Alopécie d`origine hypothyroïdienne

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Alopécie d`origine hypothyroïdienne
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CAS CLINIQUE
Alopécie d’origine hypothyroïdienne
Une maladie rare à explorer pour un diagnostic de certitude
Les cas d’hypothyroïdie restent rares chez le chien et semblent surestimés. Différents symptômes peuvent la faire
suspecter sans qu’aucun ne soit pathognomonique. S’agissant d’une maladie systémique, c’est bien souvent l’association de différents signes qui orientera le clinicien. La confirmation du diagnostic se fera ensuite par des examens
biologiques. Le diagnostic posé, le traitement sera envisagé avec un suivi régulier des différents paramètres.
Un chien, mâle non castré, de race chow-chow, âgé de 5
ans, est présenté à la consultation pour une alopécie évoluant depuis 7 mois environ. Une asthénie marquée et
des troubles locomoteurs intermittents des postérieurs sont
aussi signalés par le propriétaire. Le chien progressivement écourte la longueur de sa promenade quotidienne.
Divers traitements topiques hydratants (Humiderm
spray®) et un complément alimentaire (Petphos Pelage
chien®) ont été préconisés sans succès.
Hypothèses diagnostiques
Les causes générales d’alopécie chez le chien sont rassemblées sous quatre chapitres essentiels :
1. les causes parasitaires : démodécie, dermatophytose,
cheyletiellose, leishmaniose.
2. les causes endocriniennes : hypothyroïdie, hypercorticisme spontané ou iatrogène, syndrome de féminisation.
3. les causes immunologiques : adénite sébacée granulomateuse idiopathique, pelade et pseudo-pelade, dermatomyosite.
4. les causes génétiques : alopécie des robes diluées et
dysplasie folliculaire des poils noirs, alopécie X.
Examen clinique
Pr Blaise Hubert
Service Parasitologie
Mycologie-Maladies ParasitairesDermatologie
L’animal est normotherme. Son aspect général est modifié avec une silhouette empâtée, une surcharge pondérale. Il pèse 33 kg. Son comportement est indolent et sa
démarche est traînante avec un postérieur mal mobilisé.
Le port de la tête est bas, les paupières inférieures relâchées donnant l’aspect à distance d’un faciès tragique.
Au vu de l’anamnèse et de l’examen clinique sont retenues
essentiellement les causes parasitaires et l’hypothyroïdie.
Examens complémentaires
1
Alopécie ventrale extensive et faciès tragique.
Sur la table d’examen, l’animal s’assied ou s’accroupit
souvent ou bien écarte les membres pour élargir son polygone de sustentation.
À l’auscultation, la fréquence cardiaque est ralentie à 65
battements par minute et la muqueuse préputiale est pâle.
À distance, l’alopécie est marquée en région thoracoabdominale et au niveau de la face ventrale du cou. Cet
éclaircissement lent du pelage a démarré à l’endroit du
passage des sangles du harnais. Les poils secondaires de
cette zone ont disparu laissant la place à un poil de jarre
dépigmenté.
Le chien vivant en zone d’endémie
dans le département de l’Aude, une
sérologie leishmaniose est demandée sur la base de l’épidémiologie
et le résultat est négatif.
L’interprétation d’une numération2
formule montre une anémie modérée non régénérative. Après cen- Anneau surnageant de triglytrifugation, un anneau blanchâtre cérides et turbidité du sérum
homogène surnage sur un sérum (cholestérol).
turbide évoquant une hypertriglycéridémie et une cholestérolémie élevée. Le bilan biochimique, le titrage de T4
et de TSH, donnent les résultats suivants (cf. tableau).
Parallèlement, l’examen orthopédique fait suspecter des
hanches arthrosiques et une polyneuropathie voire une
hernie discale chronique. La lecture radiologique confirme
la présence d’ostéophytes sur la hanche gauche.
Diagnostic et traitement
Le diagnostic d’hypothyroïdie est posé.
N°324 du 20 au 26 mars 2014
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© B. Hubert ENVA
Odile Crosaz
Docteur Vétérinaire,
CES Dermatologie,
Service de Parasitologie,
Mycologie, Dermatologie
École Nationale Vétérinaire
d’Alfort
94704 MAISONS-ALFORT
© B. Hubert ENVA
L’examen microscopique des raclages cutanés et du trichogramme
d’une part et les résultats de la culture mycologique sur milieu de
Sabouraud sont négatifs.
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Chien
Résultats sanguins à JO, JO + 30 jours et JO + 4 mois
Date
J0
Cholestérol g/l
N < 2,60
5,47
Triglycérides g /l T4* nmol/l
0,5 < N < 2
15 < N < 55
3,20
0,6
TSH* ng/ml
0 < N < 0,65
0,98
J0 + 30 jours
J0 + 4 mois
2,81
2,18
1,10
0, 56
1,21
0,86
18,9
29,1
Hématologie
Ht : 32 %
Hb : 10 g/l
Hématies : 4,7
* Laboratoire de Biochimie VetAgro Sup.
Le peu d’amélioration par le méloxicam des signes locomoteurs conduit à envisager les conséquences systémiques
d’une hypothyroïdie primaire organique sur différents
appareils : système nerveux central et périphérique, appareil cardio-vasculaire, sang et métabolisme lipidique.
clinique et un nouveau contrôle biologique. Le poil a totalement repoussé (photo 3) sur les zones alopéciques, il est
devenu brillant. Le léger squamosis qui était présent au
départ a disparu. Le propriétaire ne signale plus de difficultés locomotrices. La muqueuse préputiale s’est recolorée
et la fréquence cardiaque est de 85 battements par minute.
Un traitement de substitution hormonale est prescrit :
lévothyroxine en solution (Leventa®) à la posologie de
20 µg/kg/j soit 0,6 ml /j directement per os. Pour éviter
une trop forte répercussion au niveau du rythme cardiaque, il est prudent (cf. notice du fabriquant) de démarrer le traitement à demi-dose les 5 premiers jours en
conseillant d’arrêter l’administration lors de toutes modifications du comportement. Si ces événements indésirables survenaient, un contact téléphonique serait établi.
Le méloxicam est arrêté.
Discussion
L’hypothyroïdie canine est rare (fréquence estimée de 0,3 %
à 1,8 % dans une clientèle) soit 3 cas par an en moyenne
par cabinet. Elle doit être considérée comme une maladie
systémique où les lésions cutanées -essentiellement alopéciques liées à un défaut de repousse, mais parfois états
kérato-séborrhéïques, rarement pyodermites chroniques
sauf chez le caniche nain- peuvent être présentes ou totalement absentes. L’âge apparait en revanche comme un facteur déterminant puisque l’on sait que l’hypothyroïdie
affecte essentiellement des animaux adultes d’âge médian.
Le spray hydratant (Humiderm® Spray) est poursuivi selon
3 applications par semaine suivies d’un brossage énergique.
Comme il est recommandé par le fabricant, un contrôle sous
traitement est effectué au bout de ce laps de temps : prélèvement sanguin à 8 heures et administration de la dose thérapeutique suivie d’un nouveau prélèvement à 14 heures. Les
résultats (cf. tableau) confirment une absorption intestinale
correcte de la molécule et la posologie n’est donc pas modifiée.
Quatre mois plus tard l’animal est revu pour une évaluation
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© JP Magnol ENVL
Trente jours après le début du traitement, l’animal est revu.
Son état s’est largement amélioré. Dès le 15e jour le chien
est plus actif lors de la promenade ; il paraît plus tonique
à son propriétaire. L’ensemble du pelage se transforme
et un début de repousse est constaté.
Mucinose dermique et hyperkératose épidermique et folliculaire (comédons).
3
© B. Hubert ENVA
Les signes cliniques d’appel sont alors très divers rendant le diagnostic difficile. À titre d’exemple, il est signalé,
outre les symptômes bien connus comme la léthargie,
l’obésité, l’anémie…, des lésions de dyslipoïdose cornéenne bilatérale, de polyneuropathie, de raideur musculaire, de troubles du comportement alternant léthargie et
Des formes congénitales d’hypothyroïdie sont décrites chez le jeune (D Rosenberg).
Les anomalies cliniques pouvant les faire suspecter sont la présence d’une
large fontanelle, une hypothermie, une hyporéactivité, des difficultés à téter et
une distension abdominale. Les dents déciduales peuvent persister et le pelage
rester fin et laineux. Le goitre est très rare (déficit enzymatique congénital). Les
mêmes signes cliniques existent lors d’hypothyroïdie congénitale chez le chaton.
Repousse du poil après 4 mois de traitement hormonal.
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Chien
CAS CLINIQUE
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© B. Hubert ENVA
agressivité, de dysphonie voire d’épilepsie, de bradycardie
grave, des troubles de la reproduction (pseudolactation
chez la femelle par hyperprolactinémie, infertilité chez le
mâle). Dans de rares cas, une cholestérolémie élevée
(jusqu’à 17 g/l) doit être considérée comme une urgence :
risque athéromateux létal.
et un délai d’appréciation de quelques jours sont recommandés pour se prémunir d’éventuels effets indésirables
en particulier d’une possible toxicité cardiaque (thyréotoxicose). Même si le principe actif est une pro-hormone
et qu’il n’existe donc pas de risque de surdosage ni de blocage de l’axe hypothalamo-hypophysaire comme auparavant avec l’association T3-T4 (Euthyral®), il est judicieux
de se donner une marge quand on prescrit un traitement
dans le cadre d’une endocrinopathie. Comme l’hypothyroïdie organique est la conséquence d’une destruction
auto-immune du tissu thyroïdien siège d’un infiltrat lymphoplasmocytaire précoce, la rémission n’est pas actuellement envisageable. Les symptômes sont par ailleurs
lents à s’installer car ils débutent lors de l’atteinte de
plus de 75 % de la glande thyroïde. À ce titre, on peut
considérer l’hypothyroïdie comme une maladie insidieuse. Le traitement, préconisé à vie, est habituellement
bien supporté sur de très longues périodes. Des contrôles
de traitement 1 à 2 fois par an sont recommandés.
Caniche hypothyroïdien : alopécie absente mais parésie des postérieurs.
Le traitement basé sur l’administration de T4, dont le métabolite actif soit hépatique soit dans les cellules cibles est
la triiodothyroxine ou T3, est ultérieurement et rapidement efficace -en 1 mois- dans tous les cas. À l’initiation
du traitement, une dose adaptée au poids exact du chien
On retiendra que l’hypothyroïdie trop souvent suspectée sur la seule base d’une valeur faible en T4 reste
une maladie rare chez le chien, qu’elle doit être recherchée uniquement lors d’un tableau clinique évocateur
par des examens sanguins adaptés. Une fois le diagnostic posé, le traitement donne la plupart du temps et
rapidement de bons résultats, avec en particulier une
repousse de poils jugée souvent comme « spectaculaire » par le propriétaire. n
Signes cliniques observés en fonction de leur
fréquence (d’après Daminet S, GEDAC, journée
Hypothyroïdie, Oct 2008, Paris)
© B. Hubert ENVA
Cette maladie endocrinienne confirmée par les examens
de laboratoire se distingue de l’hypothyroïdie fonctionnelle, conséquence uniquement biologique de nombreux
facteurs : stress, infection, souffrance physique, corticothérapie, carprofène, clomipramine… Un abaissement
modéré de T4 sans augmentation significative et concomitante de TSH illustre cette entité qui n’est pas une endocrinopathie. Ces variations sans conséquence sont aussi
constatées spontanément dans certaines races sportives :
greyhound, chien de traîneaux. Le diagnostic d’hypothyroïdie est donc posé dès lors que sont associées une clinique évocatrice, une
valeur basse de T4 et une
valeur élevée de TSH.
Notons que dans des cas
évolués, la valeur de TSH
s’abaisse parfois par épuisement. D’autre part, les
résultats peuvent parfois
être modifiés par l’interaction des auto-anticorps
anti-thyroglobuline de
l’animal qui interférent
dans les kits de dosage
6
donnant une T4 paradoxalement normale voire Thyroïdite lympho-plasmocytaire.
très élevée avec une TSH
élevée (10 % des cas d’hypothyroïdie). Il peut être alors
nécessaire d’effectuer dans certains cas douteux une
recherche d’anticorps anti-thyroglobuline ou un dosage de
T4 en dialyse à l’équilibre.
• Fréquents : léthargie, faiblesse, prise de poids, alopécie, séborrhée, anémie
• Peu fréquents : pyodermite, otite externe suppurée
chronique (races de grand format), problème neurologique, intolérance au froid
• Rares : myxœdème, athérosclérose, infertilité, troubles
oculaires, troubles du comportement, troubles cardiovasculaires
• Discutable : mégaœsophage, parésie laryngée, fibrillation auriculaire
Confirmation biologique du diagnostic d’hypothyroïdie
• Dosages non spécifiques : anémie normochrome normocytaire non régénérative modérée (25-30 %), hypercholestérolémie (60-80 %)
• Dosage T4 et TSH : baisse de T4 associée à augmentation de TSH
- dans 10 % des cas, valeur de T4 normale ou élevée, avoir
recours au dosage des auto-anticorps anti-thyroglobuline
- en fin d’évolution, T4 basse mais TSH également par
épuisement
• Dosage de T4 en dialyse à l’équilibre
• Dosage des auto-anticorps anti-thyroglobuline
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