la delinquance juvenile en france et le probleme des banlieues

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la delinquance juvenile en france et le probleme des banlieues
Conférence du mardi 13 avril 2010
LA DELINQUANCE JUVENILE EN FRANCE
ET LE PROBLEME DES BANLIEUES
PAR
LAURENT MUCCHIELLI
SOCIOLOGUE, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS
La délinquance juvénile est un thème récurrent de l’actualité politique et médiatique, qui alimente des discours
catastrophistes sur le rajeunissement et la violence des mineurs délinquants. Mais paradoxalement, les infractions à
caractère violent commises par les jeunes restent mal connues. Ces phénomènes sont-ils si nouveaux, dans leur
forme comme dans leur intensité ? Comment peut-on les mesurer ? Quels sont les profils des délinquants et des
victimes de ces infractions ?
Co-auteur avec Véronique Le Goaziou de "La violence des jeunes en question" paru aux éditions Champ social en
2009, Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS, revient à l’occasion de cette conférence sur
les résultats de plusieurs années de recherche passées sur la délinquance juvénile. A partir de données historiques,
statistiques et d’études de dossiers judiciaires, il prend le contre-pied de bien des analyses journalistiques et politiques
sur la « violence des jeunes ».
Tout d’abord, la comparaison historique permet à Laurent Mucchielli de revenir sur la question de l’« avant », cet âge
d’or mythique qui serait caractérisé par l’absence ou la grande rareté de la délinquance juvénile. Or, cette période
historique n’existe pas, ni dans le passé lointain des sociétés paysannes, ni dans l’histoire des sociétés urbaines
industrielles. Pour prendre un point de comparaison relativement récent, le tournant des années 1950 et 1960 se
caractérise par une peur déjà très forte des bandes de jeunes (appelés par les médias « blousons noirs »). Et c’est
aussi l’époque de l’entrée dans la société de consommation. On observe alors des phénomènes de bandes
territorialisées, qui commettaient diverses violences, des vols, du vandalisme (espaces publics, jardins ou bâtiments)
et même des viols collectifs, ce que tout le monde avait oublié en 2001-2002 lorsqu’est apparu dans les médias (et
non dans la réalité) le phénomène des « tournantes ».
Les principales différences entre les délinquants d’hier et d’aujourd’hui concernent l’objet des vols, le contenu de la
« défonce » et le déroulement de la carrière délinquante. En effet, si les vols demeurent l’acte de délinquance
statistiquement le plus fréquent, le vol de mobylettes et de voitures lié à la sociabilité des jeunes (comme la « virée »
du samedi soir) s’est raréfié du fait de la meilleure protection de ces biens, mais sont apparus de nouveaux objets de
consommation, en lien avec les évolutions technologiques (MP3, téléphones portables, ordinateurs portables, etc.). De
même, les drogues utilisées aujourd’hui sont nouvelles par rapport aux façons de se « défoncer » des années 1960
(alcool, colle, produits chimiques, etc.), mais le principe reste globalement le même. Il a cependant des incidences sur
le parcours délinquant car la circulation monétaire qu’il suscite incite davantage à s’engager dans une « carrière
délinquante ». Mais ceci est surtout lié en réalité à un autre phénomène qui permet de poser une question très
importante : non pas celle du début mais celle de la sortie de la carrière délinquante. Alors qu’à l’époque des blousons
noirs, le plein emploi permettait de sortir facilement de la délinquance, ce qui frappe aujourd’hui est le
« vieillissement » des délinquants, en lien avec le chômage de masse et l’absence de perspective professionnelle.
Dans un deuxième temps, Laurent Mucchielli
mobilise différentes enquêtes et données statistiques
pour interroger la question des « chiffres de la
délinquance juvénile » : y a-t-il une hausse de la
délinquance juvénile ? Plusieurs sources existent en
effet qui permettent de mesurer ces comportements.
Les données généralement utilisées par les discours
politiques et reprises dans les médias sont les
statistiques administratives de la police et de la
gendarmerie. On annonce ainsi que le phénomène a
augmenté ou baissé de X,xx %. Or, il s’agit d’une
statistique administrative qui compte les procédures
réalisées par ces fonctionnaires. Ce n’est en aucun cas
un recensement des comportements délinquants dans
la population générale.
Ces données sont, de surcroît, orientées par l’évolution du droit pénal et des politiques de sécurité qui, depuis le début
des années 1990, vont constamment dans le sens d’un élargissement de la définition même de la délinquance et
d’une aggravation de sa répression. Au fond, la délinquance des mineurs enregistrée par la police et la gendarmerie
ne peut par définition qu’augmenter.
Mais pour sortir de ce cercle vicieux, il faut aussi s’intéresser aux enquêtes en population générale réalisées dans la
recherche. Ces enquêtes anonymes menées sur des échantillons représentatifs de la population visent à recenser les
comportements réellement survenus, même si les personnes n’ont pas porté plainte voire même n’en ont jamais parlé
à personne. Elles peuvent viser à recenser les victimes (enquêtes de « victimation ») ou les auteurs (enquêtes de
délinquance « auto-révélée »). Au final, elles permettent de mesurer beaucoup plus fidèlement la délinquance juvénile
et son évolution dans le temps, du moins depuis les années 1990 (on ne pratiquait hélas pas ces enquêtes
antérieurement en France). Et, contrairement aux chiffres fournis par la police et la gendarmerie qui font état d’une
augmentation constante, il ressort de ces enquêtes une stabilité des problèmes depuis 15 ans en moyenne nationale,
qu’il s’agisse du point de vue des victimes ou des auteurs. Toutefois, derrière les moyennes nationales se cachent des
différences territoriales très importantes. On peut parler ici d’un processus de ghettoïsation qui concentre les difficultés
sociales et économiques dans certains quartiers d’habitat social, ce qui a entre autres conséquences de maximiser
certains facteurs de délinquance juvénile (conflits familiaux, échec scolaire, carences d’encadrement éducatif de la
jeunesse, gros déficit d’insertion professionnelle,…).
Enfin, la comparaison des dossiers judiciaires ouverts en 1992 et en 2005 dans une juridiction de la région parisienne
fait apparaître d’un côté, l’inflation du nombre d’affaires poursuivies entre les deux périodes et, d’un autre côté,
l’absence de changements concernant les événements graves (homicides, viols, etc.) et le profil de leurs auteurs.
Autrement dit, une foule de « petites affaires » entrent désormais dans l’arène judiciaire : des bagarres entre jeunes,
des « incivilités », des provocations envers les adultes (enseignants, policiers), des violences intrafamiliales, … Ces
comportements pour partie inhérents à la vie sociale et à l’adolescence ne sont pas nouveaux mais témoignent de la
judiciarisation croissante des rapports sociaux et de leurs conflits aujourd’hui. Les mécanismes de régulation
traditionnels (famille, voisinage, solidarités professionnelles, militantes et politiques, etc.) ont largement disparu, les
adultes sont de plus en plus seuls et se tournent de plus en plus vers les autorités pour régler les micro-conflits de la
vie sociale.
En conclusion, ce qui est nouveau et qui constitue un véritable défi pour les politiques publiques selon Laurent
Mucchielli, c’est la faiblesse des mécanismes traditionnels de régulation des turbulences juvéniles par la société
globale (c’est la question centrale de l’emploi) et par les familles et les adultes, y compris bien souvent les
professionnels de la jeunesse (enseignants, éducateurs, animateurs, etc.) lorsque leurs fonctionnements ou
dysfonctionnements institutionnels les laissent seuls eux aussi face aux problèmes. Le véritable enjeu consisterait
donc non pas à s’effrayer d’une pseudo révolution dans le comportement des jeunes mais bien plutôt à rechercher les
moyens de renforcer les capacités des adultes à faire front commun face aux déviances et délinquances juvéniles afin
de retrouver des capacités de régulation en amont de l’arène judiciaire.
Débat avec la salle
Pourquoi les enseignants sont-ils perméables au discours décliniste ?
Pourquoi les enseignants échapperaient-ils aux représentations de sens commun ? Pourquoi feraient-ils exception ?
De plus leurs trajectoires sociales les éloignent de plus en plus des milieux populaires il me semble. Ce recul des
complicités sociales et culturelles pèse aussi sur bien des situations, pas uniquement l’arène scolaire.
Comment expliquer la superposition dans le débat public de la question de la délinquance juvénile et de la
question ethnique ?
Une certaine rhétorique politique de droite associait déjà les étrangers (« métèques ») à l’insécurité dans les années
1930, les historiens comme Gérard Noiriel l’ont bien montré. Ce discours n’est donc pas nouveau dans le débat
public. Aujourd’hui, l’association est plus forte encore car elle concerne non seulement les étrangers en général mais
aussi les immigrés et leurs enfants issus des anciennes colonies. Mais nous ne serions pas dans cette situation
d’ethnicisation croissante et de stigmatisation réciproque si le plein emploi permettait à chacun de s’insérer dans la
société et si les populations habitant les quartiers populaires étaient représentées politiquement.
Y a-t-il un désemparement des parents face à leurs enfants ? Comment l’expliquer ?
Le désemparement des parents est souvent réel, mais de nature variable selon les milieux sociaux. Dans les milieux
populaires, la déligitimation des parents est plus forte en lien avec les formes de précarité qui caractérisent leur vie par
ailleurs. Dans les classes supérieures, les parents hésitent davantage sur les modèles éducatifs, entre autoritarisme et
laisser-faire. Cela pose en dernier ressort la question de la transmission intergénérationnelle d’un savoir-faire parental.
« Etre parent » n’est pas une compétence innée. Beaucoup de parents auraient besoin de conseils, parfois d’une aide
plus lourde. Et encore une fois pas uniquement dans les milieux populaires.
Comment les politiques pénales ont-elles évolué aujourd’hui ?
Ce qui caractérise les politiques pénales actuelles, c’est ce que j’ai appelé la « frénésie sécuritaire », caractérisée par
une dramatisation indue des problèmes, une négation des facteurs socio-économiques de la délinquance, une illusion
(volontairement entretenue) de réponse aux problèmes sociaux par le droit (un fait divers, une loi) et une illusion de
règlement des désordres juvéniles par le seul prisme de la punition et de l’immédiateté (alors que la prise en charge
des mineurs délinquants a besoin d’une large palette de sanctions et a besoin de temps car les problèmes ne peuvent
pas se régler du jour au lendemain).
Compte rendu rédigé par Anne Lambert, doctorante en
sociologie au Centre Maurice Halbwachs (CNRS-EHESS-ENS)