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La Loi sur les Cours fédérales et la compétence fédérale Professeur David J. Mullan Université Queen’s Kingston (ON) Colloque de formation de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale : la compétence des Cours fédérales 27 et 28 octobre 2011 Ottawa (Ontario) The Federal Courts Act and Federal Jurisdiction Professor David J. Mullan Queen’s University Kingston, ON Federal Court of Appeal and the Federal Court Education Seminar: The Jurisdiction of the Federal Courts October 27 – 28, 2011 Ottawa, Ontario La Loi sur les Cours fédérales et la compétence fédérale I. Introduction Juges en chef et comité organisateur, je vous remercie beaucoup pour m’avoir invité à participer à cette importante occasion, soit la célébration du 40e anniversaire de l’entrée en vigueur de la version originale de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, et de la création de ce que sont aujourd’hui la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Au cours des dernières années, j’ai eu l’occasion à de nombreuses reprises de participer aux colloques annuels de formation de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. Pendant cette période, j’en suis venu à apprécier énormément l’engagement par les Cours à l’égard de l’élaboration de principes sains de contrôle judiciaire de l’action administrative. Ma propre façon d’envisager le contrôle judiciaire a aussi été très enrichie par mes diverses interactions avec les juges des deux Cours. Je suis donc enchanté de participer à ces célébrations et de m’adresser à vous aujourd’hui, comme je l’ai fait il y a 20 ans avec l’un des autres présentateurs d’aujourd’hui, autre membre du groupe d’experts, Raynold Langlois1. Dans le présent exposé, je vise à relater brièvement l’origine et l’évolution de la compétence des Cours fédérales et, en particulier, les difficultés auxquelles elles faisaient face en 1991 à l’occasion du 20e anniversaire de ce qui s’appelait alors la Cour fédérale. J’exposerai ensuite en détail la mesure dans laquelle les modifications apportées en 1990 à la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 répondaient à certaines des critiques majeures adressées à la Cour jusqu’à ce moment-là, avant de passer à l’examen de questions plus générales ayant trait aux pouvoirs de contrôle judiciaire des Cours en particulier. Quels objectifs poursuivait le législateur lorsqu’il a conféré à la Cour fédérale une compétence large, quoique pas totalement exclusive, en matière de contrôle judiciaire des décideurs constitués en vertu d’une loi fédérale et, après 1991, des décideurs jouissant d’une prérogative? S’attendait-on à ce que la Cour fédérale (maintenant les Cours fédérales) élaborerait des règles de droit distinctes sur le contrôle judiciaire? Dans l’affirmative, pourquoi, et est-ce que cela s’est réalisé? Dans la négative, qu’est-ce qui justifie qu’une cour fédérale, plutôt que les cours supérieures des provinces, exerce la majeure partie de la compétence sur le contrôle judiciaire en matière fédérale? Ces justifications se trouvent-elles confirmées dans la jurisprudence des Cours sur le contrôle judiciaire? II. La Cour fédérale en 1991 À l’occasion du 40e anniversaire des Cours, il est fascinant de réexaminer les délibérations qui ont marqué le 20e anniversaire en 1991 : un symposium tenu par l’Association du Barreau canadien à Toronto en février de cette année, Le rôle de la Cour fédérale dans les années 1990, et le symposium de la Cour tenu à Ottawa le 26 juin : La Cour fédérale du Canada – Une évaluation. 1 In the proceedings of the 1991 symposium, The Federal Court of Canada – An Evaluation, there is a paper by Justice Frank Iacobucci, “The Role of the Federal Court in the 1990s”, at 261, who is part of today's programme. However, by the time of the symposium, Justice Iacobucci had gone from being the Chief Justice of the Federal Court to being a Justice of the Supreme Court of Canada and he did not speak at the symposium. Rather, his paper was the one that he had prepared for the earlier Canadian Bar Association symposium, The Role of the Federal Court in the 1990s, a symposium presented in Toronto and elsewhere. 2 Fait non surprenant, John Turner, l’un des pères de la Loi sur la Cour fédérale, a beaucoup louangé la Cour fédérale dans son allocution lors du symposium2. Ce faisant, il a cité3, notamment, l’exposé de l’ancien Pr John Evans au symposium de l’ABC : [Traduction] Au moment où une bonne partie de la colle qui joint ce pays improbable semble s’éroder, la Cour fédérale du Canada demeure une institution véritablement nationale et bilingue qui rend justice d’un océan à l’autre. Les modifications législatives qui lui ont été récemment apportées devraient l’aider à obtenir la légitimité et l’acceptation qui lui échappent jusqu’à maintenant. Un immeuble décent ne nuirait pas non plus. Ayant survécu la partie la plus dangereuse de sa vie, soit l’adolescence, la Cour est en meilleure position pour s’établir comme tribunal spécialisé en droit public, ne cédant le pas en importance qu’à la Cour suprême du Canada4. Toutefois, ces sentiments n’étaient pas partagés par tous. Le procureur général de la ColombieBritannique réclamait l’abolition de la Cour. Diverses motions en ce sens avaient été soumises à l’Association du Barreau canadien. L’Association du Barreau canadien a rejeté la position de la Colombie-Britannique, mais elle a néanmoins adopté plusieurs résolutions en 1978, qu’elle a réitérées en 1982, qui demandaient la réduction de la compétence de la Cour. Fait le plus digne de mention, l’ABC voulait que toutes les actions auxquelles était partie la Couronne fédérale relèvent dorénavant des cours supérieures provinciales5. Brian Crane, qui avait été membre de deux comités spéciaux de l’ABC sur la Cour fédérale, a continué de militer en faveur de cette position au symposium de la Cour fédérale de 19916. Une bonne partie du scepticisme au sujet de la Cour se reflétait d’ailleurs dans le titre de l’exposé que l’autre membre du groupe d’experts ce matin a présenté à ce symposium : « La Cour Fédérale : Une morte en sursis »7. Que motivait cette insatisfaction à l’égard de la Cour? J’estime qu’elle reposait sur cinq grandes préoccupations. La première, et la plus fondamentale, préoccupation résidait dans le fait que certains croyaient que le Canada n’avait pas besoin de Cour fédérale; que la compétence sur les affaires faisant intervenir le droit et les institutions fédéraux était bien exercée par les tribunaux visés par l’article 96. On retrouvait parmi les partisans de cette position, position qu’il défend toujours aujourd’hui, l’un des plus réputés universitaires et praticiens du droit constitutionnel du Canada, Peter Hogg : [Traduction] Le Canada n’a pas besoin de système judiciaire double. Les cours provinciales ont compétence générale sur toutes les causes d’action; les juges des cours d’instance supérieure sont nommés par le gouvernement fédéral; et l’uniformité des décisions est garantie par l’appel auprès de la 2 The Right Honourable John N. Turner, “The Origin and Mission of the Federal Court of Canada”, id., at 1 and see 16-17 particularly. 3 Id., at 15. 4 “The Role of the Federal Court in the 1990's.” 5 Various speakers at the 1991 symposium, including John Turner provide the details. However, the fullest account is to be found in the paper delivered by Raynold Langlois, my co-panelist: “La Cour Fédérale: Une Morte en Sursis”, supra, note 1, 237 at 241-48. See also Ian Bushnell, The Federal Court of Canada: A History (Toronto, University of Toronto Press, 1991) at 311-14. 6 Brian Crane, Q.C., “Jurisdiction of the Federal Court”, supra, note 1, 67, at 86. 7 Supra, note 5. 3 Cour suprême du Canada. L’existence d’une hiérarchie parallèle de cours fédérales ne peut faire autrement que d’entraîner des litiges inutiles sur la compétence et de nombreuses instances8. Une bonne partie des arguments à l’appui de la position de Hogg provenait de la jurisprudence concernant la portée de la compétence de la Cour fédérale sur les litiges civils comportant des objets relevant de la compétence législative fédérale. En vertu du critère élaboré par la Cour suprême du Canada, la compétence de la Cour fédérale ne nécessitait pas simplement que l’objet du litige relève d’un domaine de compétence législative fédérale. Il y avait deux autres exigences. Non seulement le litige devait-il avoir trait à une catégorie d’objets relevant de la législation fédérale, mais aussi : b. Il devait exister des règles applicables de droit fédéral, qu’elles soient prévues par la loi, les règlements ou la common law, qui avaient trait, de par leur caractère véritable, au litige. c. L’application de ces règles de droit fédéral devait avoir été confiée à [la Cour fédérale]9. Au symposium de 1991, Brian Crane a exposé en détail les problèmes que ce critère avait créé et, notamment, la grande incertitude de ce que constituait une règle applicable de droit fédéral, sans mentionner la teneur de la common law fédérale. De plus, la Cour suprême ne semblait pas envisager la possibilité d’une compétence accessoire qui aurait permis à la Cour fédérale de se charger de tous les aspects d’une affaire qui, selon ses principales caractéristiques, relevait du critère à trois étapes10. Ainsi, la Cour n’avait pas compétence pour se prononcer sur une demande reconventionnelle dans une affaire qui lui était dûment soumise si l’objet de la demande reconventionnelle ne respectait pas le critère11. Ces incertitudes et ces problèmes soutenaient amplement les prétentions de Hogg concernant les litiges inutiles sur la compétence et la multiplication des instances, position qu’il expose aussi de façon imagée dans son texte Constitutional Law et dans d’autres textes12. Le troisième facteur découlait beaucoup plus directement des termes de la version originale de la Loi sur la Cour fédérale13 elle-même. En conférant à la Cour fédérale la compétence en matière de contrôle judiciaire, la Loi s’exprimait d’une façon qui a engendré un grand nombre de litiges improductifs. Le seuil applicable à la compétence de la Cour en contrôle judiciaire dépendait de la question de savoir si le décideur contesté était un « office fédéral ». Ce terme était défini de façon ambiguë à l’alinéa 2g) de la Loi14. Toutefois, encore plus de litiges15 ont été engendrés par la division législative de la 8 Peter W. Hogg, 1 Constitutional Law of Canada (Toronto: Thomson Carswell, serial), at pp. 7-27 and 7-34. 9 As summarized recently by Harrington J. in Onuschak v. Canadian Society of Immigration, 2009 FC 1135, 357 F.T.R. 22, at para. 5, citing the leading authorities of Canadian Pacific Ltd. v. Quebec North Shore Paper Co., [1977] 2 S.C.R. 1054; McNamara Construction (Western) Ltd. v. The Queen, [1977] 2 S.C.R. 654; and ITO-International Terminal Operators Ltd. v. Miida Electronics Inc., [1986] 1 S.C.R. 752. 10 Supra, note 6, at 71-86. See also Brian Crane, “Constitutional Restraints on the Federal Court in Relation to Crown Litigation” (1992), 2 N.J.C.L. 1. 11 For a rejection of the American pendent jurisdiction doctrine, see Roberts v. Canada, [1989] 1 S.C.R. 222, though cf R. v. Thomas Fuller Construction, [1980] 1 S.C.R. 695. 12 Supra, note 8, at 7.2(b) – (d). See also, Peter W. Hogg, Comment (1977), 55 Can. Bar Rev. 550 and “Federalism and the Jurisdiction of Canadian Courts” (1981), 30 U.N.B.L.J. 9. For other commentary, see J.M. Evans, Comment (1981), 59 Can. Bar Rev. 124; and J.M. Evans and Brian Slattery, Comment (1989), 68 Can. Bar Rev. 817, as well as Bushnell's history, supra, note 5, at 232-57. 13 R.S.C. 1970, 2nd Supp., c. 10; S.C. 1970-71-72, c. 1. 14 For details of the case law up until 1997 see David J. Mullan, Administrative Law (Toronto: Carswell, 1997, 3rd ed.), at paras. 690-95. 15 Involving appeals to the Supreme Court of Canada is cases such as Howarth v. National Parole Board, [1976] 1 S.C.R. 453; Minister of National Revenue v. Coopers & Lybrand, [1979] 1 S.C.R. 495; Martineau v. Matsqui Institution Inmate 4 compétence initiale en contrôle judiciaire entre la Section de première instance de la Cour fédérale et la Section d’appel, soit les articles originaux célèbres 18 et 28. Si la décision ou l’ordonnance contestée (et il devait s’agir d’une décision ou d’une ordonnance qui ne s’appliquait pas à une instance en cours) était « autre qu’une décision ou ordonnance de nature administrative qui n’est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire », elle était assujettie à la compétence initiale en contrôle judiciaire de la Section d’appel ou de la Cour d’appel fédérale. Si on avait voulu qu’une formule conférant une compétence engendre des litiges et permette particulièrement au ministère de la Justice d’invoquer toutes les questions procédurales et de compétence possibles, on n’aurait pas pu faire mieux. Quatrièmement, les avocats praticiens avaient l’impression que malgré le fait que la Cour avait des greffes et siégeait dans diverses villes du pays, elle n’était pas consciente de la situation dans les diverses régions du pays et abordait de façon centriste les litiges qui lui étaient soumis. Cette préoccupation se reflétait dans deux recommandations proposées par l’Association du Barreau canadien : que la compétence conférée par la Loi sur l’expropriation fédérale soit conférée aux cours provinciales plutôt qu’à la Cour fédérale et, de façon beaucoup plus vague, que la compétence portant sur des « questions purement locales » soit soustraite à la Cour fédérale16. Enfin, lors des 20 premières années de la Cour, on avait l’impression que trop souvent, les nominations à la Cour servaient à récompenser les politiciens fédéraux à la retraite17. John Turner a défendu la nomination d’anciens politiciens lors de son exposé au symposium de 199118, mais l’Association du Barreau canadien a fortement insisté sur la nécessité de nommer des gens qualifiés, nécessité qu’elle a exprimée très intentionnellement en parlant d’« expérience professionnelle pertinente »19. À la sortie du symposium de 1991, on avait donc l’impression que même si l’existence de la Cour n’était peut-être pas en péril, il y avait néanmoins place à une grande amélioration à plusieurs égards importants en ce qui a trait à la législation constitutive, au personnel et au rendement. III. Relever le défi D’ailleurs, le « sauvetage » était imminent lors du symposium de 1991 car le législateur fédéral avait déjà adopté des modifications à la Loi sur la Cour fédérale20. Ces modifications étaient en attente de proclamation, étape qui devait suivre la reformulation des Règles de la Cour fédérale en vue de leur adaptation aux modifications législatives21. (Par suite de modifications supplémentaires en 2002, la Loi a été renommée Loi sur les Cours fédérales de manière à refléter le changement structurel qui transformait la Cour à deux sections en deux cours distinctes : la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale.22) 16 17 18 19 20 21 22 Disciplinary Committee, [1980] 1 S.C.R. 602; and Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie v. Canada (Human Rights Commission), [1989] 2 S.C.R. 879. See Langlois, supra, note 5, at 243-48. See Bushnell, supra, note 5, at 268-69, headed “The Patronage Binge.” See also, Peter H. Russell, The Judiciary in Canada: The Third Branch of Government (Toronto: McGraw-Hill Ryerson, 1987), at 323, though by 1991, he was “admir[ing] the more recent restraint that federal politicians exercised in appointments to the Court.”: Peter Russell, “An Evaluation by a Political Scientist” in The Federal Court of Canada – An Evaluation, supra, note 1, 19, at 25. Supra, note 2, at 16. As quoted by Langlois, supra, note 5, at 17, citing the Special Committee Report, at 103-04. Now R.S.C. 1985, c. F-7, as amended by S.C. 1990, c.8. See Mary Dawson, Q.C., “Bill C-38: Some Reforms for the Federal Court of Canada” in The Federal Court of Canada – An Evaluation, supra, note 1, 251, at 253. S.C. 2002, c. 8. 5 Les modifications législatives de 1990 répondaient à plusieurs des préoccupations soulevées par les critiques de la Cour et aux deux symposia. En particulier, la situation inextricable en matière de compétence qui découlait des articles 18 et 28 a été éliminée. Dorénavant, par défaut, la Cour fédérale avait compétence initiale en contrôle judiciaire, au moyen d’une demande simplifiée de contrôle judiciaire23. Toutefois, la Cour d’appel fédérale continuait d’avoir une importante compétence initiale en contrôle judiciaire en raison d’une liste d’autorités désignées24. On aurait pu contester le bien-fondé de cette liste, mais au moins ce changement constituait une amélioration marquée par rapport à la situation qui prévalait auparavant. Dans le contexte du contrôle judiciaire, l’article 2 a aussi été modifié de manière à indiquer clairement que la portée du terme « office fédéral » s’étendait aux pouvoirs conférés « par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale »25. Les modifications répondaient aussi à la recommandation, par l’Association du Barreau canadien et Brian Crane (notamment), d’attribuer aux cours supérieures provinciales la compétence de la Cour sur les réclamations contre la Couronne fédérale. Dorénavant, cette compétence serait partagée entre la Cour fédérale et les cours supérieures provinciales dans la mesure où il existe une loi provinciale habilitante26. Cela n’éliminait pas entièrement les dilemmes posés par la jurisprudence générale relative à la compétence en matière civile, mais au moins dans les affaires où la Couronne fédérale était défenderesse, les modifications offraient aux parties à un litige le choix d’éviter les problèmes découlant de la nature des « règles de droit fédéral » en instituant leur litige devant la cour supérieure provinciale appropriée. Naturellement, il y a des préoccupations auxquelles les modifications auraient difficilement pu répondre, voire même auxquelles il aurait été impossible de répondre, comme la question dominante de la nécessité de l’existence de la Cour fédérale et des questions accessoires comme le profil de la Cour à l’extérieur d’Ottawa et le calibre ou la nature des nominations. Le remède, si besoin est, à ces « maladies » ne se manifesterait que par l’exécution par la Cour de son mandat et, dans le cas des nominations, par les actes de l’organe exécutif du gouvernement fédéral. Toutefois, même à l’égard des questions relevant de la Loi sur les Cours fédérales, les dispositions modificatrices n’ont pas réglé tous les problèmes. Les problèmes relatifs à la compétence sur le droit fédéral dans les affaires entre les différents objets n’ont pas disparu, quoique sur la question de l’évolution d’une compétence accessoire, il semblait clair que seulement un changement d’avis de la part de la Cour suprême quant à la fourchette autorisée par l’article 101 de la Loi constitutionnelle la permettrait véritablement. Même s’il a été élargi de manière à inclure l’exercice d’un pouvoir en vertu d’une prérogative applicable, l’article 2 continuait d’afficher des aspects problématiques. Aussi, comme cela deviendrait évident27, la capacité de solliciter des dommages-intérêts pour cause d’acte administratif fautif (ou d’intenter d’autres formes de recours accessoires) devant la Cour fédérale ou les cours supérieures provinciales sans d’abord solliciter le contrôle judiciaire devant la Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale constituait une question très litigieuse, dont la résolution dépend en partie de l’interprétation des dispositions sur le contrôle judiciaire de la Loi sur les Cours fédérales. 23 24 25 26 27 Section 18(1) and 18.1(1). Section 28(1), (3). Now section 2(1). Section 17(1), (2), and (5). Starting with the judgment of Desjardins J.A . in Tremblay v. Canada, 2004 FCA 172, [2004] 4 F.C.R. 165, and definitively part of the Court of Appeal's jurisprudence following the judgment of Létourneau J.A. in Grenier v. Canada, 2005 FCA 348, [2006] 2 F.C.R. 287. 6 Néanmoins, j’estime que depuis 1991, si on fait fi de cette dernière question, le nombre de litiges largement improductifs concernant les limites de la compétence des Cours fédérales, entre les deux Cours et particulièrement entre les Cours fédérales et les cours supérieures provinciales, a diminué considérablement. En majeure partie, les paramètres de la compétence des Cours fédérales dans les litiges sur des objets comportant des « règles de droit fédéral » ont été circonscrites de façon satisfaisante par le critère normalisé à trois volets et par l’ancienne jurisprudence d’application de ce critère28. Même si surviennent périodiquement des problèmes quant à la question de savoir si un décideur est un « office fédéral », ces questions semblent maintenant reposer sur une préoccupation plus fondamentale, commune quant à la compétence en contrôle judiciaire des cours supérieures provinciales : la question de savoir si un organisme est de nature suffisamment publique et s’il dépend suffisamment d’un pouvoir conféré par la loi ou par la prérogative pour faire l’objet d’un contrôle judiciaire en common law. Cette question se manifeste dans la décision rendue par le juge Harrington dans Onuschak c. Société canadienne de consultants en immigration29 et par la décision antérieure rendue par le juge McTavish dans DRL Vacations Ltd. c. Administration portuaire de Halifax30, et elle pourrait fort bien devenir un trait plus courant de la compétence des Cours fédérales en raison de la croissance de l’utilisation des partenariats public-privé. Découle aussi en partie de la définition d’« office fédéral », mais dépend davantage des notions générales sur la délimitation entre le droit public et le droit privé, toute la question de la mesure dans laquelle les décisions prises dans le cadre des relations commerciales de l’État sont assujetties au contrôle judiciaire, domaine dans lequel la Cour d’appel fédérale a joué un rôle de chef de file, particulièrement dans Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général)31. Maintenant, grâce au jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc.32 et à des décisions connexes33, dont nous entendrons parler bien davantage aujourd’hui34, la question fondamentale de savoir si une demande de contrôle judiciaire doit précéder une demande de dommages-intérêts fondée sur un acte administratif illégal a été réglée. Il ne s’agit pas d’une exigence absolue imposée par les termes de la Loi sur les Cours fédérales; au contraire, il s’agit d’une question qui fait intervenir le pouvoir discrétionnaire de réparation. Il reste à voir à quel point elle sera réglée de façon satisfaisante dans ce nouveau contexte. Mon seul commentaire, c’est qu’il peut y avoir certaines sources de préoccupations en raison de l’existence d’une notion similaire de pouvoir discrétionnaire de réparation à l’égard de la sollicitation d’un habeas corpus afin de contester les détentions présumément illégales par les offices fédéraux35. Ce domaine s’est révélé problématique36. 28 Though it must be conceded that since 1991, there have been a number of cases involving the reach of the Court's admiralty or maritime jurisdiction that have proceeded to the Supreme Court of Canada. See e.g. Isen v. Simms, 2006 SCC 41, [2006] 2 S.C.R. 349; Holt Cargo Systems Inc. v. ABC Containerline NV (Trustees of), 2001 SCC 90, [2001] 3 S.C.R. 907; and Ordon Estate v. Grail, [1998] 3 S.C.R. 437. 29 Supra, note 9. 30 2005 FC 860, [2006] 3 F.C.R. 516, at para. 48 particularly. 31 2009 FCA 116, [2010] 2 F.C.R. 488. 32 2010 SCC 62, [2010] 3 S.C.R. 585. 33 See McArthur v. Canada, 2010 SCC 63, [2010] 3 S.C.R. 626; Parrish & Heimbecker Ltd. v. Canada (Minister of Agriculture and Agri-Food), 2010 SCC 64, [2010] 3 S.C.R. 639; Nu-Pharm v. Canada, 2010 SCC 65, [2010] 3 S.C.R. 648; Canadian Food Inspection Agency v. Professional Institute of the Public Service of Canada, 2010 SCC 66, [2010] 3 S.C.R. 657; and Manuge v. Canada, 2010 SCC 67, [2010] 3 S.C.R. 672.. 34 In what I assume will be a face off between Sharpe J.A. of the Court of Appeal for Ontario and Létourneau J.A. of the Federal Court of Appeal. 35 The original section 18 and today section 18(1) by omission from the list of prerogative writs transferred from the provincial superior courts to the Federal Court preserved the habeas corpus jurisdiction of the provincial superior court save in relation to members of the Canadian Forces serving outside of Canada, this being the exclusive preserve of the Federal Court: section 18(2). 7 La réponse du législateur fédéral aux problèmes manifestes de la façon dont la version originale de la Loi sur la Cour fédérale conférait compétence en contrôle judiciaire à la Cour fédérale n’a pas éliminé toutes les préoccupations relatives à la Cour et, notamment, celles qui ont trait à la question de savoir si une telle Cour est même nécessaire ainsi que la qualité de son rendement. Dans le reste du présent exposé, je veux aborder au moins en partie certaines de ces questions. IV. Un droit fédéral du contrôle judiciaire? Un examen de l’historique législatif de la version originale de la Loi sur la Cour fédérale indique que l’un de ses objectifs pourrait avoir été la création d’un mode fédéral spécial de contrôle judiciaire, considéré plus approprié pour la prise de décisions prévues par les lois fédérales que les principes de common law en contrôle judiciaire qui prévalaient dans les provinces à ce moment-là37. Quelle est la preuve à l’appui de cette prétention? Fait plus important, à l’égard des tribunaux administratifs dont les décisions sont susceptibles de révision par la Cour d’appel fédérale dans le cadre de sa compétence originale, la législation énonçait à l’article 28 les motifs de contrôle judiciaire et prévoyait, dans les faits, que ces motifs pouvaient être invoqués nonobstant toute disposition d’une autre loi, énoncé qui visait apparemment les clauses privatives, à tout le moins dans la législation antérieure38. Deuxièmement, l’énoncé à l’article 28 des motifs de contrôle allait au-delà de la portée qui prévalait alors en contrôle judiciaire selon la common law. Le contrôle judiciaire pouvait s’appliquer en matière d’erreur de droit même si cette erreur n’était pas manifeste au vu du dossier. Le contrôle des questions de fait était assujetti à une formulation nouvelle qui semblait inviter l’intervention davantage que les termes restrictifs du motif de contrôle alors applicable qui consistait en l’absence de preuve. Il pouvait y avoir contrôle lorsque le tribunal visé […] a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de faits erronés, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose. D’ailleurs, cette disposition aurait invité encore davantage le contrôle sur des questions de fait n’eut été l’intervention du Congrès du travail du Canada. À l’étape de l’étude en comité à la Chambre des communes, cette intervention a mené à la suppression du terme « dûment », qui qualifiait le terme « tenir compte »39. Dans son allocution au symposium de 1991, John Turner a énoncé ses objectifs en tant que ministre de la justice et Procureur général responsable de la loi à la Chambre des communes : [Traduction] Nous voulions alléger le fardeau de travail de la Cour suprême tout en permettant un contrôle plus large et plus uniforme des décisions des tribunaux administratifs40. 36 See the discussion in May v. Ferndale Institution, 2005 SCC 82, [2005] 3 S.C.R. 809, but see more recently John v. Canada (National Parole Board), 2011 BCCA 188 and R. v. Graham, 2011 ONCA 138. 37 See my article, “The Federal Court Act: A Misguided Attempt at Administrative Law Reform?” (1973), 23 U.T.L.J. 14. See also Chapter 14 of Bushnell, supra, note 5 (“The Creation of the Federal Court”). 38 This interpretation was adopted in Canada (Attorney General) v. Public Service Staff Relations Board, [1977] 2 F.C. 189 (C.A.), and applied to a privative clause post-dating the enactment of the Federal Court Act in Pioneer Grain Co. v. Kraus, [1981] 2 F.C. 815 (C.A.) 39 Houses of Commons Standing Committee on Justice and Legal Affairs, Minutes of Proceedings and Evidence, Tuesday, May 26, 1970, 28th Parliament, 2nd Session, No. 31, at 13ff. 40 Supra, note 2, at 6. 8 Le processus de contrôle était plus large que les anciens brefs de prérogative. J’ai donné quelques exemples à la Chambre des communes lorsque j’ai défendu la loi. Lorsque les principes de la justice naturelle ne sont pas appliqués, lorsqu’il n’y a pas d’audience, lorsque les parties n’ont pas l’occasion de présenter leur preuve, lorsque l’office a outrepassé sa compétence ou la portée du pouvoir conféré par la loi, lorsque l’office a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire ou lorsqu’il l’a outrepassé et lorsque l’office a mal interprété la loi, dans tous ces cas, sa décision peut être annulée par la Cour [gras ajouté]41. Même si on pourrait se demander lesquelles des diverses catégories énumérées par M. Turner représentaient en fait des motifs de contrôle n’existant pas en ce qui concerne les brefs de prérogative en common law, l’objectif d’élargissement est au moins implicite dans le sens que toutes les erreurs de droit peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Ce qui est cependant aussi intéressant, c’est le fait que M. Turner ne voyait pas beaucoup de motifs de contrôle d’une décision d’un organisme fédéral qui n’étaient pas couverts par l’article 28 de la Loi. À l’extérieur du monde des tribunaux judiciaires ou quasi-judiciaires, pour utiliser les termes de la Loi et de la common law de l’époque, M. Turner voyait peu d’occasions d’enquêtes judiciaires. Dans le domaine des décisions administratives ou des décisions de politique, domaine réservé à la Section de première instance de l’époque en vertu de l’article 18, il ne reste pas beaucoup de place, voire aucune, pour le contrôle judiciaire : [Traduction] Le contrôle prévu par cette Cour, cependant, aurait trait au processus judiciaire, et non pas à la politique administrative. […] Mais il nous semble au Parlement qu’il y avait une distinction claire entre, d’une part, le droit et les politiques et, d’autre part, le processus judiciaire42. Cette notion d’une Section de première instance qui aurait peu de travail à faire en contrôle judiciaire était aussi partagée par le sous-ministre de l’époque, D.S. Maxwell. Dans sa comparution devant le Comité de la deuxième lecture de la Chambre des communes, M. Maxwell, peut-être extrêmement prudent sur le plan constitutionnel43, a décrit l’article 18 comme étant simplement un mécanisme par lequel la compétence de brefs de prérogative sur les autorités fédérales prévues par la loi a été soustraite aux cours supérieures provinciales, l’essence de cette compétence étant transféré immédiatement par l’article 28 à la Cour d’appel et y étant appliqué au moyen d’une demande simplifiée de contrôle judiciaire44. La réalité, c’est que rien se rapprochant d’un droit proprement fédéral du contrôle judiciaire conditionné par les termes et les objectifs de la version originale de la Loi sur la Cour fédérale ne s’est manifesté. L’influence de la common law s’est révélée trop forte. Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de domaine où la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont procuré des perspectives uniques dans l’application des principes de contrôle judiciaire de l’action administrative. Toutefois, de façon générale, cela s’est produit dans des domaines où il n’existe aucun équivalent provincial, la compétence de la Cour en immigration en constituant l’exemple le plus évident. Cependant, sur le plan des principes généraux, il y a eu une convergence des règles de la common law sur le contrôle judiciaire de l’action administrative et le contrôle judiciaire effectué par la Cour fédérale. 41 Id., at 7. 42 Id., at 6. 43 Resulting from a sense that the prerogative writs jurisdiction of the provincial superior courts could not constitutionally be abolished but could legitimately be transferred. 44 House of Commons Standing Committee on Justice and Legal Affairs, Minutes of Proceedings and Evidence, Thursday, May 7, 1970: 28th Parliament, 2nd Session, No. 26, at 25-26. 9 Laissez-moi donner ce qui me semble en être les exemples les plus frappants : 1. En vertu de la version originale de l’article 28, seul le procureur général ou « quiconque est directement touché » pourrait solliciter le contrôle judiciaire. Cela s’applique maintenant aux demandes de contrôle judiciaire devant les deux Cours45. Même si on aurait pu penser que les rédacteurs de la Loi voulaient, au moyen de l’utilisation du terme « directement touché », faire reposer l’accès au contrôle judiciaire sur une exigence rigoureuse de qualité pour agir, les Cours ont en réalité conclu que la disposition sur la qualité pour agir n’empêchait pas l’application des principes de la qualité pour agir dans l’intérêt public aux demandes de contrôle judiciaire instituées devant les Cours46. 2. Nonobstant le libellé de la version originale de l’alinéa 18(1)c), qui constitue maintenant l’alinéa 18.1(4)d), le contrôle judiciaire relatif aux questions de fait devant les Cours fédérales a généralement suivi progressivement l’évolution de la règle d’absence de preuve en common law47, à une norme de conclusion de fait « manifestement déraisonnable »48 et, par la suite, à une conclusion de fait « déraisonnable »49. 3. Même avant l’entrée en vigueur des modifications apportées en 1990 à la Loi, la Cour suprême du Canada, dans des arrêts comme National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations)50 et Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes)51, appliquait en réalité l’analyse de la norme de contrôle et les principes de retenue au contrôle des décisions des tribunaux administratifs fédéraux, que ce soit en vertu de l’article 28 ou dans le cadre d’un appel sur des questions de droit et de compétence en vertu de la loi constitutive du tribunal. La norme de la décision correcte ne s’appliquait pas universellement au contrôle des questions de droit. Malgré la formulation de l’alinéa 28(1)b) et de l’absence apparente de pertinence des clauses privatives (« nonobstant les dispositions de toute autre loi »), les tribunaux administratifs avaient droit, par renvoi aux principes généraux de la common law canadienne, à la déférence sur des questions de droit lorsqu’ils se prononçaient sur une question relevant de leur expertise. Suivant la suppression de l’expression « nonobstant les dispositions de toute autre loi » dans les modifications de 1990, cette application des principes de la norme de contrôle en common law a acquis du momentum. D’ailleurs, cette application est maintenant fermement enchâssée suivant l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa52, décision dans laquelle la Cour suprême s’est penchée expressément sur cette question pour la première fois et a rejeté l’argument selon lequel, suivant une lecture équitable de la 45 See section 18.1(1), and applicable to the Federal Court of Appeal by virtue of section 28(2). 46 Starting with Friends of the Island Inc. v. Canada (Minister of Public Works), [1993] 2 F.C. 229 (T.D.), and including later judgments such as Sierra Club of Canada v. Canada (Minister of Finance), [1999] 2 F.C. 211 (T.D.) and Harris v. Canada (Minister of National Revenue), [2000] 4 F.C. 37 (C.A.). 47 Though note the judgment of Evans J.A. in Stelco Inc. v. British Steel Canada Inc., [2000] 3 F.C. 282 (C.A.), at para. 14, reiterating the need to pay attention to the actual test for factual review in the Act. Earlier, Reed J., in Singh v. Canada (Minister of Employment & Immigration) (1993), 69 F.T.R. 141, at paras. 8-9, had made the same point and described the section as expanding the scope for review of questions of fact to embrace unreasonable findings of fact, the standard that in fact the common law now most frequently requires in the wake of Dunsmuir. See also the judgment of Cullen J. in Hristova v. Canada (Minister of Employment & Immigration) (1994), 75 F.T.R. 18, at para. 22, where he characterizes the Act as permitting review for both “no evidence” (as an error of law) and an unreasonable finding of fact, citing Reed J. in Singh. 48 See e.g. Feradov v. Canada (Minister of Citizenship & Immigration), 2007 FC 101, and see also National Corn Growers Assn. v. Canada (Import Tribunal), [1990] 2 S.C.R. 1324, at paras. 87-101 49 See e.g. Precectaj v. Canada (Minister of Citizenship & Immigration), 2010 FC 485, at paras. 29-34. 50 Supra, note 48. 51 [1989] 1 S.C.R. 1722. 52 2009 SCC 12, [2009] 1 S.C.R. 339. 10 version actuelle de la Loi sur les Cours fédérales, on ne pouvait tempérer les motifs du contrôle par une analyse de la norme de contrôle ni leur superposer cette analyse. 4. On a aussi l’impression dans d’autres contextes que le libellé des dispositions de contrôle de la Loi sur les Cours fédérales et des clauses privatives applicables a cessé d’avoir de l’importance et que la common law est tout ce qui compte. Ainsi, dans la décision très récemment rendue dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada53, la Cour d’appel fédérale a appliqué l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick54 afin de rejeter l’argument selon lequel la question en litige était une question de compétence55 pour ensuite appliquer l’analyse de la raisonnabilité à la décision rendue par le tribunal sur cette question56. Sur le plan strict de la common law, c’était manifestement approprié. Toutefois, puisque la clause privative écartait le contrôle pour cause d’erreur de droit et d’erreur de fait mais le conservait pour l’erreur quant à la compétence, à la lumière des motifs de contrôle énoncés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales57, on peut se demander sérieusement si la Cour aurait dû aller plus loin après avoir établi que la question en litige ne portait pas véritablement sur la compétence. Ou faut-il interpréter l’arrêt comme énonçant qu’une décision déraisonnable selon le critère de l’arrêt Dunsmuir sera considérée comme une question de compétence à ces fins? Cette question devra être réglée ultérieurement. Toutefois, ce qui est révélateur, c’est que le texte du jugement ne fait pas référence au libellé du paragraphe 18.1(4) ni à celui de la clause privative, mais se contente d’indiquer la présence d’une clause privative comme indicateur de déférence ou de contrôle de la raisonnabilité58. 5. En 1991, la version modifiée de la Loi sur les Cours fédérales a ajouté deux motifs de contrôle à ce qui constitue maintenant le paragraphe 18.1(4) : e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages; f) a agi de toute autre façon contraire à la loi. À ma connaissance, on n’a jamais obtenu gain de cause en invoquant ces dispositions dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Je veux bien me faire comprendre; je ne soulève pas ces questions pour critiquer la Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale (ni d’ailleurs la Cour suprême du Canada). Il est difficile de répondre à la question controversée de savoir jusqu’à quel point les régimes de contrôle judiciaire prévus par la loi doivent être liées aux règles de common law en évolution constante sur le contrôle judiciaire. De plus, il faut imputer la responsabilité d’une bonne partie des points que je viens d’exposer à la Cour suprême du Canada et, dans le cas du dernier point, il peut simplement refléter la rareté des cas prévus à l’alinéa 18.1(4)e) et le manque d’imagination de la profession juridique dans le cas de l’alinéa 18.1(4)f). De toute manière, le seul but pour lequel je fournis ces exemples est simplement de démontrer qu’au niveau des principes fondamentaux du contrôle judiciaire de l’action administrative, les dispositions de la Loi sur les Cours fédérales à l’égard du contrôle judiciaire et des motifs de son obtention n’ont pas mené à l’élaboration d’un régime de contrôle judiciaire propre aux Cours fédérales. Dans les deux Cours, le contrôle est ancré très fermement dans le contexte canadien de la common law 53 54 55 56 57 58 2011 FCA 257. 2008 SCC 9, [2008] 1 S.C.R. 190. Supra, note 53, at paras. 27-34. Id., at paras. 36-37. Public Service Labour Relations Act, S.C. 2003, c. 22, s. 51(1). Supra, note 53, at para. 35. 11 applicable dans les cours supérieures provinciales et territoriales, peut-être à l’exception de la Colombie-Britannique59. La vision de M. Turner ne s’est pas concrétisée. V. S’il n’existe pas de droit fédéral du contrôle judiciaire, pourquoi avoir une Cour fédérale exerçant une compétence en contrôle judiciaire dans les domaines de compétence fédérale? Si on présume que mon analyse est exacte et qu’on s’attendait à ce que la Cour fédérale élabore des principes de contrôle judiciaire proprement fédéraux, il n’est pas du tout établi que cela constitue un objectif souhaitable. En quoi la prise de décisions en vertu d’une loi ou d’une prérogative fédérale nécessite-t-elle un régime de contrôle judiciaire différent des principes de common law qui se sont révélés fort aptes à évoluer pour s’adapter aux dimensions changeantes de l’État administratif? Plutôt que de répondre à cette question difficile, laissez-moi plutôt traiter de la réalité et de la grande question de savoir s’il est nécessaire d’avoir une Cour fédérale exerçant une compétence en contrôle judiciaire dans les domaines des compétence fédérale qui est entièrement ancrée dans la common law et ne s’écarte pas, à quelques exceptions mineures près, de la compétence en contrôle judiciaire des cours supérieures provinciales, lesquelles ont jusqu’en 1971 exercé (quoique très rarement) la compétence en contrôle judiciaire relative aux domaines de compétence fédérale. Il existe en fait plusieurs avantages à un tel régime et certaines de ces considérations figuraient au cœur du raisonnement des personnes responsables de la version originale de la Loi sur la Cour fédérale60. Avant l’avènement d’une Cour fédérale dotée d’une compétence en contrôle judiciaire, il incombait, comme il a déjà été mentionné, aux cours supérieures provinciales et territoriales de contrôler les autorités constituées en vertu des lois fédérales. À la suite du jugement rendu en 1969 par la Cour suprême du Canada dans Three Rivers Boatman Ltd. c. Canada (Commission des relations de travail)61, qui a confirmé la compétence des cours supérieures provinciales sur les autorités constituées en vertu des lois fédérales, la compétence territoriale applicable à une demande de contrôle judiciaire dépendait présumément de la province ou du territoire qui était le plus étroitement lié à la décision contestée. Cela signifiait que les affaires où une cour supérieure devait examiner les processus administratifs fédéraux étaient réparties partout au pays et, dans de nombreux cas, étaient sporadiques ou inhabituelles. Par conséquent, il était improbable que les cours supérieures provinciales aient souvent l’occasion de se familiariser avec les processus administratifs fédéraux qui guidaient les demandes d’examen. Il y avait beaucoup plus de chances d’atteindre ce degré de familiarité en conférant une compétence virtuellement exclusive en ces matières à une cour fédérale. Cette justification d’une cour fédérale ressort aussi d’un facteur mentionné précédemment, soit les caractéristiques distinctives du processus administratif fédéral. Le régime réglementaire complexe applicable à l’immigration n’a aucun parallèle provincial. Il en est de même des régimes législatifs relatifs aux brevets, aux marques de commerce et aux droits d’auteur, ainsi que des divers organismes constitués en vertu de cette législation. Certains des importants organismes de réglementation économique fédéraux ont des homologues provinciaux, particulièrement dans le domaine de l’énergie, tandis que d’autres n’en ont pas (p. ex., le Tribunal de la concurrence, le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés et le CRTC) et la concentration et la nature de ces organismes dans le domaine fédéral procurent un contraste frappant avec la situation dans les provinces. 59 As a consequence of legislative provisions respecting the conduct of judicial review for decision-makers subject to the Administrative Tribunals Act, S.B.C 2004, c. 45. See sections 58-59. 60 See e.g. the statement of then Minister of Justice John Turner moving second reading of Bill C-38 in the House: Hansard, March 25, 1970, 5470-71. 61 [1969] S.C.R. 607. 12 Même si on concède que les demandes de contrôle judiciaire sont rares, l’existence d’une cour fédérale procure une assurance beaucoup plus grande d’une exposition fréquente à ces processus administratifs fédéraux uniques ou distinctifs que cela aurait été le cas si les cours supérieures provinciales avaient conservé cette compétence. De plus, souligner le défaut par la Cour fédérale d’élaborer une jurisprudence propre en contrôle judiciaire ne règle pas le problème. Un contrôle judiciaire efficace et approprié, y compris sur la question fondamentale de savoir quand la déférence ou la retenue est indiquée, dépend au moins autant de la compréhension de la nature du processus administratif visé par le contrôle que de la connaissance des principes de la common law sur le contrôle judiciaire de l’action administrative. Une exposition plus fréquente offre une meilleure garantie d’un bon mélange de la connaissance du processus et des principes de contrôle judiciaire. Il est aussi manifeste que les Cours fédérales sont exposées beaucoup plus souvent et beaucoup plus régulièrement aux principes du contrôle judiciaire et à leur application à des régimes distincts que les cours supérieures provinciales, où les juges sont généralement des généralistes qui ne sont pas spécialisés dans des domaines précis du droit. D’ailleurs, c’est jusqu’à un certain point vrai même dans le cas de l’Ontario, avec sa Cour divisionnaire spécialisée en contrôle judiciaire. Les juges de la Cour supérieure sont affectés de façon temporaire à la Cour divisionnaire, ce qui diminue les avantages qui découlent de la constance. Par opposition, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale constituent des tribunaux essentiellement de droit public et leurs juges sont des experts en droit public. Donner compétence exclusive aux Cours fédérales sur le contrôle judiciaire de l’action administrative fédérale offre une probabilité beaucoup plus grande d’uniformité dans l’application des principes du contrôle judiciaire à des régimes particuliers que dans le cas d’un régime où le contrôle est effectué par dix cours supérieures provinciales et trois cours supérieures territoriales. C’est particulièrement vrai des compétences à volume élevé comme l’immigration. C’est d’ailleurs d’autant plus important dans le contexte de l’immigration puisqu’il n’existe pas de droit d’appel automatique auprès de la Cour d’appel fédérale quant aux décisions de la Cour fédérale relatives à certaines questions. Enfin, d’une façon qui était peut-être difficile à prévoir en 1970, il est manifeste que l’existence d’une Cour fédérale ayant une compétence virtuellement exclusive sur le contrôle judiciaire des organismes fédéraux est plus que justifiée sur le plan du volume. Avec ce volume et la qualité des nominations à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale, ces cours ont joué un rôle de chef de file en tant qu’organismes de contrôle judiciaire les plus importants au pays après la Cour suprême. De plus, ce rôle de chef de file a mené à d’importantes contributions à l’évolution des règles de la common law canadienne sur le contrôle judiciaire de l’action administrative, contributions qui auraient peut-être été marginalisées si on avait estimé que le droit du contrôle judiciaire des organismes fédéraux constituait un domaine distinct et que les juges de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale suivaient une approche distincte. Au risque d’être critiqué pour ma partialité dans mes sélections, laissez-moi vous donner quelques exemples des aspects du droit du contrôle judiciaire où la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont joué ce rôle de chef de file : le contrôle judiciaire de la prise de décisions en vertu d’une prérogative et ses limites62; le contrôle judiciaire de la prise de décisions de politique et de la prise de décisions par le 62 In particular, the Federal Court played a highly significant role in the development of the law respecting review of exercises of prerogative powers arising out of the Omar Khadr affair. See Khadr v. Canada (Prime Minister), 2009 FC 405, [2010] 1 F.C.R. 34, aff'd 2009 FCA 246, [2010] 1 F.C.R. 73, rev'd in part 2010 SCC 3, [2010] 1 S.C.R. 44, as well as the follow up: 2010 FC 715, [2010] 4 F.C.R. 36, rev'd 2010 FCA 199. See also Smith v. Canada (Attorney General), 2009 FC 228, [2010] 1 F.C.R. 3; and Abdelrazik v. Canada (Minister of Foreign Affairs, 2009 FC 580; [2010] 1 F.C.R. 267. 13 Cabinet63; la qualification juridique des politiques et des lignes directrices64; la possibilité du contrôle judiciaire de l’exercice des pouvoirs contractuels65; la mesure dans laquelle le contrôle atteint l’exercice d’un pouvoir public par des organismes privés66; la teneur de l’obligation de consulter les peuples autochtones67; les principes relatifs à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de réparation68; les exigences de l’obligation de donner des motifs et le lien entre les motifs et la norme de la raisonnabilité69; et, de façon plus générale, l’application des principes de contrôle énoncée dans les arrêts Dunsmuir, Khosa et maintenant Smith c. Alliance Pipeline Ltd.70, avec un accent particulier sur l’impératif du contrôle de la raisonnabilité dans pratiquement tous les cas où un décideur interprète sa loi habilitante ou constitutive71. Ce sont toutes des questions d’avant-garde au début du XXIe siècle en droit du contrôle judiciaire canadien. Naturellement, les juges de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale ne s’entendent pas sur tous les détails du droit du contrôle judiciaire, et il ne serait pas souhaitable que tel soit le cas. Les divergences d’opinions sont à la fois inévitables et souhaitables. Néanmoins, est ressorti du choc des idées et des débats sains une jurisprudence qui offre des solutions ou des directives concernant plusieurs problèmes nouveaux et émergents. À mon avis, cela confirme l’importance de la Cour et garantit son avenir en tant qu’institution essentielle dans l’évolution continue du droit canadien du contrôle judiciaire. David J. Mullan, Professeur émérite Faculté de droit Université Queen’s 9 octobre 2011 63 Also exemplified by the authorities cited in the previous footnote, as well as Public Mobile Inc. v. Canada (Attorney General), 2011 FCA 194 64 Thamotharem v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2007 FCA 198, [2008] 1 F.C.R. 385. 65 See e.g. Irving Shipbuilding, supra, note 31, and much earlier Assaly (Thomas C.) Corp. v. Canada (1990), 44 Admin. L.R. 89 (F.C.,T.D.); and Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. v. Canada (Minister of Public Works and Government Services), [1995] 2 F.C. 694 (C.A.). 66 See e.g. Onuschak, supra, note 9: and DRL Vacations Ltd., supra, note 30. 67 See e.g. Dene Tha' First Nation v. Canada (Minister of Environment), 2006 FCC 1354, 303 F.T.R. 106; Brokenhead Ojibway First Nation v. Canada (Attorney General), 2009 FC 484, 345 F.T.R. 119; and Standing Buffalo Dakota First Nation v. Enbridge Pipelines Inc., 2009 FCA 308, [2010] F.C.R. 500. 68 See e.g. Air Canada v. Lorenz, [2000] 1 F.C. 494; and C.B. Powell Ltd. v. Canada (Border Services Agency), 2010 FCA 61, [2011] 2 F.C.R. 332. 69 See e.g. VIA Rail Canada Inc. v. National Transportation Agency, [2001] 2 F.C. 25 (C.A.) and Vancouver International Airport Authority v. Public Service Alliance of Canada, 2010 FCA 158. 70 2011 SCC 7, [2011] 1 S.C.R. 160. 71 See e.g. Canada (Attorney General) v. Public Service Alliance of Canada, supra, note 53; Public Mobile Inc. v. Canada (Attorney General), supra, note 63; and Celgene Corp. v. Canada (Attorney General), 2009 FCA 378, [2011] 1 F.C.R. 78.