interview - Alain Lazard
Transcription
interview - Alain Lazard
M. Martel : « J’ai pris seul « la » décision » SAINT-GERVAIS. - La maison est blanche, au pied des pistes qui depuis le Bettex cheminent à travers les près, traversant parfois des boqueteaux de hêtres. Maurice Martel que j’avais vu désemparé, tendu, prêt à éclater les jours précédant le coup de théâtre de Val-d’Isère, n’est plus du tout le même. La différence est évidente : il semble libéré d’un poids qu’un homme pouvait difficilement porter à lui seul. En outre, et c’est l’essentiel, il est redevenu le patron. Nous parlons de l’affaire. Dans un coin de la pièce, le téléphone sonne. Jacqueline Martel se lève pour prendre la communication. « Je ne suis pas là », lui recommande Maurice Martel. Au ton de l’ancienne championne on devine pourtant aussitôt que Maurice Martel ne va pas tarder à la relayer. « C’est le Ministre », lui dit-elle. Martel ne répond pratiquement que part des « oui » et des « non ». Il dit finalement « Il n’en est pas question… » Pierre Mazeaud, je l’apprendrai pas la suite, évoque la réunion qu’il a eue avec les délégués du pool. Je n’en apprendrai pas d’avantage et ne chercherai pas à en savoir plus. « Une chose est essentielle, me dit Maurice Martel, c’est moi et moi tout seul qui ai pris la décision d’exclure nos six coureurs. Cela s’est passé samedi en début de soirée. Le ministre m’avait demandé de s’entretenir en un premier temps avec Jean Vuarnet et Georges Joubert, avant de me recevoir en particulier. Lorsque je les ai quittés devant l’hôtel « Val d’Isère » où ils allaient monter dans la chambre qu’occupait M. Mazeaud, je leur ai dit : « Ma décision est prise. - Je les flanque tous à la porte. » Je le dis parce que je tiens que l’on sache que j’assume seul la responsabilité de cette décision que je ressens comme une chose abominable, mais qui était devenue inéluctable. Toute autre décision nous aurait encore fait perdre un an. J’ai compris à Val d’Isère qu’il fallait en passer De notre envoyé spécial Serge LANG par là si nous voulions recréer un jour une équipe de France digne de représenter notre pays. » Maurice Martel s’anime en parlant. Surtout lorsqu’il nous révèle un point d’histoire qui constitue un des éléments essentiels du dossier : « Au moment des événements de la Foux d’Allos je me trouvais en Suède pour assister aux réunions du conseil de la F.I.S. A mon retour, avec Jean Vuarnet, nous sommes arrivés à la conclusion que Duvillard, Augert et Rossat-Mignod devraient être en mesure de défendre leurs chances dans la phase finale de la Coupe du monde. Pour les renvoyer au Japon, j’ai même dû faire un acte d’autorité en ma qualité de présidents de la F.F.S. Cette décision admise par Joubert, j’ai convoqué les coureurs chez moi. Je leur ai dit simplement : « Nous allons, les uns et les autres, oublier le passé. Si vous avez un problème quelconque, vous connaissez désormais le chemin qui mène à la maison de votre président. Elle vous sera toujours ouverte. Il y aura toujours un lit pour dormir et même une bonne bouteille que nous boirons ensemble. Et si le chemin vous paraît trop long, vous pouvez me téléphoner… On paraissait bien d’accord. Résultat ? Ils sont rentrés chez eux. Mais avant de partir, ils ont fait à la presse et à la télévision des déclarations incendiaires. Par la suite, quand il arrivait que nos chemins se croisent, ils faisaient semblant de ne pas me voir » A mesure qu’il évoque le long chemin qui l’a conduit à prendre sa décision, une certaine tristesse voile parfois ses yeux. « Cela fait plus de dix ans que cela dure. Je pourrais écrire un roman. Certes, j’ai connu des heures inoubliables, mais je les ai souvent payées en tentant de trouver des solutions à des problèmes tout simplement grotesques. Parfois je me demande ce qu’ils ont dans la tête. Tenez, un jour je reçois une lettre d’une de nos anciennes championnes. Elle commence par « Mon cher président », et m’annonce qu’elle vient de se marier. Bon… Je lui adresse, avec mes compliments, un cadeau de mariage. Quelques mois se passent et elle m’écrit de nouveau pour m’annoncer la naissance de son premier enfant. Nouvelle lettre de vœux et nouveau cadeau. Quelques mois plus tard, j’apprends que le mariage se fait encore attendre… Pour le reste on vire les entraîneurs qui déplaisent. Il y en a bien eu dix en dix ans. Durant dix ans, j’ai réparé toutes les maladresses. L’histoire des bâtons italiens de Killy. J’ai refusé d’aller traiter cette affaire avant les Jeux de Grenoble. D’autres l’ont fait. Mais à la sortie, contrairement à ce que l’on a annoncé, c’est moi qui ai dû régler la note. » Il fallait que cela change « Cette saison, j’ai bien cru que le coup de semonce de la Foux d’Allos avait changé quelque chose dans les esprits. Je suis certain que Joubert partageait mon opinion. C’est avec ce sentiment que j’ai participé l’autre jour avec Joubert à une émission de la télévision. Nous parlons de nos problèmes, de ce qui a été fait, de ce qu’il reste à faire. Et pendant l’émission on projette un film de Jean-Noël Augert. Et Augert émet brutalement l’opinion que l’entraînement ne vaut rien. J’ai cru que Joubert allait sauter jusqu’à la hauteur des projecteurs. Il fallait que cela change. Et puis tout l’environnement est devenu pourri. On a évoqué le cas de Robert Tessa, l’entraîneur de l’équipe masculine, qui a démissionné après ma décision de Val d’Isère. Or, je vous le déclare officiellement: Robert Tessa nous avait déjà fait savoir, bien avant ces événements, qu’il abandonnerait ses fonctions si nous ne revoyions pas ses conditions. Or, je puis vous assurer qu’il touchait déjà un salaire très élevé. » Avec beaucoup de fermeté, Maurice Martel poursuit son réquisitoire : « Tout cela n’a que trop duré. Cette fois il fallait agir, sans égard pour les conséquences immédiates. Lorsque j’ai fait connaître ma décision au ministre, je lui ai dit : « C’est à une médaille d’or pratiquement assurée que je vous demande de renoncer dans le cas de Jean-Noël Augert. » Il m’a approuvé, ce n’est pas une question d’âge mais de mentalité. En prenant cette décision je crois avoir rendu service au ski français et à toutes les équipes qui pourraient se voir acculées devant des problèmes identiques. » - Mais la suite ? En particulier dans la perspective du prochain comité de direction qui se tiendra dimanche à Grenoble ?... - Si Joubert m’avait demandé de prendre la décision qui fut la mienne samedi aprèsmidi, après trois nuits d’insomnie, j’aurais refusé d’accéder à sa demande. Mais c’est moi, et moi seul, qui ai mis les six noms sur une feuille de papier. Si un autre que moi avait pris cette décision, ou si, en raison de je ne sais quelles circonstances, elle m’avait été imposée, je serais enclin à approuver une mesure de grâce ou un quelconque compromis. Le comité de direction en décidera puisqu’il sera amené à débattre de la question. Ceux qui en font partie jugeront en leur âme et conscience. Mais si une mesure était prise, différente de celle qui fut la mienne en mes heures douloureuses de Val d’Isère, ce sera un autre que moi qui assumera alors la présidence de la Fédération Française de ski… »