De vrais CIO, enfin, Jacques Vauloup, 6 août 2012

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De vrais CIO, enfin, Jacques Vauloup, 6 août 2012
De vrais CIO, enfin !
10 bonnes raisons, maintenant
Par Jacques Vauloup, IEN-IO
6 août 2012
[email protected]
En un quart de siècle d’activité d’IEN-IO de terrain – 2 académies, 4 départements, 11 IA-DSDENDASEN, 9 CSAIO, plusieurs centaines d’EPLE visités –, je n’ai cessé de présenter tout ce que le
système éducatif devait aux CIO et tout ce qu’il pourrait attendre d’eux s’il se donnait la peine de les
mériter, de les valoriser, de les reconnaître tout simplement. On peut consulter notamment Cinq CIO
en
Sarthe,
cinq
priorités
(janvier
2008)
http://www.ia72.acnantes.fr/1200568688203/0/fiche___document/&RH=ia72_edcref, 22 ans 24 directeurs (juillet 2011)
http://propos.orientes.free.fr/dotclear/index.php?post/2011/07/06/22-ans-22-directeurs, Il faut sauver le soldat CIO
(août 2011) http://propos.orientes.free.fr/dotclear/index.php?post/2011/08/26/Il-faut-sauver-le-soldat-CIO, Refaire le
lien (septembre 2011) http://propos.orientes.free.fr/dotclear/index.php?post/2011/09/24/Refaire-le-lien, 10 roses pour
une autre orientation (mai 2012) http://propos.orientes.free.fr/dotclear/index.php?post/2012/05/08/10-roses-pour-uneautre-orientation,
Conseiller
technique,
conseiller
éthique
(3)
http://propos.orientes.free.fr/dotclear/index.php?post/2012/06/06/Conseiller-technique%2C-conseiller-%C3%A9thique-%283%29
En juillet 2011, à mon départ du Mans-Sarthe pour rejoindre mon nouveau poste d’IEN-IO à AngersMaine et Loire, j’écrivis ceci en reconnaissance vis-à-vis des CIO et des directeurs de CIO avec
lesquels j’avais œuvré de 1989 à 2011:
On ne travaille pas impunément pendant 24 ans en tant qu'IEN-IO, comme je l'ai fait dans les académies de
Caen et de Nantes et dans 3 départements, sans dette vis-à-vis de là d'où on vient et de qui nous a forgé.
Quand je suis entré pour la première fois dans un CIO, j'avais 26 ans, je venais rencontrer un ancien collègue
prof qui s'avisait de m'expliquer son travail et la richesse protéiforme du champ de l'orientation, des études en
Institut et des activités professionnelles ultérieures. Une fois le concours d'élève conseiller obtenu, j'ai passé
une semaine d'observation-immersion en CIO, et ce fut une vraie découverte et un enthousiasme praticien et
réflexif qui ne m'a jamais quitté depuis lors. C'était en 1978. Je dois beaucoup aux directeurs de CIO et suis
de plus en plus scandalisé par les contraintes que vous impose votre institution sans contrepartie statutaire,
indiciaire et de carrière, et sans faire déboucher les CIO sur une véritable identité juridique. Merci à vous.
Votre fidèle et permanent soutien.
Au moment où la Concertation nationale pour la refondation de l’École bat son plein depuis son
lancement le 5 juillet 2012 http://www.refondonslecole.gouv.fr/, je voudrais ici résumer ce qu’à mes
yeux, en près de 75 ans d’histoire, les CIO ont apporté à l’École depuis leur création en 1971 – les
ancêtres des CIO actuels, appelés Offices d’orientation professionnelle, datent du décret-loi du 24 mai
1938 ; après le décret du 10 octobre 1955 leur ont succédé les Centres publics d’orientation scolaire et
professionnelle jusqu’en 1971 –. J’aimerais aussi indiquer les bonnes raisons de les instituer enfin, et
maintenant.
Les 10 bonnes raisons d’instituer les CIO, maintenant
1. Leur croyance en l'homme, en la femme et en toutes leurs potentialités individuelles. « Le
respect de la personne dans sa dimension psychique est un droit inaliénable ». cf. Code de
déontologie des psychologues, février 2012. Les CIO ont été depuis des décennies les moteurs et
les diffuseurs de ce postulat à l’École.
2. Leur croyance en l’homme, en la femme et en toutes leurs potentialités collectives. Comment
fera-t-on société si ne prime qu’une orientation individualiste, comptable, capitalistique ? On doit
au contraire apprendre à s’orienter pour soi et pour les autres, par les autres.
3. Leur action inlassable, quotidienne, au service de la promotion individuelle et sociétale par
l’École, grâce à l’École. André Legrand, ancien recteur, directeur des lycées et collèges, président
d’université, l’avait bien vu : « Une fonction dont on a honte, on ne l’exerce pas soi-même, on la
confie à un corps spécialisé. Les enseignants n’ont pas de vraie conscience qu’ils orientent. C’est
pour eux l’affaire des services d’orientation. Sur ces services d’orientation courent d’ailleurs les
bruits les plus divers : selon l’opinion commune, ils n’en feraient qu’à leur tête. Au contraire, ils
ont loyalement plié l’exercice de leur fonction aux évolutions des politiques ministérielles ». André
Legrand (1994), Le système E, Denoël, pages 59-60.
4. Mettre du tenir conseil dans le moteur de l’orientation ordinaire. La confusion entre « donner
des conseils » et « tenir conseil » (Lhotellier, 2001) continue de sévir. Et l’on continue d’oublier
que les élèves gagneraient à leur présence en conseil de classe, du moins à certains moments de
leur scolarité. Les CIO peuvent aider à cette conversion indispensable du conseil.
5. En orientation, l’Internet ne peut pas tout. Si l’on ne peut nier le rôle des technologies de
l’information et de la communication dans l’information, on ne peut réduire le conseil à la
personne à des interactions électroniques à distance. Le conseil nécessite la présence de
spécialistes de l’entretien, du conseil, de l’examen psychologique lorsqu’il est nécessaire.
6. En orientation, le prof ne peut pas tout. S’il est hors de question de minimiser le rôle et les
tâches des professeurs soit dans leur discipline (Éducation à l’orientation, Parcours de découverte
des métiers et des formations, Éducation au devenir), soit en tant que professeurs principaux, il est
illusoire et contre-productif de les enjoindre, comme on l’a fait depuis des années, d’en faire plus
en matière d’orientation, au risque de leur avoir laissé entendre qu’ils devraient remplacer les
conseillers d’orientation-psychologues.
7. Laisser tomber la lancinante incantation à l’avenir – que personne ne peut prévoir et à peine
imaginer – et construire une véritable éducation au devenir pour tous, de l’école élémentaire
à l’université, et tout au long de la vie. Cf. Drévillon (1970) : « Qu'importent les raisons pour
lesquelles je veux devenir avocat, médecin, professeur... J'attends de l'orientation de ma vie qu'elle
soit une orientation d'espoir » (p. 15). Lhotellier (2010) : « Je plaide pour une formation au
devenir ». Et Heslon (2010) : « C’est moins à la prédictivité, sur laquelle s’est bâtie toute une
époque du conseil en orientation, qu’à la disposition à devenir du fait même et grâce à
l’incertitude des autorités et des transmissions, que doit sans doute s’attacher désormais le projet
d’orientation ».
8. L’orientation se fait d’abord à l’École, par l’École. D’après le MEN, les taux de scolarisation
par âge n’ont cessé d’augmenter : à 16 ans, 94,5% des jeunes sont scolarisés ; à 17 ans, 90 % ; à 18
ans, 79% ; à 19 ans, 65% ; et à 20 ans, 52%. Comme jamais auparavant, l’orientation se fait
d’abord à l’école, au collège, au(x) lycée(s), à l’université. Plus que jamais, des choix d’orientation
fondamentaux sont pris au collège, au(x) lycée(s), à l’université. Plus que jamais, on a besoin de
spécialistes de l’orientation à l’école, et entre l’école et l’après-école. Cf. Repères et références
statistiques 2011, MEN, octobre 2011, p. 23.
9. Le CIO interface, un atout majeur. Aurait-on oublié tous les avantages que représente ce
positionnement ? Objectivité et neutralité des informations dans un contexte ambiant de marketing
et de communication commerciale. Autonomie et déontologie du conseil individuel face à des
situations personnelles délicates, tendues ou inextricables. Connaissance des parcours réels
d’études et de formation du collège au(x) lycée(s) ou à l’apprentissage, du lycée au post-bac, de la
fin de la formation initiale à l’emploi. Place éminente des CIO dans la formation des professeurs
principaux ou des parents d’élèves, l’animation des bassins d’éducation et de formation, la mise en
place du Service public d’orientation, le pilotage des Plates-formes de suivi et d’appui aux
décrocheurs, la construction de Forums d’information sur les métiers et les formations, etc. Nous
perdrions gros à perdre cet atout. Nous perdrions autant à ne pas le renforcer, à ne pas l’instituer
comme il se doit.
10. Les CIO oubliés de la décentralisation : les remettre dans le jeu, maintenant. « Les lois de
décentralisation des années 1983-1985 ont oublié les CIO » nous a dit à plusieurs reprises
l’historien Antoine Prost. Si l'on a vraiment besoin de CIO forts, structurés, au coeur des parcours
de formation et du conseil tout au long de la vie, à l'interface des collèges, lycées et du post-bac,
alors il est grand temps de leur donner une identité morale et juridique qu'on leur aura toujours
refusée. Il est aussi grand temps de les assurer de moyens humains et de fonctionnement décents.
Ils n'en seront que plus efficaces encore au service des missions qui leur sont allouées et qu'ils
remplissent avec intelligence et dévouement depuis des décennies. Serait-ce bien sérieux de
demander tant aux conseillers d'orientation-psychologues quand, depuis des années déjà, on ne
recrute que tout juste 50 élèves conseillers par an alors qu'il en faudrait au moins 300 à 350 ne
serait-ce que pour renouveler les départs ? Ne risque-t-on pas à ce rythme de déprofessionnaliser
dangereusement la profession en faisant recours de manière outrancière à la précarisation de
personnels contractuels ? En octobre 2011, le Sénat lui-même s'en était ému. Et si, enfin, on lançait
un signal de confiance à cette profession valeureuse et indispensable qui, loin de démériter et
pendant des décennies, a loyalement plié son activité aux priorités du système éducatif ?
Pour engager plus avant la transformation attendue, engageons dès septembre les États généraux de
l’orientation : notre orientation existentielle, ontologique, humaniste le vaut bien ! ■
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