Projet de recherche

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Projet de recherche
Nesrine AZIZI
Sujet de recherche :
L’œuvre de Bernard Zehrfuss à Bizerte (1943-1947)
« […] Magnifiquement situé, le terrain – il ne vaut presque rien puisque c’est
un terrain vague, de vagues cultures, donc on va exproprier 1000 hectares à très peu de francs le
mètre carré […] ensuite on va faire une ville […] et on revendra le terrain à ceux qui veulent construire
beaucoup moins cher qu’il ne vaut actuellement à Bizerte […] C’était une opération d’urbanisme qui
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pouvait être tout à fait valable à condition qu’elle soit inscrite avec autorité »
Le présent projet de thèse se définit comme la suite et l’approfondissement des recherches que nous
avons effectuées dans le cadre du mémoire de Master sur l’œuvre de Bernard Zehrfuss et son équipe
à Bizerte (1943 -1947). Dans le contexte de la reconstruction du protectorat de Tunisie, Zehrfuss était,
en effet, contractuellement chargé de missions d’architecture et d’urbanisme, de l’établissement des
plans d’aménagement des villes et de la surveillance de leurs réalisations.
Contexte général :
Dès sa libération en mai 1943, la Tunisie se retrouva face à ses ruines dues aux opérations de la
deuxième guerre mondiale qui s’étaient déroulées sur son territoire pendant la campagne de 19421943. En effet, La régence avait été sérieusement détruite dans toute son infrastructure.
Libérée bien avant la France, elle a vu durant la période de 1943 à 1947, sa reconstruction conduite
par l’architecte français Bernard Zehrfuss.
La Tunisie devint un protectorat français suite à la signature du traité du Bardo en 1881. Avec ce
statut la régence gardait tous ses pouvoirs constituant et législatif (beylical) mais déléguait à la
France la direction des relations diplomatiques et les droits de souveraineté interne justifiée par
l’assistance et la protection. C’est pour cela que lorsque la seconde guerre mondiale se déclencha et
que les combats de la libération de la France eurent lieu en Afrique du Nord et notamment en Tunisie,
la France se vit responsable en vertu de ce traité des dommages de guerre sur le sol tunisien et dut
prendre en charge la reconstruction de ce pays. La reconstruction en Tunisie se distingue, néanmoins,
des expériences menées au Maroc et en Algérie. La question posée dans le cas tunisien fut en fait
celle de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, question à laquelle Zehrfuss dut faire face dès
son avènement.
D’autre part, la ville de Bizerte, par sa vocation militaire, est devenue grâce à son statut de base
multifonctionnelle ainsi qu’à l’installation du complexe militaro portuaire depuis 1895, une importante
agglomération qui engendra une importante urbanisation liée à l’immigration des colons dont la
plupart étaient ou des commerçants ayant des activités liées au port militaire, ou bien des agriculteurs
notamment en viticulture pour les italiens. Elle fut longtemps un mélange multiculturel où notamment,
français, andalous, italiens, maltais, russes, juifs et musulmans cohabitaient. En 1939, la population
de la ville de Bizerte était de 30.000 habitants environ, dont presque la moitié d’origine européenne.
Implantée à coté de la ville musulmane, la ville européenne fut édifiée par la compagnie Hersent
selon un plan en damier dès la création du port. Zehrfuss dès son arrivée, s’insurgea contre
l’urbanisme colonial en général et fut exaspéré par l’urbanisme de cette ville « Soyons francs, si la
France est venue assurant la sécurité avec son administration et ses lois, développant des ports,
créant des routes et des voies, elle n’a malheureusement pas fait œuvre d’urbanisme en Tunisie. Que
penser de Tunis qu’on a laissé développer sur des terrains marécageux et malsains ? Que penser de
Bizerte créé sur une lagune ? Que d’erreurs accumulées […] ».
De surcroît, le caractère militaire de Bizerte fit qu’à la fin des hostilités de la Seconde Guerre, elle était
la ville la plus endommagée. Lors de sa reconstruction, il fut question de concevoir un urbanisme
moderne digne de la France. « La reconstruction de Bizerte déborde le cadre de la Tunisie, c’est
avant tout une question d’empire. Jules Ferry déclarait : Bizerte seule vaut la Tunisie tout entière
1
Cité de l’Architecture et du patrimoine,Archives d’architecture du XX ème siècle,Fonds 358AA,Bernard
Zehrfuss,Boite n°6, Vie d’architecte, p22
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[…]. »
Ce fut dans ce contexte et dans cette perspective que la reconstruction de la ville devait
s’opérer.
Frappé par l’absence d’intérêt porté à l’urbanisme en Tunisie, Zehrfuss, Grand prix de Rome, fasciné
par l’œuvre de Le Corbusier, imprégné des principes de l’architecture moderne, trouva dans cette
expérience pilote, non pas sans difficultés, l’occasion de concrétiser les idées du mouvement moderne
énoncées dans la charte d’Athènes.
Problématique :
Au cours de notre travail de master nous avons pu ressortir des informations cruciales mettant en
évidence l’importance de Bizerte dans la carrière de Zehrfuss. En effet, de toutes les villes du
protectorat tunisien dont Zehrfuss eut la charge d’en établir le plan d’aménagement, la ville de Bizerte
fut un cas particulier. Son plan d’urbanisme marque non seulement sa carrière comme étant une des
plus importantes et audacieuses opérations d’aménagement urbain qu’il n’ait jamais réalisé, mais fut
aussi paradoxalement la cause directe de la fin de sa mission en Tunisie en 1947.
Marc Breitman dans son ouvrage Rationalisme et tradition, Jacques Marmey (Tunisie 1943-1949)
s’arrête sur le travail de Zehrfuss en Tunisie. Il nous montre les conditions de son recrutement, la
constitution de l’équipe et des exemples de travaux réalisés dans certaines villes. Par contre, les
informations concernant les circonstances de la fin de sa mission en Tunisie restent sommaires. La
rupture de 1947 résulte selon Breitman des violentes disputes engagées contre zehrfuss et son
équipe au sujet des plans d’urbanisme .En premier le plan d’aménagement de Bizerte.
Christine Desmoulins dans sa thèse sur Zehrfuss, semble s’appuyer sur les propos de Breitman et
reprend les mêmes informations pour expliquer la fin de la mission de Zehrfuss. Elle qualifie par
contre la décision de la rupture du contrat de Zehrfuss prise par le Résident général René Brouillet,
d’arbitraire.
Dans l’ouvrage collectif intitulé Bizerte identité et mémoire, rédigé par Dougui,Bouita,Braham et
Jelloul,paru aux éditions de l’univers de livre, Tunis,en 2006, les informations demeurent très
sommaires concernant cette question.
Dans notre recherche élaborée dans le cadre du master, nous avons bien pu constater l’ampleur de
ce conflit qui opposa Zehrfuss aux habitants. En effet, parler des projets d’urbanisme d’une ville,
comprend aussi parler de leur réception sociale. Dans le cas de Bizerte, sa reconstruction a suscité de
grands controverses et conflits. Cette confrontation résulte du rapport de force qui lia les urbanistes et
les décideurs avec les habitants. C’est ainsi qu’a Bizerte, les lois abusives et autoritaires infligées aux
habitants sinistrés de la ville pour appliquer le plan d’urbanisme, ont crée une résistance farouche aux
projets de Zehrfuss et son équipe et leur remise en cause en tant qu’experts de la ville. On peut
comprendre ainsi les propos de Zehrfuss dans la citation citée en début du texte où il appelle à un
urbanisme autoritaire à Bizerte. Mais l’importance de l’enjeu de la reconstruction de Bizerte explique
t- il seul la manière autoritaire avec laquelle le conflit fut traité ? Contrairement à ce qui se passait en
métropole comme nous le montre Danielle voldman pour la reconstruction en France, il n’y eu pas de
temps du provisoire à Bizerte. Ca ne ferait « qu’aggraver le désordre urbain » selon Zehrfuss. Aussi,
dans l’absence du relogement provisoire, comment s’est fait, alors le passage, la transition ?
Ainsi notre travail a pour but de replacer le travail de Zehrfuss à Bizerte dans toute sa complexité
dans le cadre de son parcours. Quelle est la particularité de son œuvre dans cette ville et quels
étaient les enjeux réels de sa reconstruction ? Pourquoi cette expérience était elle la cause de la fin
de sa mission en Tunisie ? Comment replacer cette expérience dans l’histoire de cette ville importante
restée longtemps inconnue, ensevelie avec ses secrets militaires, la dispersion des archives entre les
deux pays, et les difficultés d’accès à celles ci ?
Hypothèse :
Plonger dans l’histoire de la reconstruction de cette ville, nous aidera à appréhender tous les enjeux
qui s’y attachaient, enjeux politiques, mais aussi militaires et urbanistiques. Une pression politique sur
la commande architecturale, des enjeux militaires que Zehrfuss aussi devait affronter et considérer.
Ces enjeux militaires et stratégiques qui s’estompaient peu à peu au fil des années accentués par le
début de la reconstruction de la métropole et la montée du mouvement national tunisien.
Dans ce sens, nous avons effectué des recherches initiales sur la base de Bizerte d’un point de vue
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Bernard Zehrfuss « Urbanisme et reconstruction en Tunisie », Architecture d’Aujourd’hui, n°1, 1945, P 40.
militaire. Nous avons pu constater que des recherches sur la base de Bizerte sont apparues depuis
quelques années par la volonté du Service historique de la Marine (SHM) et au Comité pour l’histoire
de l’armement, et ce pour reconstituer l’évolution des bases et arsenaux maritimes français. Dans
cette perspective ont été soutenus des mémoires de maîtrise et de DEA, dont celui d’Isabelle
Delaporte sur la base française de Mersa el-Kébir. Ce travail nous montre qu’après le grand dessein
qui fut réservé à la base de Bizerte dès le début de sa reconstruction, un classement des bases
navales françaises effectué dès 1945, écarta la base à cause du risque d’embouteillage de son
goulet. De plus, avec les progrès militaires, la base qui fut jadis bien protégée, fut jugée après la
guerre, et avec l’essor de l’aviation, trop exposée et vulnérable. De surcroît, des difficultés
budgétaires allaient limiter les travaux et réalisations entrepris et programmés à Bizerte à des travaux
de reconstruction provisoire et de légères améliorations. Malgré l’importance de cette ville, nous
supposons qu’une fois la marine de guerre ait révisé ses programmes et estimé que Bizerte sera une
base secondaire, que les crédits étaient insuffisants et qu’ils étaient dirigés en priorité pour assurer la
reconstruction en métropole, tous les programmes de reconstruction de Bizerte se sont figés.
Sources et méthodologie :
Pour étudier et éclairer toutes ces questions, nous nous proposons d’étendre et d’enrichir notre corpus
actuel en exploitant plusieurs fonds d’archives. Si on a pu, à travers la consultation du fonds
ème
d’archives de Zehrfuss conservé aux Archives d’architecture du XX
siècle notamment, ainsi que le
fonds conservé aux Archives diplomatiques de Nantes, éclaircir quelques ambiguïtés, les questions
demeurant ouvertes auxquelles nous devrions essayer de répondre sont encore plus nombreuses.
Ainsi, nous envisageons de procéder à un quasi-dépouillement du fonds d’archives de Nantes qui
mériterait de plus amples investigations par rapport à celles effectuées dans le cadre du travail de
master. Aussi, nous continuerons à exploiter de façon plus méticuleuse les fonds d’archives repérés et
partiellement consultés. Ceci nous permettra d’éclairer davantage le contexte administratif et les
enjeux politiques de la reconstruction de Bizerte. A Tunis, nous nous proposons également de mener
des recherches aux archives nationales de Tunisie où nous avons pu déjà repérer plusieurs dossiers
contenant des documents écrits et iconographiques concernant la période en question.
Nous envisageons également de consulter les archives de la marine à Toulon ; Une première
recherche dans son répertoire numérique a en effet révélé l’existence d’un fonds d’archives
concernant la Tunisie. Il en est de même pour les archives de la défense nationale à Vincennes et
ceux du quai d’Orsay. Ces recherches nous permettrons d’élucider bon nombre de questions à l’instar
de l’influence du ministère de la Défense sur la reconstruction d’une ville militaire telle que Bizerte, et
ce notamment et entre autres sur le plan du financement.
Par ailleurs nous envisageons faire des recherches sur terrains en analysant les bâtiments existants
et le tissu urbain environnant. Nous comptons également exploiter les sources orales en collectant
des témoignages notamment au sein de l’association de sauvegarde de la médina de Bizerte qui
s’occupe de l’histoire de la ville.

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