L`Affaire syrienne

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L`Affaire syrienne
« L’Affaire syrienne »
La vague révolutionnaire arabe, partie de Tunisie en décembre 2010, aura
bel et bien frappé la Syrie quelques mois plus tard. Le pays vit depuis le 15 mars
2011 au rythme des manifestations contre le régime de Bachar al-Assad et de la
répression organisée contre les manifestants. Ces soulèvements trouvent, bien
sûr, leurs origines dans des facteurs internes à la Syrie : inégalités économiques,
inégalités géographiques, absence de liberté politique, corruption.
Cependant, analyser ces évènements seulement sous un angle syro-centré ne
permet pas de saisir toute la complexité de la crise syrienne dans laquelle
plusieurs acteurs extérieurs interviennent. La Syrie joue un rôle géopolitique
majeur au Moyen-Orient. Alliée de l’Iran et du Hezbollah, la Syrie, qui abrite les
bureaux du Hamas, est devenue un acteur incontournable sur l’échiquier ProcheOriental. Par conséquent, la Syrie se trouve à un carrefour d’intérêts
géopolitiques de plusieurs pays. Ces derniers se positionnent donc par rapport
aux révoltes soit dans l’objectif de favoriser la stabilité du régime soit, au
contraire, afin de précipiter sa chute. Ainsi, à travers « l’Affaire syrienne », nous
nous proposons d’analyser les soulèvements en Syrie en tant que révélateurs de
ce « nœud d’intérêts » afin de dégager les intérêts propres à chaque pays qui
intervient dans ce conflit.
Jeudi 15 septembre 2011
Les intérêts russes dans la stabilité du régime de Bachar al-Assad
Ce mardi 13 septembre 2011, des rassemblements se sont tenus dans
plusieurs villes syriennes (à Homs ou encore à Deraa) afin de protester contre le
soutien russe au régime de Bachar al-Assad. Cette « journée de la colère », où
les manifestants ont conspué le président russe Medvedev et incendié des
drapeaux russes, a été lancée par le groupe Facebook « The Syrian Revolution
2011 » qui a accompagné les protestations contre le régime depuis le mois de
mars et qui compte aujourd’hui plus de 280 000 membres.
Depuis le début de la vague de mobilisations qui secouent la Syrie, la Russie
s’est montrée hostile à toute sanction contre le régime. Ainsi le ministre des
Affaires étrangères russe Sergei Lavrov a condamné la décision européenne
prise le 2 septembre dernier interdisant les importations de pétrole depuis la
Syrie en affirmant qu’elles « ne mèneront à rien de positif ». Aussi, la Russie a
introduit, fin août, un projet de résolution auprès du Conseil de sécurité,
concurrent au projet porté par la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le
Portugal et les Etats-Unis. Alors que ces derniers réclamaient des sanctions
contre le régime, la « contre résolution » russe appelle Bachar al-Assad à opérer
des réformes, sans pour autant le menacer de sanctions. Dimitri Medvedev a
d’ailleurs résumé la position de son pays, le 12 septembre après un entretien
avec le premier ministre britannique David Cameron dernier, en affirmant
qu’une résolution « sévère »1 était nécessaire mais qu’elle ne devait pas prévoir
de sanctions et qu’elle devait, de plus, s’adresser aussi bien au régime qu’à
l’opposition.
Certes, la Russie a bien tenté d’afficher une certaine impartialité en invitant une
délégation représentant l’opposition syrienne à Moscou le 27 juin 2011. De plus,
Vladimir Poutine, lors de sa visite en France le 21 juin 2011, a clairement mis en
garde le régime syrien en déclarant : « Nous sommes conscients qu’il est
impossible d’utiliser des outils politiques datant de 40 ans dans le monde
contemporain. J’espère que le gouvernement syrien en est conscient et en tirera
les conclusions nécessaires »2. Malgré ces déclarations, la Russie, alors qu’elle
n’avait pas opposé son véto lors de l’intervention des Nations Unies en Libye
(Résolution 1973), continue à bloquer toute résolution aux Nations Unies qui
imposerait des sanctions au régime de Bachar al-Assad.
Ainsi, il est pertinent de s’interroger sur l’intérêt que représente la Syrie pour la
Russie.
L’URSS entretient des relations diplomatiques avec la Syrie depuis 1944, avant
même son indépendance officielle en 1946. Avec l’arrivée du parti Baas au
pouvoir en 1963 en Syrie, les liens entre les deux pays s’intensifient. La Syrie
autorise d’ailleurs l’URSS à installer une base navale sur la côte
méditerranéenne syrienne à Tartous dans le nord-ouest du pays en 1971. La
vétusté des infrastructures ne permettra à la Russie que de mettre en place un
site de maintenance pour ses navires. Bien qu’avec la chute de l’Union
soviétique, la Russie et la Syrie s’éloignent dans les années 90, leurs relations se
resserrent dans les années 2000 sous l’impulsion du couple Bachar al-AssadVladimir Poutine. En 2005, le Parlement russe autorise l’annulation d’environ
70% de la dette syrienne contractée auprès de la Russie en échange d’un
1
BECCHIO Anastasia, « La Russie au secours du régime syrien », RFI, 13 septembre 2011.
LEVERRIER Ignace, « La Russie et la Syrie : un soutien inconditionnel ? », Blog le Monde,
12 juillet 2011.
2
engagement de la Syrie à acheter pour 10 milliards3 de dollars d’armements
russes au cours des prochaines années. Le régime se dote alors de missiles
balistiques Iskanders ou encore de missiles de croisière Iakhont venant renforcer
son arsenal défensif. La Syrie et la Russie passent aussi des accords
commerciaux permettant à des sociétés énergétiques russes, comme la
compagnie pétrolière Tatneft et la compagnie gazière Sibneft (aujourd’hui
Gazprom Neft) de s’installer en Syrie à partir de 2005.
Cette alliance entre les deux pays a pris une dimension encore plus forte après
2008. Tout d’abord, la Syrie n’a pas hésité à affirmer son soutien à la Russie
dans sa guerre contre la Géorgie. Bachar al-Assad déclara, à propos de
l’intervention russe : « Nous croyons que la Russie a répondu aux provocations
Géorgiennes »4. Cependant, l’élément récent le plus révélateur de ces liens est
l’accord obtenu par la Russie pour la rénovation de sa base navale à Tartous en
2008. Alors que la base militaire était tombée en désuétude avec la chute de
l’URSS, la Russie a décidé de la réinvestir en lançant des travaux programmés
jusqu’en 2012. Le port de Tartous sera ainsi l’une des principales bases navales
russes implantées à l’étranger et la seule base navale russe de la Méditerranée.
On comprend ainsi, l’importance stratégique de l’alliance russo-syrienne qui
permet à la Russie de projeter ses forces en Méditerranée, mais aussi dans la mer
Rouge grâce au canal de Suez où elle participe à la lutte contre la piraterie. Si la
Russie a un intérêt dans cette alliance, la Syrie, elle aussi, bénéficie de la
présence russe sur son territoire. Celle-ci constitue un moyen de dissuasion
contre une attaque étrangère, et notamment une attaque israélienne comme celle
de 2007 où Israël bombarda un site nucléaire syrien présumé.
Les liens entre la Syrie et la Russie dans le domaine militaire ont été dénoncés à
de multiples reprises par Israël, malgré les tentatives d’apaisement de Sergei
Lavrov. Ce dernier a affirmé que la vente d’armes à la Syrie se limitait
seulement aux armes défensives5. Israël accuse, par ailleurs, la Russie de
divulguer au régime de Bachar al-Assad les informations collectées par ses
services secrets concernant Israël. Un ancien chef des services de sécurité des
données militaires israéliennes, Ram Dor, a même accusé des opérateurs russes
de diriger les stations syriennes d’écoutes déployées sur le Golan syrien6.
D’ailleurs, Israël redoute que ces données recueillies par la Russie ne soient
transmises au Hezbollah par l’intermédiaire de la Syrie.
3
OUVAROFF Nathalie, « La Syrie : dernière place forte russe au Proche-Orient », Slate.fr, 2
septembre 2011.
4
PENKETH Anne, « Syria seeks weapons deal with Russia amid ‘cold war’ ripples », The
Independent, 22 août 2008.
5
« Russia eyes new Syria arms deal », BBC, 21 août 2008.
6
MACLEOD Hugh, « From Syrian fishing port to naval power base: Russia moves into the
Mediterranean » , The Guardian, 8 octobre 2008.
Par conséquent, la réaction russe face aux projets de sanctions du Conseil de
sécurité contre le régime de Bachar al-Assad, doit être comprise à la lumière des
liens politiques, commerciaux et militaires qui ont caractérisé le couple russosyrien depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La Russie a aujourd’hui un
intérêt stratégique dans la stabilité du régime en Syrie car une chute de celui-ci
remettrait en cause les accords établis entre les deux pays, et principalement, les
accords concernant la base de Tartous : seul débouché russe sur la Méditerranée.
Ainsi, alors que le régime syrien réprime violemment les manifestations, le jeu
de la Russie est de prononcer des déclarations de forme condamnant la
répression du régime, tout en refusant des sanctions à l’encontre de la Syrie. De
cette manière, la Russie tente de ménager le trio Etats-Unis, France et Grande
Bretagne au Conseil de sécurité qui attend un engagement de leur partenaire
russe, tout en veillant à limiter les sanctions contre la Syrie qui pourraient
provoquer la chute du régime entraînant ainsi celle des intérêts russes en Syrie.
Sébastien Laroze Barrit