Entretien: Jean-Jacques Dard - Communauté de Communes du

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Entretien: Jean-Jacques Dard - Communauté de Communes du
Entretien
Jean-Jacques Dard «La première qualité du métier,
c’est d’aimer les gens»
Jean-Jacques Dard est parti à la retraite.
Le chef d’agence de La Dépêche du Midi, à
Saint-Gaudens, laissera une vraie trace, une
empreinte forte sur le territoire Commingeois.
Entre coups de gueule et coups de cœur, il a su
imposer son style, sa personnalité, sa finesse
pour ne pas dire sa délicatesse. Jean-Jacques
Dard... Il a tout fait. Interviewé le Dalaï Lama
et entraîné les cadets de Bagnères de Bigorre.
Il s’est (presque) battu avec le Blaireau et a
permis de sauver le site du Pic du Midi. Il s’est
investi dans le Festival du Film de Luchon
mais a aussi côtoyé François Mitterrand. C’est
ici toute la richesse de son métier, celui de
journaliste ; mieux encore, celui de localier.
Avant de partir en retraite en Bigorre, il nous
offre sa vision des choses, de son métier, du
territoire, de ses passions. Il est remplacé,
depuis le 1er janvier 2012, par Jean-Christophe
Thomas, en provenance de Foix.
Pleine page : Vous êtes Bigourdan, c’est cela ?
Jean-Jacques Dard : En fait, je suis né à Paris, dans
le 13ème arrondissement. Mais j’ai grandi à Benac, un
petit village entre Tarbes et Lourdes. Je suis Bigourdan
de cœur et plus encore Pyrénéen puisqu’au bureau,
je possède un morceau de marbre, qui a été ramassé
au fond des carrières de Saint-Béat par Jean Dabos,
et qui m’est très cher. J’ai l’impression que c’est l’âme
de Pyrène...
P.P : Le journalisme, c’est venu comment ?
J.J.D : C’est un rêve d’enfance. J’ai toujours voulu
faire ce métier, au grand dam de mes grands-parents
qui avaient pour vision du journalisme Humphrey
Bogart, qui fréquentait les lieux mal famés. Ils me
disaient «Mais jamais tu n’oseras faire ce métier !».
Cela dit, au travers d’eux, je suis issu d’une famille du
livre, de grands relieurs. Mon grand-père dirigeait avant
la guerre la maison Mame, à Tours, qui a été bombar-
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dée pendant la guerre, et qui faisait ces beaux missels
dorés sur tranche et les livres de la Pléiade. Mon père
avait pour ami Monsieur Hachette, Monsieur Gallimard, les fondateurs des grandes maisons d’édition.
Le journalisme est une vocation que j’ai voulu mener
à terme. A l’époque, j’ai passé le concours de l’ORTF,
à Paris. La vie est ainsi faite que je me suis impliqué
dans une des premières amicales de locataires de
France, à Lourdes. Nous avions créé un courrier des
jeunes ; en même temps, un journaliste, Alain Leblanc,
est arrivé à Lourdes, qui voulait créer des chroniques
de quartiers. C’est comme cela que j’ai commencé,
comme correspondant de quartier pour une cité HLM,
à Lourdes, pour La Dépêche du Midi. Et peu à peu, j’ai
grandi dans le journal.
P.P : Dans le monde de la Presse Quotidienne
Régionale, on parle du métier de localier. Comment le définissez-vous ?
J.J.D : Je le définis par la proximité. Je ne me
sens pas urbain. J’ai d’ailleurs refusé de «monter»
à Toulouse, y compris, à un certain moment de ma
carrière, pour intégrer la rédaction en chef. J’aime
cette proximité, la rencontre avec les gens, le partage.
La première qualité du métier, c’est d’aimer les gens.
Nous sommes là pour faire remonter les aspirations,
les attentes de chacun ; et ça fait grincer les dents
des élus. Mais nous sommes aussi là pour expliquer
aux gens les choix qui sont faits par les décideurs. Le
rôle du média est d’être ce lien. Mais c’est toujours
un bonheur. J’arrive à la fin de ma vie professionnelle
mais je garde une image merveilleuse qui explique
tout : j’avais deux mois de métier, et en l’espace de
dix minutes, j’ai croisé Alain Poher, président du Sénat
et deux fois Président de la République par intérim et
un ouvrier maçon maghrébin qui recevait la médaille
du travail. Il y a une magie extraordinaire à rencontrer
ces deux univers.
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P.P : Vous parliez de lien. Vos relations
avec les politiques, à quelques exceptions près,
ont toujours été très bonnes.
Comment en arrive t-on à ce résultat ?
J.J.D : Je ne sais pas vraiment. Peut-être une affaire
de sincérité, de respect de soi-même. De dire les
choses franchement. Si les choses doivent être écrites,
au moins qu’elles soient dites avant. Dans la transparence. Il faut aussi essayer de comprendre comment
fonctionne l’autre. Car même si on n’est pas d’accord
avec lui, il a une argumentation et une manière de penser qui est respectable, qui se tient. Et puis surtout, la
première chose, c’est d’écouter et de rapporter le plus
honnêtement possible ce que dit l’autre. C’est-à-dire
que même si on n’est pas d’accord avec ce qu’il peut
dire, notre premier rôle est de le rapporter. Alors des
fois, ça peut poser des problèmes avec le lecteur qui
prétend «Vous avez dit ceci». Non, j’ai rapporté ce que
la personne a dit. Et mon rôle est de ne pas déformer
sa pensée. A partir de là, il y a des liens qui se créent.
Mais au-delà des colorations politiques, on a affaire à
des hommes et la connerie comme l’intelligence, c’est
très bien partagé !
P.P : Les hommes, c’est important...
J.J.D : Je crois aux hommes. Quand on parle de
politique, on a souvent tendance à les critiquer. Il est
certain qu’il y a des jeux de pouvoir, d’ambition ; mais
il y a aussi beaucoup d’envie de s’investir, de s’impliquer pour le territoire. Ce sont des métiers qui sont
difficiles. Souvent, ils se mettent en distance, on n’a
pas le résultat immédiat de ce qu’ils posent. Ils mettent
pourtant en place des projets dans l’intérêt des gens.
P.P : Vous êtes passé par les rédactions des
Hautes-Pyrénées, du Gers, de l’Aveyron, du
Comminges. L’impression que vous donnez est
de totalement vous inscrire dans le territoire.
Cela a toujours été le cas ?
J.J.D : J’ai aussi fait l’Aude et le Lot, où j’ai eu comme
patron Martin Malvy... Par tradition, j’ai toujours été,
effectivement, un journaliste qui s’investit. On peut
rester sur le bord de la touche et commenter, dire «y’a
qu’a faut qu’on». Quand j’étais journaliste sportif, j’ai
entraîné, j’ai arbitré car au-delà de ma propre expérience de sportif, je voulais voir ce que c’était. Il est
trop facile de critiquer un arbitre si on n’a jamais pris un
sifflet. On en revient toujours, aussi, à la relation avec
les gens. Quand on voit comment les gens s’impliquent,
quand on va vers eux, qu’on entend leurs aspirations,
leurs revendications, on a forcément envie «d’y aller».
Et puis on s’attache à un territoire. Par exemple, à
un certain moment, les Alpes ont voulu faire main
basse sur le Festival du film de Luchon. Je peux le
dire aujourd’hui car ça a été dit publiquement au cours
d’une réunion entre Jean-Louis Idiart et René Rettig, j’ai
servi de lien pour voir comment on pouvait conserver
ce festival sur ce territoire car il était important pour
l’image du Comminges d’avoir ce type de manifestation. Comme j’ai pu essayer de m’investir pour le Jazz
à Saint-Gaudens ou les Pronomade(s) à Encausse.
Tout ceci, c’est de l’image pour le territoire. C’est vrai
que je suis dans l’engagement. Comme je le suis à titre
personnel ailleurs.
P.P : Quelle a été votre première
perception du territoire ?
J.J.D : Son potentiel. Mon regret est de constater qu’il
n’est toujours pas mis en avant, qu’il n’est pas assez
fédéré. J’ai beaucoup cru au Pays. J’ai pensé que ça
aurait pu être un mini Conseil Général où allaient être
posés les grands projets avant d’être dirigés vers le
Département ou la Région, mais c’est resté du coup
par coup. C’est vraiment dommage...
P.P : Au cours de votre carrière, vous avez eu
diverses opportunités professionnelles. Vous
êtes pourtant resté fidèle à «La Dépêche».
J.J.D : C’est un choix. J’ai effectivement eu des
opportunités, l’Equipe, l’Equipe Magazine, la Provence
dont on m’a proposé de prendre la direction à Marseille,
la Charente Libre... Mais je suis d’abord viscéralement
attaché à La Dépêche, c’est un beau journal, un beau
groupe, il y a beaucoup de gens qui aspirent à y rentrer
et en 39 ans, j’en ai vu très peu vouloir en démissionner.
Ca veut dire des choses. Ensuite, j’ai toujours privilégié
la famille, ça m’a toujours paru le plus important. Donc,
oui, je suis toujours resté dans cette magnifique région
qu’est Midi-Pyrénées.
P.P : Vous êtes arrivés à l’Agence de
Saint-Gaudens il y a onze ans, en 2000.
Depuis, l’édition Commingeoise a évolué.
J.J.D : Quand je suis arrivé, l’édition locale comptait
une page le lundi et trois pages la semaine. Hebdomadairement, cela faisait 16 pages. Aujourd’hui, c’est une
quarantaine de pages. Le réseau de correspondants
a été triplé.
Quand je suis arrivé, j’entends encore Jean-Louis Idiart
dire «Le Comminges n’aura jamais de Une départementale comme l’Ariège ou les Hautes-Pyrénées».
Aujourd’hui la Une de l’édition du Comminges est
départementalisée. C’est une belle aventure, qui s’est
écrite avec une belle équipe. J’en suis fier. Fier de l’évolution. Et fier pour l’équipe. Car rien ne se fait tout seul.
P.P : Ces dernières années, il y a eu l’émergence
de journaux hebdomadaires. Ça aiguillonne ?
J.J.D : J’ai tours été habitué à travailler en concurrence, face à Sud-Ouest, Midi Libre, Centre Presse,
l’Indépendant, la Nouvelle République... Quand je suis
arrivé ici, j’ai eu le vertige du vide. Et de me dire tous
les jours que La Dépêche, c’était la Bible. Même si on
a coutume de dire que les journalistes ont le pouvoir,
j’ai toujours considéré qu’on avait surtout des devoirs.
Cette grande solitude, quelque part, me faisait peur.
Un jour, quelqu’un m’a dit qu’elle me donnait du confort.
J’avais répondu que le boulanger, même s’il est tout
seul dans son village, fait son pain tous les jours. J’ai
trouvé bien que d’autres médias arrivent, c’est le jeu
de la démocratie.
A titre personnel, j’ai participé à l’installation sur le
territoire de la Gazette du Comminges, qui a sa propre
autonomie et son indépendance. Ça enrichit. Ça
booste, ça oblige à se remettre en question... surtout
quand on a des minots d’une vingtaine d’années en
face, on veut montrer qu’on court encore assez vite !
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P.P : Vous êtes arrivé en même temps que la
Communauté de Communes se créait.
Avez-vous senti une évolution ?
J.J.D : Bien sûr... D’abord, il y a eu un beau président
pour succéder en 2001 à Jean-Raymond Lépinay, qui
a créé la Communauté en 2000 : c’est Jean-Claude
Madamour. Il a su fédérer, installer les choses. Ce
n’était pas évident car il y avait, au sein des délégués,
des gens qui n’étaient pas toujours très clairs, qui faisaient preuve d’une certaine agressivité, souvent de
mauvaise foi. Il a eu l’intelligence de savoir passer au
dessus pour faire avancer les projets. Et puis j’ai vu
des élus, notamment des petites communes, qui se
sont tout à coup confrontés à des projets qui au départ
les dépassaient, vu les sommes qui correspondaient
parfois à 4 ou 5 fois leurs budgets communaux, et qui
progressivement ont pris la dimension du territoire.
Aujourd’hui, quand j’assiste au conseil communautaire,
il y a des délégués qui ont cette capacité à se projeter
dans l’intérêt du territoire. Ils ont appris la culture du
partage. Je trouve que c’est une belle aventure.
P.P : Sur ces dix dernières années,
que retiendriez-vous de fort
et de marquant pour le territoire ?
J.J.D : Tout d’abord la Zac des Landes. Cet équipement a fait longtemps polémique. Aujourd’hui, il
montre toute son utilité. Les gens vont à la Zac et vont
moins à Toulouse. Ensuite, c’est une vraie sensibilité
du territoire, nous avons perdu le Tribunal, la Banque
de France...mais tout ça permet aussi au Comminges
de prendre conscience de la nécessité de se battre
ensemble, comme c’est le cas actuellement pour
défendre l’hôpital et un vrai projet. Aujourd’hui, je vais
quitter ce territoire, même si je pense que j’y garderai
un pied, pour rejoindre ma Bigorre, mais quand je vois
comment la ville de Saint-Gaudens bouge sur les 6
derniers mois, je me dis qu’elle a de belles perspectives
devant elle !
P.P : Et dans votre carrière de journaliste, quels
sont les moments forts qui vous reviennent,
J.J.D : Il y en a énormément. J’ai interviewé CohnBendit, interdit de séjour en France sur un réveillon...
en France, ce qui m’a valu, le lendemain, d’avoir les
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Renseignements Généraux dans mes bureaux. J’ai
eu un accrochage violent avec Bernard Hinault le jour
où il est nommé Directeur du Tour de France, il s’était
réfugié chez un ami et quand j’ai débarqué, ça ne lui
a pas plu. On en a encore parlé ensemble lorsque le
Tour s’est arrêté à Saint-Gaudens... J’ai le souvenir de
quelques rencontres avec François Mitterrand. D’une
interview du Dalaï Lama, qui reste un grand moment.
J’ai aussi vécu des aventures plus personnelles. J’ai
fait rouvrir la gare de Bagnères de Bigorre, en 1979,
pour la première finale du Championnat de France de
rugby, face à Narbonne, alors que la gare était fermée
depuis 7 ans, avec l’aide des cheminots qui m’avaient
accompagné. Ou d’avoir organisé, avec André Daguin
et Jacques Fouroux, le départ de l’Equipe de France
pour la première Coupe du Monde et d’avoir fait manger
5000 personnes à l’œil à Auch. Le Pic du Midi... C’est
une belle histoire aussi... Le Pic devait fermer en 1998.
Il s’est trouvé qu’un Bigourdan qui pour moi est resté
anonyme, qui travaillait sans doute dans un Ministère
à Paris, m’a fait savoir que le Pic était condamné. Il
m’a envoyé les documents. J’ai publié l’information et
à partir de là, on a pu sauver le site.
P.P : Vous êtes quinziste. Quand on
vous connaît ce n’est pas très étonnant.
Que vous a amené ce sport ?
J.J.D : D’abord de belles rencontres. J’avais 17 ans
mais j’ai eu la chance de jouer avec André Boniface,
Michel Crauste, Jean Gachassin et quelques autres...
La vie m’a amené à faire autre chose mais j’ai quand
même eu la chance de vivre quelques belles aventures
ovalesques. Je n’ai pas pu aller au bout du rêve, j’ai
quelques copains qui sont devenus internationaux,
mais j’ai essayé de faire partager ma passion à
quelques gamins et nous avons été champions de
France cadets avec Bagnères, au Parc des Princes,
en 1981. Puis Champion de France Reichel, plus tard,
avec un autre entraîneur, un certain Jacques Brunel.
Qu’est ce que ça m’a amené ? Oui, le sens de la solidarité, du partage, de l’amitié, du combat, des valeurs,
de l’investissement...
P.P : Aujourd’hui, c’est donc la quille.
La retraite... Qu’allez-vous faire
de ce temps libre ?
J.J.D : Je vais continuer à voyager. J’ai la chance
d’avoir bourlingué un peu partout dans le monde. Là
aussi, de nombreuses choses m’ont marqué, toujours
liées à des rencontres, à des instants. Ce sont pourtant
des choses simples. Etre chez les Peuls, partager
une prière dans le désert de Mauritanie, un lever de
soleil sur le Kilimandjaro, mon fils qui porte un stylo à
un enfant Massaï et l’enfant Massaï qui lui donne sa
lance. Oui, ce sont des moments qui vous ramènent
aux gens. Les monuments, c’est bien, c’est beau, mais
ce n’est pas ça qui reste d’un voyage. C’est la rencontre
de l’autre. Je vais pouvoir me remettre aux langues
aussi. Il y a aussi beaucoup de gens qui me disent que
je pourrais faire ceci ou cela. Ce sont autant d’idées.
Enfin, je pense que je vais apporter ma petite pierre
personnelle à ce territoire !
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