synthese rencontre professionnelle

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synthese rencontre professionnelle
 1 CONTEXTE
Outre son activité de programmation propre, Très Tôt Théâtre anime et coordonne depuis plus de 13 ans un réseau jeune public sur le département du Finistère. Cette double mission nous amène à toucher du doigt et à questionner la diversité des réalités économiques et techniques des lieux de diffusion sur les territoires. Depuis vingt ans de plus en plus de structures s’intéressent au jeune public. On constate aujourd’hui une grande diversité dans les acteurs de la diffusion des spectacles. Parallèlement, on a vu émerger un nombre important de compagnies et de projets artistiques s’adressant au jeune public. Cependant, force est de constater que ce développement ne s’accompagne pas encore des mêmes moyens (production, diffusion, etc) que pour le secteur « adulte». Comment mettre en adéquation les projets artistiques des compagnies et la réalité des réseaux de diffusion ? Comment assurer le développement d’une création artistique ambitieuse en direction du jeune public malgré une reconnaissance du public et des artistes qui peine encore et un contexte économique fragile ? En juin 2013, Très Tôt Théâtre et Scène d’Enfance et d’Ailleurs ont réuni pratiquement 80 acteurs nationaux (artistes, programmateurs, réseaux, chargés de diffusion, élus) autour de la question de l’économie du jeune public pour la mettre en débat, repenser la place du jeune public dans l’économie générale de la culture et réfléchir ensemble à de nouveaux modèles possibles pour l’avenir. 3 thématiques ont été abordées lors des échanges : > Le rapport entre diffuseurs et compagnies > L’articulation entre économie et territoires > La place des institutions et du politique Afin de favoriser la prise de parole de chacun et l’animation des débats, l’ensemble des participants a été réparti en 4 groupes représentatifs des différents acteurs du secteur. Chaque groupe était animé par un binôme constitué de deux professionnels choisis pour leur complémentarité de points de vue et par un rapporteur. Un regard transversal était assuré par Thierry Boré, Directeur de Spectacle Vivant en Bretagne. Cette synthèse constitue un condensé des échanges et des thématiques qui ont été abordées dans les différents groupes de travail et lors de la plénière finale. Nous espérons qu’elle sera le point de départ pour d’autres temps de réflexion sur ce sujet vaste et sensible : beaucoup de questionnements restent à approfondir. 2 REMERCIEMENTS Merci au Conseil Général du Finistère de nous avoir invité à organiser ces rencontres dans ses murs et à tous les services mis à contribution pour l’organisation de ces deux journées. Merci à Geneviève Le Faure, présidente de Scène d’Enfance et d’Ailleurs et à Thierry Boré, Directeur de Spectacle Vivant en Bretagne, pour leurs contributions à ces rencontres. Merci aux professionnels qui nous ont accompagnés dans la préparation de ces journées et qui ont animé les groupes de réflexions : Axel MANDAGOT, Chargé de la programmation et du développement culturel à la communauté de communes de l'Ernée Communauté de Communes de l’Ernée (53) Isabelle-­‐Mercedes SAGE, Administratrice de la Cie Skappa ! (13) Rapporteur : Lorinne Florange, Présidente de l’association ANCRE (Bretagne) Jean-­‐Noël MATRAY, Directeur de la Ligue de l’enseignement du Jura (39) Laurance HENRY, Metteur en scène de la Cie A K Entrepôt (22) Rapporteur : Responsable de la programmation jeune public et médiatrice du Théâtre de Morlaix Alexandra Olivier Virginie LONCHAMP, Responsable du département du Spectacle Vivant de l’Agence Culturelle d’Alsace (67) Nicolas FLORO, administrateur de la Cie étantdonné (76) Rapporteur : Pascal Bély, consultant pour le Cabinet Trigone (13) Luc De MAESSCHALCK, Administrateur principal et programmateur de L’Yonne en scène (89) Estelle DERQUENNE, Coordinatrice du Collectif jeune public Nord Pas de Calais et administratrice de la Cie la Manivelle Théâtre (59) Rapporteur : Virginie Dréano, responsable de la programmation Jeune public à la FAL 53 (53) Merci à la Cie Etant Donné, au Théâtre du Rivage, à la Cie Bouffou Théâtre et à la cie ACTA pour leur présence artistique à travers la présentation de leurs projets en cours. Merci à Audrey Petit pour sa contribution à la bonne organisation de ces rencontres. 3 LE RAPPORT DIFFUSEUR / COMPAGNIES
> L’équilibre précaire entre production et diffusion La multiplication des lieux programmant du jeune public (scènes nationales, théâtres municipaux, collectivités territoriales, services enfance jeunesse, structures petite enfance...) semble constituer un débouché intéressant pour les compagnies. Pourtant les budgets des structures stagnent et les coûts des spectacles augmentent. De ce fait, certaines structures de diffusion préfèrent réduire la durée des séries pour pouvoir maintenir un choix de spectacles varié. Il ressort que l’ensemble des postes budgétaires de la diffusion sont désormais soumis à négociation avec les compagnies pour faire baisser les coûts (cessions / transport / nb personnes en tournée / défraiements repas…). L’étude de 2007 intitulée « Photographie d’une dynamique fragile » avait montré que l’une des spécificités de la production des spectacles jeune public réside dans le fait qu’elle est portée essentiellement par les compagnies et s’appuie sur la diffusion : la circulation des œuvres et notamment les séries, étant un des moyens importants pour dégager des marges financières qui seront ensuite réinjectées en autoproduction dans la création suivante. Ce contexte économique tendu de la diffusion fragilise ainsi de plein fouet la production jeune public. Le risque d’un « formatage » croissant des oeuvres est dénoncé dans les échanges : certaines compagnies n’osent plus s’orienter vers des productions « lourdes » (plus de trois personnes en tournée, conditions techniques…) de peur que le spectacle ne soit pas diffusé en raison d’un coût de diffusion global trop élevé. Au regard des programmateurs, il semble exister « un coût de cession plafond» en jeune public qu’ils franchissent difficilement. Quelle place se laissent les programmateurs pour la prise de risque à travers le pré-­‐achat et la co-­‐production de projets en création? > La place des structures de diffusion dans la co-­‐production des spectacles Chacun s’accorde à dire que la co-­‐production regroupe l’ensemble des moyens financiers nécessaires au montage d’un spectacle. Dans les faits, « l’apport en co-­‐production » recouvre des réalités très diverses selon les interlocuteurs : l’apport en numéraire, le préachat, la mise à disposition de matériel ou d’équipement, l’organisation de résidence... Plusieurs propositions ont été évoquées autour de cette question importante: -­‐
Il faut dépasser le flou sémantique de la « co-­‐production », afin de partager sans ambiguïté le même vocabulaire entre compagnies et diffuseurs. 4 -­‐
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Le concept de co-­‐production doit nous amener vers un partage des risques plus important entre compagnies et diffuseurs. Il a été évoqué dans certains groupes la notion de « société en participation ». Elle impliquerait une véritable prise de risque partagée : dans ce type de contrat, le co-­‐
producteur récupère une partie de son apport financier sous forme de « droit de suite » en fonction du succès du spectacle soutenu (Coût de cession = coût plateau + une part fonctionnement compagnie + une part retour sur investissement pour les co-­‐producteurs). Cela peut permettre au co-­‐producteur de réinvestir cet argent dans un autre projet. Ce fonctionnement reste toutefois assez marginal dans notre secteur. > Résidence et recherche artistique Il semble que de moins en moins de programmateurs n’aient les moyens nécessaires pour l’accompagnement de la recherche artistique. Les résidences de recherche pure sont de plus en plus restreintes, voire effectuées en autoproduction par les compagnies. Pour permettre un meilleur accompagnement des projets des compagnies (en particulier sur la production), certains programmateurs évoquent l’idée de faire moins de diffusion pour dégager des budgets qui seraient affectés à la création artistique. Dans le cadre d’une résidence, les diffuseurs s’orientent majoritairement vers des résidences de création assorties d’un travail sur le territoire et de préachats. La résidence initialement faite pour donner aux compagnies les conditions nécessaires à la création de leur spectacle, constitue également un outil au service du projet de territoire des structures (rencontres avec les habitants, ateliers, répétitions ouvertes…). Pour que ces actions ne soient pas vécues par les compagnies comme des contreparties imposées, il est nécessaire de travailler sur un projet partagé entre l’équipe artistique et la structure d’accueil de la résidence. Même dans le secteur jeune public, l’artiste n’a pas forcément les compétences et la sensibilité pour tout type d’actions. De plus, les calendriers de création nécessitent des périodes de travail qui ne sont pas toujours compatibles avec les temps de rencontres et de médiation. > Protéger des temps d’échanges dans un calendrier contraint Le temps s'est beaucoup raccourci dans les échanges entre compagnies et programmateurs. Les programmations sont bouclées de plus en plus tôt, les compagnies doivent anticiper cette accélération sous peine de perdre un an sur la diffusion de leur spectacle. La période 5 favorable pour sortir une création et assurer sa visibilité devient de plus en plus contrainte et cela n’est pas sans conséquence pour l’ensemble du secteur. Comment maintenir dans ce contexte un dialogue sur l’artistique vivant et attentif entre les compagnies et les programmateurs ? Une relation régulière et de confiance est nécessaire pour accompagner la période délicate d’une création de spectacle. Comment permettre un retour des programmateurs aux compagnies en prenant en compte la fragilité d’un spectacle à peine éclos… Les programmateurs se laissent peu la possibilité de revoir un spectacle parfois encore frais. Quels espaces de liberté se donnent les programmateurs pour ne pas être seulement contraints par des calendriers qui leurs sont souvent imposés (habitude du public d’avoir sa plaquette en mai-­‐juin – concurrence entre structures sur un même territoire…) ? Il semble important de réfléchir avec les festivals et autres temps forts pour qu'il y ait une place plus importante faite aux échanges ; Il serait judicieux de voir se développer des collaborations plus fortes avec les structures institutionnelles (ONDA, agence régionales...) pour développer ce type de démarche. ECONOMIE DU SPECTACLE JEUNE PUBLIC / TERRITOIRE
> Accompagnement des territoires On note une forte progression de la place du jeune public dans les programmations et sur les territoires, y compris sur des territoires faiblement équipés au niveau culturel. Beaucoup d'acteurs du développement local (petite enfance, enfance jeunesse, associations en milieu rural, d’animation…) se saisissent des spectacles jeunes publics pour pouvoir développer des projets en direction de l'enfance et de la jeunesse. Le jeune public semble ainsi fédérer autour d’un projet partagé. Le jeune public permet de mettre en place des partenariats innovants sur les territoires et offre ainsi au secteur la possibilité de bénéficier d’une mutualisation des moyens par le biais de croisements budgétaires entre des politiques publiques complémentaires (culture / enfance-­‐jeunesse / petite enfance / action sociale / etc.). Il semble intéressant de pouvoir approfondir cette piste, notamment pour l’aide à la création. Dans ce cadre, la question qui se pose est celle d’une compréhension réciproque entre le projet artistique d’une compagnie et le projet de territoire à dimension culturelle : chacun a ses enjeux et ses contraintes, mais l’exigence de qualité doit être portée par chacun et conjointement. 6 Différentes propositions ont émergées au sein des groupes de travail : -­‐ L’idée de développer des « Centres de ressources » sur les territoires semble pouvoir constituer une réponse intéressante à l’accompagnement et à la structuration des lieux de diffusion sur les territoires ainsi que des compagnies. Un Pôle ressource impliquerait un soutien aux projets, un engagement sur la co-­‐production, un travail de formation et de sensibilisation. -­‐ Face à l’hétérogénéité des réalités techniques des programmateurs jeune public, la question de la fiche technique se pose : Faut-­‐il produire des spectacles autonomes ? Faut-­‐il proposer une fiche technique dite « légère » pour les lieux non équipés ? Comment assumer ces contraintes techniques tout en maintenant une richesse des formes artistiques sur les territoires ? Sur certains territoires, la constitution de parcs de matériels régionaux ou départementaux a présenté l’exemple d’une réponse concrète à ces contraintes. Faudrait-­‐il généraliser cet exemple ? comment ? par qui ? > Les réseaux professionnels La place des réseaux a été beaucoup questionnée durant les deux jours. Les réseaux sont apparus comme des espaces importants d'échanges et de réflexion. On constate une très grande disparité selon les régions : certaines ont l’habitude du travail partagé et une pratique courante de la mutualisation et d’autres commencent à peine à évoquer ces notions (parfois avec difficultés). Les réseaux semblent pouvoir soutenir cette dynamique de travail et jouer une place importante dans les nouvelles pratiques professionnelles qui se développent. Vers une tentative de définition du réseau « idéal » ? -­‐ Il semble important de définir le réseau comme espace porteur de sens, afin qu'il puisse faire vivre un processus et permette de partager et de débattre de valeurs communes. Un réseau doit être par essence motivé, sensibilisé, mobilisé. Ce n’est pas un outil de « marché ». -­‐ Il doit permettre la mise en place de méthodes de collaboration et favoriser la mutualisation (frais de transport, matériel technique, partage d’expériences...), le partage de réflexions et l’accompagnement des artistes. -­‐ Il est important que ces réseaux ne soient pas portés uniquement pas des diffuseurs. La présence des compagnies devrait permettre d’équilibrer le rapport avec les diffuseurs et d’éviter « le formatage » des projets artistiques. Quelle serait la place des compagnies au sein des réseaux ? 7 -­‐ Il faut faire en sorte que ces réseaux aient les moyens d’accompagner la production et plus globalement les projets jeune public, dans un rapport de complémentarité avec les institutions. -­‐ Quels types de structurations envisager pour ces réseaux ? A quelle échelle (locale, départementale, régionale, nationale etc.)? Enfin, la place des structures de diffusion qui se situent à l’échelle nationale (Centre dramatiques nationaux, scènes nationales…) a également été abordée. Il est important qu’une prise en compte du jeune public puisse aussi se faire auprès de ces structures et qu’elle soit accompagnée d’un travail de médiation pour construire un projet de qualité en direction des publics concernés et dépasser la simple diffusion. PLACE DES INSTITUTIONS ET DU PROJET POLITIQUE CULTUREL
La place du politique a été évoquée de nombreuses fois. Certains sujets ont déjà été abordés dans les parties précédentes, pourtant cette thématique mériterait d’être approfondie. > Le jeune public face aux politiques publiques Historiquement, le théâtre jeune public est resté très lié aux politiques « d'éducation populaire » et à un certain militantisme. S’il est nécessaire de réaffirmer fortement la défense d’un service public fort en faveur de l’éducation, de la jeunesse et de la culture, il semble important de réaffirmer certaines valeurs fondamentales et notamment la défense de l’exigence artistique en direction de tous, y compris des enfants. Nombreux sont ceux qui rappellent qu’il est important de revaloriser le jeune public et d’arrêter de croire que c’est la culture du « moins » (moins cher, petites jauges, petits budgets…) sous prétexte qu’elle s’adresse à l’enfance et à la jeunesse. Peut-­‐être faudrait-­‐il commencer par dire que le jeune public n’est pas à entendre comme le spectacle qui s’adresse uniquement aux scolaires, mais qu’il est un véritable spectacle « tout public » : un spectacle qui s’adresse à tous sans exclure les enfants… Le secteur jeune public est au croisement de plusieurs politiques publiques parce qu’il fait sens en terme de projet de société. Il est nécessaire de toujours faire comprendre aux élus que ce sont les enjeux artistiques qui sont au cœur de nos démarches qui leur confèrent cette dimension. 8 Il y a effectivement un travail important de pédagogie à faire auprès des élus qui ne sont pas toujours conscients de nos préoccupations, par méconnaissance du secteur culturel et de son fonctionnement. Il est essentiel de trouver des temps d'échanges avec les élus, pour une meilleure compréhension, pour établir un rapport de confiance. > Les aides publiques Sur le plan des soutiens proposés par les instances publiques, on constate une grande disparité entre les dispositifs proposés. Ces dispositifs financiers sont de plus en plus lourds au niveau administratif pour les structures de diffusion et les compagnies. D’autre part les dispositifs imaginés ne sont pas toujours adaptés : les budgets de la diffusion et de la production des structures jeune public sont bien souvent en dessous des seuils leur permettant de bénéficier des dispositifs d’aides prévus. Il y a un manque d’adéquation entre les dispositifs imaginés et l’économie du spectacle jeune public. Il faut également faire attention à ce que les dispositifs de subventions n’entrainent pas un formatage de la création car l’action culturelle semble désormais prendre une part de plus en plus importante dans les critères de choix pour obtenir des subventions. Chacun réaffirme que l’Etat et les collectivités territoriales ont un rôle à jouer pour accompagner l’expérimentation artistique et favoriser l’émergence des projets innovants. CONCLUSION-PERSPECTIVE
Les enjeux de ces deux jours étaient d’ouvrir le débat sur l’économie du jeune public, sujet vaste et délicat que la profession peine à aborder de front. La discussion est ouverte: les propositions évoquées lors de ces rencontres à Quimper sont un point de départ pour que d’autres s’en saisissent et enrichissent la réflexion. La Belle saison devrait donner l’occasion au secteur d’agir collectivement pour se questionner sur ses pratiques et ses modèles, afin de déterminer ensemble, les orientations nécessaires pour défendre la présence de propositions artistiques de qualité sur nos territoires. 9