 1,7 million Domaine Sujet Critères ou objectifs Société Collectivité Intégration, mixité, contacts sociaux Aménagement Identité spatiale Exploitation, viabilité Approvisionnement, transports publics, accessibilité Confort, santé Sécurité, lumière, qualité de l’air intérieur, rayonnements, bruit Substance du bâtiment Site, durée de vie, flexibilité Coûts Coûts sur tout le cycle de vie (terrain, construction, exploitation, entretien) Matériaux de construction Disponibilité, impacts environnementaux, polluants Energie d’exploitation Chaleur, électricité, énergie renouvelable Sol, paysage Consommation de sol, biodiversité Infrastructure Mobilité, déchets, eau Economie Environnement * Extrait de la liste de critères selon recommandation SIA 112/1 (2004) Source: SIA 2 Série «La durabilité chez Notenstein» Depuis lors, la SIA a édicté des directives précisant et élargissant les thèmes liés à la durabilité. Cela concerne notamment l’«énergie grise»1, la mobilité en lien avec l’emplacement du bâtiment et le concept de «société à 2000 watts»2. Durabilité du parc immobilier Dans les grandes lignes, la durabilité du parc immobilier suisse se présente aujourd’hui comme suit (illustration 3): les nouveaux bâtiments affichent en moyenne un haut niveau de durabilité, surtout en ce qui concerne l’énergie d’exploitation, mais aussi en termes de qualité d’usage et de confort. La durabilité diminue avec l’âge du bâtiment, le point le plus bas se situant dans les années 1960. Durant les années précédentes, la durabilité remonte, au grand étonnement de certains. Cela s’explique par la qualité des sites et des matériaux de construction. Illustration 3: Durabilité du parc immobilier en Suisse (schématisée) Parmi la multitude de sujets liés à la durabilité, nous allons aborder plus spécifiquement les domaines de l’énergie, de l’utilisation des sols et des matières premières minérales. Et ce pour les raisons suivantes: il faut s’attendre à un durcissement des prescriptions sur l’énergie; l’utilisation des sols est aujourd’hui un sujet très à la mode dont nous pensons que l’importance va encore croître; la raréfaction des matières premières minérales est un phénomène peu connu auquel le secteur de la construction sera confronté dans un avenir pas si lointain. Les conditions de travail en rapport avec l’extraction de pierres naturelles dans les pays où les règles de protection sont moins sévères que chez nous constituent un autre sujet. Energie Prescriptions obligent, les besoins en énergie de chauffage des nouveaux bâtiments n’ont cessé de diminuer au cours des 30 dernières années. Adopté en janvier 2015, le Modèle de prescriptions énergétiques des cantons (édition 2014) fixe de nouvelles exigences (illustration 4). Le parc immobilier suisse existant a été construit pour deux tiers avant 1980. Les besoins en énergie de chauffage de ces immeubles représentent un multiple de ceux des nouveaux bâtiments. On voit donc que les anciennes constructions se taillent la part du lion dans les besoins totaux en énergie du parc immobilier. Illustration 4: Evolution des valeurs limites des besoins de chaleur pour les immeubles d’habitation en Suisse 1965 2015 Source: d’après Wüest & Partner Nouveau bâtiment courant 1975 22 Modèle d’ordonnance 1992 Un examen plus attentif des différentes composantes fait apparaître un tableau un peu plus nuancé. Les immeubles datant des années 1960 sont aussi ceux qui s’en tirent le moins bien pour l’énergie d’exploitation et la qualité d’usage. Par contre, le confort d’utilisation ne cesse de diminuer avec l’âge. C’est exactement le contraire pour la qualité du site et l’infrastructure (transports publics, approvisionnement): elles sont en moyenne d’autant meilleures que les immeubles sont anciens. Car les sites bâtis dans le passé sont aujourd’hui pour la plupart bien intégrés, alors que les nouveaux immeubles sont souvent construits au milieu de «vertes prairies». Toutefois, le développement des infrastructures élargit l’offre des sites bien desservis, si bien qu’il se peut que les nouvelles zones de construction actuelles présentent à l’avenir une meilleure qualité de localisation. 12 Modèle de prescriptions 2000 9 Modèle de prescriptions 2008 4,8 Modèle de prescriptions 2014 3,5 0 5 10 15 20 Litres équivalents mazout par m2 25 Source: EnDK A partir de 2020, les nouveaux bâtiments devront, selon les souhaits de la Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie, être toute l’année aussi autosuffisants que possible en matière d’énergie de chauffage et contribuer à leur propre approvisionnement en électricité. Cette tendance vers la «maison zéro énergie» est en ligne avec l’évolution au sein de l’Union européenne. L’énergie grise liée aux ma- 3 Série «La durabilité chez Notenstein» tériaux et aux processus de construction n’est toutefois pas prise en compte ici. Or, il apparaît que pour les nouvelles constructions actuelles, le coût de cette énergie (compte tenu de la durée d’utilisation escomptée) atteint le même ordre de grandeur que les besoins en énergie d’exploitation. Illustration 5: Statu quo et potentiels d’amélioration Utilisation des sols L’utilisation de la ressource inextensible que constitue le sol n’a cessé d’augmenter en Suisse au cours des dernières années. Aujourd’hui, les bâtiments occupent en moyenne quelque 200 m2 de sol par habitant. Cela représente au to- Déchets tal 3,7% de la superficie du pays. Entre 1983 et 2007, les besoins en surfaces pour l’habitat ont augmenté de 44%, alors que durant la même période, la population n’a crû que de 19%. Autrement dit, cette augmentation est due en premier lieu à la demande accrue de surface habitable par personne. Quand bien même le rythme de croissance a ralenti ces dernières années, l’utilisation accrue des sols ne peut pas être qualifiée de durable. Matières premières minérales L’emploi actuel des ressources minérales n’est pas durable non plus. Le gravier et le sable sont, en poids, les matières premières les plus utilisées après l’eau. Toutefois, en plus de jouer un rôle majeur dans la construction, ces matières remplissent aussi une importante fonction écologique dans la constitution des nappes phréatiques. En raison du coût élevé du transport, le gravier et le sable sont des matières premières prélevées localement, mais les quantités de sable extractibles sont limitées. Dans le canton de Zoug, par exemple, les réserves de gravier exploitables seront épuisées dans moins de 20 ans au rythme actuel d’extraction. Une façon de ménager les réserves serait d’utiliser du béton de recyclage pour les applications peu exigeantes. Cela réduirait en plus les quantités de vieux béton à stocker dans les décharges. L’emploi de béton de recyclage n’en est toutefois qu’à ses débuts. Les conditions de travail liées à l’extraction de pierres naturelles suscitent encore peu d’intérêt. Dans de nombreux pays, les normes élémentaires de travail édictées par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et les conventions de l’ONU sur le travail des enfants ne sont pas respectées. Afin d’y remédier, la Ville de Zurich a fait œuvre de pionnière en introduisant, dès 2010, une obligation de respecter ces normes. Concrètement, pour les projets de construction urbains, des certificats attestant le respect des normes sociales et de travail (p. ex. «Fair Stone Standard») sont exigés pour les pierres provenant de carrières extra-européennes. Niveau de durabilité Potentiel d’amélioration Ancien Ancien Neuf Neuf Sources d’énergie fossiles – – Sites contaminés Utilisation des sols – Environnement agréable Mobilité Accessibilité Logement abordable Matériaux exempts de substances nocives Provenance des matériaux (aspects sociaux) – – Matières premières minérales – – Mixité sociale Eau potable Légende: haut moyen bas Parenthèse: le rôle des investisseurs institutionnels Les propriétaires sont des acteurs importants en matière de durabilité immobilière (illustration 6), notamment parce qu’ils influent sur le choix du site, la construction, le niveau des loyers et l’exploitation des bâtiments, autant de marges de manœuvre qu’ils peuvent utiliser de manière ciblée pour améliorer la durabilité. Illustration 6: Les acteurs (schématisés) Communauté Propriétaires Utilisateurs Secteur immobilier et de la construction Source: Notenstein Asset Management 4 Série «La durabilité chez Notenstein» S’agissant du parc immobilier existant, il est possible d’améliorer la substance des bâtiments dans le cadre de réhabilitations, avec notamment des effets positifs sur le confort et le bien-être des utilisateurs. La réhabilitation d’immeubles anciens recèle, comme mentionné plus haut, un important potentiel de durabilité en termes d’économies d’énergie au niveau de l’exploitation. Or, par année, seul environ 1% du parc existant fait l’objet de réhabilitations énergétiques. Les propriétaires disposent par définition d’une plus grande liberté d’action avec les nouvelles constructions (illustration 7). Illustration 7: Marges de manœuvre des propriétaires Immeubles existants Localisation Projets de nouvelles constructions * tés ne représentent certes qu’environ 30 milliards de francs sur l’ensemble du parc existant. Mais, pour ce qui est des stratégies de durabilité, la situation ne doit guère être plus brillante chez les autres investisseurs institutionnels. De quoi l’avenir sera-t-il fait? Les besoins et les possibilités de l’homme évoluent au fil du temps. Le principe directeur de la durabilité est en soi intemporel, mais les thèmes concrets et leur perception changent. Le rapport Brundtland ne décrit-il pas justement la durabilité comme un processus? Illustration 8: Quels sont les thèmes qui nous occuperont demain? Intérêt actuel Mixité, identité spatiale Accessibilité Lumière, ventilation Durée de vie, flexibilité Matériaux de construction Energie d’exploitation * Une marge de manœuvre existe à l’achat d’un immeuble existant grande moyenne petite Légende: Source: Notenstein Asset Management Tendance Intérêt futur Sources d’énergie fossiles Déchets Sites contaminés Utilisation des sols Environnement agréable Mobilité Accessibilité Logement abordable Les 1,7 million de bâtiments que compte la Suisse totalisent une valeur marchande d’environ 2’800 milliards de francs, dont quelque 800 milliards sont imputables à des immeubles de rendement. Ces derniers appartiennent pour environ trois quarts à des investisseurs privés et pour un quart à des investisseurs institutionnels (y compris fonds et sociétés immobilières cotées). Une enquête réalisée auprès des gérants de fonds immobiliers a révélé que, chez les grands gérants de fonds du moins, la question de la durabilité est prise en compte. Les stratégies qui découlent de cette réflexion visent principalement à réduire l’énergie d’exploitation. Certains gérants de fonds calculent des chiffres ad hoc pour leur portefeuille et définissent des objectifs et des mesures en vue de réduire la consommation d’énergie. Mais dans l’ensemble, cette démarche reste encore marginale. En résumé, on retiendra qu’au sein du secteur suisse des fonds immobiliers, le traitement de la durabilité n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Les fonds immobiliers co- Matériaux exempts de substances nocives Provenance des matériaux (aspects sociaux) Matières premières minérales Mixité sociale Eau potable Légende: haut moyen bas Source: Notenstein Asset Management La question se pose de savoir quelles sont les tendances de développement qui sont d’ores et déjà prévisibles en Suisse et quels sont les thèmes qui nous occuperont à l’avenir (illustration 8). Sur l’état de l’immobilier durable dans dix ans, nous avançons les hypothèses suivantes: – L’efficacité énergétique seule ne suffira plus pour qu’un bâtiment soit considéré comme durable. 5 Série «La durabilité chez Notenstein» – Les thèmes suivants retiendront davantage l’attention qu’aujourd’hui: pénurie des sols, conditions de travail dans l’extraction des matières premières, matériaux de construction non toxiques, pénurie des matières premières minérales, mobilité en lien avec l’emplacement des immeubles, comportement des utilisateurs et gestion efficace des bâtiments. – Pour les sources d’énergie fossiles, la question de la sécurité d’approvisionnement passera au premier plan en raison de notre dépendance accrue vis-à-vis de régions politiquement instables. – L’horizon s’élargira. On prendra en compte tout le cycle de vie d’un bâtiment (notamment sur le plan des coûts et du bilan énergétique). Chaque immeuble sera considéré dans le contexte de la zone entière. – En raison des développements socio-démographiques (ménages de plus petite taille, structure par âge de la société, etc.) et de la hausse de la prospérité, les exigences en matière de logement (p. ex. surfaces habitables, configuration et accessibilité) vont évoluer. – De nouvelles formes de travail et de nouvelles stratégies d’entreprise entraîneront une réduction des besoins en surfaces de bureaux. Les sites intra-urbains seront de plus en plus affectés à l’habitat. – L’amélioration des transports publics permettra d’augmenter le nombre de sites durables. – Le potentiel d’amélioration de l’efficacité énergétique sera épuisé dans les nouveaux bâtiments. L’importance des énergies renouvelables va encore s’accroître. – Le gros des efforts portera sur la réhabilitation énergétique du parc immobilier ancien. – La domotique (smart buildings) s’étendra peu à peu dans les nouveaux bâtiments avec, en ligne de mire, l’amélioration du confort. – Les nouveaux immeubles produiront et accumuleront de l’électricité. Le raccordement intelligent au réseau électrique (smart grid) ne fera que commencer. – Les baux à loyer pour les immeubles à usage commercial deviendront «plus verts» en incluant des dispositions sur la gestion et l’exploitation durables. – On misera en outre sur l’amélioration de l’efficacité (moindre recours, pour le même besoin, à des ressources limitées). La retenue en termes d’exigences («suffisance») restera un thème marginal. Résumé et conclusions La durabilité passe parfois pour un sujet à la mode ultra rabâché. Il n’en reste pas moins que le développement durable serait impensable sans la participation du secteur immobilier. Précisément dans une branche tournée vers le long terme comme l’est l’immobilier, la notion de durabilité offre un important fil directeur aux différents acteurs. Cela s’applique aussi en particulier aux propriétaires d’immeubles de rendement pour qui la satisfaction des locataires joue un rôle déterminant. Car le développement durable est orienté vers les besoins actuels et futurs des êtres humains. A cet égard, nous devons être conscients que la transposition du principe de durabilité, concept plutôt abstrait a priori, en objectifs et actions concrets constitue un grand défi. Le niveau de durabilité du parc immobilier suisse est globalement bon. Il n’empêche qu’il reste beaucoup à faire si l’on ne veut pas épuiser à terme nos ressources sociales, économiques et écologiques. La durabilité doit être comprise comme un processus, d’autant plus que les champs d’action changent aussi avec la raréfaction croissante de nombreuses ressources d’une part et avec les nouvelles possibilités offertes par la technologie d’autre part. 6 Série «La durabilité chez Notenstein» Questions au Professeur Holger Wallbaum Les valeurs limites en matière de consommation énergétique des bâtiments et les prescriptions relatives à l’utilisation des énergies renouvelables deviennent toujours plus sévères. Est-ce à dire qu’on aura bientôt réglé la question de la construction durable? Tel n’est certainement pas le cas. La tendance ainsi décrite concerne avant tout les nouveaux immeubles. Le parc immobilier existant n’est soumis qu’en partie à ces exigences, alors que la consommation d’énergie dans le parc immobilier suisse est imputable à 80% à des bâtiments construits avant 1980. Et ce ne sont pas non plus les immeubles labellisés Minergie P ou Minergie A qui seront certainement construits en plus grand nombre ces 20 à 30 prochaines années qui changeront la donne. Par ailleurs, l’énergie n’est pas le seul thème qui nous intéresse dans le débat sur la construction durable. Heureusement, celui-ci peut être considéré comme réglé du point de vue technique. Ce qui nous occupe ici, ce sont bien plus les questions de rentabilité, les questions réglementaires, la compatibilité avec la protection des monuments historiques, etc. Construire de manière durable inclut toutefois encore d’autres aspects tels que des loyers socialement supportables, la non- utilisation de matières dangereuses pour l’homme et l’environnement, la faible consommation de ressources naturelles pour la construction et l’entretien des immeubles, etc. Les analystes de marché prévoient une très forte croissance grâce aux produits connectés intelligents. Quelle contribution les smart buildings peuvent-il apporter à la durabilité? Je suis très partagé sur la question des smart buildings. Nous devons toujours nous rappeler que l’utilisateur peut, par son comportement, influencer la consommation d’énergie à raison de 20% à 80%. Aussi intelligents soient-ils, les immeubles peuvent donc être «mal» utilisés du fait de comportements inadaptés. De plus, les technologies dites intelligentes consomment toutes aussi de précieuses ressources naturelles et de l’énergie électrique pour la fabrication et l’exploitation. Cela conduit en partie à des situations absurdes où de nouveaux bâtiments modernes très bien isolés affichent par mètre carré de surface utile une consommation d’énergie primaire plus élevée que de ouveaux bâtiments standard «inintelligents». Il est certain n que de très gros potentiels existent aussi ici, mais le risque est grand de jeter le bébé avec l’eau du bain. Par exemple, les expériences nous ont appris que les contributions mesurées du smart metering dans les immeubles d’habitation sont nettement moins grandes que ce que la théorie estime possible. Pour moi, une des principales raisons réside dans le fait que la technique essaie souvent de substituer l’homme au lieu de se mettre en symbiose avec ses besoins et ses exigences, au demeurant très variables. Sans compter que beaucoup de choses sont techniquement possibles mais ne nous aident pas réellement dans notre quotidien. Voulons-nous vraiment commander notre lait par Internet depuis notre frigo lorsque nous sommes bientôt à court? En revanche, je reconnais un grand potentiel aux «technologies et systèmes intelligents» pour l’optimisation dans les domaines des zones, des quartiers ou même des villes. Le recours ici à des systèmes de recensement et de pilotage intelligents prendra, à l’avenir, toujours plus d’importance, surtout en raison du développement des énergies renouvelables, avec une offre d’énergie très fluctuante et l’absence, pour l’instant, de technologies de stockage avantageuses. Quel rôle l’homme joue-t-il dans la construction durable? L’homme joue ici un rôle crucial. Il commande, construit, gère, utilise et déconstruit les immeubles. A côté de la forte influence sur la consommation énergétique d’un bâtiment, nous sommes encore loin d’avoir compris les besoins de confort des hommes. Dans la construction non résidentielle en particulier, je suis toujours stupéfait de constater combien nous transposons mal dans la réalité bâtie les thèmes du confort et du bien-être quotidien et surtout annuel. Ainsi, dans le cadre d’une étude menée avec le Professeur Windlinger de la ZHAW Wädenswil (Haute école zurichoise de sciences appliquées) et mandatée par la CTI portant sur la «Qualité des bâtiments durables», nous avons effectué pendant deux ans des mesures physiques dans 27 immeubles de bureaux situés en Suisse alémanique en vérifiant de nombreux paramètres de confort comme la température des locaux, l’humidité relative de l’air, mais aussi la compréhension de la parole; nous avons en outre réalisé plus de 4’500 entretiens avec les collaborateurs travaillant dans les sociétés de services logées dans ces immeubles. Ce que nous avons relevé, ce sont des locaux surchauffés en presque toutes saisons avec, en plus, un air 7 Série «La durabilité chez Notenstein» très sec en hiver, des systèmes de ventilation bruyants, des courants d’air ainsi que des aménagements de bureaux peu propices à la productivité des collaborateurs. Il est clair que nous ne prenons pas encore suffisamment au sérieux l’interdisciplinarité lorsqu’il s’agit de construire et d’exploiter des bâtiments vraiment durables qui apportent réellement aux utilisateurs les «plus» nécessaires. Il faut faire enfin converger les paramètres architecture attrayante, technique de bâtiment rentable et utile sur toute la durée de vie ainsi qu’organisation et aménagement du monde du travail adaptés à l’activité. Quels sont pour vous les défis qui nous attendent en matière de durabilité des bâtiments? D’une part, nous devons poursuivre intensivement notre travail de clarification pour expliquer ce que signifient et englobent la planification, la construction et la gestion durables des bâtiments, sans oublier de montrer que l’énergie n’en constitue qu’une petite part, même si celle-ci prime le plus souvent dans le débat politique et médiatique. En outre, il me paraît opportun de ne pas vouloir faire de chaque bâtiment un immeuble Minergie P. Cela ne se justifie ni sur le plan économique, ni sur le plan écologique, car les mesures prises sur l’enveloppe du bâtiment impliquent toutes le recours à des ressources naturelles aussi. Je vois l’avenir avant tout dans des formules individuelles régionales au niveau des zones et des quartiers. Il convient ici de mettre au point des solutions prenant en compte l’offre spécifique d’énergie, y compris la récupération de la chaleur rejetée par exemple par des centres de calcul, et de gérer de manière intelligente les besoins en énergie (chaleur, froid et électricité) sur la journée et l’année. Cela permettra avant tout de relâcher la pression sur les immeubles anciens qui, sinon, devraient être soumis tôt ou tard à l’«offre de réhabilitation énergétique» si l’on veut atteindre les objectifs de la politique énergétique et climatique. Les conditions économiques actuelles et la réaction rationnelle des acteurs du marché qui en découle ne vont, à elles seules, pas faire avancer les choses, du moins pas au rythme ni dans les proportions nécessaires. Quelle est votre vision de la construction durable? Que nous disposions de conditions différentes permettant à la construction durable au sens large de vraiment devenir réalité – dans le neuf comme dans l’ancien. Outre l’accessibilité financière du logement, une consommation énergétique raisonnable couverte par des énergies renouvelables et l’absence de substances nocives dans la construction et l’exploitation, la construction durable comporte aussi une utilisation rationnelle et économe des sols et des autres ressources naturelles. Nous ne devons jamais oublier que les aspirations particulières sont souvent en contradiction avec ce que la société peut collectivement tolérer. Une surface utile bâtie de 50 m2 par personne, aujourd’hui la norme en Suisse mais qui risque de passer à env. 70 m2 en 2050, n’est écologiquement pas viable même avec de très bons indices énergétiques. Nous avons besoin ici aussi d’une «main visible» et d’une compréhension éclairée pour trouver le juste équilibre, sur le plan national et mondial ainsi que dans le présent, mais aussi en considération des futures générations. Holger Wallbaum est ingénieur de sécurité spécialisé en protection technique de l’environnement, docteur en architecture et professeur en construction durable à la Chalmers University of Technology de Göteborg en Suède. Il a occupé jusqu’en 2012 la chaire de la construction durable à l’EPF de Zurich. 8 Notes finales 1) Besoins en énergie pour la production et le transport des matériaux de construction, processus de construction (y compris démolition, reconstruction). 2) La société à 2000 watts est une vision de politique énergétique développée à l’EPFZ, selon laquelle les besoins en énergie primaire de chaque habitant de la Terre ne devraient pas dépasser sur le long terme une puissance moyenne de 2000 watts. En Suisse, cette valeur se situe actuellement aux alentours de 6000 watts. Impressum Edition série «La durabilité chez Notenstein», mars 2015 Editeur Notenstein Banque Privée SA, Bohl 17, Case postale, CH-9004 Saint-Gall, [email protected], www.notenstein.ch Contact Vous pouvez nous faire part de vos réactions ou commander une de nos publications en ligne, via le formulaire mis à votre disposition sur www.notenstein.ch/contact, ou par courrier postal. Information juridique importante La teneur de cette étude est purement informative et ne constitue ni une offre, ni une incitation à présenter une offre, ni une proposition d’investissement concrète, ni une recommandation d’acheter ou de vendre des produits, d’effectuer toute autre transaction ou de conclure un quelconque acte juridique. Notenstein Banque Privée SA s’efforce de mettre continuellement à jour la teneur de cette étude. Néanmoins, aucune garantie n’est donnée quant à son exactitude, sa fiabilité, son actualité et son intégralité. La performance historique ne constitue en particulier pas une indication quant à la performance actuelle ou future. Toute responsabilité du fait d’un quelconque dommage résultant des présentes informations est exclue. 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