III. La décision de la Cour La force majeure appliquée au contrat de

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III. La décision de la Cour La force majeure appliquée au contrat de
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16 février 1994, l’article 1148 du Code civil, l’arrêt attaqué viole, partant, tant les articles 14, § 2, b), et 16 de la loi du 16 février 1994 que l’article 1148 du Code civil.
III. La décision de la Cour
En vertu de l’article 14, § 2, b), de la loi du 16 février 1994 régissant le contrat d’organisation de voyages et le contrat d’intermédiaire de voyages, lorsque le contrat n’est pas
exécuté par l’organisateur de voyages, le voyageur peut exiger une indemnisation si
l’annulation est la conséquence d’un cas de force majeure et, par cas de force majeure, il
faut entendre des circonstances anormales et imprévisibles, indépendantes de la volonté
de celui qui les invoque et dont les conséquences n’auraient pas pu être évitées malgré
toute la diligence déployée.
Le moyen, qui soutient que cette définition du cas de force majeure s’applique également
au cas où le voyageur lui-même n’exécute pas le contrat, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi.
Siège : MM. Mathieu (prés. sect.), Batselé, Fettweis, Mmes Matray et Delange
(cons.)
Min. publ. : M. de Koster (av. gén. dél.)
Plaid. : Me Lefèbvre
•
•••
La force majeure appliquée au contrat de voyage
Introduction
1. La notion de force majeure en matière de contrats de voyage doit désormais faire
l’objet de deux interprétations différentes. Selon l’arrêt de la Cour de cassation du 25 juin
2010 1, la définition de la force majeure telle que définie par l’article 14 de la loi du
1
Cass., 25 juin 2010, D.C.C.R., 2012, p. 106.
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16 février 1994 2 régissant le contrat d’organisation de voyages et le contrat d’intermédiaire de voyages ne peut s’appliquer qu’en cas d’annulation du voyage par l’organisateur
de voyages et non par le voyageur. Celui-ci devra plutôt invoquer l’application du droit
commun au sens de l’article 1148 du Code civil 3.
L’arrêt du 25 juin 2010 met un point final à plus de dix ans de procédure dont deux arrêts
de la cour d’appel 4 et un autre arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 2006 5.
Faits et procédures
2. Un couple de jeunes parents souhaite partir aux sports d’hiver avec leurs deux enfants
pour un séjour d’une semaine en février 1999 et contacte un organisateur de voyages afin
d’organiser la location d’un chalet et le transport en T.G.V. jusqu’à la station de ski. Un
acompte est versé à l’organisateur pour la location du chalet.
Considérant que les conditions météorologiques sont spécialement mauvaises et le risque
d’avalanches élevé, ils demandent à l’organisateur de voyages de changer les dates du
voyage et donc de modifier ses modalités.
3. L’organisateur de voyage estime qu’un contrat de voyage a été conclu et que, par conséquent, l’attitude du couple constitue une résiliation du contrat. Les modalités d’annulation d’un voyage par le voyageur doivent donc s’appliquer, obligeant le couple à payer
des frais d’annulation de la location du chalet. Les voyageurs considèrent au contraire
qu’il n’y a lieu à aucun paiement de leur part et qu’ils doivent être remboursés de
l’acompte versé.
2
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5
Article 14 de la loi du 16 février 1994 régissant le contrat d’organisation de voyages et le contrat d’intermédiaire de voyages, M.B., 1er avril 1994, p. 8928 : « § 1er. Si l’organisateur de voyages résilie le contrat avant
le début du voyage en raison de circonstances non imputables au voyageur, celui-ci a le choix entre : 1° soit
l’acceptation d’une autre offre de voyage de qualité équivalente ou supérieure, sans avoir à payer de supplément ; si le voyage offert en substitution est de qualité inférieure, l’organisateur de voyages doit rembourser
au voyageur la différence de prix dans les meilleurs délais ; 2° soit le remboursement, dans les meilleurs
délais, de toutes les sommes versées par lui en vertu du contrat. § 2. Le voyageur peut également, le cas échéant, exiger une indemnisation pour la non-exécution du contrat, sauf : a) si l’organisateur de voyages annule
le voyage parce que le nombre minimum de voyageurs prévu dans le contrat et nécessaire à l’exécution de
celui-ci n’a pas été atteint et si le voyageur en a été informé par écrit dans le délai prévu au contrat et au moins
quinze jours civils avant la date de départ ; b) si l’annulation est la conséquence d’un cas de force majeure,
en ce non compris les surréservations. Par cas de force majeure, il faut entendre des circonstances anormales
et imprévisibles, indépendantes de la volonté de celui qui les invoque et dont les conséquences n’auraient pas
pu être évitées malgré toute la diligence déployée ».
Article 1148 du Code civil : « Il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force
majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait
ce qui lui était interdit ».
Mons, 27 mai 2008, inédit, R.G. no 2007/RG/755 et Bruxelles, 8 mars 2005, inédit, R.G. n° 2002/AR/418.
Cass., 26 mai 2006, D.C.C.R., 2007, p. 197 ; P. WÉRY, note sous Cass., 26 mai 2006, R.G.D.C., 2007, p. 479.
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4. Ne parvenant pas à un accord, le couple introduit une procédure judiciaire pour obtenir le
remboursement de l’acompte. La juridiction statuant en premier degré d’instance déclare la
demande principale non fondée et fait partiellement droit à la demande reconventionnelle de
l’organisateur de voyage de se voir acquitter le prix de la location du chalet. En degré
d’appel, la cour d’appel de Bruxelles rejette cette position en considérant que le contrat de
voyage est nul puisqu’il ne respecte pas certaines formalités obligatoires (absence de bon de
commande) et elle condamne l’organisateur de voyages au remboursement intégral de
l’acompte. Un pourvoi en cassation est introduit par l’organisateur de voyages. La Cour de
cassation fait droit à ce pourvoi et casse l’arrêt attaqué par un arrêt du 26 mai 2006 6.
5. L’affaire est alors renvoyée devant la cour d’appel de Mons statuant en qualité de juridiction de renvoi. Les voyageurs déploient de nouveaux arguments justifiant leur
demande, notamment que le contrat n’a pu être exécuté à cause de la survenance d’un cas
de force majeure, à savoir les conditions météorologiques dangereuses. Les voyageurs se
basent sur la définition de la force majeure prévue à l’article 14, § 2, de la loi sur le contrat de voyages du 16 février 1994.
6. Dans son arrêt du 27 mai 2008, la cour d’appel ne suit pas la position des intimés. Elle
considère qu’il n’y a pas lieu d’appliquer la notion de force majeure telle que définie par
l’article 14 de la loi sur les contrats de voyages mais plutôt l’article 1148 du Code civil.
L’article 14 doit uniquement être appliqué en cas de non-exécution du contrat par l’organisateur de voyages à la suite de la survenance d’un cas de force majeure. En cas d’annulation du contrat par le voyageur, il faut appliquer l’article 1148 du Code civil.
7. Dans son arrêt du 25 juin 2010, la Cour de cassation confirme cette position et rejette
le pourvoi introduit par les demandeurs initiaux.
L’articleÞ14 de la loi du 16Þfévrier 1994
8. La loi du 16 février 1994 instaure un cadre juridique pour la conclusion de contrats
d’organisation de voyages et contrats d’intermédiaires de voyages (ci-après la « loi »).
Elle constitue la mise en œuvre de la directive européenne du 13 juin 1990 7, première
réglementation européenne en la matière.
La loi a pour objectif de réglementer les relations contractuelles entre organisateurs de
voyages, intermédiaires de voyages et voyageurs.
Elle définit les mentions obligatoires dans le contrat, son champ d’application et la problématique de sa résiliation mais elle a surtout comme particularité qu’elle instaure une
6
7
Cass., 26 mai 2006, op. cit.
Directive du Conseil du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait no 90/314/CEE,
J.O.C.E. L 158 du 23 juin 1990, p. 59.
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obligation de résultat dans le chef de l’organisateur de voyages concernant la bonne
organisation et le bon déroulement des voyages 8. En effet, il est non seulement responsable de la bonne exécution du contrat, peu importe que son exécution soit effectuée par
l’organisateur ou un sous-traitant, mais il est également responsable de tout dommage
subi par le voyageur en cas de manquement à une de ses obligations 9.
9. L’organisateur de voyages pourra s’exonérer uniquement en cas de manquements du
voyageur, de manquements imprévisibles et insurmontables dus à un tiers, de force
majeure ou de la survenance d’un événement imprévisible et inévitable, même en faisant
preuve de la plus grande prudence 10. La survenance d’un fait qualifié de force majeure
permet donc à l’organisateur de voyages de s’exonérer de toute responsabilité liée à ses
obligations d’assurer le parfait déroulement du séjour, et, d’échapper au paiement
d’indemnités 11.
10. La notion de force majeure est définie à l’article 14, § 2, de la loi comme suit :
« par cas de force majeure, il faut entendre des circonstances anormales et imprévisibles,
indépendantes de la volonté de celui qui les invoque et dont les conséquences n’auraient
pas pu être évitées malgré toute la diligence déployée ».
Concernant le voyageur, en vertu de l’article 16 de la loi, il ne sera tenu au paiement
d’indemnités qu’en cas de résiliation du contrat de voyage pour une raison qui lui est
imputable. On suppose donc qu’a contrario, aucune indemnité ne sera due en cas de survenance d’un événement qui ne lui est pas imputable, soit la faute ou l’acte d’un tiers, soit
la force majeure.
Position de la Cour de cassation
11. La question de savoir ce qu’il faut entendre par « force majeure » a fait l’objet de
nombreux débats. En droit du tourisme, cette controverse a été tranchée par l’arrêt de la
Cour de cassation du 25 juin 2010 qui applique une notion de force majeure différente
selon que le voyage a été annulé par l’organisateur ou par le voyageur.
12. La définition de la force majeure prévue par la loi tend à s’appliquer en cas d’inexécution d’un contrat de voyage par l’une des parties suite à la survenance de circonstances
8
9
10
11
C. GUYOT, Le droit du tourisme, Larcier, 2004, p. 77 ; Liège, 28 mars 1995, J.L.M.B., 1997, p. 664 ; Bruxelles, 19 octobre 1998, R.G.A.R., 2001, no 13325 ; Bruxelles, 12 octobre 1999, R.G.A.R., 2001, no 13324.
O. DUGARDYN, « La responsabilité des intermédiaires et organisateurs de voyages », in Responsabilité –
Traité théorique et pratique, Kluwer, 2010, p. 37 ; R. STRUBBE, « De nieuwe aansprakelijkheidsregels »,
Journée d’études du 28 avril 1994 : nouvelle loi belge sur les voyages, Rapport 1994, p. 73.
Article 18 de la loi du 16 février 1994.
Article 14, § 2, (b), de la loi du 16 février 1994.
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anormales et imprévisibles, indépendantes de la volonté de celui qui les invoque et dont
les conséquences n’auraient pas pu être évitées malgré toute la diligence déployée.
La Cour de cassation ne suit toutefois pas cette position et considère que cette définition
de la force majeure doit s’appliquer uniquement lorsque le contrat de voyage est annulé
par l’organisateur de voyages suite à la survenance d’un cas de force majeure tel que
défini.
En cas de résiliation par le voyageur, il faut appliquer l’article 1148 du Code civil qui
dispose que : « il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force
majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il
était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ».
13. La notion de force majeure telle que définie par le Code civil a fait l’objet d’une interprétation restrictive par le droit commun puisqu’il prévoit qu’un événement sera constitutif d’un cas de force majeure si et seulement si quatre conditions sont réunies : « l’événement doit être imprévisible, irrésistible, non imputable au débiteur et entraîner
l’impossibilité absolue et définitive d’exécuter l’obligation » 12. Cette définition de la
force majeure doit donc être appliquée lorsque le contrat de voyage est annulé par le
voyageur qui devra examiner si les quatre conditions prévues par le Code civil sont effectivement remplies avant de pouvoir s’en prévaloir.
L’organisateur de voyages pourra quant à lui se prévaloir de la définition prévue à l’article 14 de la loi et ne devra donc pas appliquer les quatre conditions précitées.
Cette opinion adoptée par la Cour de cassation, considérant que la notion de force majeure
telle que définie par la loi de 1994 ne peut être utilisée que par l’organisateur de voyages
et pas par le voyageur, est contraire à la ratio legis. En effet, au vu des travaux préparatoires de la loi, il faut en déduire que le législateur avait pour objectif, lors de la rédaction
de cette dernière, de protéger le voyageur, considéré comme partie faible au contrat, contre
des éventuels abus de l’organisateur de voyages, partie forte du contrat 13. Or cette volonté
du législateur n’est pas respectée par la jurisprudence lorsque celle-ci considère que la
notion de force majeure doit être interprétée de façon différente en fonction de la partie
qui veut s’en prévaloir.
14. La force majeure est définie plus restrictivement dans le Code civil que dans la loi de
1994 puisque celui-ci introduit deux éléments dans la définition qui ne se retrouvent pas
dans la loi : le caractère irrésistible de la survenance de l’événement ainsi que la notion
d’impossibilité absolue et définitive d’exécuter l’obligation. En conséquence, un événe-
12
13
H. FAUCONNET, « De la force majeure en droit du voyage », D.C.C.R., 2001, p. 7.
Doc. parl., Sénat, session extraordinaire 1991-1992, proposition de loi déposée par M. Luc Martens et consorts, nos 488/1 et 488/2.
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ment répondant uniquement à deux conditions prévues par le droit commun ne pourra être
considéré comme un cas fortuit en cas de non-exécution d’un contrat de voyage par le
voyageur, mais pourra l’être vis-à-vis du voyageur si l’organisateur décide d’annuler le
voyage pour le même événement. Celui-ci pourra se prévaloir de la définition prévue dans
la loi et invoquer un cas de force majeure. Le déséquilibre entre les deux parties est donc
manifeste.
15. L’objectif poursuivi par le législateur lors de la rédaction de la loi du 16 février 1994
était d’instaurer une loi applicable aux contrats d’organisation de voyages et aux contrats
d’intermédiaires de voyages, et de régir la survenance de faits éventuels pour l’ensemble
du contrat. Les dispositions de la loi relatives à l’exécution du contrat s’expliquent difficilement si dans certaines circonstances elle ne s’applique qu’à une partie à l’exclusion de
son cocontractant. Par ailleurs, dès lors que le législateur est justement désireux de protéger le voyageur, il est contraire à sa volonté d’estimer qu’il souhaite introduire une définition assouplie de la force majeure pour l’organisateur de voyages sans que le voyageur,
partie considérée plus faible, ne puisse s’en prévaloir et que celui-ci doive appliquer une
définition restrictive.
Notion de force majeure en droit civil
16. Le Code civil dispose à l’article 1148 qu’il n’y aura pas lieu à indemniser le cocontractant lorsque la partie défaillante n’a pu s’exécuter suite à la survenance d’un cas de
force majeure ou d’un événement fortuit.
Il prévoit donc une cause d’exonération de responsabilité du débiteur défaillant mais
omet de définir la notion de force majeure et son cadre juridique. Ce manque a été comblé par la doctrine qui définit généralement la force majeure comme : « un événement à
caractère insurmontable, et selon certains imprévisible, indépendant de toute faute du
débiteur, qui empêche ce dernier d’exécuter ses obligations ou de se conformer aux normes exclusives de faute, tout en restant dans les limites de la diligence que l’on peut
attendre de lui » 14.
De cette définition se sont déduites quatre caractéristiques essentielles : l’événement doit
être :
– imprévisible;
– irrésistible;
– non imputable au débiteur; et
14
P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, t. II, 2010, Bruxelles, Bruylant, p. 966.
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– entraîner l’impossibilité absolue et définitive d’exécuter l’obligation.
La condition d’imprévisibilité peut être discutée dans la mesure où certains événements
peuvent être prévisibles mais incontrôlables et sans solution pour le débiteur. Tel est
par exemple le cas d’une explosion ou d’un ouragan en pleine mer 15. Cette positon a été
confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 13 avril 1956 aux termes duquel
elle exonère un transporteur maritime de sa responsabilité suite à la survenance d’une
tempête en mer, malgré le fait que celle-ci ait été prévisible 16. La notion d’imprévisibilité permettra cependant au juge d’apprécier l’étendue de la responsabilité du débiteur
défaillant : a-t-il réellement tout mis en œuvre pour éviter la survenance de l’événement
constitutif de force majeure ? Il convient toutefois de soulever le fait que le caractère
imprévisible est généralement considéré comme une condition essentielle de la force
majeure.
La notion de force majeure a fait l’objet de nombreux débats et continue à susciter des
interrogations. Il a par exemple été considéré qu’une tempête, de la foudre 17 ou encore
un incident mécanique 18 pouvaient constituer un cas de force majeure en droit commun.
17. En droit du tourisme, cette définition devrait désormais être applicable au voyageur
s’il veut s’exonérer de sa responsabilité, à en croire la position de la Cour de cassation.
Ainsi, le voyageur qui annule un voyage suite à la survenance d’une tempête ou de pluies
torrentielles ne pourra pas forcément être exonéré de sa responsabilité s’il n’arrive pas à
prouver que l’exécution de l’obligation par l’organisateur relève de l’impossibilité absolue. L’organisateur, au contraire, pourra se prévaloir de l’application de l’article 14, § 2,
b) de la loi et ne devra pas démontrer cette impossibilité absolue. Il se contentera de
démontrer que la tempête était imprévisible (et encore), indépendante de sa volonté et
dont les conséquences ne pouvaient être évitées.
Pour un même fait, deux types de scénarios peuvent se présenter : pour l’un, l’événement
sera constitutif d’une cause d’exonération de responsabilité et pas pour l’autre.
Analyse de l’arrêt
18. La Cour de cassation s’est en fait implicitement basée sur un argument de texte pour
arriver à sa conclusion. La définition de la notion de force majeure se trouve en effet probablement au mauvais endroit dans la loi de 1994, à savoir dans la section consacrée à la
15
16
17
18
P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, op. cit., p. 1386.
Cass., 13 avril 1956, Pas., 1956, I, p. 856.
Voy. par exemple Liège, 25 mars 1970, Jur. Liège, 1970-1971, p. 73.
Cass., 12 octobre 1983, Pas., 1984, I, p. 150.
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non-exécution du voyage ou la modification d’un élément essentiel du contrat par l’organisateur de voyages. De plus, il n’y est pas explicitement fait référence dans l’article 16
de la loi qui prévoit les cas de résiliation par le voyageur. Il aurait été plus pertinent pour
le législateur de placer la définition de la force majeure dans l’article 1er, prévu à cet effet
et non dans l’article 14.
La Cour de cassation motive sa position sur une interprétation stricte de la loi en contradiction avec sa ratio legis. Cette position entraîne un déséquilibre entre la protection des
deux cocontractants et ce, uniquement sur la base de considérations textuelles. Le législateur aurait probablement intérêt à déplacer la disposition de la définition de la force
majeure à l’article premier de la loi avec les autres définitions afin d’éviter qu’un régime
plus strict soit appliqué au voyageur par rapport à l’organisateur. Ce défaut de rigueur
textuelle ne saurait cependant être aussi lourd de conséquences.
19. Toutefois, si on examine ce point dans un cadre législatif plus large, on pourrait considérer que la position de la Cour de cassation résulte du fait qu’il pèse sur l’organisateur de
voyages une obligation de résultat et non de moyen. Ainsi, l’organisateur de voyages doit
garantir le bon déroulement du voyage, quoi qu’il arrive. En assouplissant la charge de la
preuve de la survenance d’un cas de force majeure pour l’organisateur de voyages, la jurisprudence permet à l’organisateur d’alléger en quelque sorte son obligation de résultat.
20. L’article 18 de la loi permet également à l’organisateur de voyages de s’exonérer de sa
responsabilité en cas de survenance d’un événement imprévisible et inévitable mais qui est
différent d’un cas de force majeure puisqu’il suffit de démontrer qu’il n’était pas possible de
l’éviter « même en faisant preuve de la plus grande prudence »19. Cette notion de prudence,
différente de la notion de diligence, permet à l’organisateur de s’exonérer dans des circonstances étrangères à la force majeure, pour des événements qu’il ne peut ni prévoir, ni éviter.
L’arrêt de la Cour de cassation pourrait alors se comprendre comme la continuité du raisonnement du législateur, dont les bases figurent dans ce point 4 de l’article 18, d’alléger la responsabilité de l’organisateur de voyages en certaines circonstances, d’amoindrir sa charge
de la preuve en contrepartie de son obligation générale de résultat. Il constitue le premier pas
d’une jurisprudence probablement prometteuse. Même s’il présente l’inconvénient de créer
un déséquilibre certain entre les parties à un contrat de voyage, il a l’avantage de contrebalancer la lourde responsabilité de l’organisateur instaurée par la loi du 16 février 1994.
21. Enfin, il convient de soulever que ni la cour d’appel de Mons, ni la Cour de cassation
n’examinent la disposition spécifique de la loi qui permet au voyageur, contrairement à
l’article 18 de la loi qui protège l’organisateur, de résilier à tout moment le contrat de
voyage. Il s’agit de l’article 16 de la loi, entièrement favorable au voyageur et qui dis-
19
Article 18, § 2, 4o, de la loi du 16 février 1994.
116
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pose que : « le voyageur peut, à tout moment, résilier tout ou partie du contrat. Si le voyageur résilie le contrat pour une raison qui lui est imputable, il dédommagera l’organisateur
de voyages et l’intermédiaire de voyages pour le préjudice subi à la suite de la résiliation.
Le dédommagement peut s’élever à une fois le prix du voyage au maximum ».
Cette disposition a permis l’établissement des clauses d’annulation dont l’indemnité augmente au plus le jour du départ se rapproche. Ces clauses qui se retrouvent dans les brochures, bons de commande et contrats de voyage permettent d’indemniser, à bon droit,
l’organisateur ou l’intermédiaire de voyages lorsque le voyageur change d’avis ou annule
le voyage pour quelque raison que ce soit.
Cependant, l’article 16 de la loi est particulièrement clair et ne permet aucune indemnisation de l’organisateur ou de l’intermédiaire de voyages si la raison de la résiliation n’est
pas imputable au voyageur et donc indépendante de sa volonté. Sont donc visés la faute
ou l’intervention d’un tiers, la force majeure, le fait du prince ou tout événement dont
l’origine ou la cause sont étrangères au voyageur.
Faut-il alors considérer que la crainte ou le risque d’une situation dangereuse en haute
montagne est une raison non imputable au voyageur ? Il faut répondre à cette question par
la négative. Le risque n’est en effet pas un événement existant et il faudrait alors entrer
dans une appréciation du niveau de ce risque eu égard aux circonstances, ce qui rendrait
l’application de l’article 16 de la loi beaucoup trop facile pour un voyageur. En effet, dès
la survenance d’un risque, un voyageur pourrait se prévaloir de l’article 16 afin d’annuler
son voyage sans payer d’indemnisation à son cocontractant (par exemple : un voyageur
pourrait annuler à tout moment avant le départ un safari organisé en Afrique par crainte
subite d’être éventuellement agressé par un animal sauvage). C’est d’ailleurs ce que constate à juste titre la cour d’appel de Mons en examinant les rapports météos et d’enneigement émis par la commune concernée 20.
22. L’existence d’un risque ne peut donc être une cause légitime d’annulation d’un
voyage par le voyageur sur la base de l’article 16 de la loi (ni d’ailleurs par l’organisateur
de voyages sur base de l’article 14 de la loi). En effet, l’existence d’un risque ne peut être
légitimement considérée comme un cas de force majeure 21. Pour qu’il y ait force majeure,
il faut qu’un événement imprévisible soit effectivement survenu (exemple : un tremblement de terre) ou quasiment certain (exemple : l’arrivée d’un typhon) 22.
20
21
22
La situation serait différente si la station de sports d’hiver est déclarée fermée pour risque élevé d’avalanches.
L’événement n’est pas alors le risque d’avalanches, mais l’inaccessibilité de la station par décision administrative ou mayorale.
Néanmoins personne ne met en doute l’annulation d’un voyage sans indemnité lorsque le ministère des Affaires étrangères déclare un pays ou une zone fortement à risque de troubles imminents ou d’insurrection et
déconseille de s’y rendre pour un séjour quelconque.
M. VERHOEVEN, « Rechten van vlietuigpassagiers bij overmacht », R.G.D.C., 2012, p. 104.
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23. La cour d’appel d'Anvers 23 a considéré qu'il n'était pas « insurmontable » de se rendre
en Jordanie fin septembre 2001 même s’il y avait des risques d'un conflit au Moyen
Orient suite aux événements du 11 septembre. La cour d’appel a précisé dans ses arguments, qu’au moment de l'annulation par les voyageurs, il n’y avait pas – en Jordanie – de
situation de guerre, ni de menace de guerre qui pouvait conduire à une situation réelle de
danger pour les voyageurs. La cour souligne en outre que le Ministère belge n’avait émis
aucune réserve ou avertissement concernant un séjour en Jordanie et en conclut que les
voyageurs ne sont donc pas valablement libérés de leurs obligations contractuelles.
24. Finalement, il faut souligner une question d’interprétation liée à l’application des articles 15 et 18, § 3 de la loi. L’article 15 24 qui requiert que l’organisateur de voyages remédie gratuitement si tout ou partie du voyage ne peut être exécuté conformément au contrat
de voyage ne précise pas si cette obligation gratuite de l’organisateur de voyages s’applique également en cas de force majeure. Par contre, l’article 18, § 3 25 précise que l’organisateur n’encourt pas de responsabilité dans les cas de force majeure et peut par conséquent mettre les coûts exposés à charge du voyageur.
Certains auteurs voient une contradiction manifeste entre les deux dispositions 26.
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Anvers, 21 février 2007, D.C.C.R., 2008, p. 49 et note ; voy. également Gand, 1er février 2006, R.A.B.G.,
2008, pp. 1234-1236, et la note J. SPEYBROUCK, « De toetsing van de annuleringskosten in het reiscontract aan
de consumentenrechten », R.A.B.G., 2008, p. 1237.
Article 15 de la loi du 16 février 1994 : « S’il apparaît au cours du voyage qu’une part importante des services
faisant l’objet du contrat ne pourra être exécutée, l’organisateur de voyages prend toutes les mesures nécessaires pour offrir au voyageur des substituts appropriés et gratuits en vue de la poursuite du voyage. En cas
de différence entre les services prévus et les services réellement prestés, il dédommage le voyageur à concurrence de cette différence. Lorsque de tels arrangements sont impossibles ou que le voyageur n’accepte pas ces
substituts pour des raisons valables, l’organisateur de voyages doit lui fournir un moyen de transport équivalent qui le ramène au lieu de départ et est tenu, le cas échéant, de dédommager le voyageur ».
Article 18 de la loi du 16 février 1994 : « § 1er. L’organisateur de voyages est responsable de tout dommage
subi par le voyageur en raison du non-respect de tout ou partie de ses obligations.
§ 2. Il n’est pas responsable au cas où :
1° les manquements constatés dans l’exécution du contrat sont imputables au voyageur ;
2° les manquements imprévisibles ou insurmontables sont imputables à un tiers qui est étranger aux prestations visées au contrat ;
3° les manquements sont imputables à un cas de force majeure tel que défini à l'article 14, § 2, b ;
4° les manquements sont imputables à un événement que l’organisateur de voyages ne pouvait ni prévoir ni
éviter même en faisant preuve de la plus grande prudence, en ce non compris les surréservations.
§ 3. Dans les cas visés aux §§ 1er et 2, l’organisateur de voyages est tenu, durant l’exécution du contrat, de
faire diligence pour venir en aide et prêter assistance au voyageur en difficulté.
L’organisateur de voyages peut, dans les cas visés au § 2, mettre, le cas échéant, les coûts exposés à la charge
du voyageur ».
O. DUGARDYN, op. cit., Kluwer, pp. 49 et 59 ; J. SPEYBROUCK, G.-L. BALLON, M. DE VRIENDT, F. VAN BELLINGHEN, Reisrecht 2002, Academia Press, Gent, 2002, p. 68 ; M. VERHOEVEN, « Rechten van vliegtuigpassagiers bij overmacht », R.G.D.C., 2012, p. 103.
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DCCR
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Néanmoins, il faut constater que l'article 15 s’applique dans le cadre de l’obligation de
résultat de l’organisateur et donc que cette disposition tend à compenser le non-respect de
cette obligation : il s’agit de remédier à une faute commise dans l’exécution du contrat de
voyage. L’article 18 prévoit les situations, et leurs conséquences, lorsque l’organisateur
est exonéré de toute faute. Il faut considérer que ce dernier article vise tous les cas
d’exceptions ou de dérogations à l’obligation de résultat de l’organisateur de voyages.
L’organisateur de voyages ne peut être tenu responsable de l’inexécution de tout ou partie
du voyage dans un cas de force majeure et peut donc se faire rembourser les coûts afférents à son intervention pour aider ou éventuellement rapatrier les voyageurs 27.
Conclusion
25. En l’espèce, les voyageurs ont annulé leur contrat sur la base d’un risque de survenance d’avalanches et non suite à la survenance effective d’une avalanche, ce qui aurait
pu être constitutif d’un cas de force majeure. Certes, la Cour de cassation crée un déséquilibre entre les deux parties à un contrat de voyage en leur appliquant deux dispositions
différentes mais heureusement elle ne va pas jusqu’à considérer qu’un risque pourrait être
constitutif d’un cas de force majeure.
En appliquant les critères du Code civil pour une résiliation du contrat suite à un cas de
force majeure invoqué par le voyageur, la Cour de cassation réserve la définition de force
majeure prévue par l'article 14 de la loi, et partant son application plus légère, au cas de
résiliation par l'organisateur de voyages.
Cedric GUYOT et Olivia DE PATOUL 28
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Dans le même sens, O. DUGARDYN, op. cit., Kluwer, p. 59.
Avocats, CMS DeBacker.
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Jurisprudence
Rechtspraak
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