Alopécie d`origine hypothyroïdienne
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Alopécie d`origine hypothyroïdienne
N 324-EXE_Mise en page 1 13/03/14 17:23 Page42 CAS CLINIQUE Alopécie d’origine hypothyroïdienne Une maladie rare à explorer pour un diagnostic de certitude Les cas d’hypothyroïdie restent rares chez le chien et semblent surestimés. Différents symptômes peuvent la faire suspecter sans qu’aucun ne soit pathognomonique. S’agissant d’une maladie systémique, c’est bien souvent l’association de différents signes qui orientera le clinicien. La confirmation du diagnostic se fera ensuite par des examens biologiques. Le diagnostic posé, le traitement sera envisagé avec un suivi régulier des différents paramètres. Un chien, mâle non castré, de race chow-chow, âgé de 5 ans, est présenté à la consultation pour une alopécie évoluant depuis 7 mois environ. Une asthénie marquée et des troubles locomoteurs intermittents des postérieurs sont aussi signalés par le propriétaire. Le chien progressivement écourte la longueur de sa promenade quotidienne. Divers traitements topiques hydratants (Humiderm spray®) et un complément alimentaire (Petphos Pelage chien®) ont été préconisés sans succès. Hypothèses diagnostiques Les causes générales d’alopécie chez le chien sont rassemblées sous quatre chapitres essentiels : 1. les causes parasitaires : démodécie, dermatophytose, cheyletiellose, leishmaniose. 2. les causes endocriniennes : hypothyroïdie, hypercorticisme spontané ou iatrogène, syndrome de féminisation. 3. les causes immunologiques : adénite sébacée granulomateuse idiopathique, pelade et pseudo-pelade, dermatomyosite. 4. les causes génétiques : alopécie des robes diluées et dysplasie folliculaire des poils noirs, alopécie X. Examen clinique Pr Blaise Hubert Service Parasitologie Mycologie-Maladies ParasitairesDermatologie L’animal est normotherme. Son aspect général est modifié avec une silhouette empâtée, une surcharge pondérale. Il pèse 33 kg. Son comportement est indolent et sa démarche est traînante avec un postérieur mal mobilisé. Le port de la tête est bas, les paupières inférieures relâchées donnant l’aspect à distance d’un faciès tragique. Au vu de l’anamnèse et de l’examen clinique sont retenues essentiellement les causes parasitaires et l’hypothyroïdie. Examens complémentaires 1 Alopécie ventrale extensive et faciès tragique. Sur la table d’examen, l’animal s’assied ou s’accroupit souvent ou bien écarte les membres pour élargir son polygone de sustentation. À l’auscultation, la fréquence cardiaque est ralentie à 65 battements par minute et la muqueuse préputiale est pâle. À distance, l’alopécie est marquée en région thoracoabdominale et au niveau de la face ventrale du cou. Cet éclaircissement lent du pelage a démarré à l’endroit du passage des sangles du harnais. Les poils secondaires de cette zone ont disparu laissant la place à un poil de jarre dépigmenté. Le chien vivant en zone d’endémie dans le département de l’Aude, une sérologie leishmaniose est demandée sur la base de l’épidémiologie et le résultat est négatif. L’interprétation d’une numération2 formule montre une anémie modérée non régénérative. Après cen- Anneau surnageant de triglytrifugation, un anneau blanchâtre cérides et turbidité du sérum homogène surnage sur un sérum (cholestérol). turbide évoquant une hypertriglycéridémie et une cholestérolémie élevée. Le bilan biochimique, le titrage de T4 et de TSH, donnent les résultats suivants (cf. tableau). Parallèlement, l’examen orthopédique fait suspecter des hanches arthrosiques et une polyneuropathie voire une hernie discale chronique. La lecture radiologique confirme la présence d’ostéophytes sur la hanche gauche. Diagnostic et traitement Le diagnostic d’hypothyroïdie est posé. N°324 du 20 au 26 mars 2014 42 © B. Hubert ENVA Odile Crosaz Docteur Vétérinaire, CES Dermatologie, Service de Parasitologie, Mycologie, Dermatologie École Nationale Vétérinaire d’Alfort 94704 MAISONS-ALFORT © B. Hubert ENVA L’examen microscopique des raclages cutanés et du trichogramme d’une part et les résultats de la culture mycologique sur milieu de Sabouraud sont négatifs. N 324-EXE_Mise en page 1 13/03/14 17:23 Page43 Chien Résultats sanguins à JO, JO + 30 jours et JO + 4 mois Date J0 Cholestérol g/l N < 2,60 5,47 Triglycérides g /l T4* nmol/l 0,5 < N < 2 15 < N < 55 3,20 0,6 TSH* ng/ml 0 < N < 0,65 0,98 J0 + 30 jours J0 + 4 mois 2,81 2,18 1,10 0, 56 1,21 0,86 18,9 29,1 Hématologie Ht : 32 % Hb : 10 g/l Hématies : 4,7 * Laboratoire de Biochimie VetAgro Sup. Le peu d’amélioration par le méloxicam des signes locomoteurs conduit à envisager les conséquences systémiques d’une hypothyroïdie primaire organique sur différents appareils : système nerveux central et périphérique, appareil cardio-vasculaire, sang et métabolisme lipidique. clinique et un nouveau contrôle biologique. Le poil a totalement repoussé (photo 3) sur les zones alopéciques, il est devenu brillant. Le léger squamosis qui était présent au départ a disparu. Le propriétaire ne signale plus de difficultés locomotrices. La muqueuse préputiale s’est recolorée et la fréquence cardiaque est de 85 battements par minute. Un traitement de substitution hormonale est prescrit : lévothyroxine en solution (Leventa®) à la posologie de 20 µg/kg/j soit 0,6 ml /j directement per os. Pour éviter une trop forte répercussion au niveau du rythme cardiaque, il est prudent (cf. notice du fabriquant) de démarrer le traitement à demi-dose les 5 premiers jours en conseillant d’arrêter l’administration lors de toutes modifications du comportement. Si ces événements indésirables survenaient, un contact téléphonique serait établi. Le méloxicam est arrêté. Discussion L’hypothyroïdie canine est rare (fréquence estimée de 0,3 % à 1,8 % dans une clientèle) soit 3 cas par an en moyenne par cabinet. Elle doit être considérée comme une maladie systémique où les lésions cutanées -essentiellement alopéciques liées à un défaut de repousse, mais parfois états kérato-séborrhéïques, rarement pyodermites chroniques sauf chez le caniche nain- peuvent être présentes ou totalement absentes. L’âge apparait en revanche comme un facteur déterminant puisque l’on sait que l’hypothyroïdie affecte essentiellement des animaux adultes d’âge médian. Le spray hydratant (Humiderm® Spray) est poursuivi selon 3 applications par semaine suivies d’un brossage énergique. Comme il est recommandé par le fabricant, un contrôle sous traitement est effectué au bout de ce laps de temps : prélèvement sanguin à 8 heures et administration de la dose thérapeutique suivie d’un nouveau prélèvement à 14 heures. Les résultats (cf. tableau) confirment une absorption intestinale correcte de la molécule et la posologie n’est donc pas modifiée. Quatre mois plus tard l’animal est revu pour une évaluation 4 © JP Magnol ENVL Trente jours après le début du traitement, l’animal est revu. Son état s’est largement amélioré. Dès le 15e jour le chien est plus actif lors de la promenade ; il paraît plus tonique à son propriétaire. L’ensemble du pelage se transforme et un début de repousse est constaté. Mucinose dermique et hyperkératose épidermique et folliculaire (comédons). 3 © B. Hubert ENVA Les signes cliniques d’appel sont alors très divers rendant le diagnostic difficile. À titre d’exemple, il est signalé, outre les symptômes bien connus comme la léthargie, l’obésité, l’anémie…, des lésions de dyslipoïdose cornéenne bilatérale, de polyneuropathie, de raideur musculaire, de troubles du comportement alternant léthargie et Des formes congénitales d’hypothyroïdie sont décrites chez le jeune (D Rosenberg). Les anomalies cliniques pouvant les faire suspecter sont la présence d’une large fontanelle, une hypothermie, une hyporéactivité, des difficultés à téter et une distension abdominale. Les dents déciduales peuvent persister et le pelage rester fin et laineux. Le goitre est très rare (déficit enzymatique congénital). Les mêmes signes cliniques existent lors d’hypothyroïdie congénitale chez le chaton. Repousse du poil après 4 mois de traitement hormonal. N°324 du 20 au 26 mars 2014 43 N 324-EXE_Mise en page 1 13/03/14 18:01 Page44 Chien CAS CLINIQUE 5 © B. Hubert ENVA agressivité, de dysphonie voire d’épilepsie, de bradycardie grave, des troubles de la reproduction (pseudolactation chez la femelle par hyperprolactinémie, infertilité chez le mâle). Dans de rares cas, une cholestérolémie élevée (jusqu’à 17 g/l) doit être considérée comme une urgence : risque athéromateux létal. et un délai d’appréciation de quelques jours sont recommandés pour se prémunir d’éventuels effets indésirables en particulier d’une possible toxicité cardiaque (thyréotoxicose). Même si le principe actif est une pro-hormone et qu’il n’existe donc pas de risque de surdosage ni de blocage de l’axe hypothalamo-hypophysaire comme auparavant avec l’association T3-T4 (Euthyral®), il est judicieux de se donner une marge quand on prescrit un traitement dans le cadre d’une endocrinopathie. Comme l’hypothyroïdie organique est la conséquence d’une destruction auto-immune du tissu thyroïdien siège d’un infiltrat lymphoplasmocytaire précoce, la rémission n’est pas actuellement envisageable. Les symptômes sont par ailleurs lents à s’installer car ils débutent lors de l’atteinte de plus de 75 % de la glande thyroïde. À ce titre, on peut considérer l’hypothyroïdie comme une maladie insidieuse. Le traitement, préconisé à vie, est habituellement bien supporté sur de très longues périodes. Des contrôles de traitement 1 à 2 fois par an sont recommandés. Caniche hypothyroïdien : alopécie absente mais parésie des postérieurs. Le traitement basé sur l’administration de T4, dont le métabolite actif soit hépatique soit dans les cellules cibles est la triiodothyroxine ou T3, est ultérieurement et rapidement efficace -en 1 mois- dans tous les cas. À l’initiation du traitement, une dose adaptée au poids exact du chien On retiendra que l’hypothyroïdie trop souvent suspectée sur la seule base d’une valeur faible en T4 reste une maladie rare chez le chien, qu’elle doit être recherchée uniquement lors d’un tableau clinique évocateur par des examens sanguins adaptés. Une fois le diagnostic posé, le traitement donne la plupart du temps et rapidement de bons résultats, avec en particulier une repousse de poils jugée souvent comme « spectaculaire » par le propriétaire. n Signes cliniques observés en fonction de leur fréquence (d’après Daminet S, GEDAC, journée Hypothyroïdie, Oct 2008, Paris) © B. Hubert ENVA Cette maladie endocrinienne confirmée par les examens de laboratoire se distingue de l’hypothyroïdie fonctionnelle, conséquence uniquement biologique de nombreux facteurs : stress, infection, souffrance physique, corticothérapie, carprofène, clomipramine… Un abaissement modéré de T4 sans augmentation significative et concomitante de TSH illustre cette entité qui n’est pas une endocrinopathie. Ces variations sans conséquence sont aussi constatées spontanément dans certaines races sportives : greyhound, chien de traîneaux. Le diagnostic d’hypothyroïdie est donc posé dès lors que sont associées une clinique évocatrice, une valeur basse de T4 et une valeur élevée de TSH. Notons que dans des cas évolués, la valeur de TSH s’abaisse parfois par épuisement. D’autre part, les résultats peuvent parfois être modifiés par l’interaction des auto-anticorps anti-thyroglobuline de l’animal qui interférent dans les kits de dosage 6 donnant une T4 paradoxalement normale voire Thyroïdite lympho-plasmocytaire. très élevée avec une TSH élevée (10 % des cas d’hypothyroïdie). Il peut être alors nécessaire d’effectuer dans certains cas douteux une recherche d’anticorps anti-thyroglobuline ou un dosage de T4 en dialyse à l’équilibre. • Fréquents : léthargie, faiblesse, prise de poids, alopécie, séborrhée, anémie • Peu fréquents : pyodermite, otite externe suppurée chronique (races de grand format), problème neurologique, intolérance au froid • Rares : myxœdème, athérosclérose, infertilité, troubles oculaires, troubles du comportement, troubles cardiovasculaires • Discutable : mégaœsophage, parésie laryngée, fibrillation auriculaire Confirmation biologique du diagnostic d’hypothyroïdie • Dosages non spécifiques : anémie normochrome normocytaire non régénérative modérée (25-30 %), hypercholestérolémie (60-80 %) • Dosage T4 et TSH : baisse de T4 associée à augmentation de TSH - dans 10 % des cas, valeur de T4 normale ou élevée, avoir recours au dosage des auto-anticorps anti-thyroglobuline - en fin d’évolution, T4 basse mais TSH également par épuisement • Dosage de T4 en dialyse à l’équilibre • Dosage des auto-anticorps anti-thyroglobuline N°324 du 20 au 26 mars 2014 44