Street With A View

Transcription

Street With A View
Vincent Lalonde-Dupuy
B- Street with a view
La compagnie Google a investi dans un logiciel qui a été lancé aux États-Unis en mai 2007.
Le projet est de cartographier toutes les rues du globe à l’aide d’une caméra panoramique
sur 360 degrés et d’ajouter ces informations au moteur de recherche sous sa section
cartes, offrant déjà gratuitement une cartographie satellite globale. Pour mettre en forme
cette idée énorme la compagnie a eu recours à une flotte de voitures sur lesquelles on
avait fixé les caméras. Suite à l’acceptation des autorités politiques, les voitures ont
commencées à parcourir les rues de chaque ville américaine. La voiture capte un nombre
phénoménal d’images, les enregistrent et reconstitue avec son logiciel, modélise la ville à
partir de son système routier. Le réseau est maintenant presque global et est disponible
gratuitement sur le web.
Cette cartographie Il s’agit donc d’un événement ponctuel et public auquel personne n’est
vraiment préalablement invité.
Ben Kinsley et Robin Hewlett, un duo d’artistes américains, fascinés par cette toute
nouvelle technologie on voulu créer un événement autour du passage des voitures
sentinelles afin de laisser une trace de cet instant.
LE SITE :
L’événement aurait pu avoir lieu sur n’importe quelle rue de la ville de Pittsburgh, Ben
Kinsley explique qu’ils auraient été prêts à tout pour que le projet se réalise. Avec chance,
la ville était presqu’entièrement cartographiée au moment où le projet a été présenté à la
compagnie Google, ces derniers leurs ont donc offert de choisir un site.
Leur décision s’est arrêtée sur la rue Sampsonia, une petite rue dans le nord de Pittsburgh,
pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’elle ne s’étend que sur une dizaine de blocs ce
qui permet de cerner les limites du projet et d’y concentrer un maximum d’occupations. Le
secteur était prisé par les organisateurs, pour les différentes couches d’histoire toujours
apparentes dans l’architecture ajoutant du dynamisme et de la théâtralité au lieu et pour la
diversité sociale de ses habitants. Le choix a aussi été motivé par la présence du Mattress
Factory Art Museum, un musée d’art contemporain dédié à l’installation, où était déjà
exposé une œuvre de Ben Kinsley au moment du projet. Le musée a bâtit une bonne
relation avec les gens du quartier et possède plusieurs locaux et installations tout au long
de la rue. La réaction des responsables du Mattress Factory a été très bonne, tous étaient
motivés à l’idée que leurs locaux fassent partie d’un projet d’installation/performance sur
Street view.
LES INTENTIONS :
L’idée pour Street with a view leur est venue lors de la première utilisation du logiciel sur
internet. La réaction générale des gens est de se rendre sur la rue où ils habitent et de
regarder leur maison et de naviguer dans les rues de leur quartier. C’est en observant la
porte de l’endroit où ils résidaient à ce moment, que Ben et Robin remarquèrent plusieurs
différences entre la réalité et l’image officielle disponible sur Google.
Entre-temps, le voisin avait repeint sa maison d’une autre couleur et le vélo qui était
attaché au balcon, devant leur maison, avait été volé. C’est en approximant le temps de
décalage entre l’image et le jour présent qu’ils réfléchirent à ce qu’ils faisaient ce jour-là, et
à ce qu’ils auraient pu faire s’ils avaient été au courant du passage de la caméra. Le
décalage, entre la représentation virtuelle et la réalité du moment présent, est le concept
générant la mise en scène de l’événement.
Le moyen employé pour faire ressortir cet aspect a été d’exagérer l’image enregistrée en
déployant, tout au long de la rue, un maximum de scènes. Les mises en scènes variaient;
de la scène la plus banale du quotidien, comme celle d’un déménagement, à la plus
spectaculaire et unique, comme le passage d’une fanfare.
En travaillant avec une gamme aussi vaste d’interventions, leur intention était d’arriver à
recréer un univers virtuel, disponible sur le net, qui brouille les limites entre réel et fiction de
façon exagérée afin d’exprimer ce décalage occasionné par le média qui offrira pour
nombre d’années la même image d’un lieu qui sera différent quelques heures après la
capture de l’image.
L’autre désagrément soulevé par les créateurs de l’événement était que personne ne soit
au courant du passage de cette voiture cartographiant leurs rues, que l’image se faisait le
plus secrètement possible ce qui engendre finalement des images de rues vides, sans
visages. Pour street with a view, il était bien important d’impliquer dans les interventions
scéniques le plus de résidents du secteur possible afin de donner un visage aux lieux. La
démarche d’intégration des locaux au projet a débutée six mois avant l’événement. Ben
Kinsley et Robin Hewlett ont fait du porte à porte pour présenter leur idée et pour inviter les
gens à participer. L’événement a réuni autour du même projet : des musiciens, des
artistes, les pompiers, des commerçants locaux, la fanfare de l’école secondaire et bien
sûr beaucoup de résidents du quartier et ce malgré le temps gris.
LE PROGRAMME :
L’événement s’est déroulé en une journée tout au long de la rue Sampsonia.
Premièrement, on aperçoit un homme costumé en oiseau, il est artiste, créateur sonore et
de costume qui a décidé de prendre part au projet. Deuxièmement, on peut voir un camion
de déménagement ouvert avec les meubles et des boîtes exposées dans la rue.
Troisièmement, il y a des hommes avec des dossards jaunes fluorescents détournant la
circulation pour le tournage. Quatrièmement, on peut apercevoir quelqu’un qui sort sa tête
par la fenêtre du troisième étage d’une maison. Il a fait une échelle avec des draps, comme
s’il s’enfuyait d’une pièce où il était enfermé. Cinquièmement, c’est la fanfare composée
d’une vingtaine d’étudiants de l’école secondaire Langley et leurs cuivres. On a aussi la
foule attendant le passage de la fanfare. Sixièmement, ce sont les gens du Mattress
Factory qui lancent des confettis de la sortie de secours du bâtiment. Septièmement, on
peut voir un garage qui est transformé en laboratoire où des gens s’affairent autour d’une
table sur laquelle il est inscrit Love Laser. Huitièmement, une autre porte de garage est
ouverte et on y aperçoit un groupe de musique faisant une répétition. Neuvièmement, des
coureurs d’un peu partout dans les environs se sont regroupés pour simuler un marathon.
Dixièmement, on peut voir un commerçant sur le trottoir de son magasin. Onzièmement, il
y a une sculpture de l’artiste Nicolas Lampert dans un terrain vague représentant un poulet
déplumé d’environ deux mètres et demi de hauteur. Douzièmement, on met en scène des
pompiers secourant un chat en peluche apeuré à la cime d’un arbre. Treizièmement, on
peut voir deux hommes déguisés se battant à l’épée dans un terrain vague. Finalement,
toutes ces interventions sont entrecoupées par d’autres résidents qui passaient par là et
qui ont interagît avec ces mises en scènes, participant sur un autre niveau a créer le flou
entre le réel et l’organisé. À la fin de la journée, les participants étaient tous invités à un
banquet extérieur digne d’une fête de quartier.
La voiture de google a photographié la rue trois fois plutôt qu’une. Ben Kinsley explique
que le résultat disponible sur internet est une compilation des trois passages. Il n’a pas pu
participer à l’édition du produit final qui n’a été disponible que plusieurs mois après
l’événement.
LES PRÉCÉDENTS :
L’événement réalisé par Ben et Robin est le premier du genre à avoir été organisé via
l’espace virtuel créé par Street view. Leur projet s’inspire des arts médiatiques, du
surveillance art, des arts participatifs et des arts de la performance.
Street with a view va grandement puiser ses sources dans l’art de performance puisqu’il
véhicule un message à travers une mise en scène éphémère, qui la journée d’après
n’existera plus que sur un support qui sera virtuel. De plus, comme dans la performance,
les participants ne sont pas des acteurs mais jouent leur propre rôle.
Le projet fait aussi partie des arts médiatiques puisqu’il ne crée pas de réelles distinctions
entre le spectateur et le performeur. Le but premier de l’événement est de semer le doute
entre ce qui est du domaine de l’organisé et ce qui ne l’est pas. Toute personne étant
présente lors du passage de la sentinelle de Google fait partie du spectacle. C’est d’abord
en remarquant les scènes les plus farfelues que l’on comprend que l’on est en présence
d’un œuvre, celles-ci nous amènent à porter attention à tous les autres détails lors de notre
navigation.
« À la différence d’une peinture, d’une sculpture ou d’un autre artefact de la culture
prétélématique, dont la surface, dans l’absolu, est conçue pour le regard et dont le propos
même est d’extérioriser la signification, une œuvre d’art télématique ne prend son sens
qu’à travers notre participation intime à son évolution. » 2
Ce projet fait partie intégrante du mouvement de surveillance art, ou art de surveillance, qui
se particularise par son utilisation de la technologie servant à gérer la sécurité. C’est en
détournant l’usage premier des système de sécurité que l’on génère le plus souvent
l’œuvre. L’enregistrement des comportements humains peut est aussi être générateur d’un
commentaire sur les méthodes employées pour surveiller nos villes.
Il est vrai que leur projet détourne l’utilisation générale de la technologie mais la critique
n’est pas nécessairement dirigée, elle déplore simplement le passage anonyme de la
voiture sentinelle. Elle désire aussi stimuler notre esprit critique face aux faiblesses d’une
telle représentation, street view ne reste qu’une photo d’une journée sur cette rue.
Un événement ayant eu lieu à Chelyabinsk, en Russie, peut s’apparenter à Street with a
view. Quelqu'un a été renseigné par rapport à la prise d’images par le satellite QuickBird
de Google pour la section cartographie de leur moteur de recherche. Un groupe de citoyen
c’Est donc mobilisé au centre ville, empêchant la circulation sur un stationnement adjacent
à un square. Dans le stationnement, on a disposé de clôtures de foule de sorte à former le
contour circulaire du visage, les deux yeux et la bouche d’un bonhomme smiley. On
distribua ensuite des casquettes et des imperméables jaunes à toutes les personnes se
présentant sur les lieux, attirés par le concert qui était donné sur la scène au milieu de la
bouche du personnage. Les gens se sont donc regroupés à l’intérieur des clôtures le
temps de la photo. L’image fut rapidement disponible sur internet et aussi rapidement
retirée par les modérateurs.
COMPARAISONS :
Street with a view est fortement lié avec plusieurs aspects du séminaire 3; traitant de la
théâtralité des espaces urbains et de l’événement comme appropriation des lieux publics. Il
y a d’abord un parallèle à faire entre le projet et ce qui se passait au Xème siècle dans ce
que l’on appelait le théâtre des mystères puisqu’ils offraient des prestations extérieures
dans lesquelles le jeu des acteurs était vécu comme une participation mystique à la
réactualisation du sacré.
La définition de ce qui est sacré, a depuis plusieurs années totalement changé de forme.
Anciennement, soit depuis les débuts de l’histoire, le terme avait un lien avec
l’ecclésiastique, maintenant on peut croire que cette définition a été troquée par une
majorité pour un sacré beaucoup plus sournois qui est cette éternelle quête de la
nouveauté, d’information actuelle tel qu’expliqué par Guy Debord dans la société du
spectacle.
Lors de l’événement sur la rue Sampsonia, un important rassemblement a eu lieu et tous
désiraient participer au jeu de la réactualisation, ici, cartographique de ce segment de rue
sur Internet.
On peut aussi comparer l’événement aux entrées cérémonielles. Premièrement, les deux
événements avait pour but de transformer la rue en la dénaturant, lui offrant alors une
nouvelle valeur beaucoup plus symbolique. Par exemple, on peut observer, dans les vieilles
gravures, une série de portails, chacun représentant un point de repère réel de la ville à
travers desquels déambule la société. Lors de l’événement ancien, on allait jusqu’à orner
les rues avec des tableaux vivants. On superpose ici à la ville réelle un parcours idéalisé.
Ben Kinsley a utilisé les mêmes principes pour son événement. Il a d’abord choisit une
seule rue, un seul parcours, dans laquelle serait concentrée une multitude de tableaux
vivants. En dénaturant ainsi la rue, on élève celle-ci au niveau du symbole.
C’est la représentation physique de ce symbole qui se retrouve maintenant sous forme
virtuelle, gratuite, hébergée sur le site de Google. L’événement est générateur de mémoire
urbaine d’abord parce qu’il a été vécu par plusieurs membres d’une communauté et
ensuite, parce qu’il a été documenté par des photographes, caméramans et par la voiture
sentinelle.
L’événement est aussi lié au thème du séminaire 1; traitant des rituels de fondation de la
ville et des performances de démolition.
Les villes de notre époque se modifient en de très courtes périodes. Nous sommes à l’abri
des destructions anciennement causées lors d’invasions et de pillages. La ville est
aujourd’hui généralement celle qui ordonne les grandes destructions afin de reconstruire
des quartiers complets, suivant des programmes plus intéressants. Ce phénomène est de
plus en plus lié à la création d’endroits festifs et attrayants pour les touristes, même dans
les petites villes. L’augmentation de la mobilité des gens crée la demande de modes de
représentation de la ville toujours plus interactifs, instantanés et précis.
Selon la définition du dictionnaire, le rite est d’abord religieux, c’est « l’ensemble des
cérémonies de culte en usage dans une communauté ». Le rite est aussi, au sens figuré,
« l’ensemble de pratique réglée, invariable; la manière de faire habituelle, la coutume,
l’habitude.»
La majorité des villes sont maintenant présentes sur la plateforme Street View où l’on
photographie systématiquement tout ce que l’on peut voir de la ville à partir d’une voiture,
rue par rue, jusqu’aux limites des prochaines villes. Cette méthode de cartographie
ressemble étrangement aux rites de procession des chars tirés par les bœufs, délimitant
avec un cercle dans la terre les limites de la ville. La cartographie est rituelle, c’est la
nouvelle coutume, la procession à travers les rues de plusieurs pays doit être refaite après
des modifications urbaines ou simplement après plusieurs années afin que la
représentation soit valide pour les utilisateurs. L’image de la ville est rendue réelle sur
internet puisqu’elle est visible aux yeux du monde entier et ce, sans même avoir besoin d’y
être physiquement.
Finalement, c’est à la fois un rituel réunissant celui de fondation, de maintient et de
destruction de la ville. Le premier passage des sentinelles est celui de fondation de l’image
première, de la structure. Il y a ensuite les autres passages qui agissent en tant que
maintient de cette image de ville virtuelle, afin qu’elle ne perde jamais son pouvoir
informatif. La destruction n’a jamais réellement lieu, c’est simplement l’ancienne couche
qui est effacée par la nouvelle.
BIBLIOGRAPHIE :
1
Ascott, R.1995. Télénoia. Esthétique des arts médiatiques. (Tome 1) Poissant, L.
Québec : Presses de l’Université du Québec, pp.363-384.
LOWRY, Patricia. (Page consultée le 21 septembre 2010). Google makes the world a stage
for Sampsonia Way, [En ligne]. Adresse URL: http://www.postgazette.com/pg/08317/927167-53.stm
HEWLETT, Robin Ben KINSLEY. (Page consultée le 21 septembre 2010). Street with a
view, [En ligne]. Adresse URL: http://streetwithaview.com/
ENGLISH RUSSIA. (Page consultée le 9 novembre 2010). Smile to Quick Bird, [En ligne].
Adresse URL : http://blog.wolfspelz.de/2008/09/tscheljabinsk-giant-smiley-on-google.html
Wikipedia. (Page consultée le 20 septembre 2010). Google street view, [En ligne]. Adresse
URL: http://en.wikipedia.org/wiki/Google_Street_View