La Méditerranée aux XIe et XIIe siècles
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La Méditerranée aux XIe et XIIe siècles
Histoire 3 La Méditerranée aux XIe et XIIe siècles : un terrain d’affrontement et d’échanges culturels Objectifs •C omprendre le rôle central de l’espace méditerranéen dans la relation entre les trois grandes civilisations dominantes du XIIe siècle •A nalyser et croiser des documents de natures différentes •A cquérir la méthode de rédaction d’une synthèse à partir de documents Ressources • extrait de l’appel à la première croisade par le Pape Urbain II (1095). • extrait de Voyages écrit par Ibn Djubayr (1184). • extrait de Les Croisades vues par les Arabes d’Amin Maalouf (Jean-Claude Lattès, 1983). Déroulement Les élèves répondent aux questions suivantes : •D oc. 1 : Quels sont les buts du Pape ? Quels arguments utilise-t-il pour convaincre son auditoire ? • Doc. 2 : Quelle vision ce voyageur arabe a-t-il du royaume qu’il visite ? •D oc. 3 : Quels apports l’expansion arabe en Méditerranée a-t-elle eu sur la culture et le savoir de l’Occident ? Les élèves rédigent un paragraphe organisé montrant comment, aux XIe et XIIe siècles, le bassin méditerranéen fut un espace de conflits majeurs et une zone d’échanges culturels intenses. Pour cela, deux méthodes de travail sont possibles : 1.Les élèves commencent par répondre collectivement aux questions, puis élaborent un plan pour la rédaction du paragraphe demandé. Ils travaillent ensuite seuls pour rédiger le paragraphe. 2.Les élèves rédigent directement le paragraphe demandé, sans passer par les questions intermédiaires. Pour aller plus loin De nombreux autres documents sont disponibles et consultables sur le site de la BNF à l’adresse suivante http://classes.bnf.fr/idrisi/pedago/index.htm Les élèves y trouveront notamment des illustrations et des cartes de la Méditerranée dessinées par des géographes arabes du XIIe siècle. Lien avec les autres disciplines Géographie : l’espace méditerranéen. Français : maîtrise de l’écrit et argumentation. 66 Doc. 1 : L’appel à la première croisade par le Pape Urbain II (1095) O fils de Dieu ! Après avoir promis à Dieu de maintenir la paix dans votre pays et d’aider fidèlement l’Église à conserver ses droits, et en tenant cette promesse plus vigoureusement que d’ordinaire, vous qui venez de profiter de la correction que Dieu vous envoie, vous allez pouvoir recevoir votre récompense en appliquant votre vaillance à une autre tâche […]. Il importe que, sans tarder, vous vous portiez au secours de vos frères qui habitent les pays d’Orient et qui déjà bien souvent ont réclamé votre aide. En effet, comme la plupart d’entre vous le savent déjà, un peuple venu de Perse, les Turcs, a envahi leur pays. Ils se sont avancés jusqu’à la mer Méditerranée et plus précisément jusqu’à ce qu’on appelle le Bras Saint-Georges¹. Dans le pays de Romanie², ils s’étendent continuellement au détriment des terres des chrétiens, après avoir vaincu ceux-ci à sept reprises en leur faisant la guerre. Beaucoup sont tombés sous leurs coups ; beaucoup ont été réduits en esclavage. Ces Turcs détruisent les églises ; ils saccagent le royaume de Dieu. Si vous demeuriez encore quelque temps sans rien faire, les fidèles de Dieu seraient encore plus largement victimes de cette invasion. Aussi je vous exhorte et je vous supplie – et ce n’est pas moi qui vous y exhorte, c’est le Seigneur lui-même – vous, les hérauts du Christ³, à persuader à tous, à quelque classe de la société qu’ils appartiennent, chevaliers ou piétons, riches ou pauvres, par vos fréquentes prédications, de se rendre à temps au secours des chrétiens et de repousser ce peuple néfaste loin de nos territoires. Je le dis à ceux qui sont ici, je le mande à ceux qui sont absents : le Christ l’ordonne. À tous ceux qui y partiront et qui mourront en route, que ce soit sur terre ou sur mer, ou qui perdront la vie en combattant les païens, la rémission de leurs péchés sera accordée. Et je l’accorde à ceux qui participeront à ce voyage, en vertu de l’autorité que je tiens de Dieu. […] Qu’ils soient désormais des chevaliers du Christ, ceux-là qui n’étaient que des brigands ! Qu’ils luttent maintenant, à bon droit, contre les barbares, ceux-là qui se battaient contre leurs frères et leurs parents ! Ce sont les récompenses éternelles qu’ils vont gagner, ceux qui se faisaient mercenaires pour quelques misérables sous. Ils travailleront pour un double honneur, ceux-là qui se fatiguaient au détriment de leur corps et de leur âme. Ils étaient ici tristes et pauvres ; ils seront là-bas joyeux et riches. Ici, ils étaient les ennemis du Seigneur ; là-bas, ils seront ses amis ! Foucher de Chartres - Historia Hierosolymitana, dans Recueil des historiens des croisades, historiens occidentaux. Cité par M. Balard, A. Demurger, P. Guichard dans Pays d’Islam et monde latin Xe-XIIIe siècles Hachette - Paris - 2000. 1. Le Bosphore. 2. L’Empire byzantin en tant que seul héritier de l’Empire romain. 3. Le pape s’adresse aux évêques. 67 Doc. 2 : La Sicile vue par un voyageur arabe La plus belle des cités de la Sicile est la résidence de son roi ; les musulmans l’appellent la cité al Madina et les chrétiens Palerme ; c’est là que demeurent les musulmans citadins ; ils y ont des mosquées et les souks qui leur sont réservés dans les faubourgs sont nombreux. Tous les autres musulmans habitent les fermes, les villages et les autres villes, comme Syracuse, etc. Mais c’est la grande cité, résidence du roi Guillaume qui est la plus importante et la plus considérable ; Messine ne vient qu’après elle […]. L’attitude du roi est vraiment extraordinaire. Il a une conduite parfaite envers les musulmans ; il leur confie des emplois, il choisit parmi eux ses officiers et tous, ou presque tous, gardent secrète leur foi et restent attachés à la foi de l’islam. Le roi a pleine confiance dans les musulmans et se repose sur eux dans ses affaires et de l’essentiel de ses préoccupations, à tel point que l’intendant de sa cuisine est un musulman […]. Ce roi a des palais superbes et des jardins merveilleux, particulièrement dans sa capitale. À Messine, il a un château, blanc comme la colombe, qui domine le rivage de la mer. Il a un choix nombreux de pages et de femmes esclaves. Il n’y a point de roi des chrétiens qui soit plus splendide en sa royauté, plus fortuné, plus luxueux que lui […]. Un autre trait que l’on rapporte de lui et qui est extraordinaire, c’est qu’il lit et écrit l’arabe. Ibn Djubayr - Voyages - 1184 Doc. 3 : L’Occident et les héritages de la civilisation arabe Pour l’envahisseur apprendre la langue du peuple conquis est une habileté ; pour ce dernier apprendre la langue du conquérant est une compromission, voire une trahison. De fait, les Franj¹ ont été nombreux à apprendre l’arabe alors que les habitants du pays, à l’exception de quelques chrétiens, sont demeurés imperméables aux langues des Occidentaux. On pourrait multiplier les exemples, car, dans tous les domaines, les Franj se sont mis à l’école arabe, aussi bien en Syrie qu’en Espagne ou en Sicile. Et ce qu’ils y ont appris était indispensable à leur expansion ultérieure. L’héritage de la civilisation grecque n’aura été transmis à l’Europe occidentale que par l’intermédiaire des Arabes, traducteurs et continuateurs. En médecine, en astronomie, en chimie, en géographie, en mathématiques, en architecture, les Franj ont tiré leurs connaissances des livres arabes qu’ils ont assimilés, imités, puis dépassés. Que de mots en portent encore le témoignage : zénith, nadir, azimut, algèbre, algorithme, ou plus simplement «chiffre». S’agissant de l’industrie, les Européens ont repris, avant de les améliorer, les procédés utilisés par les Arabes pour la fabrication du papier, le travail du cuir le textile, la distillation de l’alcool et du sucre – encore deux mots empruntés à l’arabe. On ne peut non plus oublier à quel point l’agriculture européenne s’est elle aussi enrichie au contact de l’Orient : abricots, aubergines, échalotes, oranges, pastèques... La liste des mots «arabes» est interminable. Amin Maalouf - Les Croisades vues par les Arabes, éditions Jean-Claude Lattès - Paris - 1983 1. Nom donné par les auteurs arabes pour désigner les chrétiens d’Occident 68