Musique et genre. État des recherches actuelles

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Musique et genre. État des recherches actuelles
Appel à communication pour le colloque :
Musique et genre. État des recherches actuelles
MUSIDANSE (Université Paris 8)
3 et 4 décembre 2015
Programme
Ce colloque propose d'aborder les questions encore relativement peu étudiées en France
touchant aux rapports entre musique et genre. Si la France a été pionnière, dans le domaine des
études littéraires féministes avec notamment une autrice comme Hélène Cixous1, elle semble être
restée plutôt en retrait par rapport aux développements que ces questions ont connus en musique
dans les pays anglo-saxons – notamment avec les travaux associés aux approches dites de la new
musicology (aux USA) ou de la critical musicology (en Grande Bretagne). On note pourtant un
intérêt croissant pour ces questions avec les contributions d'un certain nombre de chercheu-rs-euses
francophones2. Notons également que l’ouvrage classique de 1991 de Susan McClary vient d’être
traduit3.
En dépit de leurs diversités et de leurs spécificités, les approches musicologiques, qu'on tend
souvent à regrouper de façon informelle sous les termes de « musicologie féministe », d' « études
musicologiques de genre », de queer musicology4, etc., ont souvent en commun d'étudier les
différentes façons dont les constructions sociales et les modes de représentation touchant à la
distribution de rôles genrés peuvent affecter la pratique et le contenu musical, ainsi que les discours
et les regards que l'on porte sur la musique. Elles interrogent également les processus par lesquels
ces pratiques peuvent participer à la construction d'identités sexuées et genrées au sein d'un système
social de domination androcentrique et hétéronormatif. Ces approches impliquent souvent la remise
en question d'un certain nombre de présupposés et de tenants épistémologiques sur lesquels s'appuie
la recherche musicologique traditionnelle.
D’une manière générale, notre environnement social et culturel est fondé sur des modes de
différentiations établis sur la base de distinctions de genre imprégnant et affectant d'une façon ou
d'une autre la plupart des activités et comportements sociaux, y compris la musique. Comme le
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CIXOUS Hélène, Le Rire de la Méduse (1975), in Le Rire de la méduse et autres ironies, Paris, Galilée, 2010.
Rappelons qu’Hélène Cixous a fondé le Centre d'études féminines (Université Paris 8) dès 1974.
Voici quelques références : CESSAC Catherine, Elisabeth Jacquet de La Guerre, une femme compositeur sous le
règne de Louis XIV, Arles, Actes Sud, 1995; CLEMENT Catherine, L’Opéra ou la défaite des femmes, Paris,
Grasset 1979; Collectif, Pascale Criton, Ensemble 2e2m, 2000; ESCAL Françoise, ROUSSEAU-DUJARDIN
Jacqueline, Musique et différence des sexes, Paris, L’Harmattan, 1999; LAUNEY Florence, Les compositrices en
France au XIXème siècle, Paris, Fayard, 2006; PREVOST-THOMAS, Cécile, RAVET Hyacinthe, RUDENT
Catherine (éd.), Le féminin, le masculin et la musique populaire d’aujourd’hui, Paris, Observatoire Musical
Français, 2005; LEGRAND Raphaëlle, « Libertines et femmes vertueuses : l'image des chanteuses d'opéra et d'opéra
– comique en France au XVIIIe siècle », in MARQUIÉ Hélène, BURCH Noël (éd.), Émancipation sexuelle ou
contrainte des corps ?, Paris, L'Harmattan, 2006, p. 157-175; LYON Marianne, HUOT Guy (éd.), Les Femmes et la
création musicale, Paris, Conseil International de la Musique/Centre de Documentation de la Musique
Contemporaine, 2002; RAVET Hyacinthe, Musiciennes: Enquête sur les femmes et la musique, Paris, Éditions
Autrement, 2011.
McCLARY Susan, Feminine Endings, Music, Gender and Sexuality, University of Minnesota Press, 1991, p. 54.
Traduction française : Ouverture féministe : musique, genre, sexualité, traduit de l’anglais par Catherine Deutsch et
Stéphane Roth, Paris, Philharmonie de Paris/La rue musicale, 2015.
Bien que les recherches des études de genre et des queer studies puissent parfois s'entrecroiser, ces domaines de
recherches ont bien entendu leurs spécificités propres.
rappelle Walser, les constructions musicales sont puissantes, dans la mesure où elles se donnent
pour naturelles et non-construites. On vit la rhétorique musicale, en apparence en dehors de tout
référent social, comme quelque chose de pur, de personnel et de subjectif,... 5 Et pourtant cette
impression de « naturel » dépend de nos réponses souvent inconscientes et conditionnées à des
systèmes discursifs complexes qui se sont développés historiquement et socialement en tant que
pratiques spécifiques. Ce n'est pas seulement les paroles ou l'imagerie visuelle, mais la musique
elle-même qui participe à la construction d’expériences genrées. Certains paramètres compositionnels spécifiques, que ce soit le rythme, les hauteurs, l'harmonie, le timbre sont porteurs de significa tions, d'autres en tant que structures sémiotiques musicales complexes et mutables propres à la
tradition musicale occidentale dont l'origine peut remonter à plusieurs siècles.
De telles significations opèrent dans des contextes sociaux structurés à travers des catégories politiques tels que le genre, les classes ou les catégorisations racialisantes. Les significations
musicales par conséquent sont inséparables des constituants fondamentaux de la réalité sociale. Les
études musicologiques de genre se rattachent au large mouvement d'approches musicologiques
apparues au cours des années 1980/1990 et visant à éclairer le contenu des œuvres musicales à la
lumière des significations sociales et politiques qui les environnent et les traversent. Ces approches
s’inscrivent donc en faux contre les discours traditionnels qui tendent à présenter la musique comme
un objet pur, autonome, détaché de toute contingence sociale ou politique et réservé à la recherche
analytique et historiographique. Elles recoupent d'une certaine manière les analyses sociales comme
celles d’un Bourdieu6 qui étudient les déterminismes sociaux traversant les pratiques et les modes
de consommation artistiques
Nous entendons organiser ce colloque non seulement dans le but d'établir un état des lieux
des recherches actuelles sur le sujet, mais aussi pour donner un élan et une visibilité accrue à ce
domaine de recherche en France et dans les pays francophones. Parmi les différentes pistes qui
seront proposées, notons les axes suivants:
1. Genre et contenu musical. Quand on aborde la question des représentations genrées et
sexistes en musique, il est fréquent qu'on s'attache en premier lieu à analyser ce qui est le plus
perceptible: les textes chantés, les clips, les discours, les tenues vestimentaires ou tout simplement
les différents comportements sociaux au sein de la scène musicale considérée. C'est en ce sens que
nombre de travaux sociologiques ont abordé cette question. Mais on occulte souvent que c'est aussi
dans le matériau musical lui-même que peuvent s'inscrire ces codes. Car si les questions de rapports
de genre peuvent s'observer en premier lieu dans les comportements se déployant autour de la
musique, elles peuvent aussi s'insinuer dans la pratique musicale elle-même, notamment à travers sa
dimension expressive. Ce premier axe de réflexion abordera donc les différentes façons dont la
musique peut véhiculer des significations genrées, que ce soit à travers ses différents paramètres
compositionnels ou à travers l'interaction de la musique avec d'autres média.
2. Genre et processus de subjectivation. L'écoute et la pratique de la musique génèrent
souvent des sensations, des affects, des images, etc. La musique canalise des forces, des flux
d'intensités et déploie une constellation de significations (expressives, sociales, politiques,...) qui
peuvent d'une manière ou d'une autre participer à la construction d'identités, de rapports aux corps,
aux sentiments, au désir, etc. À cet égard, on ne peut négliger l'impact des constructions genrées en
musique sur la façon dont les auditeurs et les musiciens bâtissent leurs rapports au monde. La
musique, en effet, peut influencer et même participer à la façon dont les auditeurs construisent et
définissent leurs sensations les plus intimes7. Sachant combien la canalisation et la normalisation
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WALSER, Robert, « Forging Masculinity », Running with the Devil, Power, Gender and Madness, Weyleyan
University Press, Middleton, 1993, p.113 .
BOURDIEU Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979.
McCLARY Susan, op.cit., p.112-113.
des processus de constructions touchant au genre, à la sexualité et au désir sont cruciales dans le
maintien hégémonique des structures de domination et de marginalisation, il paraît nécessaire de
s'intéresser à la façon dont la musique peut activement participer à la formation d'expériences et
d'identités genrées et/ou sexuées, qu'elles se conforment ou s'émancipent des attendus sociaux. Il
sera, par exemple, question de la représentation, de la mise en œuvre et de la construction même du
corps, ou encore, des différents modèles de ce que l’on peut appeler « sensibilité », que la notion de
genre peut éclairer, et qui prennent chair musicalement.
3. La place des femmes et des diversités sexuelles en musique. Eu égard à la musique du
passé, nombre de travaux de musicologie « féministe » ont été amené à interroger la question des
canons établis de la musique de répertoire et d'éclairer dans quelle mesure les femmes avaient été
largement évacuées de l'historiographie musicale et des études musicologiques d'une façon plus
générale. Au delà des seules considérations historiques, les problématiques touchant à la visibilité
des femmes et au sérieux prêté à leurs compétences, que ce soit en tant que compositrices ou
instrumentistes, restent encore d'actualité. Si la situation des femmes a bien entendu évolué depuis
le XIXe siècle, la visibilité et l'accès à des postes de pouvoir ou de prestige restent encore
compliqués de nos jours. Que dire de la surreprésentation masculine au sein du Groupe de
recherches musicales, par exemple? Que dire de la sous-représentation des femmes accédant à un
poste de soliste dans les orchestres, de la place des femmes au sein des formations jazz (autre que la
place de chanteuse)8, de la visibilité et du sérieux accordés aux femmes dans les scènes rock, rap,
metal, techno, etc. ? Ce troisième axe propose donc d'aborder la vaste question de la place des
femmes dans la pratique musicale, l’histoire de la musique, les institutions musicales ou
l’enseignement musical. Les perspectives de cet axe peuvent s'entendre plus largement aux
questions touchant au domaine des queer studies en ce qui concerne la visibilité et la place des
diversités sexuelles et de genre.
4. Genre et épistémologie. Dans une perspective méta-discursive et auto-réflexive, ce
quatrième axe propose d'interroger les différents positionnements et discours vis-à-vis des pratiques
musicales. Car les réflexions épistémologiques qu'introduisent les études de genre impliquent aussi
une nécessaire analyse critique des outils, concepts et modes de représentations sur lesquels les
différents discours sur la musique et de son environnement s'appuient. Elles impliquent aussi une
prise de conscience du regard historiquement et socialement situé du/ de la chercheu-rse/théoricien-ne. On ne peut pas occulter le fait que les constructions de l'identité sexuelle et de
genre des aut-eur-rices puissent affecter leurs dispositions, leurs regards, leurs discours, voire leurs
outils d'analyse. On sait que nombre d'écrits notamment théoriques utilisent des images ou des
terminologies genrées (thèmes, cadences masculines ou féminines, par exemple). Cet axe d'étude
entend examiner, entre autres, l'usage de termes genrés dans les descriptions techniques, théoriques
ou esthétiques de la musique que ce soit dans les discours académiques ou plus généralement
musicographiques. Il s'agit d'étudier comment les constructions sociales de la masculinité et de la
féminité ont pu imprégner la façon de penser ou de décrire la musique, ainsi que la manière dont ils
participent plus globalement à la pérennisation de modes de représentations genrées au niveau
social.
Nous restons ouvert-e-s à toute autre proposition ne s'inscrivant pas directement dans le
cadre des thématiques développées par ces quatre axes. Par ailleurs, ce colloque ne s'adresse pas
uniquement aux musicologues, mais à toutes les disciplines susceptibles d'aborder les différentes
questions touchant aux rapports musique et genre, (sociologie, études de genre, anthropologie,
psychologie, études des media, etc.).
8
PELLEGRINELLI Lara, « Separated at birth : Singing and the History of Jazz » in RUSTIN Nichole T., TUCKER
Sherrie (éd.) Big Ears: Listening for Gender in Jazz Studies, Duke University Press, 2008, pp. 31-47.
ORGANISATION
Le colloque aura lieu à l’Université Paris 8. Il accueillera deux conférencières invitées ainsi
que des communications sur la base de cet appel, sélectionnées par le comité scientifique.
L’inscription au colloque est libre. Des actes de colloque seront publiés.
Direction scientifique : Frédérick Duhautpas
Comité scientifique : Hélène Marquié (Legs, Université Paris 8), Frédérick Duhautpas (Musidanse,
Université Paris 8), Sandrine Loncke (Crem, Université Paris 8), Makis Solomos (Musidanse), Olga
Moll (Musidanse), Joël Heuillon (Musidanse), Rosalia Martinez (Crem, Université Paris 8).
Conférencières invitées: Barbara Bradby. Liz Garnett.
MODALITES DE SOUMISSION DES PROPOSITIONS DE COMMUNICATION
Les propositions de communication, se positionnant par rapport aux quatre axes
précédemment énoncés, doivent être envoyées avant le 15 octobre 2015 à duhautpas_frederick AT
hotmail (point) com.
Elle devront comprendre:
-un abstract français ou anglais (5000 signes espaces compris au maximum)
-une brève notice biographique (1500 signes maximum espaces compris au maximum).
La réponse sera notifiée avant le 31 octobre. Les notifications et instructions seront
envoyées à l'adresse fournie au moment du dépôt de l'abstract.

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