Sur la terrasse Les Bécasses Jacassent jacassent Et font des

Transcription

Sur la terrasse Les Bécasses Jacassent jacassent Et font des
LES BÉCASSES
Sur la terrasse
Les Bécasses
Jacassent jacassent
Et font des grâces
Mais Boniface
Le garde-chasse
Passant par là
Les prend en nasse
Et les cadenasse
Dans sa besace
"C’est pas finasse
Une Bécasse ! "
Chante Boniface
De sa voix de basse.
ANDRÉE CHEDID
1
LE RHINOCÉROS
Le rhinocéros est morne
et il louche vers sa corne.
Que veut le rhinocéros ?
Il veut une boule en os.
Ce n’est pas qu’il soit coquet :
c’est pour jouer au bilboquet
(car l’ennui le rend féroce,
le pauvre rhinocéros).
CLAUDE ROY
2
BESTIOLERIES
Même en gardant le silence
l’hirondelle est volubile,
étincelle d’impatience
qui vole, file et se faufile.
La truite et le saumon
soudain sautent de l’eau à l’air
passant d’un élément à l’autre,
poisson-oiseau en un éclair.
Ainsi l’esprit à l’improviste
changeant d’idée et d’élément
s’absente de soi dans sa fuite
à l’envers du temps
à l’envers de l’air.
CLAUDE ROY
3
CHANSON BÊTE
Maman
Je voudrais être en argent
Mon fils
Tu auras bien froid
Maman
Je voudrais être de l’eau
Mon fils
Tu n’auras pas chaud
Maman
Brode-moi sur ton oreille
Oui, mon fils
Sans tarder
FEDERICO GARCIA LORCA
4
LE BOA ET LE BAOBAB
Un boa sur un baobab
Se pavanait tel un nabab.
Il se disait royal et fort
Comme Nabuchodonosor.
Aussi voulut-il par la force
Impressionner un ver d’écorce.
Il soutint avoir mis à mort
Six judokas alligators
Et vaincu au zoo de Lima
Deux kangourous karatékas.
Mais le ver de bois ne crut pas
Les bobards du boa béat.
Contrit, contraint, le constrictor
Se détendit tel un ressort
Autour du baobab géant.
Il l’étrangla tant, si longtemps
Qu’au petit jour, noué, tordu,
Le boa brisé en mourut.
PIERRE CORAN
5
C’EST TOUT UN ART D’ÊTRE CANARD
C’est tout un art d’être canard
C’est tout un art
D’être un canard
Canard marchant
Canard nageant
Canards au vol vont dandinant
Canards sur l’eau vont naviguant
Etre canard
C’est absorbant
Terre ou étang
C’est différent
Canards au sol s’en vont en rang
Canards sur l’eau s’en vont ramant
Etre canard
Ca prend du temps
C’est tout un art
C’est amusant
Canards au sol cancanants
Canards sur l’eau sont étonnants
Il faut savoir
Marcher, nager,
Courir, plonger
Dans l’abreuvoir.
Canards le jour sont claironnants
Canards le soir vont clopinant
Canards aux champs
Ou sur l’étang
C’est tout un art
D’être canard.
CLAUDE ROY
6
LES CANARIS
Trois cent millions de canaris
Arrivent aujourd’hui à Paris
Pour acheter du céleri
Tout le stock étant déjà pris
Ils sont retournés à Clichy
Paris la pluie
Clichy tout gris
Pauv’ canaris
Plaignez les pauvres canaris
Ils ont la pluie et pas de céleri
Ils repartent dans leur pays
Pour retrouver leurs chers amis
Pauv’ canaris
Clichy tout gris
Paris la pluie.
PASCALE PAUTRAT ET JACQUELINE SALOUADJI
7
LE CHAMEAU
Un chameau entra dans un sauna
Il eut chaud
Très chaud
Trop chaud
Il sua
Sua
Sua
Une bosse s’usa
S’usa
S’usa
L’autre bosse ne s’usa pas.
Que crois-tu qu’il arriva ?
Le chameau dans le désert
Se retrouvera dromadaire.
PIERRE CORAN
8
CHANSON DES ESCARGOTS QUI
VONT À L’ENTERREMENT
A l’enterrement d’une feuille morte
Deux escargots s’en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s’en vont dans le soir
Un très beau soir d’automne
Hélas quand ils arrivent
C’est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
sont toutes ressuscitées
et les deux escargots
sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le cœur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L’autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C’est moi qui vous le dis
Ca noircit le blanc de l’œil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueil
C’est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vraie chanson vivante
La chanson de l’été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C’est un très joli soir
Un joli soir d’été
Et les deux escargots
s’en retournent chez eux
Ils s’en vont très émus
Ils s’en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un p’tit peu
Mais là-haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
JACQUES PREVERT
9
CHANSON DES OISEAUX
Avril ouvre à deux battants
Le printemps ;
L’été le suit, et déploie
Sur la terre un beau tapis
Fait d’épis,
D’herbes, de fleurs, et de joie.
Buvons, mangeons ; becquetons
Les festons
De la ronce et de la vigne ;
Le banquet dans la forêt
Est tout prêt ;
Chaque branche nous fait signe.
Les pivoines sont en feu ;
Le ciel bleu
Allume cent fleurs écloses ;
Le printemps est pour nos yeux
Tout joyeux
Une fournaise de roses.
VICTOR HUGO
10
CHANTEZ, MÉSANGES
Avril rit au jardin
Ce matin,
Tout paré de satin
Et d’or fin,
Chantez mésanges
Dans le verger,
Des plumes d’ange
Vont tôt neiger.
Il porte anneaux de choix
A ses doigts ;
Il fait jaillir des bois
Mille voix ;
Prodigue, il verse
A travers champs
En fine averse
Les diamants.
PHILÉAS LEBESQUE
11
MON CHAT ULYSSE
Mon chat Ulysse
A la jaunisse.
Il ne dort plus.
Il a si mal
Qu’il ne joue plus
Avec sa balle.
Mon chat Ulysse
A la jaunisse.
Sous le bahut
Où il se cache,
On ne voit plus
Que ses moustaches.
Mon chat Ulysse
A la jaunisse.
Ce sans-souci
A pris peur
D’une souris
A moteur.
PIERRE CORAN
12
CHATTE PERSANE
La chambre, où l’été monotone
Confine les ors de sa gloire.
Une brise tiède frissonne
Et creuse d’argentines moires
Sur la chatte aux yeux de démone
Qui, sournoise et longue, vient boire
Dans le vase des anémones...
ANNA DE NOAILLES
13
LA CHAUVE-SOURIS
A mi-carême, en carnaval,
On met un masque de velours.
Où va le masque après le bal ?
Il vole à la tombée du jour.
Oiseau de poils, oiseau sans plumes,
Il sort quand l’étoile s’allume,
De son repaire de décombres.
Chauve-souris, masque de l’ombre.
ROBERT DESNOS
14
CHANSON DE LA PETITE CHAUVE-SOURIS
Dans le ciel d’orange et de rose
La lune à deux cornes a lui.
Ce soir délicieux m’étonne et me repose...
Une petite chauve-souris
Vient visiter sans aucun bruit
Le jardin, respirant le miel des lauriers-roses.
Un chariot là-bas fait un merveilleux cri
Et tout arbre s’adonne à sa métamorphose...
Dans le ciel d’orange et de rose
La lune à deux cornes a lui.
LOUIS CODET
15
Le cheval chante.
Le hibou miaule.
L’âne gazouille.
Le ruisseau hennit.
- C’est bien, mon enfant :
Joue avec les mots.
ALAIN BOSQUET
16
LE CINQUIÈME JOUR
Du haut d’un nuage,
les mains rouges d’argile,
Dieu contemplait les animaux:
— Je suis mécontent du zèbre
dit-il à Saint Rémi
qui tenait la liste
il ressemble trop au cheval
rayez-le !
PIERRE FERRAN
17
COCCINELLE
Coccinelle
citronnelle
ma gazelle
de dentelle
ma tortue
la bienvenue
nid de lune
poule brune
ma géline
qui trottine
mon petit cheval à pois,
ponds tes oeufs dans le lilas.
Farandole,
ma pibole,
vole, vole.
JACQUELINE HELD ET YVES POMMAUX
18
LA COCCINELLE
Je ris dans les bleuets,
Je mange dans les lis,
Je lis dans les œillets,
Je bois dans les narcisses,
Et, couchée dans les citronnelles,
Je rêve si longtemps de bleu,
Moi, la petite coccinelle,
Que je deviens bête à bon Dieu.
MAURICE CAREME
19
COMPTINE
Une coccinelle
Avec une aile
Usée,
Alizée,
A perdu son chemin
Sur ma main.
Je l’emmène en voyage.
Dommage,
Elle veut faire pique-nique.
Bernique.
Je la perds
Dans un champ vert.
Coccinelle,
Ma belle, Eh ! hop,
Fais de l’auto-stop.
DENISE JALLAIS
20
LE CORBEAU ET LA
COLOMBE
Un corbeau noir
sur un tas
de neige blanche
très
très blanche.
Une colombe blanche
sur un tas
de charbon noir
très
très noir.
Ils sont très contents
car
c’est amusant
de voir
un corbeau noir
sur un tas
de neige blanche
très
très blanche.
et
une colombe blanche
sur un tas
de charbon noir
très
très noir.
Je vous laisse
au revoir
je cours les voir.
ANDRÉE CLAIR
21
LE CHANT DU COUCOU
Il est venu l’été si doux !
Chante, coucou !
Quelqu’un m’appelle, « m’aimez-vous ? «
La forêt m’a sauté au cou.
Chante, coucou !
L’agneau bêle après sa maman
La tourte fait roucoucou !
Le canard son petit cancan
Chante, coucou !
Coucou ! coucou ! là-bas ! làbas ! Chante, chante, coucou !
Comme il fait bon ! comme il fait doux !
Chante coucou cou ! chante, coucou !
Chante coucou ! chante coucou... cou !
PAUL CLAUDEL
22
L’ÉCUREUIL
Dans le tronc d’un platane
Se cache une cabane.
Un petit écureuil
Est assis sur le seuil.
Il mange des cerises,
Tricote une chemise ;
Recrache les noyaux,
Se tricote un maillot ;
Attaque les noisettes,
Fait des gants, des chaussettes...
Qu’importe s’il fait froid !
Tant pis si vient l’hiver !
Une maille à l’endroit,
Une maille à l’envers ;
L’écureuil, fort adroit,
Se fait des pull-overs.
JEAN-LUC MOREAU
23
L’ÉCUREUIL D’ARGENTEUIL
C’est un écureuil d’Argenteuil
Qui m’avait porté du cerfeuil
Et qui demeura sur le seuil
N’osant accepter un fauteuil.
BRIGITTE LEVEL
24
L’ESCARGOT
Pin pon d’or,
Le soleil brille
Et moi je sors
De ma coquille,
Pin pon gris.
Pin pon gris,
A petit bruit
Tombe la pluie
Et moi je dors,
Pin pon d’or.
PIERRE MENANTEAU
25
UNE ÉTINCELLE D’HIRONDELLE
En se heurtant contre le ciel
bleu comme pierre à briquet
une étincelle d’hirondelle
met le feu au soleil couchant.
Incendie de carte postale
le feu est couleur de groseille.
L’hirondelle pousse un cri.
Qui l’aurait dit? Qui l’aurait cru?
Un incendie d’hirondelle
qui embrase le bas du ciel
de couleurs d’un goût très Kitch
c’est vraiment catastrokitch!
Hirondelle, hirondelle,
faites venir les pompiers.
Ils éteindront le feu du ciel
avec leurs lances d’incendie.
Soleil, Pompiers, hirondelles,
chacun ira se coucher.
Ne laissez pas les hirondelles
jouer avec le ciel à briquet.
C’est courir le risque mortel
de mettre le feu au soleil.
CLAUDE ROY
26
FABLE
Araignée du matin : chagrin,
pensait un bébé coccinelle
cherchant à libérer ses ailes.
Araignée du midi : souci
grognait un rat dans son chagrin
de voir un chat près de sa belle.
Araignée du soir : espoir,
disait au briquet l’étincelle
mourant dans le vent du jardin.
Mais l’araignée dans sa nacelle
prisonnière à vie de sa faim
rêvait qu’elle était hirondelle.
PIERRE BÉARN
27
LA FOURMI
Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Une fourmi parlant français,
Parlant latin et javanais,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Eh ! Pourquoi pas ?
ROBERT DESNOS
28
UNE GIRAFE DÉPEIGNÉE...
Une girafe dépeignée
Se plaignait
Elle eût voulu qu’on la peignât
Et puis qu’après on la peignît
Mais peintre et peigneur de girafe
Qui tous les deux sont nés coiffés
Sont au café, fort assoiffés,
Et la girafe est en carafe.
BRIGITTE LEVEL
29
LA GRENOUILLE
Une grenouille
Qui fait surface
Ça crie, ça grouille
Et ça agace.
Ça se barbouille,
Ça se prélasse,
Ça tripatouille
Dans la mélasse,
Puis ça rêvasse
Et ça coasse
Comme une contrebasse
Qui a la corde lasse.
Mais pour un héron à échasses,
Une grenouille grêle ou grasse
Qui se brochette ou se picore,
Ce n’est qu’un sandwich à ressorts.
PIERRE CORAN
30
LE PETIT GRILLON
Le petit grillon qui garde la montagne
A bien du mérite croyez-moi
Quand de partout
Coucous et hibous font ou
Coucou coucou
ou ouh ouh ouh ouh
A d’autres coucous
Ou d’autres hiboux
Qui font tout à coup
ou coucou coucou
ou ouh ouh ouh ouh
Toute toute toute la nuit
Le petit grillon vaillant
A bien du mérite
Et qu’est-ce qui le retient
Dites-le moi
Messieurs
De se croiser les bras
et de dormir longtemps
Sa tête
Entre ses deux yeux.
PAUL VINCENSINI
31
HANNETON, VOLE...
Hanneton, vole, vole, vole,
Ton mari est à l’école;
Il m’a dit que si tu volais,
Tu aurais de la soupe au lait;
Et que si tu ne volais pas,
Tu aurais la tête en bas.
Hanneton, vole, vole, vole,
Hanneton, vole, vole donc !
ANONYME
32
LE HARENG SAUR
Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle - haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec.
Il vient, tenant dans ses mains - sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle - gros, gros, gros.
Alors il monte à l’échelle - haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu - toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur blanc - nu, nu, nu.
Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue,
Et, au bout le hareng saur - sec sec, sec.
Il redescend de l’échelle - haute, haute, haute,
L’emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s’en va ailleurs - loin, loin, loin.
Et, depuis, le hareng saur - sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue,
Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours.
J’ai composé cette histoire - simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves,
Et amuser les enfants - petits, petits, petits.
Charles Cros
33
LES
HIBOUX
Ce sont les mères des hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.
Leurs yeux d'or valent des bijoux
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux point de genoux !
Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? les Andalous ?
Ou dans la cabane bambou ?
A Moscou ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?
Hou ! Hou !
Pas du tout, c'était chez les fous.
ROBERT DESNOS
34
L’HIPPOPOTAME
Pour plaire à sa femme
Qui le trouvait gros,
Un hippopotame
A fait du judo.
Pour plaire à sa femme
Qui le trouvait laid,
Un hippopotame
Fit du karaté.
Quand l’hippopotame
Se vit mince et beau,
Il dit à sa femme
Qu’elle pesait trop
Et qu’elle avait l’air,
A côté de lui,
D’une montgolfière
En papier verni.
Pour plaire à sa femme
Et avoir la paix,
Notre hippopotame
Redevint plus laid.
Il mangea sans faim
Tant de soupe aux herbes
Que sa femme enfin
Le trouva superbe.
PIERRE CORAN
35
L’ÉCUREUIL
Voyez-le filer vers les feuilles
Comme un frisson sur la forêt !
Le coucou, le loup, le bouvreuil
En restent tout interloqués.
Avec ses doux yeux en amande,
Sa queue grenadine, son nez
Qui sans cesse aux arbres quémande
Quelque noisette pour dîner,
Avec ses greniers où sommeillent
Des tas de caramels au lait,
Des biscuits, des dragées, du miel,
Des éclairs et des mille-feuilles,
Il s’en met jusqu’aux oreilles
Votre économe écureuil !
MARC ALYN
36
LE LAMA
Lama, fils de lama
Et père de lama,
Cousin de l’alpaca,
Frère de la vigogne,
Frère du guanaco,
A pour toute besogne
D’écouter les échos
Et fuir le loup-garou
Qui vit sous son climat :
Il habite au Pérou
Capitale Lima.
ROBERT DESNOS
37
LE LEOPARD
Si tu vas dans les bois,
Prends garde au léopard.
Il miaule à mi-voix
Et vient de nulle part.
Au soir, quand il ronronne,
Un gai rossignol chante,
Et la forêt béante
Les écoute et s’étonne,
S’étonne qu’en ses bois
Vienne le léopard
Qui ronronne à mi-voix
Et vient de nulle part.
ROBERT DESNOS
38
LIBELLULE ET PIPISTRELLE
Libellule et Pipistrelle,
De nuit, se sont fait la belle
Du Larousse universel.
Pour ne plus être à la page,
Elles ont, contre l’usage,
Dénaturé leur image.
N’en déplaise aux magisters,
Aux rimeurs de dictionnaire,
Aux diseurs et aux diserts,
Libellule et Pipistrelle,
Sous ma plume, sont rebelles
Du Larousse universel
Et s’articulent, virgule,
Avec une majuscule,
Libelstrelle et Pipilule.
PIERRE CORAN
39
LA LIBELLULE
Quand passe dans les cieux
Un hélicoptère,
La libellule bleue
Pique une colère.
Elle rage, râle et rogne
Elle gronde, griffe et grogne.
Pourquoi semblable fureur ?
Elle veut des droits d’auteur.
PIERRE CORAN
40
LE LOIR
Le Loir
A dormi
Dormi dormi
A travers jours
A travers nuits
Puis un matin
Le Loir s’éveille
Pour s’amouracher
D’une Abeille
Animal de peu d’appétit
Le Loir
Très vite
S’est rendormi !
ANDRÉE CHÉDID
41
BERCEUSE DU PETIT LOIR
Voici l’hiver venu,
Les petits rats tout nus
Nichent dans la farine.
Dors, mon petit Loir, dors,
Un petit Loir qui dort
Dort et dîne,
Un petit Loir qui dort
Dîne et dort.
Aux arbres du verger,
Bois sec, noyaux rongés,
Le vent chante famine.
Dors, mon petit Loir, dors.
Un petit Loir qui dort
Dort et dîne,
Un petit Loir qui dort
Dîne et dort.
SIMONE RATEL
42
CHANSON DE MARIAGE
La pie veut se marier
- C’est pour rire, c’est pour rire La pie veut se marier
C’est pour rire et pour pleurer.
Elle épousera le geai,
- C’est pour rire, c’est pour rire Elle épousera le geai,
C’est pour rire et s’amuser.
La pie est folle du geai,
- C’est pour rire, c’est pour rire La pie est folle du geai,
C’est pour rire et pour chanter.
Demain ils s’épouseront,
- C’est pour rire, c’est pour rire La pie veut se marier,
C’est pour rire et pour pleurer.
LOUISA PAULIN
43
MUSE-MUSARAIGNE
Muse-musaraigne
N’aime pas les châtaignes
N’aime pas les glands
Ni la mousse
Ni les pousses
Du sureau tout blanc
Muse-musaraigne
Les mouches la craignent
Et les vers luisants
Mais pas les harengs
Ni les enfants
Ni les éléphants.
ANNE SYLVESTRE
44
L’OISEAU DU TOUR DU MONDE
Un bœuf gris de la Chine
Couché dans son étable
Allonge son échine
Et dans le même instant
Un bœuf de l’Uruguay
Se retourne pour voir
Si quelqu un a bougé.
Vole sur l’un et l’autre
A travers jour et nuit
L’oiseau qui fait sans bruit
Le tour de la planète
Et jamais ne la touche
Et jamais ne s’arrête.
JULES SUPERVIELLE
45
CHANSON DE L’OISELEUR
L’oiseau qui vole si doucement
L’oiseau rouge et tiède comme le sang
L’oiseau si tendre l’oiseau moqueur
L’oiseau qui soudain prend peur
L’oiseau qui soudain se cogne
L’oiseau qui voudrait s’enfuir
L’oiseau seul et affolé
L’oiseau qui voudrait vivre
L’oiseau qui voudrait chanter
L’oiseau qui voudrait crier
L’oiseau rouge et tiède comme le sang
L’oiseau qui vole si doucement
C’est ton cœur jolie enfant
Ton cœur qui bat de l’aile si tristement
Contre ton sein si dur si blanc.
JACQUES PREVERT
46
MESSIEURS LES PETITS OISEAUX...
Messieurs les petits oiseaux,
On vide ici les assiettes ;
Venez donc manger les miettes,
Les chats n’auront que les os.
Messieurs les oiseaux sont priés de vider les écuelles,
Et mesdames les souris
Voudront bien rester chez elle.
C’est le temps des grandes eaux,
Le pain est dans la mangeoire,
Venez donc manger et boire,
Messieurs les petits oiseaux.
VICTOR HUGO
47
LE PREMIER PAPILLON
Le premier papillon s’envola dans le pré,
lança vers le soleil un bonjour bien joyeux,
dans un nuage blanc s’égara un moment,
battit de l’aile frêle et descendit, prudent ;
batifola un peu, insouciant et léger,
de tous ces va-et-vient se sentit fatigué,
s’assit sur une fleur, lui dit : que tu sens bon !
Tel fut le premier jour du premier papillon.
WLADYSLAW BRONIEWSKI
48
LA PATTE DU GRILLON
La patte du grillon
A fait tourner le pré
Sur l’herbe de ses gonds.
La patte du grillon
Vient d’entrouvrir, été,
Ton léger portillon.
La patte du grillon
Ramène dans le pré
Les filles, les garçons.
La patte du grillon
Peut-être, un autre été,
Bercera l’enfançon.
PIERRE MENANTEAU
49
LE PERCE-OREILLE
Un perce-oreille
A démoli
Les murs du métro de Paris.
Il a percé
Jusqu’aux nuages
Une maison de douze étages.
Il fait des tas,
Il fait des trous,
Il fait des tas,
Des tas de trous.
Le perce-oreille
Croit - ô merveille ! Que tous les murs ont des oreilles.
PIERRE CORAN
50
LE PETIT CHAT BLANC
Un petit chat blanc
qui faisait semblant
d’avoir mal aux dents
disait en miaulant :
si entre tes dents
tu mets un moment
délicatement
la queue d’une souris. "
" Souris mon amie
j’ai bien du souci
le docteur m’a dit
tu seras guérie
Très obligeamment
souris bonne enfant
s’approcha du chat
qui se la mangea.
MORALITE
Les bons sentiments
ont l’inconvénient
d’amener souvent
de graves ennuis
aux petits enfants
comme-z-aux souris
CLAUDE ROY
51
LE PETIT CHEVAL
Le petit cheval dans le mauvais temps,
Qu’il avait donc du courage !
C’était un petit cheval blanc,
Tous derrière et lui devant.
Il n’y avait jamais de beau temps,
Dans ce pauvre paysage.
Il n’y avait jamais de printemps,
Ni derrière ni devant.
Mais toujours il était content,
Menant les gars du village,
A travers la pluie noire des champs,
Tous derrière et lui devant.
Sa voiture allait poursuivant
Sa belle petite queue sauvage.
C’est alors qu’il était content,
Tous derrière et lui devant.
Mais un jour, dans le mauvais temps,
Un jour qu’il était si sage,
Il est mort par un éclair blanc,
Tous derrière et lui devant.
Il est mort sans voir le beau temps,
Qu’il avait donc du courage !
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière ni devant.
PAUL FORT
52
POISSON
Les poissons, les nageurs, les bateaux
Transforment l’eau.
L’eau est douce et ne bouge
Que pour ce qui la touche.
Le poisson avance
Comme un doigt dans un gant,
Le nageur danse lentement
Et la voile respire.
Mais l’eau douce bouge
Pour ce qui la touche,
Pour le poisson, pour le nageur, pour le
bateau
Qu’elle porte
Et qu’elle emporte.
PAUL ELUARD
53
POISSON D’AVRIL
Un poisson d’avril
Est venu me raconter
Qu’on lui avait pris
Sa jolie corde à sauter
C’était un cheval
Qui l’emportait sur son coeur
Le long du canal
Où valsaient les remorqueurs
Et alors
Un serpent
S’est offert comme remplaçant
Le poisson
Très content
Est parti à travers champs
Il saute si haut
Qu’il s’est envolé dans l’air
Il saute si haut
Qu’il est retombé dans l’eau.
BORIS VIAN
54
LA POMME ET L’ESCARGOT
Il y avait une pomme
A la cime d’un pommier
Un grand coup de vent d’automne
La fit tomber dans un pré.
- Pomme, pomme, t’es-tu fait mal ?
- J’ai le menton en marmelade
Le nez fendu et l’oeil poché.
Elle tomba quel dommage !
Sur un petit escargot
Qui s’en allait au village
Sa demeure sur son dos.
- Pomme, pomme, t’es-tu fait mal ?
- J’ai le menton en marmelade
Le nez fendu et l’oeil poché.
Dans la pomme à demi blette
L’escargot comme un gros ver
Creusa, creusa sa chambrette
Afin d’y passer l’hiver.
CHARLES VILDRAC
55
PORC
Du soleil sur le dos, du soleil sur le ventre,
La tête grasse et immobile
Comme un canon,
Le porc travaille.
PAUL ELUARD
56
LE POULAIN
Mon beau poulain fou, couleur d’écureuil
Et de feuilles mortes,
Qui cambres le col
Et mâches ton mors
Avec orgueil
Toi qui m’emportes
Au grand galop par la route vermeille,
Et dont la voix forte
Hennit au soleil,
Mon beau poulain fringant, si tu es bien docile
Aux rênes souples que je tiens
Tu n’iras point vieillir sur le pavé des villes,
Et chaque soir d’été, libre de tous tes liens,
Tu brouteras par la prairie
Les bonnes herbes fleuries !
PHILÉAS LEBESQUE
57
POULES
Poule jaune,
poule noire,
dites-moi votre secret.
Avez-vous pondu un oeuf
ou mangé de la salade
qu’il ne faut pas toucher ?
Pourquoi criez-vous comme ça
poule jaune, poule noire ?
Poule blanche,
poule grise,
dites-moi votre secret.
Avez-vous trouvé un ver
ou caché un petit grain
sous un caillou du jardin ?
Pourquoi grattez-vous la terre
poule blanche, poule grise ?
LOUV’A
58
QUATRAINS POUR TROIS OISEAUX-LYRES
ET SEPT HUÎTRES
LE HERON
LE PERROQUET
Il vit en funambule
Et son bec est virgule.
Pour parler aux étoiles,
Il se fait haute voile.
L’AUTRUCHE
2
Tel un
dans la brume
Décalqué au crayon,
Un saxophone à plumes
Becquette des poissons.
A défaut de voler,
Elle court et cavale.
Mais ses plumes égayent
Les Rois de carnaval.
1,2,3,4,5,6,7 huîtres
Dans leur parc font le pitre.
Elles jouent au cerceau
Avec leurs zéros.
PIERRE CORAN
59
LA SAUTERELLE
La sauterelle
N’a pas d’échelle.
La sauterelle
N’a pas d’échasses.
Mais elle saute,
Saute et ressaute
Dans l’herbe haute
De la terrasse.
La demoiselle
Se fâche et mord
Dès qu’on l’appelle
« Patte à ressort. »
La sauterelle
N’a pas d’échasses.
La sauterelle
N’a pas d’échelle.
La sauterelle est élastique.
C’est une bretelle à musique.
PIERRE CORAN
60
SOURIS BLANCHE ET
SOURIS BLEUE
J’ai croisé dimanche
tout près de Saint-Leu
une souris blanche
portant un sac bleu.
Elle n’a pas dit
bonjour ni merci.
Les souris ici
ne sont pas polies.
J’ai croisé lundi
une souris bleue
qu’allait à Paris
pour voir s’il y pleut.
Mais j’ai fait celui
qui ne la voit pas.
La souris s’est dit :
les hommes ici
ne sont vraiment pas,
vraiment pas polis.
CLAUDE ROY
61
LE TAMANOIR
- Avez-vous vu le tamanoir ?
Ciel bleu, ciel gris, ciel blanc, ciel noir.
- Avez-vous vu le tamanoir ?
Œil bleu, œil gris, œil blanc, œil noir.
- Avez-vous vu le tamanoir ?
Vin bleu, vin gris, vin blanc, vin noir.
Je n’ai pas vu le tamanoir !
Il est rentré dans son manoir,
Et puis avec son éteignoir
Il a coiffé tous les bougeoirs,
Il fait tout noir.
ROBERT DESNOS
62
TROIS PETITS OISEAUX DANS LES BLÉS
Au matin se sont rassemblés
Trois petits oiseaux dans les blés.
Ils avaient tant à se dire
Qu’ils parlaient tous à la fois,
Et chacun forçant sa voix.
Ca faisait un tire lire,
Tire lire la ou la.
Un vieux pommier planté là
A trouvé si gai cela
Qu’il s’en est tordu de rire.
A midi se sont régalés
Trois petits oiseaux dans les blés...
A la nuit se sont en allés
Trois petits oiseaux dans les blés.
JEAN RICHEPIN
63
LE ZÈBRE
Le zèbre, cheval des ténèbres,
Lève le pied, ferme les yeux
Et fait résonner ses vertèbres
En hennissant d’un air joyeux.
Au clair soleil de Barbarie,
Il sort alors de l’écurie
Et va brouter dans la prairie
Les herbes de sorcellerie.
Mais la prison, sur son pelage,
A laissé l’ombre du grillage.
ROBERT DESNOS
64
L’AFFABLE LA FONTAINE
Récite ta fa,
récite ta fable.
Pour devenir grand
il faut qu’on apprend
assis à sa table
sa récitation
l’ineffable fable,
riche en citations
de l’affable la
fontaine de fables.
L’heureux nard et le corbeau
Rat Deville et Rat Des champs
le méchant loup Pelagneau
la Chevreuse et le Roseau
l’Assis Gal et la fournie
la quenouille qui veut se faire
aussi rose que le bœuf
les animaux malades de la tête.
Retisse et récite
récite ta fa
ta fable d’enfant.
Quand tu seras grand
il sera bien temps
d’apprendre qu’on n’a
souvent aucun besoin
d’un plus petit
que soif
pour boire à la fontaine.
CLAUDE ROY
65
LES DEUX AIGLES
Un aigle blanc, un aigle noir, aigles tous deux,
Se livrent dans l’azur une guerre acharnée
Qui se terminera par la mort de l’un d’eux.
Avant la fin de la journée,
Le plus faible sera détruit par le plus fort.
Nul ne sait la raison de ce duel à mort.
Pourtant, le ciel est grand, toute proie est visible,
Et pour les aigles, accessible.
Ils ont plus à manger qu’ils n’en peuvent vouloir.
Cette bataille est incompréhensible.
Mais qu’importe aux lutteurs ! L’un d’eux mourra ce soir,
Parce qu’un aigle est blanc, et que l’autre aigle est noir,
MAXIME-LÉRY
66
LE CHAT, LE LOUP ET LE CHIEN
Le loup hurlait: « Vive la liberté !
Elle est mon plus bel apanage. »
Et le chien répondait : « J’accepte l’esclavage
Pour prix de ma sécurité. »
Le chat les écoutait, caché dans le feuillage.
Il leur dit à mi-voix: « Noble loup, pauvre chien,
Vos façons de juger sont lourdes,
Vous ne comprenez rien à rien.
En un mot, vous êtes deux gourdes.
Songez que moi, le chat, j’ai trouvé le moyen
De garder mon indépendance
Et de vivre avec l’homme en bonne intelligence.
Il me sert mes repas, il m’apporte mon lait.
Si j’autorise une caresse,
Je reste indifférent, lointain. Pas de bassesse,
Je suis un chat, non un valet. »
« C’est merveilleux, pensa le loup. En somme,
Le serviteur du chat, c’est l’homme. »
MAXIME-LÉRY
67
LE CHÊNE ET LE ROSEAU
Le chêne un jour dit au roseau :
« Vous avez bien sujet d’accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau
Vous oblige à baisser la tête,
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encore si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage
Vous n’auriez pas tant à souffrir:
Je vous défendrais de l’orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
- Votre compassion, lui répondit l’arbuste,
Part d’un bon naturel; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L’arbre tient bon ; le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.
JEAN DE LA FONTAINE
68
LE CHÊNE ET LE ROSEAU
Le chêne un jour dit au roseau:
« N’êtes-vous pas lassé d’écouter cette fable ?
La morale en est détestable ;
Les hommes bien légers de l’apprendre aux marmots.
Plier, plier toujours, n’est-ce pas déjà trop,
Le pli de l’humaine nature?
- Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ;
Le vent qui secoue vos ramures
(Si je puis en juger à niveau de roseau)
Pourrait vous prouver, d’aventure,
Que nous autres, petites gens,
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,
Dont la petite vie est le souci constant,
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde
Que certains orgueilleux qui s’imaginent grands. »
Le vent se lève sur ces mots, l’orage gronde.
Et le souffle profond qui dévaste les bois,
Tout comme la première fois,
Jette le chêne fier qui le narguait par terre.
« Eh bien ! dit le roseau, le cyclone passé Il se tenait courbé par un reste de vent Qu’en dites-vous mon compère ?
(Il ne se fût jamais permis ce mot avant)
Ce que j’avais prédit n’est-il pas arrivé ? »
On sentait dans sa voix sa haine
Satisfaite. Son morne regard allumé.
Le géant qui souffrait, blessé,
De mille morts, de mille peines,
Eut un sourire triste et beau ;
Et, avant de mourir, regardant le roseau,
Lui dit : « Je suis encore un chêne. »
JEAN ANOUILH
69
LA CHENILLE
Le travail mène à la richesse.
Pauvres poètes, travaillons !
La chenille en peinant sans cesse
Devient le riche papillon.
GUILLAUME APOLLINAIRE
70
LA CHUTE D’UN GLAND
Au pied d’un chêne et sur un vert gazon,
Se reposait une belette.
Quand un gland, détaché par le froid aquilon,
Vint tomber à plomb sur sa tête.
Elle s’éveille, et, tremblante d’effroi,
De ce lieu dangereux s’enfuit à perdre haleine
Criant au rat des champs qu’elle regarde à peine
« Là-bas, là-bas vient de tomber sur moi
La branche énorme d’un gros chêne. »
Le rat n’eut garde d’aller voir.
Il dit à deux lapins broutant sur la colline
Qu’un gros chêne venait de choir
Sur la belette sa voisine;
Les lapins, en le racontant,
Y mêlent des éclairs et le feu du tonnerre;
Un écureuil qui les entend
Y joint un tremblement de terre.
Bref, les faits, les détails, l’un par l’autre appuyés,
S’étaient le lendemain si bien multipliés,
Qu’à trente milles à la ronde
Tous les animaux effrayés
Dans la chute d’un gland voyaient la fin du monde.
JEAN VIENNET
71
LA CIGALE ET LA FOURMI
La cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue:
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’août, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La fourmi n’est pas prêteuse :
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? j’en suis fort aise:
Eh bien ! dansez maintenant. »
JEAN DE LA FONTAINE
72
LA CIGALE ET LA FOURMI
L’inimitable fabuliste
A bien encor ses détracteurs.
Moi je suis inscrit sur la liste
De ses fervents adorateurs.
J’aime... et vous aimez je suppose,
Sa féconde brièveté,
Sa grâce, sa naïveté
Sa morale... C’est autre chose.
La cigale avait eu des torts:
Elle avait trop chanté, j’en conviens, je l’accorde ;
Mais le Seigneur a dit aux faibles comme aux forts :
A tout péché miséricorde !
Elle a faim et froid : c’est assez
Pour que ses torts soient effacés.
Railler et repousser le pauvre... C’est infâme !
Je croyais aux fourmis plus de cœur et plus d’âme.
Et malgré le désir de traiter en amie
Celle dont les vertus ont charmé notre maître,
Franchement, j’aimerais mieux être,
La cigale que la fourmi.
J. A. DE MONGIS
73
LA CIGALE ET LA FOURMI
La cigale, ayant fréquenté
De certains clubs, où l’on professe,
Au nom du droit et de l’égalité,
Le partage de la richesse,
Voulut, sur ce sujet, convertir la fourmi.
On voit que depuis La Fontaine,
Nous n’avons pas progressé qu’à demi.
Comme au temps du bonhomme elle perdit sa peine.
« Tu veux, lui dit la fourmi, que je mette mon bien
En commun avec tous ; apportes-tu le tien ?
- Oh! moi, je n’ai pas de fortune,
Répondit l’insecte léger ;
- Eh bien, alors, va-t-en faire une,
Et tu reviendras partager. »
HENRY COLLIN
74
LA FOURMI ET LA CIGALE
J’ai lu, je ne sais plus où
Qu’en son trou,
Dame fourmi, revenue
Se trouva fort saugrenue
Et bien sotte, en vérité,
D’avoir aussi maltraité
Sa voisine malheureuse.
La fourmi n’est pas prêteuse,
Mais elle a bon cœur, pourtant.
« La cigale allait chantant,
Se disait-elle : est-ce un crime ?
Et faut-il que je l’opprime
D’un reproche de gaîté ?
De ma part, c’est dureté;
Et demain, coûte que coûte,
Oui, demain je me promets
De lui porter quelques mets. »
Ce sentiment-là, sans doute,
Était bon, mais seulement
Trop tardif ; et sur la route,
La cigale, en ce moment,
Se mourait d’épuisement !
AUGUSTE DE VARENNES
75
LA COCCINELLE
Elle me dit: « Quelque chose
Me tourmente. » Et j’aperçus
Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.
J’aurais dû - mais, sage ou fou,
À seize ans on est farouche, Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l’insecte à son cou.
On eût dit un coquillage,
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.
Sa bouche fraîche était là :
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle ;
Mais le baiser s’envola.
« Fils, apprends comme on me nomme »,
Dit l’insecte du ciel bleu,
« Les bêtes sont au bon Dieu,
Mais la bêtise est à l’homme. »
VICTOR HUGO
76
LE CORBEAU ET LE RENARD
Maître corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître renard par l’odeur alléché
Lui tint à peu près ce langage.
« Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau,
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. »
A ces mots le corbeau ne se sent plus de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute ;
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Le corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
JEAN DE LA FONTAINE
77
LE CORBEAU ET LE RENARD
Maître Corbeau, voyant Maître Renard
Qui mangeait un morceau de lard
Lui dit: « Que tiens-tu là, compère?
Selon moi, c’est un mauvais plat.
Je te croyais le goût plus délicat.
Quand tu veux faire bonne chère,
T’en tenir à du lard ! Regarde ces canards,
Ces poulets qui fuient leur mère;
Voilà le vrai gibier de Messieurs les renards :
As-tu perdu ton antique prouesse ?
Je t’ai vu cependant jadis un maître escroc.
Crois-moi: laisse ton lard ; ces poulets te font hoc,
Si tu veux employer le quart de ton adresse. »
Maître Renard ainsi flatté,
Comme un autre animal, sensible à la louange,
Quitte sa proie et prend le change.
Mais sa finesse et son agilité
Ne servirent de rien ; car la gent volatile
Trouva promptement un asile.
Notre renard retourne à son premier morceau.
Quelle fut sa surprise ! il voit Maître Corbeau
Mangeant le lard, perché sur un branchage;
Et qui lui cria: « Mon ami,
À trompeur, trompeur et demi ! »
HENRI RICHIER
78
LE RENARD ET LE CORBEAU OU SI
L’ON PRÉFÈRE LA (FAUSSE) POIRE ET LE
(VRAI) FROMAGE
Or donc, Maître Corbeau,
Sur son arbre perché, se disait: « Quel dommage
Qu’un fromage aussi beau,
Qu’un aussi beau fromage
Soit plein de vers et sente si mauvais...
Tiens ! Voilà le renard. Je vais,
Lui qui me prend pour une poire,
Lui jouer, le cher ange, un tour de ma façon.
Ça lui servira de leçon ! »
Passons sur les détails, vous connaissez l’histoire :
Le discours que le renard tient,
Le corbeau qui ne répond rien
(Tant il rigole !),
Bref, le fromage dégringole...
Depuis, le renard n’est pas bien ;
Il est malade comme un chien.
JEAN-LUC MOREAU
79
ESOPE
Esope était fort laid, bossu, d’une figure
Hideuse à voir, et qui semblait
Faite en dépit de la nature ;
Mais dans ce vilain corps logeait
Une âme pleine de sagesse,
Un cœur noble, droit, bienfaisant,
Un esprit vif et pénétrant,
Tel qu’on n’en trouvait point de pareil dans la Grèce.
Quelqu’un lui demandait, un jour, dans l’entretien,
Comment il avait fait pour être homme de bien,
Pour obtenir du ciel cet heureux caractère,
Que tout le monde estime, et que peu de gens ont.
« C’est, lui répondit-il, en faisant le contraire
De tout ce que les autres font. »
BARATON
80