le Discret "Baron des Olivettes"

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le Discret "Baron des Olivettes"
le Discret "Baron des Olivettes"
(André Coutaud, "Montaigu traversé par la Résistance",
in Recherches vendéennes, n°11, 2004, pages 284 à 291)
"Sauver la France !" Voilà l'idée, surtout la volonté, qui anime les premiers résistants de
France et d'ailleurs... C'est en effet un inconnu venu de Belgique, qui va participer à
Montaigu, à l'organisation de la résistance vendéenne : Raymond Deflin. Ce personnage
discret, réfugié très peu de temps dans notre ville, a déjà compris que la France ne sera sauvée
que par les armes, et que cette aide ne peut venir que par les airs. Celui que l'on a appelé le
baron des Olivettes mérite, à un double titre, que son nom reste attaché à l'histoire de
Montaigu. D'abord parce qu'il a été l'un des premiers organisateurs de parachutages en
Vendée, ensuite parce qu'il a guidé les premiers pas de Raymond Parpaillon sur la voie de la
résistance active.
Originaire de Saint-Dié, l'une des capitales vosgiennes du textile, Raymond Deflin1 est
d'abord destiné à reprendre la filature familiale, mais il en est empêché par la disparition
prématurée de son père. Après une formation très classique et des études de droit, il préfère
embrasser la carrière diplomatique. Survient alors la guerre, et il est mobilisé à 30 ans au 170 e
Régiment d'infanterie d'Épinal, comme sous-officier mitrailleur. Fait prisonnier à Verdun en
1916, il réussit, à sa quatrième tentative, une évasion par la Hollande, en février 1918.
L'origine alsacienne de sa mère l'a sans doute entretenu dans ses idées de résistance à
l'occupant, et lui a aussi permis de maîtriser parfaitement la langue allemande. Après la
guerre, il est diplomate dans plusieurs villes européennes, puis au Costa Rica et à Dantzig, et
épouse une Brestoise, dont il aura trois enfants. Il est ensuite nommé consul de France à
Charleroi, en Belgique, où il a pour ami un certain Jean Osdoit 2, né à Sens, tailleur d'habit et
président de la Chambre de commerce française à Charleroi. Lorsque Colette Vial-Deflin
décède en février 1935, à 38 ans, c'est la famille Osdoit qui aide Raymond Deflin à s'occuper
de ses enfants encore très jeunes, jusqu'à son remariage avec une jeune femme de Charleroi.
Le 10 mai 1940, c'est l'offensive générale des armées allemandes contre la Hollande, puis
le Luxembourg. Dans les jours qui suivent, Raymond Deflin n'a aucune information officielle
sur l'avancée des troupes allemandes, mais il redoute le pire pour la Belgique. Le 12 mai, au
consulat, il rédige, à l'adresse des douanes, une autorisation d'entrée en France pour M me
Osdoit et ses enfants3. Mais, lorsqu'il apprend que les troupes allemandes sont à 20 km de
Charleroi, M. Deflin décide de mettre lui aussi sa famille en sécurité au-delà de la frontière.
Après avoir brûlé les archives du consulat, il rejoint Paris avec les siens au milieu des
1
Recherches auprès du ministère des Affaires Étrangères. Témoignages recueillis auprès de M me
Deflin, vivant à Nice, de Michèle Deflin, épouse Rénaux, Evelyne, veuve de José Deflin, et de
Marie-France Deflin, née du second mariage, épouse Etienne. Témoignage et documents de Jean
Osdoit (fils).
2
Jean Osdoit est aussi officier de l'armée française, ancien de 14-18, et s'occupe aussi de la
préparation militaire française à Charleroi.
3
Le capitaine Osdoit commande alors une batterie d'artillerie lourde en France. Il sera fait prisonnier
en juin dans les Vosges. Mme Osdoit et ses enfants vont se réfugier à Montaigu.
colonnes de réfugiés, remet sa démission au ministère des Affaires étrangères, et prend la
direction de la Normandie. Les Deflin font une halte à Saint-James, face au Mont SaintMichel, persuadés que les Allemands seront stoppés rapidement. Hélas, l'avancée allemande
se confirme4. Toute la famille reprend alors la route sur le sud, vers Nantes. Sur les conseils
d'un ami, directeur de l'usine de produits chimiques de Paimbœuf, M. Deflin s'installe à SaintBrévin-les-Pins, où il manque d'ailleurs l'opportunité d'un départ pour l'Angleterre, à cause
d'une grave rougeole contractée par l'une de ses filles.
Peu après, l'armistice est annoncé. Ulcéré par la défaite, Raymond Deflin refuse de
reconnaître le gouvernement de Vichy et, bien que les troupes d'occupation envahissent SaintBrévin, où de nombreuses villas inoccupées sont réquisitionnées, il décide de ne plus bouger,
pendant près de deux ans. Jusqu'en mars 1942. "Nous étions aux premières loges, raconte
Michèle Deflin, lors du raid de la flotte et de l'aviation anglaises sur Saint-Nazaire qui dura
toute une nuit et la journée du lendemain. Juchés sur le toit, une planche sur la tête, mon
père, mon frère et moi, avons assisté au feu d'artifice alors qu'une batterie de D.C.A. faisait la
navette devant la maison. Mon père croyait que c'était le débarquement. Il exultait." "La
nation, écrasée, trahie, souffletée, déclare alors le général de Gaulle à la B.B.C., se
rassemble dans la volonté de vaincre, comme s'unissent ses combattants des champs de
bataille, ses combattants de Saint-Nazaire, ses combattants de groupes d'action intérieurs."
La situation s'aggravant cependant dans l'estuaire de la Loire, M. Deflin décide finalement
de rejoindre ses amis Osdoit de Charleroi, réfugiés à Montaigu 5. Ceux-ci y habitent, place de
la République, une vieille demeure
appelée le Logis. Libéré d'un Offlag en
1941 pour maladie grave, le capitaine
Osdoit est devenu président de la Maison
des prisonniers de la Roche-sur-Yon. Il
accueille avec plaisir son ami Deflin à
Montaigu et lui trouve une petite maison
avec étage situé au carrefour de la
Robinière (photo ci-contre). Le consul
inscrit son fils José, 13 ans, au collège
Richelieu de la Roche-sur-Yon, et ses
deux filles Sylvette et Michèle, 16 et 14
ans, au pensionnat Jeanne d'Arc, tenu par
les religieuses de Chavagnes.
Dans une cité qui a déjà accueilli plus de deux cents réfugiés de Rocroy et Nouzonville,
l'arrivée des Deflin passe pratiquement inaperçue. Seuls quelques Montacutains ont remarqué
leur présence. Tout d'abord les fermiers Gauthier de la Robinière, le grainetier Gustave
Hervouet, l'épicière de la rue Clemenceau Marie Mauvilain, chez qui M me Deflin va faire ses
courses, et les Favreau de la rue Noire. Enfin Louis Beauvois, qui se souvient avoir joué au
bridge avec M. Deflin, Simone Piveteau et Abel David, qui ont fréquenté les filles Deflin à la
"piscine" de l'Égault. Abel Mauvilain garde aussi un souvenir respectueux de celui à qui il
4
Tandis que la Luftwaffe pilonne la poche de Dunkerque, les Alliés commencent l'évacuation de
Dunkerque, les Allemands exigent de Léopold III une reddition sans conditions. Le
gouvernement belge, réfugié à Vichy, souhaite poursuivre la lutte, mais le roi Léopold III donne
l'ordre à ses troupes de déposer les armes le 28 mai.
5
Arrivés à Montaigu en 1940, les Osdoit ont déjà rendu visite aux Deflin à Saint-Brévin, ne serait-ce
que pour leur apporter un peu de ravitaillement. "Mon père, raconte Jean Osdoit, ami de Sylvette
Deflin, était rentré de captivité en juillet 1941, et je suis allé à vélo passer les vacances de 1942 à
Saint-Brévin... où un débarquement anglais venait d'avoir lieu. Les Deflin sont venus ensuite nous
rejoindre aux Olivettes dans le haut de Montaigu..."
procurait parfois des copeaux de bois ou de la sciure pour son chauffage et sa cuisine : "M.
Deflin était l'un de mes bons amis et il venait souvent me voir, se souvient-il. Il parlait bien
l'allemand, cela nous arrangeait pour le courrier, et c'est peut-être ce qui l'a sauvé plus tard.
C'était un sacré bonhomme, un peu plus âgé que moi, la cinquantaine passée, petit et portant
des lunettes. Sur la Résistance, il n'était pas très bavard, mais il me parlait parfois de la
situation : ‘Les années se suivent et on ne bouge pas, cette guerre n'a toujours pas de fin !’.
En fait, il me regonflait un peu le moral. Il était vraiment sympathique et je l'aimais bien".
À peine arrivé à Montaigu, à la fin de l'année 1942, Raymond Deflin décide de sortir de
l'immobilisme. "Déjà à Saint-Brévin, témoigne son épouse, mon mari avait cherché à entrer
dans la Résistance, mais il n'était pas facile de se faire introduire. À Montaigu, il a tout de
suite demandé à M. Osdoit, qui lui a d'abord fortement déconseillé d'entrer dans la
Résistance à cause de ses charges de famille, mais il a insisté." À cette époque, le capitaine
Osdoit a en effet, dans ses fonctions à la Roche-sur-Yon, quelques ennuis avec la police6. "Je
me souviens, raconte son fils Jean, d'un certain Pogu, à la tête des milices de la Roche-surYon, qui est venu me voir à Richelieu pour me dire : II vaudrait mieux que vous partiez en
Allemagne, parce que votre père est recherché... ça permettra de le sauver."
Un autre personnage est à cette époque recherché par la police, Jean-Louis Valentin7, dit
Louva, responsable départemental du mouvement Libération-Nord. Cet agent d'assurances est
un officier expulsé des Ardennes en 1940, réfugié avec sa femme à la Roche-sur-Yon. Avec
Numa Soubeyran, économe à l'hôpital et comme lui médaillé militaire de 1940, et Marcel
Penchaud, employé à l'usine des Eaux, il a formé dans la région une Armée des volontaires
(A.S.). Contraint de se réfugier à Nantes, il recherche un adjoint pour la Vendée. Osdoit étant
indisponible, Valentin s'adresse alors au consul réfugié à Montaigu. C'est ainsi que Raymond
Deflin est nommé le 15 décembre 1942, par le général Lugand 8, responsable militaire adjoint
pour la Vendée chargé, sous les ordres de Louva, de la "constitution et de l'organisation de la
résistance avec P.C. à Montaigu". Finalement, le 2 février 1943, M. Deflin accepte de devenir
responsable départemental de Libération-Nord, avec un objectif précis : la "Constitution dans
chaque localité importante de noyaux de résistants, équipes de S.R. (renseignement), équipes
de réception d'armes parachutées, recherche de terrains propres aux parachutages, à
l'atterrissage et à l'envol d'avions".
Voilà donc la tâche très secrète assignée au tranquille "baron", qui a élu domicile à
proximité de nos remparts. Aux Olivettes, les Deflin sympathisent avec les Gauthier 9 de la
Robinière, chez qui ils prennent leur lait et leur beurre. Noëlle Gauthier, 22 ans à l'époque, se
rappelle qu'elle allait porter des lettres chez ses voisins. "Le courrier était, explique-t-telle
adressé à mes parents. À l'intérieur, il y avait une autre enveloppe à son nom de résistant :
6
L'action du capitaine Osdoit à la Maison des prisonniers de La Roche-sur-Yon, ne semble pas être
appréciée par certains partisans de la collaboration, comme le commandant Duparc, Rosaert, de la
Légion anti-bolchevique, de Lansalut ou encore le préfet Jamet. Une information est d'ailleurs
ouverte contre lui par le conseil de guerre allemand, avec neufs chefs d'accusation. Interrogé déjà
trois fois par la Gestapo, il est activement recherché.
7
Archives du ministère de la Défense, Bureau Résistance, Paris. André Péchereau, les Vendanges de
Miranda, 1983. Michel Chaumet et Jean-Marie Pouplain, la Résistance en Deux-Sèvres, 1994. Un
état du colonel Zarapoff parle de deux mille hommes, formés par Louva, que ce dernier aurait
apporté, au printemps 1943, pour la Vendée, à Libération-Nord. Menacé d'arrestation, Valentin se
réfugie à Nantes, où il garde avec lui Cellier, dit "Jacques", qu'il place sous les ordres de
Doutreligne, alias "Dron", lui-même subordonné à Hervé.
8
Historique de Libération-Nord, rédigé à la Libération par Mme Soubeyran.
9
Eugène Gauthier, 57 ans en 1942, est originaire de la Guyonnière et son épouse Philomène Bonnet de
la Boissière.
Raoul Dumont." Elle se souvient aussi de deux pigeons tombés un jour dans le champ. "Mon
père les a gardés chez nous et a prévenu M. Deflin, qui a dû faire ce qu'il fallait... avec des
renseignements. M. Deflin, ajoute Noëlle, recevait des amis résistants, et il y avait des
réunions chez lui. Ces résistants, qui venaient le soir, la nuit, en voiture, n'étaient
certainement pas des gens de Montaigu. Un matin, quand nous nous sommes levés, nous
avons vu trois voitures dans le champ, des voitures qui n'avaient pas de macaron, pas
d'autorisation de circuler." "De temps en temps, confirme Michèle Deflin, on entendait des
conversations, on voyait des gens qui partaient à la nuit tombante. Vous savez, les enfants ne
sont pas tout à fait naïfs, et nous avions fini par nous rendre compte qu'il se passait des
choses secrètes". Mme Deflin a un souvenir plus précis de ces visites et des activités de son
mari. "Des personnages importants, confie-t-elle, sont venus chez nous à Montaigu
rencontrer mon mari, mais je ne sais pas ce qu'ils se disaient. Mon mari a réorganisé la
Résistance en Vendée, car le réseau était jusqu'alors très décousu. N'obtenant aucun
volontaire pour des reconnaissances, il s'en est chargé lui-même : repérage des lieux pour
des parachutages, surveillance des transports de troupes, etc. Il partait à vélo ou utilisait le
train pour de plus lointains trajets". Les reconnaissances évoquées par Mme Deflin, que l'on
peut situer pendant l'hiver 1942-1943, sont effectivement assez lointaines, puisque des
opérations vont être prévues par exemple à Sainte-Hermine et à Aizenay.
On comprend aussi les difficultés du consul à établir les premières communications dans
une région qui lui est étrangère. Dans ces conditions, seule la radio permet d'éviter des
déplacements à haut risque. Et c'est grâce à Raymond Parpaillon que peuvent s'établir des
contacts efficaces avec Fontenay-le-Comte et la Roche-sur-Yon, voire avec l'instituteur
Armand Giraud à Saint-Hermine. Il n'est apparemment pas le seul à être sollicité par le chef
de Libé-Nord, mais les témoignages sont rares, la discrétion absolue étant la règle d'or, surtout
en 1943, de tous ces acteurs de l'ombre. "Raymond Parpaillon est venu plusieurs fois à la
maison", indique Mme Deflin, qui cite aussi Morillon, et Pabeuf de Luçon. Noëlle Gauthier dit
aussi avoir vu passer Raymond Parpaillon : "J'ai bien compris qu'ils travaillaient
ensemble...". Enfin, Joseph Pineau a toujours pensé que son chef Morillon "était de mèche
avec M. Deflin". "Mon mari, commente Mme Deflin, ne me mettait pas dans la confidence de
ses actions, pour protéger bien évidemment la famille. Il m'a dit cependant un jour : Si je suis
pris... c'est le poteau d'exécution. Mais nous connaissions, ajoute Michèle, le patriotisme de
notre père et le supplice que représentait pour lui l'occupation du sol de son pays".
C'est probablement au printemps 1943 que les premiers contacts laissent entrevoir la
possibilité d'organiser des parachutages d'armes en Vendée. Et c'est en juillet que le général
Lugand rencontre Numa Soubeyran, dit Raphaël, puis M. Deflin pour l'organisation concrète
des opérations, en collaboration avec l'O.C.M. du général Jouffrault. "Nous avions constaté,
raconte Michèle Deflin, que notre père écoutait attentivement les messages personnels à la
radio. C'était tout juste si nous avions le droit de respirer pendant la diffusion. Un soir,
poursuit-elle, il avait dîné très rapidement et était parti en nous disant : ‘Les enfants, ne vous
occupez pas de moi, vous allez vous coucher.’ J'étais inquiète et je ne dormais pas. Et je l'ai
entendu rentrer très tard dans la nuit et dire : ‘Bon, c'est très bien, ça a réussi.’ Le
parachutage s'était très bien passé." Effectivement, pour la Vendée, huit terrains avaient été
homologués par Londres et les parachutages soigneusement programmés dans plusieurs
localités : Sainte-Hermine, la Couture (nuit du 13 au 14 juillet), la Chapelle-Thémer, SaintHilaire-du-Bois - la Caillère, Foussay, Aizenay (nuit du 10 au 11 août), enfin un autre dont on
ne sait où il était prévu10.
10
Mme Deflin a entendu parler d'un parachutage vers les Herbiers, qui n'aurait pas eu lieu à cause de
l'arrestation de son mari. Mais M. Deflin pensait peut-être aussi à Montaigu, où il avait, avec
Morillon, un groupe disponible.
Nous sommes justement le 11 août : Raymond Deflin, selon son épouse, fait une
reconnaissance à vélo et rentre assez tard, sous la pluie. À son arrivée, il met sa veste à sécher
dans le jardin. Dans sa poche intérieure, il a laissé quelques papiers. Le lendemain, jeudi 12
août, trois hommes de la police secrète, en civil, surprennent M. Deflin alors qu'il prend son
petit-déjeuner. Autorisé à monter à l'étage pour s'habiller, le consul murmure à son épouse qui
fait semblant de lui mettre ses chaussures : "les papiers !". Mme Deflin réussit à le faire savoir
aux enfants, qui comprennent fort bien la gravité de la situation. José réussit à sortir dans le
jardin sans éveiller l'attention et s'empare du portefeuille resté dans la veste. Puis descellant
une pierre dans le mur, il le place dans le "coffre-fort" où les enfants ont l'habitude de cacher
leurs petits secrets. Tandis que les Allemands fouillent la maison, Noëlle Gauthier vient ce
matin-là apporter un panier de haricots verts. Apercevant soudain les policiers, elle comprend
aussi un signe de Mme Deflin, et dépose rapidement son panier : heureusement, cette fois elle
n'a pas de courrier ! Mme Deflin monte à l'étage avec l'un des Allemands, qui découvre
bientôt, sous le lit, une valise : "J'ai dit que c'était du courrier que j'avais reçu de ma famille
restée en Belgique. C'était effectivement le cas, mais par-dessous il y avait quantité de
documents compromettants." L'Allemand ne cherche pas plus avant et referme la valise.
Raymond Deflin est alors conduit à la Kommandantur des Rochettes pour y être interrogé.
Il a raconté plus tard à son épouse qu'on l'avait alors battu avec un ceinturon, côté boucle, et
qu'on l'avait menacé d'arrêter ses enfants, de les torturer. Mais M. Deflin ne se laisse pas
intimider, persuadé qu'ils n'oseront pas faire une telle chose, et fait aussi semblant de ne pas
comprendre la langue allemande. José, qui participe pendant les vacances aux activités des
Cœurs Vaillants avec Michel Favreau, se rend aussitôt dans la rue Noire, chez les Favreau et,
le visage décomposé, demande à voir Michel. "Les Allemands viennent d'arrêter mon père,
explique-t-il, nous sommes encore à la maison avec maman, mais ils vont sans doute revenir,
et j'ai vu qu'il y avait beaucoup de papiers... il faudrait les cacher !" "Mon frère, confirme
Denise Favreau, est allé avec lui et a remarqué dans ces papiers beaucoup de notes, des
noms, des lieux de parachutage dans les environs. Il a demandé alors à ma mère de lui
découdre l'ourlet de sa soutane pour les y cacher, et nous avons mis d'autres choses
précieuses dans des bocaux, que nous avons enfouis dans le parterre de notre cour". Jean
Osdoit était aussi chez les Deflin. "J'ai trouvé, se souvient-il, une valise qui était encore sous
le lit, remplie de papiers, et je l'ai portée chez le curé, qui les a cachés dans les fonts
baptismaux."11 Une heure plus tard, bien qu'elle soit enceinte, M me Deflin est arrêtée elle
aussi.
Les Osdoit récupèrent alors les enfants chez eux. Le lendemain, Michèle va avertir les
Soubeyran. "J'ai pris le car pour la Roche, se rappelle-t-elle. Avec ma petite taille et mon
allure de gamine malgré mes 15 ans, je pouvais passer inaperçue. Je leur ai demandé de faire
attention : il faudrait peut-être que vous partiez tout de suite, parce que papa vient d'être
arrêté. Mme Soubeyran lui répond : Ne vous inquiétez pas, toutes les précautions sont
prises"12 Dès qu'ils apprennent que les Deflin ont quitté Montaigu pour une destination
inconnue, les Osdoit envisagent de placer les enfants : José ira chez son oncle Ferdinand Vial
à Luneray en Normandie, Sylvette chez Gilbert Vial à Paris, enfin Michèle partira avec sa
belle-mère à Bourbonne-les-Bains chez Marc Deflin, un frère de Raymond.
Pendant ce temps, Mme Deflin arrive en camion militaire à Poitiers, où elle est internée,
comme son mari, à la prison de Pierre-Levée. "J'étais devant avec le conducteur et un soldat
portant une mitraillette, explique-t-elle. En arrivant à la prison de Pierre-Levée, j'ai vu sortir
les hommes de l'arrière du camion. Dans la cour, les hommes étaient à gauche, les femmes à
11
Quelques jours après, un certain Jacques, la trentaine, passera chez les Osdoit, puis chez Favreau,
pour récupérer les fameux papiers. Sans doute Cellier, l'agent de Valentin et de Doutreligne.
12
M. Soubeyran sera arrêté en février 1944 à Angers.
droite. À un moment, j'ai aperçu mon mari. Il a fait le geste de montrer son cœur (les papiers)
et je l'ai rassuré d'un signe de tête". Elle comprend aussi que son mari a subi des violences
physiques. "À la prison, je travaillais à la lessive et il a pu lui faire passer sa chemisette qu'il
avait sommairement lavée et qui était encore pleine de traces de sang jauni. J'ai aussi été
interrogée, mais pas battue, seulement envoyée ‘à la cave’, dont on ressortait dans un triste
état. Sinon, on devait travailler : celles qui étaient préposées à la lessive des Allemands
arrivaient parfois à avoir une ou deux pommes de terre, qu'elles faisaient cuire dans la
cendre des cuves à lessive."
Après sept mois de détention, Mme Deflin est relâchée en février 1944, parce qu'elle est sur
le point d'accoucher, et rejoint son beau-frère Marc Deflin à Bourbonne-les-Bains. C'est à
Nancy que vient au monde Marie-France, fin avril 1944, alors que son père est déjà à
Buchenwald. Mme Deflin a dressé après la guerre une liste de noms qu'elle a entendus, soit à la
prison de Pierre-Levée, soit plus tard : Panchaud, Auguste Péchereau, Simone Brisset
(détenue avec elle), son fiancé et son père Eugène Brisset, exploitant d'un cinéma à Parthenay,
Robert Bonnaud, le général Jouffrault et son fils, Delaunay, M me Pichot, M. et Mme Rivet.
Effectivement, ce sont là quelques-unes des victimes d'un énorme coup de filet lancé par la
Gestapo contre P.O.C.M., en Deux-Sèvres et en Vendée, dans les quinze premiers jours du
mois d'août 194313.
Mme Deflin attendra longtemps le retour de son mari : "Au départ de Compiègne, il était
enchaîné à M. Brisset. Je l'ai revu seulement le 29 avril 1945. Il pesait 37 kg". Michèle
évoque ainsi quelques souvenirs de son père. "Les gens disaient que le jour où le chêne de
Goethe s'embraserait, ce serait la fin de l'Allemagne. Et il l'a vu s'embraser. Il a vu aussi des
enfants que l'on jetait vivants dans les fours crématoires, sans prendre le temps de les gazer,
parce que les Américains allaient arriver. Il nous disait : ‘Je garderai cette scène devant les
yeux jusqu'à mon dernier souffle.’ Et aussi : ‘On ne peut pas oublier’, avec au fond de luimême ce sentiment de culpabilité : ‘Pourquoi suis-je revenu, et pas eux ?’"
Après la guerre, outre la Croix de Guerre 14-18 avec Palme, et la médaille des Évadés, le
"commandant Deflin" a reçu la médaille de la Résistance en 1948, et il a été fait chevalier de
la Légion d'honneur à titre civil. Il connaît aussi quelques tracasseries administratives, mais
retrouve sa fonction aux Affaires étrangères.
Il reviendra une seule fois à Montaigu, rendant visite aux Mauvilain, et il enverra chaque
année un petit mot aux Gauthier, de Jersey où il est à nouveau consul. De 1949 à 1954, M.
Deflin sera à l'Agence consulaire de France à Mannheim.
Il est décédé à Nice en janvier 1969, à 85 ans.
André Coutaud, extrait de "Montaigu traversé par la Résistance",
in Recherches Vendéennes, les Vendéens dans la Seconde Guerre mondiale,
2004, p. 284 à 291.
13
Michel Chaumet et Jean-Marie Pouplain, la Résistance en Deux-Sèvres, 1994.