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Le venture capitalism terreau français des biotechnologies 19.12.14
© D.R.
L’accompagnement long des entreprises de biotechnologies en fait une classe d’actifs à part.
Les VCs capables de dénicher et de magnifier ces start-up peuvent en tirer des rendements
très attractifs, outre l’amélioration des conditions de la vie humaine.
S’il y a bien un secteur que nous envie le monde entier c’est celui de notre recherche
académique. « Génomique, thérapie génique, immunothérapie, thérapie cellulaire, vision, etc.
sont autant de secteurs où nous disposons d’une longueur d’avance sur la concurrence
mondiale. A titre de comparaison, les biotechs françaises se retrouvent dans les meilleures
européennes, au coude-à-coude avec les britanniques », estime Laurent Arthaud, directeur du
pôle Investissement Sciences de la vie et Ecotechnologies de Bpifrance. A l’image de
Gentycell, biotech spécialisée dans le développement de vaccins thérapeutique, qui a
récemment remporté le premier prix Biotech d’Avenir 2014 du Deloitte Technology Fast 50.
Selon le rapport publié en novembre de France Biotech, l’association des entrepreneurs des
sciences de la vie, 55 nouvelles biotechs ont été créées en 2013. En tout, ce sont plus de 2200
sociétés employant plus de 4600 personnes qui recherchent les molécules, les médicaments et
les technologies de demain.
UN BESOIN CONSTANT DE FINANCEMENT. Qu’elles soient des spin-off de grands
groupes pharmaceutiques ou qu’elles soient issues de la recherche académique, toutes ces
start-up ont un besoin constant de financement pour se développer. Entreprises pour le moins
atypiques, elles ne réalisent en effet pas de chiffre d’affaires avant une dizaine voir une
quinzaine d’années d’existence, les périodes de recherches et de tests s’effectuant sur un
temps long. De plus, leur actif souvent intangible est difficilement valorisable. Pourtant, les
marchés concernés sont colossaux. Selon l’OMS, sur l’ensemble de la population mondiale,
un individu dépense en moyenne 1027 dollars par an pour se soigner. Une manne encore
largement captée par les big pharma. Néanmoins, les entreprises présentes dans les grosses
biotechs établies de l’industrie (Etats-Unis, Europe, Canada et Australie) ont réalisé un
chiffres d’affaires cumulé de 98,8 millards de dollars, soit une augmentation de 10% par
rapport à 2012, selon l’étude EY Beyond Borders : Unlocking Value, parue en juin 2014.
Toutefois, avant de dégager du chiffre d’affaires, il faut développer l’innovation. Pour
financier leurs idées, les créateurs disposent de subventions, du CICE ou du fonds unique
interministériel. Mais cette manne s’essouffle vite. C’est pour prendre le relais qu’une dizaine
de fonds en France se sont spécialisés dans l’accompagnement de biotechs (voir tableau). En
2013, le capital risque a fourni 252 millions d’euros aux start-up et 112 millions au premier
semestre 2014, selon l’association France Biotech. Cette année, les plus gros investissements
sont à mettre à l’actif d’une medtech et de deux biotechs : Voluntis, l’expert de la e-santé, a
levé 20,75 millions d’euros auprès de Bpifrance, dont 10 milions avec son fonds large
venture, accompagné de SISA, le dernier fonds d’Innovation Capital, du fonds
luxembourgeois Vaselios Biocapital et de l’américain Qualcomm Ventures. Ils ont rejoint les
actionnaires historiques CapDecisif Management, CM-CIC Capital Innovation et Sham.
Ensuite, Inotrem, société biopharmaceutique française, a recueilli 18 millions d’euros auprès
d’Edmond de Rothschild Investment Partners et Sofinnova Partners, accompagnés par le
fonds suisse BioMed Invest et le fonds d’amorçage Inserm Transfert Initiative. Enfin,
Lysogène, spécialisée dans la thérapie génique ciblant les maladies neurologiques orphelines,
a levé 16,5 millions d’euros lors d’un tour de table série A auprès de Sofinnova Partners,
Bpifrance et Novo Seeds
DES LEVEES POUR LES BIOTECHS. Ces deals naissent des récentes levées de
capitaux. Ainsi, Auriga Partners a levé plus de 40 millions d’euros fin 2013 pour son fonds
Bioseed IV, destiné à soutenir la création d’entreprises issues de la recherche académique
dans les domaines de l’infectiologie et la microbiologie en France. Ce véhicule, d’une durée
de vie de douze ans, s’appuie sur des partenaires institutionnels et industriels. Sofinnova n’est
pas en reste avec Sofinnova Capital VII, qui a réuni 262,5 millions d’euros début 2013. De
son côté, Bpifrance a permis la création en mai 013 du fonds Bioam. Doté de 50 millions
d’euros, ce fonds intervient en capital amorçage dans des entreprises du domaine des
thérapies innovantes ciblant les maladies rares. EdRIP a quant à lui levé en fin d’année
dernière 192 millions d’euros pour les biotechs. Enfin, le fonds InnoBio a également été
rallongé de 34 millions d’euros par Bpifrance en 2014. Cependant, il ne sont plus les seuls.
Les laboratoires n’hésitent pas, eux aussi, à se lancer dans le venture. Mérieux
Développement a ainsi closé un fonds à 150 millions d’euros pour le développement des
biotechs.
C’est peu dire qu’il faut de l’argent en grande quantité pour financer les recherches. « Dans le
secteur de la santé, il faut prévoir une réserve conséquente afin de pouvoir réinvestir dans
l’entreprise. Généralement, nous dépensons quatre fois la somme apportée lors du premier
tour », explique Jacques Chatain, cofondateur d’Auriga Partners. En effet, les start-up n’étant
rentables, le financement des essais cliniques se fera par adjonction supplémentaire de capital.
Il faudra en moyenne compter 3 à 4 millions d’euros pour la phase I, entre 5 et 20 millions la
phase II, enfin plus de 100 millions pour la phase III. Le cas de SuperSonic Imagine est
typique : un premier financement de 10 millions d’euros auprès d’Omnes Capital, d’Auriga
(environ 3 millions chacun) ainsi que du britannique BI Venture (2,5 millions) et de BioAm
(1,5 million) a eu lieu en 2006. Puis, au fils des tours, chacun a réinvesti. Finalement,
l’entreprise a levé plus de 150 millions d’euros en huit ans pour son développement.
LE BOOM DES IPO. « InnoBio travaille en équipe avec les fonds de la Place, tels EdRIP et
Sofinnova, le cofinancement nous permet de monter au-delà de 15 millions d’euros par tour »,
explique Laurent Arthaud, de Bpifrance. Mais même en constituant des pools d’investisseurs,
les fonds français arrivent vite en butée pour financer les phases les plus avancées de
développement. C’est donc vers les marchés boursiers que les entreprises parvenues à une
maturité suffisante se tournent. Cette année a été particulièrement faste pour nos entreprises :
16 biotechs détenues par des fonds ont été cotées, 14 sur la Place parisienne et 2 au Nasdaq.
Parmi les plus importantes figure DBV Technologies, qui a levé 90 millions d’euros sur le
Nasdaq. L’entreprise, qui développe des patchs anti-allergies, était avant son IPO détenue par
InnoBio (12%), Apax Partners (8%), Sofinnova Partners (26%), Lundbeckfond Ventures
(6%), ALK-Abello (6%), Alto Invest (2%), CapDecisif (2%) et Shire (4%). L’autre belle
levée est à porter au crédit de SuperSonic Imagine (diagnostics via des ultrasons). La
participation du Kuwait Life Sciences Company, d’EdRIP, d’Auriga Partners, d’Omnes
Capital, d’InnoBio, etc. a levé 50 millions d’euros en se cotant sur Euronext en début d’année.
L’amélioration des conditions de marché crée une nouvelle vague qui porte aujourd’hui plus
de 50 biotechs françaises cotées en Bourse.
En 2014, la possibilité de cotation accrue offre de nouvelles perspectives, pour les VCs et
pour les entreprises elles-mêmes. La Bouse a en effet permis aux biotechs, notamment
américaines, d’atteindre une tailles suffisante pour qu’elles puissent à leur tour acquérir de
plus petites entités. Récemment, Idinvest Partners et Kurma Partners ont vendu pour 840
millions de dollars Prosensa, une entreprise hollandaise spécialisée dans la découverte et le
développement de thérapies contre la myopathie de Duchenne, à BioMarin Parmaceutical.
Lancée en 1997, l’entreprise de biotechnologie américaine produit notamment des molécules
pour traiter le syndrome de Morquio. La biotech, qui emploie 1 300 personnes et réalise 548
millions de chiffre d’affaires, avait levé – deux ans après création – 67,3 millions de dollars
lors de son IPO. Même si ce n’est pas encore le cas pour les récentes IPO, les Bourses
donnent aussi aux « venture capitalists » des possibilités supplémentaires de sorties, en plus
des traditionnelles M&A. Enfin, la visibilité des biotechs est meilleure. « Il manque encore
une éducation et une information des investisseurs provenant des analystes des banques. Mais
c’est une bonne voie à l’image de Goldman Sachs, qui commence à publier des analyses
sur les biotechnologies », comment Rafaèle Tordjman, partenaire associée de Sofinnova. Les
cotations permettent enfin de faire revenir les investisseurs américains dans des entreprises
françaises. Ainsi Innovate Pharma, détenue par Sofinnova Partners, Alta Partners, GIMV et
Ardian, a vu entrer à capital QVT Financial LP, le fonds Redmile Group, ou encore OrbiMed
lors de son IPO sur Euronext en novembre 2013.
UN MANQUE DE LARGE VENTURE. Néanmoins, cette vague d’introductions en Bourse
est le signe d’une arrivée à maturité d’entreprises écloses il y a maintenant une quinzaine
d’années. Ces pépites ont alors profité de la peine puissance des VCs de l’avant-crise.
Aujourd’hui, la donne a changé. « En ce qui concerne l’amorçage et les IPO, toutes les
conditions sont réunies pour le développement des sociétés. Seulement, il est une lacune
fondamentale à combler : flécher l’épargne des Français issue des banques et assurances vers
les fonds d’investissement », insiste Pierre Olivier Goineau, président de l’association France
Biotech. Mais cette prépondérance du marché public s’explique aussi par l’absence de large
venture en France. « Aujourd’hui, il faut faire émerger des fonds capables d’investir de gros
tickets dans les levées, pour venir épauler la BPI », a exhorté Michel Sapin, ministre des
Finances, venu conclure la Matinée du Capital Développement du 25 novembre organisée par
l’AFIC. Via son fonds venture, seule la BPI peut actuellement financer des tickets de 10
millions d’euros au minimum. Et sur 16 investissements réalisés, la moitié a été effectuée
auprès des biotechs. Pourtant, même si l’investissement dans les biotechnologies est risqué, il
donne lieu à de belles performances. « Aujourd’hui, nous avons investi 100 millions d’euros
avec notre dernier véhicule et, historiquement, les performances sont bonnes. Sur 10
investissements, les opérations sont pour un tiers soldées avec des multiples de 5 à 10, pour
un autre tiers avec un multiple de 3 le dernier tiers étant des échecs », résume Rafaèle
Tordjmann, de Sofinnova. A titre d’exemple, la récente sortie de Prosensa par Idinvest et
Kurma a permis au fonds de réaliser un multiple de 7,6.
Baptiste Pourquery de Boisserin
Entretien
© D.R.
Miguel Sieler
Des fonds à la bourse, le parcours de Neovacs
Neovacs est une biotech au parcours typique. Spin-off de l’université Pierre et Marie Curie
(Paris), l’entreprise recherche et développe des vaccins thérapeutiques pour le traitement des
maladies auto-immunes et inflammatoires chroniques comme la polyarthrite rhumatoïde, la
maladie de Crohn et le lupus. Depuis sa création en 1993 par le Pr Daniel Zagury, elle a été
soutenue par des fonds d’investissement avant d’être cotée à Paris en 2010. Elle est, depuis
2013, dirigée par Miguel Sieler, ancien président du groupe Bayer France. Entretien.
Avant d’entrer en Bourse en 2010, vous étiez soutenu notamment par Truffle Capital (21
%). Que vous ont apporté les fonds d’investissement ?
Des capitaux ! Leur aide est fondamentale. Neovacs, comme nombre de biotechs, a été créée
par des inventeurs, des scientifiques. Mais si, en recherche, leurs compétences sont
indéniables, cela ne va pas forcément de pair avec les capacités managériales. Les fonds
d’investissement aident vraiment à structurer la société. De plus, leurs équipes sont souvent
composées de spécialistes, comme Philippe Pouletty, qui challengent les idées. Enfin, avec
leur soutien, ils apportent une visibilité et une stabilité fondamentale pour faire fructifier la
trouvaille de l’inventeur.
Pourquoi avoir pris la décision de la cotation ? Quels ont été les apports pour l’entreprise ?
C’était un stade logique dans la vie de l’entreprise, qui avait une histoire à raconter. La fenêtre
boursière s’est ouverte et nous avons pu engranger 10 M€. C’était un pari risqué puisque
l’entreprise a dû prolonger la période de souscription. Toutefois, l’accélération d’afflux de
capitaux était nécessaire au développement de nos produits. Neovacs n’emploie que 20
personnes mais a, depuis sa création, dépensé environ 50 M€ pour son développement et les
phases de test. Enfin, la cotation nous a donné une meilleure visibilité auprès d’investisseurs
potentiels, et a accru la structuration et la maturité de l’entreprise.
Vous avez obtenu un nouveau financement auprès de Kepler Chevreux. Pourquoi ne pas
avoir fait d’augmentation de capital par voie boursière ?
Cette solution s’avère la moins dilutive pour le capital. Kepler Cheuvreux s’est engagé à
souscrire au cours des douze prochains mois un nombre d’actions Neovacs permettant
d’assurer un financement en fonds propres d’un montant égal à 7 M€. Ils serviront à financer
la poursuite du développement des vaccins thérapeutiques de Neovacs, notamment une étude
de phase IIb de l’IFN-Kinoïde dans le lupus et des projets précliniques. Ce financement nous
apporte une souplesse supplémentaire puisque, en cas de besoins additionnels, nous pouvons
faire appel à deux nouvelles lignes d’un montant de 6,5 M€ chacune.