L`inflation : perspectives à long terme (2 partie)
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L`inflation : perspectives à long terme (2 partie)
40 NOVEMBRE 2013 L’inflation : perspectives à long terme (2ème partie) Que prévoient les experts ? Inflation faible ou forte : des risques équipondérés pour les économistes Les inquiétudes et les débats autour de l’inflation de long terme portent le plus souvent sur les risques de hausse marquée des prix. Pourtant, les économistes estiment que les probabilités de dérapage des prix sont jugées plus importantes à la baisse qu’à la hausse. Chaque trimestre, la Banque Centrale Européenne (BCE) interroge les experts européens sur leurs prévisions d’inflation : à l’horizon de 2018, ils attribuent une probabilité de 24,4 % à une inflation inférieure à 1,5 % donc en-dessous de la cible de la BCE (qui vise un taux d’inflation « proche et inférieur à 2 % »). La probabilité affectée à une inflation supérieure à 2,5 % est, elle, légèrement moins importante à 20,7 %. Il est à noter que la prévision d’inflation médiane à 4 ans (c’est-à-dire l’inflation au-delà des aléas conjoncturels) a toujours été comprise entre 1,8 % et 2 % depuis que l’enquête a été créée en 1999. Cela révèle le fort degré de crédibilité dont jouit la BCE dans sa mission de maîtrise de l’inflation. Par ailleurs, les risques extrêmes sont toujours jugés très faibles : seulement 2 % de probabilité est attribuée à une inflation très forte (supérieure à 3,5 %) et à peine 1 % à une inflation négative en 2018. Graphique 1 : Probabilité attribuée à une inflation éloignée de la de la cible de 2 % à long terme (%) 30 25 Probabilité (%) Dans le précédent numéro de Conjoncture dédié à l’inflation (n°39 de juillet 2013), ont été analysés les mesures de l’inflation, le contexte des dernières années et les risques de retour de l’inflation à court terme. Les facteurs de risque identifiés étaient la création monétaire et les hausses de taxes. L’analyse menait à conclure qu’aucun de ces facteurs ne représentait un risque majeur de tensions inflationnistes. Cela suffit-il pour penser que les risques inflationnistes sont faibles également à long terme ? Les risques de dérapage des prix ne sont-ils pas plus nombreux et n’augmentent-ils pas avec l’horizon de prévision ? C’est à ces questions que des éléments de réponse sont apportés. 20 15 10 5 0 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Inflation à 5 ans supérieure à 2,5% Inflation à 5 ans inférieure à 1,5% Source : BCE, Survey of Professional Forecasters, calculs Caisse des Dépôts Les investisseurs sont sereins face au risque inflationniste Les économistes pensent que le risque de dérapage marqué des prix est très faible mais qu’en est-il des investisseurs ? Leurs anticipations peuvent être extraites du prix des actifs qui servent de couverture contre l’inflation. Les anticipations d’inflation à moyen et long termes peuvent être extraites des taux d’intérêt des swaps d’inflation européenne : le chiffre obtenu est l’inflation anticipée augmentée d’une prime de quelques points de base. Cette prime est présente car il y a plus d’agents qui désirent se couvrir contre l’inflation que d’agents qui veulent s’exposer à l’inflation. L’inflation de long terme est mesurée par le taux swap d’inflation 5 ans dans 5 ans, autrement dit l’inflation entre 2018 et 2023. Cet indicateur est surveillé par les banques centrales pour évaluer leur crédibilité auprès des investisseurs. L’inflation « 5 ans dans 5 ans » s’établit actuellement à 2,30 % en zone euro, soit un taux proche de la moyenne depuis 2004 (2,36 %). Graphique 2 : Inflation 5 ans dans 5 ans (extraite de la courbe des taux swap d’inflation européenne, %) Graphique 3 : Perte de PIB après la crise financière (base 100 : 2007) 110 108 106 3,2 104 102 3 100 2,8 98 2,6 96 2006 2,4 2008 2009 2010 2011 2012 2013 PIB réel observé 2,2 PIB simulé si la croissance observée = croissance potentielle de 2007 (1,7% par an, estimations CE) 2 1,8 2004 2007 Sources : INSEE, Commission Européenne 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Source : Bloomberg, calculs Caisse des Dépôts Quels facteurs pourraient générer de l’inflation ? Revue des principales questions Q1 : Le retour de la croissance ne va-t-il pas générer forcément de l’inflation ? La France est récemment sortie de récession. Les reprises économiques peuvent déboucher sur des tensions inflationnistes si l’accroissement de la demande de biens et services est tel que des contraintes d’offre apparaissent. Or, l’économie française est actuellement loin de son niveau de production potentiel, c’est-à-dire loin du niveau à partir duquel s’exercent des forces inflationnistes domestiques. Aujourd’hui, la perte de production et la présence de surcapacités de production restent considérables. Le graphique 3 l’illustre très clairement : l’économie française est à son niveau de production de 2008 autrement dit elle a perdu 5 ans de progression. Plusieurs années de croissance continue et sans choc seront nécessaires pour que le PIB renoue avec son potentiel. Le taux d’utilisation des capacités de production, actuellement à 76 %, est loin de sa moyenne de long terme (81,6 %). Le chômage est élevé (10,9 % contre une moyenne de 9,5 % depuis 1980) : il mettra du temps à se résorber, ce qui limitera le pouvoir de négociation des salariés et plaide pour une maîtrise des coûts salariaux. Dans ce contexte d’absence durable de tensions inflationnistes due au déséquilibre offre/demande sur le marché des biens et services, les seules tensions envisageables sur les prix sont des tensions transitoires, pouvant être liées au prix des matières premières sur les marchés mondiaux, aux conditions météorologiques, ou aux taxes. Q2 : Si la BCE n’avait plus la stabilité des prix comme unique mandat ? Le contexte économique morose de ces dernières années a favorisé l’émergence de débats sur les moyens disponibles pour relancer la croissance. Du côté de la politique budgétaire, si la contrainte budgétaire se desserre en 2014 par rapport à 2013, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour satisfaire aux règles européennes : l’arme budgétaire est donc loin de retrouver ses vertus pro-croissance. En revanche, la politique monétaire s’est imposée ces dernières années comme un puissant levier de gestion des crises bancaires, de stabilisation du contexte financier, voire de relance de la croissance (EtatsUnis, Japon). Dans ce cadre, est entrée en débat la question de la formalisation du rôle de la BCE dans la promotion de la croissance. Ceci pourrait se traduire par un changement des objectifs de la BCE : l’objectif du pleinemploi et le soutien à la croissance économique pourraient devenir des objectifs au même titre que la stabilité des prix. La BCE passerait à un mandat multiple, sur le modèle de la banque centrale américaine. Cette éventualité est très peu probable à court terme car aucune proposition officielle n’a été faite en ce sens. Il faudrait probablement modifier le Traité Européen (article 105) et surtout convaincre les autorités allemandes de la pertinence de ce changement. Or, cela s’avèrerait très difficile du fait de l’aversion des autorités et de la population allemandes à l’inflation, aversion souvent attribuée à l’expérience d’hyperinflation de l’entre-deux guerres et à ses conséquences politiques. Pour autant, il n’en est pas moins intéressant de comprendre les possibles implications d’un tel changement pour l’inflation. Est-ce qu’un double mandat favoriserait forcément un contexte plus inflationniste et une perte de crédibilité de la BCE quant à son objectif de maintenir l’inflation proche mais inférieure à 2 % ? L’expérience américaine semble montrer que tel ne serait pas le cas. En effet, la Réserve Fédérale a, depuis longtemps, un double objectif d’inflation et de croissance sans que cela n’amène à de dérapages inflationnistes ou à l’intégration d’une forte prime d’inflation dans les prix des actifs. Même la mise en œuvre récente d’une politique monétaire non conventionnelle engendrant une forte création monétaire aux Etats-Unis n’a pas provoqué de revalorisation de l’inflation de long terme (graphique 4). Aux Etats-Unis comme en zone euro, les anticipations d’inflation restent bien ancrées et les spécialistes n’accordent pas moins de crédit à la Fed qu’à la BCE. Graphique 4 : Prime d’inflation de long terme aux EtatsUnis (5 ans dans 5 ans, %) 4,0 3,5 3,0 2,5 2,0 1,5 1,0 Prix non significatif 0,5 0,0 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 Sources : Datastream, calculs Caisse des Dépôts Q3 : Que penser de l’assertion « l’inflation est inévitable car c’est la solution de facilité pour le désendettement des Etats » La crise de la dette souveraine en zone euro a forcé les pays européens à instaurer des programmes d’austérité qui vont durer, avec un impact économique et social sensible. Les autorités de politiques économiques pourraient donc être tentées de trouver une solution moins douloureuse que les hausses des taxes et les baisses des dépenses : l’érosion du stock de dette existant par l’inflation. Une hausse généralisée des prix a en effet pour conséquence de réduire la valeur de la monnaie et, ainsi, la valeur réelle des dettes. Pour un stock de dette donné, en cas d’inflation et de revalorisation des revenus (à hauteur de l’inflation), le ratio dette/revenu diminue mécaniquement. En fait, plusieurs obstacles se dressent devant cette solution. D’abord, l’inflation ne se décrète pas et ceci est particulièrement vrai dans un contexte de croissance économique modérée et sous le potentiel. De plus, cette solution fonctionne si les revenus sont indexés à l’inflation. Ensuite, cette option a un coût immédiat puisqu’une partie de la rémunération des dettes publiques est directement indexée sur l’inflation (OATi, OAT€i, BTP€i). Enfin, une hausse de l’inflation peut avoir un effet nul voire contre-productif car les investisseurs exigeront une prime supplémentaire pour se couvrir contre l’inflation future : ceci se traduira par une hausse des taux d’intérêt nominaux. Le surplus d’inflation se traduira par un renchérissement du coût de financement de la dette, ce qui réduira de facto l’intérêt de l’inflation. Q4 : La fin des produits à bas coûts en provenance des pays émergents telle que la Chine ? Les importations en provenance des pays émergents ont permis depuis plusieurs années de baisser ou de freiner les prix de certains biens de consommation. Les années 2000 ont été particulièrement marquées par l’importation de produits « bon marché ». Ces produits en provenance de pays de « délocalisation » représentent aujourd’hui un quart de la consommation des biens en France. D’après 1 une étude récente du CEPII , si les consommateurs français achetaient des produits équivalents « Made in France », cela représenterait un surcoût de 100 à 300 euros par ménage et par mois. Les biens en provenance des pays émergents sont plus compétitifs essentiellement parce que les coûts salariaux y sont nettement plus faibles que dans les économies développées. Or, l’économie mondiale est appelée à évoluer profondément dans les prochaines décennies. Les salaires sont voués à augmenter progressivement dans ces régions, où le modèle de croissance devrait se rééquilibrer en faveur de la demande intérieure. On peut donc légitimement se demander quel serait l’impact de ces hausses des coûts de production des produits importés sur l’inflation française. La réponse dépendra des gains de productivité. En Chine, la revalorisation régulière du salaire minimum a déjà commencé. Pour autant, cela n’a pas engendré d’augmentation des prix : les prix des importations américaines en provenance de Chine continuent même de baisser sur un rythme actuellement observé de 3,5 % sur un an. En effet, si les hausses des salaires sont compensées par une amélioration de la productivité alors le coût par unité produite n’augmente pas et il n’y a pas d’inflation. Les sources de productivité sont loin d’être épuisées dans les pays émergents : la poursuite de l’urbanisation représente de ce point de vue une manne importante. De plus, le progrès technique – difficilement prévisible à 30 ans – pourrait générer de nouveaux gains de productivité. Ainsi, les hausses des salaires ne se traduiraient pas automatiquement par des hausses de prix proportionnelles. 1 CEPII, C. Emlinger et L. Fontagné, lettre de juin 2013, (Not) Made in Fance Q5 : La désinflation importée, de nouvelles perspectives ? Durant la dernière décennie, l’arrivée d’une offre en provenance des pays émergents a permis de limiter les hausses de prix. Dans les prochaines années, cette tendance pourrait être toujours présente mais peut-être un peu moins marquée. La désinflation importée n’est pour autant pas de l’histoire ancienne. En effet, la majorité de nos partenaires commerciaux européens cherche aujourd’hui à améliorer leur compétitivité. Ils suivent pour cela l’exemple allemand, les recommandations du FMI et de la Commission européenne. Ces pays cherchent à diminuer les coûts salariaux pour pouvoir exporter davantage, relancer leur croissance économique et diminuer leur besoin de financement externe. L’Irlande, le Portugal et l’Espagne voient depuis 2008-09 leur coût salarial unitaire nominal baisser (graphique 6). Pour la France, ce mécanisme vient modérer le prix moyen des importations en provenance de la zone euro. en plus rentables ce qui favorisera leur déploiement. Enfin, des avancées technologiques non prévisibles peuvent retarder les tensions sur l’offre (nouveaux modes d’extraction, découvertes…). L’équilibre offre/demande et en conséquence le prix de l’énergie ne sont donc pas si facilement prévisibles. Conclusion Au total, il apparait que les investisseurs comme les économistes jugent les risques inflationnistes équilibrés. A long terme, la meilleure prévision d’inflation en zone euro reste finalement, pour eux, la cible de la BCE : un taux d’inflation de 2 % par an. Du passage en revue des principaux débats en cours sur le sujet de l’inflation, il ressort que les risques de dérapage de l’inflation existent mais qu’il ne faut pas les surestimer : des forces de rappel ou de nouvelles sources de désinflation pourront également se mettre en place. Graphique 5 : Coût salarial unitaire nominal (indice 2007 : 100) > Indicateurs clés au 31/10/2013 120 Croissance sur un an (%)2009 France -3,2 Zone euro -4,4 Etats-Unis -2,8 Chine 9,2 115 110 105 100 95 2007 2008 2009 France Portugal 2010 2011 Italie Irlande 2012 2013 2010 1,7 2,0 2,5 10,4 2011 2,0 1,5 1,8 9,3 2012 2013T2 0,0 0,4 -0,6 -0,5 2,8 1,6 7,7 7,5 Prévisions 2013* 2014* 0,1 0,9 -0,4 1,0 1,6 2,7 7,6 7,4 Taux (moyens, %) 2009 2010 2011 2012 oct.-13 2013** 2014** Taux repo 1,26 1,00 1,25 0,88 0,50 0,50 0,50 Eonia 0,71 0,44 0,87 0,23 0,09 Euribor 3 mois 1,23 0,81 1,39 0,57 0,23 OAT 10 ans 3,64 3,12 3,30 2,52 2,33 2,55 2,74 Inflation hors Tabac 0,10 1,40 2,00 1,90 0,7° 1,1*** 1,6*** Livret A 2,08 1,44 2,06 2,25 1,25 ° mois précédent, * Consensus Bloomberg, moyenne annuelle ** Fin d'année *** moyenne annuelle, pour l'inflation totale Source : Bloomberg Forward Forward fin 2013 fin 2014 0,09 0,24 2,40 - 0,21 0,40 2,80 - Espagne France Source : Eurostat Q6 : La raréfaction des matières premières, un impact sur les prix inévitable ? S’il ne fait aucun doute que l’offre de matières premières est une offre limitée, les conséquences haussières en termes de prix ne sont pas facilement mesurables à un horizon lointain. L’épuisement des matières premières et, en particulier, du pétrole engendrera nécessairement une hausse des prix dans un premier temps mais les effets de cette raréfaction ne devraient pas s’arrêter là. Si les prix augmentent fortement et durablement, ceci impactera nécessairement la croissance mondiale. Or, un ralentissement de la croissance réduira les tensions sur l’inflation sous-jacente. D’autre part, l’augmentation des prix et la raréfaction irréversible de certaines matières premières seront une incitation forte à développer des technologies vertes. Ces technologies sont pour l’essentiel au stade exploratoire mais avec la hausse des coûts énergétiques, de tels projets deviendront de plus Directeur de la publication : Odile Renaud-Basso - Responsable de la rédaction : Yann Tampéreau ([email protected]) – Auteur : Nil Bayik ([email protected]) - Caisse des Dépôts - Direction des fonds d’épargne - 72, avenue Pierre Mendès-France - 75914 Paris Cedex 13 Abonnement : [email protected] - Avertissement : les travaux objets de la présente publication ont été réalisés à titre indépendant par le service des Études économiques et marketing de la direction des fonds d’épargne. L’activité est attendue en amélioration par les prévisionnistes. En France, la croissance devrait dépasser 0,1 % en 2013 ème (c’est l’acquis de croissance à la fin du 2 trimestre), et pourrait approcher 1 % en 2014. Ce rebond est escompté grâce à l’amélioration de la confiance des agents et à la moindre rigueur budgétaire en 2014 (0,9 pt de PIB d’effort structurel contre 1,7 pt en 2013). Le niveau des taux courts est attendu stable, à un niveau bas : la reprise est insuffisante pour que la BCE change de posture. Les taux longs, tels que prévus par le consensus Bloomberg, sont attendus très légèrement haussiers, sous l’influence de la hausse des rendements américains due à la modulation à venir des achats de titres de dette souveraine américaine par la Fed. Les opinions et prévisions figurant dans ce document reflètent celles de son ou ses auteur(s) à la date de sa publication, et ne reflètent pas nécessairement les analyses ou la position officielle de la direction des fonds d’épargne ou, plus largement, de la Caisse des Dépôts. 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