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Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Table des matières TSFm.indb 5 Thomas Sankara Préface Introduction 6 9 21 Une société nouvelle, débarrassée de l’injustice sociale et de la domination impérialiste 29 La liberté se conquiert dans la lutte 61 L’impérialisme est le pyromane de nos forêts et de nos savanes 87 Le français nous permet de communiquer avec les autres peuples en lutte 95 On ne tue pas les idées : hommage à Che Guevara 101 Index 107 18/02/2008 17:57:41 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Thomas Sank ar a De 1983 à 1987, Thomas Sankara est le dirigeant central de la révolution populaire et démocratique au Burkina Faso, anciennement la Haute-Volta, en Afrique de l’Ouest. Né en 1949, Thomas Sankara entre à l’école militaire en 1966, l’une des rares avenues pour les jeunes de sa génération désirant faire des études supérieures. Alors qu’il poursuit sa formation militaire à Madagascar au début des années 70, il est profondément marqué par un soulèvement de masse des travailleurs et des étudiants qui renverse le gouvernement néocolonial du pays. Il y fait aussi connaissance avec le marxisme, par le biais d’étudiants qui ont participé au soulèvement pré-révolutionnaire de mai 1968 en France. Lieutenant dans l’armée voltaïque, Sankara se fait connaître comme dirigeant militaire lors d’un conflit frontalier avec le Mali en décembre 1974 et janvier 1975. Au cours des années suivantes, il établit des liens avec de jeunes officiers et soldats insatisfaits des conditions oppressives qui prévalent dans le pays, conditions perpétuées par les dirigeants impérialistes de Paris et d’ailleurs avec le soutien des propriétaires terriens, hommes d’affaire, chefs tribaux et politiciens locaux. Sankara est brièvement emprisonné en 1982 après avoir démissionné d’un poste gouvernemental en signe de protestation contre les politiques répressives du régime. Il est nommé premier ministre en janvier 1983 au lendemain 6 TSFm.indb 6 18/02/2008 17:57:42 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Thomas Sankara 7 d’un coup d’État. Il utilise cette tribune pour encourager la population de la Haute-Volta et des autres pays d’Afrique à défendre leurs intérêts contre les possédants du pays et de l’étranger qui les exploitent. Ce cours sans compromis conduit à un conflit croissant avec les forces pro-impérialistes au sein du gouvernement. En mai 1983, le président Jean-Baptiste Ouédraogo fait arrêter Sankara et certains de ses partisans. Le 4 août 1983, quelque 250 soldats marchent sur la capitale Ouagadougou depuis une base militaire insurgée située à Pô. Le régime de Jean-Baptiste Ouédraogo est renversé dans un soulèvement populaire. Thomas Sankara devient le président du nouveau Conseil national de la révolution, inaugurant quatre années d’activité révolutionnaire des paysans, des travailleurs, des femmes et des jeunes. Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara est assassiné et le gouvernement révolutionnaire renversé dans un coup d’État dirigé par Blaise Compaoré. TSFm.indb 7 18/02/2008 17:57:42 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Préface Cette préface a été écrite à partir des remarques faites le 10 février 2005 par Mary-Alice Waters, présidente des éditions Pathfinder, lors de la présentation de l’édition en espagnol de Nous sommes les héritiers des révolutions du monde. Cette présentation a eu lieu dans le cadre de la Foire internationale du livre de La Havane, un événement annuel. Ont aussi pris la parole à cette occasion : Manuel Agramonte, ambassadeur de Cuba au Burkina Faso pendant les quatre ans du gouvernement révolutionnaire dirigé par Thomas Sankara ; Armando Hart, un des dirigeants historiques de la révolution cubaine et ministre de la Culture pendant de nombreuses années ; et Ulises Estrada, directeur de la revue Tricontinental et un combattant internationaliste ayant accompli de nombreuses missions en Afrique et en Amérique latine. u Cette brochure de Thomas Sankara, le dirigeant du gouvernement révolutionnaire populaire du Burkina Faso de 1983 à 1987, a été publié par les éditions Pathfinder en français, puis en anglais il y a environ trois ans. La publication de Somos herederos de las revoluciones del mundo signifie que, pour la première fois, quelques-uns des discours les plus importants de Thomas Sankara sont aussi disponibles en espagnol. C’est une arme nouvelle et puissante entre les 9 TSFm.indb 9 18/02/2008 17:57:42 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press 10 Mary-Alice Waters mains de ceux et celles qui luttent en suivant la voie tracée pour la première fois il y a plus de 150 ans par le Manifeste du Parti communiste de Karl Marx, Friedrich Engels et leurs camarades. En octobre 1984, Thomas Sankara a adopté une pratique utilisée de manière si efficace par Fidel [Castro] et Che [Guevara] avant lui en se servant de la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies pour parler pour et au nom des opprimés et exploités du monde. « Je suis ici, » a-t-il dit aux délégués de 159 pays, « pour vous apporter les salutations fraternelles d’un pays […] où sept millions d’enfants, de femmes et d’hommes refusent désormais de mourir d’ignorance, de faim et de soif. » « Je n’ai pas ici la prétention d’énoncer des dogmes. Je ne suis ni un messie ni un prophète. Je ne détiens aucune vérité. Ma seule ambition est [de] parler au nom de mon peuple, [de] parvenir à exprimer aussi à ma manière la parole du « grand peuple des déshérités, » ceux qui appartiennent à ce monde qu’on a malicieusement baptisé tiers monde, et dire, même si je n’arrive pas à les faire comprendre, les raisons que nous avons de nous révolter. » Thomas Sankara a exprimé la détermination et la dignité de la population d’un des pays les plus pauvres de l’Afrique ravagée par l’impérialisme — un pays qui avait alors le taux de mortalité infantile le plus élevé au monde, un taux d’analphabétisme proche de 98 pour cent dans les campagnes et une espérance de vie d’une quarantaine d’années. Il s’est tourné vers et a parlé au nom de ceux et celles qui partout dans le monde refusent d’accepter l’esclavage économique de la société de classe et ses conséquences, y compris la dévastation écologique, la désintégration sociale, le racisme et les guerres de conquête et de pillage qui sont inévitablement engendrées par le fonctionnement TSFm.indb 10 18/02/2008 17:57:42 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Préface 11 même du capitalisme. Thomas Sankara savait que de telles conditions ne sont pas des phénomènes « naturels » mais le produit de l’ordre impérialiste mondial d’aujourd’hui. Cet ordre mondial, a-t-il expliqué, peut être combattu et doit être détruit. Ce qui a caractérisé Thomas Sankara par dessus tout, c’est sa confiance dans la capacité révolutionnaire des êtres humains ordinaires de le faire. Comme Fidel et Che, il avait confiance dans les hommes et les femmes dédaignés de façon si arrogante par les dirigeants du monde impérialiste. Ainsi que Fidel l’a dit de façon si mémorable à propos de Che, Thomas Sankara ne pensait pas que l’homme est « un petit animal incorrigible, uniquement capable d’avancer tout seul si on lui met de l’herbe devant le nez, ou une carotte, ou si on lui donne des coups de trique. » Comme Fidel, Thomas Sankara savait que celui « qui pense cela, celui qui croit cela ne sera jamais révolutionnaire. Celui qui pense cela, celui qui croit cela ne sera jamais socialiste. Celui qui pense cela, celui qui croit cela ne sera jamais communiste 1. » Sankara croyait qu’un monde construit sur des bases économiques et sociales différentes ne pouvait pas être créé par des « technocrates », des « génies de la finance » ou des « politiciens », mais par les masses travailleuses et paysannes dont le travail, appliqué aux ressources de la nature, est la source de toute richesse. Par des êtres humains ordinaires qui se transforment eux-mêmes en devenant une force active et consciente et en transformant leurs conditions de vie. Et le gouvernement révolutionnaire qu’il dirigeait a commencé à suivre ce cours en mobilisant les paysans, les travailleurs, les artisans, les femmes, les jeunes et les 1. Fidel Castro, le 8 octobre 1987. Publié sous le titre « Les idées du Che sont d’une actualité absolue et totale » dans Ernesto Che Guevara et Fidel Castro, Le socialisme et l’homme à Cuba, New York, Pathfinder, 1989. TSFm.indb 11 18/02/2008 17:57:42 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press 12 Mary-Alice Waters personnes âgées pour effectuer des campagnes d’alphabétisation et d’immunisation, creuser des puits, planter des arbres, construire des logements et commencer à éliminer les relations de classe oppressives à la campagne. u Thomas Sankara se distingue des dirigeants des luttes de libération nationale en Afrique dans la deuxième moitié du vingtième siècle parce qu’il était communiste. À la différence de nombreux autres, il ne rejetait pas le marxisme comme un ensemble d’« idées européennes » étrangères à la lutte de classe en Afrique. Il comprenait que le marxisme n’est justement pas un « ensemble d’idées, » mais la généralisation, enrichie par chaque bataille, des leçons des luttes de la classe ouvrière sur la voie de son émancipation dans le monde. Et il s’est servi de ces leçons au meilleur de ses capacités. Lorsqu’il s’est adressé aux Nations unies en 1984, il a lié la lutte de libération du peuple du Burkina Faso aux siècles de lutte révolutionnaire, de la naissance du capitalisme à aujourd’hui — des révolutions américaine et française de la fin du dix-huitième siècle à la « grande révolution d’octobre 1917 [qui] a transformé le monde, permis la victoire du prolétariat, ébranlé les assises du capitalisme et rendu possible les rêves de justice de la Commune » de Paris. Nous sommes les héritiers de ces révolutions, a-t-il dit, d’où le titre de ce petit livre. « Ouverts à tous les vents de la volonté des peuples et de leurs révolutions, a-t-il noté, nous instruisant aussi de certains terribles échecs qui ont conduit à de tragiques manquements aux droits de l’homme, nous ne voulons conserver de chaque révolution que le noyau de pureté qui nous interdit de nous inféoder aux réalités des autres. » TSFm.indb 12 18/02/2008 17:57:42 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Préface 13 Et en suivant cette ligne de marche, Sankara se tournait vers Cuba comme l’exemple éminent de la lutte révolutionnaire à notre époque. u Thomas Sankara n’était pas seulement un dirigeant des peuples d’Afrique. Il n’était pas seulement un porte-parole des opprimés et des exploités des pays semi-coloniaux. Il a aussi été un dirigeant des travailleurs du monde impérialiste. Dans les dernières décennies du vingtième siècle, des dirigeants prolétariens ayant la stature internationale de Thomas Sankara, de Maurice Bishop et, de façon analogue, de Malcolm X aux États-Unis ont émergé des rangs des peuples opprimés de tous les pays — même des plus sous-développés économiquement — et ont dirigé la lutte internationale pour la libération nationale et le socialisme. Ils ont ainsi pris leur place légitime dans l’histoire. Ce fait donne une mesure des grands changements qui ont marqué le dernier siècle — le renforcement des forces révolutionnaires dans le monde qu’avaient prévu [Vladimir] Lénine et les dirigeants de l’Internationale communiste dans les premières années qui ont suivi la victoire de la révolution d’octobre. C’est dans cette tradition que nous pouvons placer au jourd’hui l’exemple que nous donnent nos cinq frères cubains qui continuent de lutter non comme des victimes, mais comme des combattants de la révolution cubaine placés par des circonstances hors de leur contrôle sur la ligne de front de la lutte de classe aux États-Unis 2. À l ’intérieur 2. Les Cinq Cubains — Fernando González, René González, Antonio Guerrero, Gerardo Hernández et Ramón Labañino — ont été condamnés en 2001 sous des accusations, entre autres, de conspiration « pour TSFm.indb 13 18/02/2008 17:57:42 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press 14 Mary-Alice Waters des prisons fédérales où ils purgent les sentences draconiennes que les dirigeants U.S. leur ont imposées, ils poursuivent leur travail politique parmi quelque deux millions d’autres bénéficiaires de ce que Washington appelle la justice. C’est là qu’on trouve l’origine du visage que le monde entier a vu si clairement à la base navale de la baie de Guantánamo et en Irak 3 . u Les livres produits par les éditions Pathfinder ne sont pas seulement vendus en librairie ou sur le Web. La plupart se vendent dans la rue — à partir de tables établies dans les quartiers ouvriers des cités et villes des ÉtatsUnis et d’Europe, à l’entrée des mines et aux portes des usines, sur les campus universitaires et aux portes des écoles secondaires, dans les manifestations et les agir comme un agent étranger non enregistré, » « pour espionner » et « pour commettre un meurtre. » Les sentences qui leur ont été imposées vont de 15 ans de prison à une double détention à vie plus 15 ans d’emprisonnement. Chacun des cinq a été nommé « Héros de la République de Cuba. » Ils avaient accepté d’infiltrer des groupes contrerévolutionnaires aux États-Unis et d’informer le gouvernement cubain de toute attaque terroriste planifiée contre le peuple cubain. Des millions de personnes se sont mobilisées dans le monde pour condamner les condamnations, les sentences et les dures conditions d’emprisonnement imposées aux « Cinq » et pour exiger leur libération. 3. Depuis le début de 2002, le gouvernement U.S. a utilisé sa base navale de Guantánamo dans l’est de Cuba — une portion de territoire que Washington occupe contre la volonté du peuple cubain — pour emprisonner des centaines de personnes, dans leur vaste majorité capturées en Afghanistan dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » de l’impérialisme. Qualifiés de « combattants ennemis, » ces prisonniers n’ont été accusés d’aucun crime, ont subi des actes de brutalité et de torture et se sont vus refuser tout contact avec leurs familles et empêcher de contester leur détention devant les tribunaux. TSFm.indb 14 18/02/2008 17:57:42 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Préface 15 réunions où sont susceptibles de se rassembler ceux et celles qui luttent et cherchent une voie en avant pour les travailleurs. À ces tables, le visage de Thomas Sankara a un impact puissant et à vrai dire unique. De nombreux passants s’arrêtent brusquement quand leur regard tombe sur le livre Thomas Sankara Speaks [Thomas Sankara parle]. Il s’agit d’un recueil substantiel de ses discours, publié en anglais par les éditions Pathfinder peu après l’assassinat de Sankara en 1987. Plusieurs ne savent pas qui il est. Mais ils sont attirés par la confiance, le caractère et l’intégrité qui émanent de son visage et ils veulent en apprendre plus sur lui. Là où Sankara est le plus connu et respecté, c’est parmi les dizaines de milliers de travailleurs immigrants de l’ouest et du centre de l’Afrique qui gonflent et accroissent aujourd’hui les rangs de la classe ouvrière dans les centres impérialistes, où ils sont poussés par les coups de fouet du capital. Beaucoup s’étonnent de voir le visage de Thomas Sankara sur une table de rue dans le quartier où ils vivent ou travaillent, sur la couverture d’un recueil de ses discours rédigé, imprimé et distribué aux États-Unis par des travailleurs qui le considèrent comme un dirigeant révolutionnaire. À lui seul, ce fait en pousse plusieurs à voir d’une manière différente la classe ouvrière aux États-Unis et à apprécier l’importance des traditions de lutte qu’ils incorporent à la résistance croissante des travailleurs en Amérique du Nord face aux attaques des patrons contre nos salaires, nos conditions de travail, nos heures de travail et nos droits sociaux et politiques fondamentaux. Il est important d’ajouter que l’inverse est également vrai. Lire Thomas Sankara constitue pour nous une composante importante de l’élargissement de l’horizon historique et TSFm.indb 15 18/02/2008 17:57:43 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press 16 Mary-Alice Waters culturel de ceux et celles qui sont nés et ont vécu pendant des années dans les centres impérialistes. u Depuis sa parution en 1988, près de 7 000 exemplaires de Thomas Sankara Speaks ont été vendus en anglais et plusieurs milliers de plus l’ont été de sa première édition en français, Oser inventer l’avenir. Dès le début, une des caractéristiques du cours révolutionnaire pour lequel Sankara s’est battu a été la mobilisation des femmes dans la lutte pour leur émancipation. Comme il le dit dans un des discours publiés ici, une présentation faite en octobre 1983 du programme du gouvernement qu’il dirigeait, « La révolution et la libération des femmes vont de pair. Et ce n’est pas un acte de charité ou un élan d’humanisme que de parler de l’émancipation des femmes. C’est une nécessité fondamentale pour le triomphe de la révolution. Les femmes portent sur elles l’autre moitié du ciel. » Les éditions Pathfinder ont publié en brochure sous le titre L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique l’important discours que Thomas Sankara a donné à une réunion de plusieurs milliers de femmes lors de la journée internationale des femmes, le 8 mars 1987. Ce discours est aussi contenu dans Thomas Sankara Speaks. La brochure est disponible en quatre langues : anglais, espagnol, farsi et français. Quelque 12 000 exemplaires en ont été vendus depuis qu’elle est parue pour la première fois en anglais il y a presque 15 ans — dont plus de 1 500 en farsi en Iran seulement. Nous sommes fiers du fait qu’avec la publication de ce recueil de certains des autres discours les plus représentatifs de Sankara, sa voix se fera entendre plus largement en TSFm.indb 16 18/02/2008 17:57:43 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Préface 17 espagnol. Somos herederos de las revoluciones del mundo contient par exemple son discours très fort sur la destruction par l’impérialisme des arbres et des forêts de l’Afrique, prononcé lors d’une conférence internationale à Paris en 1986. Devant de hauts dignitaires du gouvernement impérialiste français, Sankara a soutenu : La lutte contre la désertification est une lutte pour l’équilibre entre l’homme, la nature et la société. À ce titre, elle est avant tout une lutte politique et non une fatalité. […] Karl Marx le disait, on ne pense ni aux mêmes choses, ni de la même façon selon que l’on vit dans une chaumière ou un palais. Cette lutte pour l’arbre et la forêt est surtout une lutte anti-impérialiste. Car l’impérialisme est le pyromane de nos forêts et de nos savanes. Ce discours de Sankara est longuement cité dans le septième numéro de la revue Nueva Internacional qui vient de paraître et qui est aussi présenté ici aujourd’hui. De l’article principal intitulé « Notre politique commence avec le monde » de Jack Barnes à la photo « La terre la nuit » au verso de la revue — une photo qui illustre les inégalités économiques et culturelles, le véritable gouffre qui existe entre les pays impérialistes et semi-coloniaux, et entre les classes de presque tous les pays — ce numéro de la revue de théorie et de politique marxistes distribuée par les éditions Pathfinder traite en profondeur des mêmes questions politiques et du même cours d’action pour lesquels Sankara a lutté. u Pour conclure, je veux souligner la profondeur de l’internationalisme de Thomas Sankara qui ressort si clairement TSFm.indb 17 18/02/2008 17:57:43 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press 18 Mary-Alice Waters de ces pages. Pour lui, la lutte populaire, démocratique et révolutionnaire du peuple burkinabè faisait un avec la lutte pour abattre le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Elle faisait un avec les luttes anti-impérialistes des peuples de l’Angola, de la Namibie, de la Palestine, du Sahara occidental et du Nicaragua. Elle faisait un avec la population de Harlem qui l’a si chaleureusement accueilli en 1984. Et elle faisait un avec les travailleurs en France, aux ÉtatsUnis et dans le monde impérialiste. C’est à Managua en 1986 que j’ai eu le plaisir de rencontrer et de connaître Thomas Sankara en tant que dirigeant. Nous étions tous les deux délégués à une conférence internationale commémorant le vingt-cinquième anniversaire de la création du Front sandiniste de libération nationale et le dixième anniversaire de la mort au combat de Carlos Fonseca, le dirigeant fondateur du FSLN. Sankara a été choisi pour s’adresser au ralliement au nom des 180 délégations internationales présentes. Lorsqu’il a appris qu’une délégation du Parti socialiste des travailleurs aux États-Unis était présente, il a tenu à venir tout de suite à notre table pour nous saluer. Ce n’était pas simplement un geste diplomatique. Il est venu parler de politique avec d’autres révolutionnaires. Il savait que l’hebdomadaire The Militant était l’un des seuls journaux à l’extérieur de l’Afrique qui couvrait régulièrement le cours révolutionnaire au Burkina Faso et qui publiait des entrevues et des discours de Thomas Sankara chaque fois qu’on pouvait en trouver. u La présentation ici à Cuba de Somos herederos de las revoluciones del mundo est particulièrement appropriée à cause du dernier discours qu’on y trouve, l’hommage à TSFm.indb 18 18/02/2008 17:57:43 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Préface 19 Che rendu par Sankara le 8 octobre 1987. Cette commémoration du vingtième anniversaire de la mort de Che au combat a eu lieu à peine une semaine avant le coup d’État contre-révolutionnaire qui a mis fin à la propre vie de Thomas Sankara. C’est seulement grâce à un heureux concours de circonstances que les paroles qu’il a prononcées lors de cet événement mémorable nous sont aujourd’hui accessibles. L’exposition consacrée au cours et à l’exemple révolutionnaires de Che et que Sankara a inaugurée ce jour-là coïncidait avec l’ouverture d’une conférence internationale contre l’apartheid à Ouagadougou à laquelle assistaient des délégués de quelque 29 pays. Parmi eux, il y avait des compañeros des États-Unis et du Canada — des partisans du journal The Militant et des éditions Pathfinder. Ils regardaient les présentoirs de l’exposition lorsque Sankara est arrivé avec le fils de Che, Camilo, et d’autres camarades cubains. Lorsque Thomas Sankara a commencé à parler de manière impromptue, une des camarades du Canada a sorti le magnétophone qu’elle avait dans son sac à dos et a enregistré ses propos. Le Militant les a transcrits et publiés peu après et ils paraissent ici dans leur intégralité. Che, a dit Sankara à cette occasion, nous a enseigné que « nous pouvons oser avoir confiance en nous et avoir confiance en nos capacités. » Che nous a inculqué la conviction que « la lutte est notre recours. » Il était, a-t-il insisté, « un citoyen du monde libre, le monde libre qui est ce monde qu’ensemble nous sommes en train de bâtir. C’est pourquoi nous disons que Che Guevara est aussi africain et burkinabè. » Y a-t-il une meilleure façon de conclure ? Mary-Alice Waters TSFm.indb 19 18/02/2008 17:57:43 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Introduction Le 4 août 1983, un soulèvement populaire dans le pays d’Afrique de l’Ouest alors connu comme la Haute-Volta — une ancienne colonie de la France et l’un des pays les plus pauvres du monde — initie l’une des plus profondes révolutions de l’histoire de l’Afrique. Son dirigeant est Thomas Sankara, qui devient à l’âge de 33 ans le président du nouveau gouvernement. Un an plus tard, ce pays de sept millions d’habitants est renommé le Burkina Faso, le « pays des hommes intègres. » Au cours d’une période de quatre ans, le gouvernement révolutionnaire populaire mobilise les paysans, les travailleurs et les jeunes pour mettre en application des mesures économiques et sociales de grande ampleur, qui restreignent les droits et prérogatives de l’aristocratie terrienne et des riches marchands de la région. Il les appelle à se joindre aux travailleurs et paysans du reste du monde qui s’opposent à la domination impérialiste. Il initie des organisations de masse de paysans, d’artisans, de travailleurs, de jeunes, de femmes et d’« anciens ». Avec un soutien populaire massif, le gouvernement abolit les redevances et les corvées versées aux chefs de village. Il nationalise la terre pour garantir aux travailleurs ruraux qui représentent quelque 90 pour cent de la population l’accès, comme agriculteurs productifs, au fruit de leur labeur. Il augmente le prix qu’il paie aux paysans pour les principales cultures vivrières. Il lance des projets 21 TSFm.indb 21 18/02/2008 17:57:43 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press 22 Michel Prairie ’irrigation et de plantation d’arbres pour accroître la d productivité et stopper l’avancée de la zone désertique du Sahel dans le nord du pays. Il organise des campagnes de vaccination massives et rend accessibles à des millions de personnes des services de santé essentiels. En 1985, la mortalité infantile tombe à 145 pour 1 000 naissances vivantes comparativement à 208 au début de la décennie. Et en 1987, la propagation croissante de l’onchocercose ou cécité des rivières, une maladie transmise par des parasites, se voit stopper. Dans un pays où l’analphabétisme atteint 92 pour cent — et même plus à la campagne — le gouvernement lance des campagnes d’alphabétisation dans les langues locales. Il finance des travaux publics de construction de routes, d’écoles et de logements. Et confiant dans la justice de classe des travailleurs et des paysans, il met sur pied des tribunaux populaires révolutionnaires pour juger les anciens dirigeants et hauts fonctionnaires accusés de corruption. Sous la direction de Thomas Sankara, la révolution burkinabè suit un cours de solidarité internationaliste avec ceux et celles qui luttent contre l’oppression et l’exploitation, en Afrique et dans le reste du monde. Sankara se fait le champion de la lutte du peuple du Sahara occidental pour son indépendance du Maroc et il contribue au succès d’une lutte pour faire admettre ses représentants au sein de l’Organisation de l’unité africaine. Il organise activement le soutien en Afrique et ailleurs à la lutte contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud et à celle des Palestiniens pour rétablir leur patrie. Sankara fait campagne pour l’annulation de la lourde dette imposée aux pays semi-coloniaux par les gouvernements et les banques impérialistes. Il prend la parole dans le quartier de Harlem à New York pour exprimer son soutien à la lutte des Afro-américains contre l’oppression raciste et aux autres combats menés par les travailleurs et TSFm.indb 22 18/02/2008 17:57:43 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Introduction 23 agriculteurs des États-Unis. Il tend la main du Burkina aux luttes révolutionnaires en ascension en Amérique centrale et dans les Caraïbes. Il visite Cuba en 1984 et 1986 et le Nicaragua en 1986, où il s’adresse au nom de tous les invités internationaux à un rassemblement de masse de 200 000 personnes soulignant le vingt-cinquième anniversaire du Front sandiniste de libération nationale. En août 1987, à l’occasion du quatrième anniversaire du soulèvement populaire au Burkina Faso, Thomas Sankara souligne : « La révolution populaire et démocratique a besoin d’un peuple de convaincus, et non pas d’un peuple de vaincus, de soumis qui subissent leur destin. » Un nombre croissant de travailleurs, de paysans et de jeunes issus des rangs d’un tel peuple s’impliquaient dans la vie sociale et politique du Burkina Faso, donnant un exemple qui réverbérait dans toute l’Afrique centrale et de l’Ouest — bien au-delà des frontières de ce pays enclavé dans le continent. Mais le 15 octobre 1987, Blaise Compaoré organise un coup d’État en faveur de ceux, dans le pays et à l’étranger, dont ce processus menaçait les intérêts de classe. Sankara et 12 de ses collaborateurs et gardes du corps sont assassinés et le gouvernement révolutionnaire détruit. Une semaine avant sa mort, lors d’une commémoration spéciale dans la capitale burkinabè Ouagadougou, Thomas Sankara a parlé d’Ernesto Che Guevara, le dirigeant de la révolution cubaine né en Argentine, à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de ce dernier au cours d’une mission internationaliste en Bolivie. Dans un discours reproduit dans ce livre, Sankara dit de manière prophétique en parlant de l’héritage de Che Guevara : en tant qu’individus, les révolutionnaires peuvent être tués ; mais « vous ne pouvez tuer les idées. » Thomas Sankara est lui-même devenu un symbole pour des millions de travailleurs, de paysans et de jeunes à travers l’Afrique TSFm.indb 23 18/02/2008 17:57:43 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press 24 Michel Prairie qui voient dans la révolution burkinabè — et dans son héritage politique toujours vivant — une source d’idées et d’inspiration politiques dans la bataille pour la libération véritable du continent. Ce livre contient cinq discours de Thomas Sankara : • de larges extraits du rapport qu’il a présenté sous le nom de Discours d’orientation politique en octobre 1983 à la population du Burkina Faso, un discours radio et télédiffusé dans tout le pays ; • le discours qu’il a prononcé en octobre 1984 devant l’Assemblée générale des Nations unies à New York ; • la présentation qu’il a faite à Paris en février 1986 lors d’une conférence internationale sur la préservation des arbres ; • sa déclaration lors du premier sommet de la francophonie en février 1986 à Paris ; • et les remarques qu’il a faites en octobre 1987 à l’ouverture à Ouagadougou d’une exposition sur la vie de Che Guevara. Ces discours donnent un aperçu frappant du cours politique révolutionnaire que Thomas Sankara a expliqué et mis en pratique pour défendre les intérêts des travailleurs et agriculteurs, à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur du pays au cours des quatre années de la révolution burkinabè. Plus de deux décennies plus tard, cette perspective internationaliste prolétarienne conserve toute son actualité. Les discours publiés ici restent un guide pour les centaines de millions de paysans et de travailleurs de l’Afrique et du reste du monde semi-colonial dont les conditions économiques, sociales et politiques se dégradent sous l’impact de la crise du capitalisme. Et ils constituent une composante essentielle de l’armement politique des travailleurs et des agriculteurs des pays impérialistes d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie face aux horreurs que le système capitaliste TSFm.indb 24 18/02/2008 17:57:44 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press Introduction 25 d’exploitation et d’oppression engendre de plus en plus dans ces pays et dans le reste du monde. u En octobre 2007, à l’occasion du vingtième anniversaire du renversement du gouvernement révolutionnaire du Burkina Faso, les éditions Pathfinder ont publié simultanément en français et en anglais sous le titre Thomas Sankara parle une nouvelle édition revue et augmentée de discours et entrevues de Thomas Sankara. Cette édition initialement publiée en français en 1991 sous le titre Oser inventer l’avenir demeure le registre le plus complet du cours poursuivi par un des grands dirigeants révolutionnaires du mouvement ouvrier international moderne. La sélection qui suit a d’abord été publiée en brochure en 2001. La présente édition augmentée comprend une préface de Mary-Alice Waters, présidente des éditions Pathfinder, écrite à partir d’une présentation qu’elle a faite lors du lancement de l’édition en espagnol Somos herederos de las revoluciones del mundo à la Foire internationale du livre de La Havane en 2005. En plus de cette nouvelle préface, cette édition contient une introduction révisée et un nouvel index. Le tout a été recomposé avec des caractères plus grands et plus lisibles. Michel Prairie Décembre 2007 TSFm.indb 25 18/02/2008 17:57:44 Nous sommes les héritiers des révolutions du monde © 2001, 2007 Pathfinder Press 0 0 150 100 300 KILOMÈTRES 200 MILES DORI Niger Burkina Faso Niamey PIBAORÉ KAMBOINSÉ Bamako Ouagadougou Mali BOBO-DIOULASSO PÔ ORODARA Bénin Togo Côte d’Ivoire Ghana Nigeria Lomé Yamoussoukro PortoNovo Lagos Accra Abidjan Océan Atlantique D É S E R T D U S A H A R A S A H E L Burkina Faso Burkina Faso Haute-Volta Capitales VILLES ET VILLAGES MENTIONNÉS DANS CE LIVRE _ TSFmap.indd 1 DENSITÉ DE LA VÉGÉTATION + 12/27/07 8:52:24 AM