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La lettre des n° 144 - 15e année Amis de Montluçon Société d’histoire et d’archéologie Séance mensuelle du 8 janvier 2010 [email protected] www.amis-de-montlucon.com Promenade dans le Domérat des années 1900-1950. L e froid de ce jour était si rigoureux que trentesix personnes seulement étaient présentes pour suivre la « Promenade dans le Domérat des années 1900 à 1950 » donnée par Jean-Paul Perrin, conférencier bien connu des Amis de Montluçon pour ses présentations écrites ou orales sur cette commune dont il est originaire. Cette promenade dans le temps consistait à le suivre par ses commentaires dans la projection d’anciennes cartes postales et de vieilles photographies provenant de sa collection, soit environ 250 vues. Mais avant la séance, le président Jean Paul Michard a rappelé les décès successifs de Me Jacques Pellissier, Mme Gabrielle David, M. Jacques Chateau et de notre président d’honneur, M. Jean Marty, décédé le 21 décembre 2009 et pour lequel, il a brièvement rappelé tout ce qu’il avait fait pour les Amis de Montluçon. Le conférencier a commencé par donner quelques généralités sur la bourgade de Domérat, très étendue avec ses 3 550 hectares à vocation vinicole. Son vignoble À noter sur votre agenda… Vendredi 12 février 2010, 17 h, salle Salicis : s’étendait sur 1300 hectares en 1908, 1000 en 1913, 830 en 1924, 650 en 1935 et seulement 300 en 1956. Ce déclin était dû aux industries qui s’établissaient à Montluçon et attiraient les jeunes qui abandonnaient le dur travail de la terre argileuse de leur commune pour le travail en usine ; certains même adoptaient un mode de vie mixte, à la fois ouvrier et vigneron. Domérat, compte tenu de sa vaste superficie, a la particularité de posséder six villages : Crevant, Prunet, Vignoux, Ricros, Couraud et Givrette, mais aussi neufs hameaux : la Pérelle, le Lac, la Génebrière, Châteaugay, Châteaufavier, Brignat, Villars, les Montais et Terre-Neuve. On accède au bourg par six routes en étoile : celles de Montluçon, de Crevant, de Prunet, d’Huriel, de Quinssaines et de Couraud. Le conférencier présente d’abord les entrées dans le bourg par ces différents chemins toujours dans les vignes. La visite commence par l’entrée par la route de Couraud, sur la petite place de la Marianne, la Marianne symbole de la République, car les Domératois ont été des républicains anticléricaux à tout crin. Le conférencier en donnera plusieurs exemples. Le buste de la Marianne inauguré en 1889, porte la mention : « Don des Républicains domératois. Hommage au centenaire de la Révolution ». La croix des Princes qui marquait alors l’entrée du bourg fut déposée. M. Bruno Bertin : - Archéologie et géomatique : le Pixy, un outil de télédétection inédit. _______________ Samedi 13 mars 2010 16 h 30, salle Robert-Lebourg Romain Pommier : - Huriel, terres de Berry (Xe-XIIIe siècles). Domérat : entrée du bourg, place de la Marianne 1 Permettant de suivre l’évolution des lieux, des vues de différents plans montrent la place de l’église, devenue place Bacchus, centre commercial et de vie de la commune. Autrefois étaient là le cimetière, le prieuré, le presbytère devenu la poste, un alambic, deux urinoirs sans eau, le marché aux paisseaux, le poids public, la fontaine. Celle-ci fut élevée en 1889 avec une statue de Bacchus, dieu romain de la vigne, des arts et de la poésie, et bon vivant… En haut de deux tonneaux, dans une pose lascive, il tourne le dos au portail de l’église. Sa statue porte une inscription : « Érigé sous la première municipalité républicaine et ouvrière de Domérat ». En cette même année fut rasée une partie des bâtiments du prieuré qui coupaient la place en deux. Quant à la façade de l’église, elle présente de grandes lettres R et F, significatives de son appartenance à la République. Cette église, dédiée à Notre-Dame, a été en partie reconstruite sur la crypte de l’église primitive entre 1860 et 1865. Cette crypte qui est la plus grande du Bourbonnais, abrite une Vierge en pierre polychrome, dite Notre-Dame de la Râche, réputée pour protéger de l’impétigo et de la croûte de lait. En 1882, un arrêté municipal interdit toute procession sur la commune. En 1900 un autre arrêté interdit, sur tout le territoire de la commune, « le port de la soutane à tout ecclésiastique non reconnu fonctionnaire de l’État », au motif invoqué que « Tous ces gens-là abusent du prestige que leur donne leur costume auprès de certains ignorants, pour fomenter des éléments de discorde dans tout le pays et en particulier dans la commune où des monstruosités qui s’y sont commises depuis six années ont eu pour collaborateurs tous les porte-soutanes, » à charge pour le garde champêtre de le faire respecter. En 1908, le clocher fut abattu par la foudre et il fut question de le remplacer par une terrasse, ce qui aurait économisé mille francs à la commune… Entre l’église et la mairie, une photo montre le tumulus, rasé en 1965, motte d’environ sept mètres de hauteur et d’une quarantaine de mètres de diamètre, sur laquelle s’élevait aux XIe et XIIe siècles un château primitif en bois. La mairie, avec son clocheton, fut construite en 1902 à partir des plans de l’architecte montluçonnais Gilbert Talboureau, qui y inclut une école enfantine, une cantine scolaire et le logement des enseignants. Sur le devant fut installé une statue qui portait l’inscription « Rien à l’oisif, tout au producteur ». La même année, aux deux sœurs congréganistes de l’école Notre-Dame accueillant des filles, qui demandaient un supplément d’enseignants, voici ce qui leur fut répondu : « L’école tenue par les sœurs de la Charité n’a aucune raison d’être à Domérat où les locaux scolaires communaux sont largement suffisants et mieux aménagés que ceux de l’école libre (...). L’instruction donnée à l’école laïque est plus solide et mieux appropriée aux besoins de la femme, que l’instruction congréganiste, où on fait passer trop de temps aux élèves pour leur apprendre des choses inutiles, sinon nuisibles », et, compte tenu que l’école congréganiste abuse des sommes d’argent qui font défaut aux œuvres de bienfaisance, « il y aurait intérêt pour les pauvres à supprimer les sœurs improprement appelées sœurs de Charité. » ! Profitant de l’endroit, le conférencier évoque quelques maires ou principaux conseillers, tous vignerons, qui ont dirigé la commune pendant la première moitié du XXe siècle. L’un d’eux, Eugène Jardon, fut un député communiste en 19391. Lors de l’inauguration de la mairie, le maire du moment, Jean Dechaux, le « bouffeur de curé » qui dirigea la commune de 1888 à 1925, adressa un discours à ses administrés avant un banquet auquel participaient 300 convives : « Jusqu’à ce jour, vous n’aviez pas de local assez vaste où vous pouviez vous procurer quelques distractions après vos durs labeurs. Jusqu’à ce jour, vous n’avez eu qu’un vaste édifice communal, l’église, où une seule personne est admise à exprimer ses doctrines, alors que vous n’avez jamais pu manifester aucune observation. Jusqu’à ce jour, vous avez pu fréquenter ce bâtiment, mais à la seule condition d’accepter d’avance d’être asservis à l’idée d’un homme. Aujourd’hui, vous avez un autre édifice communal où vous pourrez prendre quelques distractions. Un bâtiment qui, comme l’autre, appartient à tous, mais où tous pourront exprimer toutes leurs conceptions politiques, religieuses ou autres, où tous pourront contredire n’importe quelle idée, d’où qu’elle vienne. En un mot, vous aurez en plus du monument communal où l’asservissement est de rigueur, une maison digne de votre commune ; une maison qui sera entièrement votre propriété, une maison qui sera la véritable maison de la Liberté et de l’Egalité… et aussi celle de la Fraternité. » Après l’église et la mairie, Jean-Paul Perrin fait pénétrer les auditeurs dans le cimetière à l’entrée duquel est situé le monument aux morts, en l’occurrence un poilu qui veille, le fusil à la main. Construit en 1920, le monument était alors encadré par deux canons et huit obus qui furent retirés en 1925 car ils donnaient « un caractère belliqueux, en contradiction formelle avec Ci-contre : la mairie de Domérat, œuvre de l’architecte montluçonnais Gilbert Talbourdeau 2 1 - Cf. La lettre des Amis de Montluçon, n° 62, 2001, et bulletin des Amis de Montluçon n° 53, année 2002. l’esprit profondément pacifiste de notre commune. Ces engins ne peuvent décemment veiller sur le sommeil de leurs victimes ». Par ailleurs, dans ce vieux cimetière, une tombe porte une stèle gravée, à caractère politique. En voici l’épitaphe dédiée à Joseph Aumoine et Émile Aubouet : « Aux deux amis qui furent ensemble à la tête de la municipalité, décédés la même année, ayant eu les mêmes aspirations et victimes de la délation et des faux témoignages des mouchards cléricaux. J. J. Aumoine, conseiller municipal 1881, maire 1887, président du syndicat 1893. Au dévoué citoyen dont l’unique ambition fut celle du devoir accompli. Au bon camarade dont le cœur fut frappé par les injustices faites à ses meilleurs amis. A celui qui emporte dans la tombe l’amertume de n’avoir pas vu la fin des iniquités sociales et le triomphe des défenseurs du peuple ». Abandonnant le bourg, Jean-Paul Perrin invite à visiter les villages et commence par celui de Couraud, ancienne paroisse à deux chapelles, alimentée en eau par la source de la Font Chaude, au débit constant à 14 °C qui est à l’origine du ruisselet le Couraud. Ce village, peuplé autrefois d’une centaine d’âmes, a pour singularité d’avoir, après la Grande guerre, élevé un monument à ses morts par souscription de ses habitants. La commune de Domérat a donc deux monuments aux morts pour la patrie. Ce village possédait deux alambics, et le conférencier signale, à ce sujet, qu’il y en avait dixhuit sur la commune en 1916. Il y en avait trois dans le bourg et deux dans les villages de Couraud, Crevant et Prunet, les autres étaient itinérants. En 1948 les quinze cents récoltants avaient produit près de trente mille litres de gnôle ! Le village de Crevant est traversé par le Bartillat2, petit ruisseau qui faisait tourner la roue à aubes du moulin chez Laville, toujours en place. Ensuite servait à alimenter les douves du château dont la tour carrée, à haute toiture à quatre pans toujours debout, porte la date de 1595 sur un linteau de fenêtre. Le seigneur, qui avait droit de justice sur les environs, était si sévère, que, des siècles après, l’expression « raide comme la justice de Crevant » est toujours utilisée. C’est un peu après que la ligne de chemin de fer, construite en 1864, quitte le territoire de Domérat pour celui d’Huriel après être passée sur le viaduc de Vignoux, à dix arches. L’entrée du village de Crevant Au milieu de l’ancien cimetière de Crevant, s’élevait la chapelle des Ladres dédiée à saint Abdon, protecteur des vignes contre les intempéries. Vendue à la Révolution elle fut remplacée en 1845 par un modeste oratoire qui existe toujours, en mauvais état, avec sa pietà et ses statuettes de fabrication locale. Saint Abdon est devenu saint Tappedon qui aidait « les moribonds à passer »… Plus haut que Crevant est située la Pérelle, près de Ricros. Maison et parc furent légués à l’évêché de Moulins qui fit construire une école libre avant la guerre. L’ensemble fut ensuite loué à la SNCF qui y installa un centre d’instruction des agents du service Exploitation3. C’est dans les dépendances de la grande maison bourgeoise, datant du XVIIIe siècle, qu’a été inauguré en 1985 le musée de la vigne. Le « château » de la Pérelle Le village de Ricros est traversé par la Magieure qui l’inonda plusieurs fois ; une carte postale montre même le pont qu’elle fit effondrer en 1910. Ricros tient son nom du fait que la rivière sort d’un ravin pittoresque portant le nom de Ris Creux, où elle a fait tourner le moulin Ganot. Le village de Givrette, ancienne paroisse, (commune supprimée en 1810) est connu depuis l’aube des temps puisque son nom figure dans une charte du 30 juillet 637 dans laquelle Dagobert, roi des Francs, donne la villa de Givrettis à l’abbaye de Saint-Denis avec serfs, terres, eaux, forêts et moulins. En 802 et en 1088 son nom figure dans les biens du cartulaire de La Chapelle Aude. L’alambic place de l’église à Domérat 2 - Ce ruisseau vient des terres de Bartillat, sur la commune limitrophe de Saint-Martinien. 3 - Centre où l’auteur de la présente lettre a été interne dans la promotion 1948-1950. 3 « Devenus inutiles », en 1882 il fut question de vendre l’église et le cimetière ce qui se fit seulement en 1913. L’église, dédiée à saint Pardoux, au clocher octogonal détruit par la foudre en 1911, sans entretien, s’est ensuite totalement délabrée. Dans le village, s’élève toujours une gentilhommière avec tour d’angle du XVIIe siècle. Près de Givrette se trouve la font de Saint-Maur. Jusqu’en 1882, année où elles furent interdites, des processions s’y déroulaient les 15 janvier et 28 août. Les reliques du saint y auraient été déposées par les moines de Glanfeuil, en Anjou, qui fuyaient les invasions normandes. Le village de Givrette, avec à gauche le clocher de l’ancienne église. Le village de Prunet est divisé, en fait, en deux parties. Prunet-haut est nettement séparé de Prunetbas : dans le haut étaient les propriétaires vignerons et les plus aisés qui avaient de belles caves voûtées, et, dans le bas vivaient les journaliers et les manœuvriers. À Prunet-haut, vécut un célèbre vigneron dont JeanPaul Perrin montre le portrait viril et sa la maison qui tranchait avec les autres. Ami d’Emile Guillaumin, Jules Rougeron, dit « l’Empereur », personnage haut en couleur, naquit en 1861 à Viersat où il fut maire de 1892 à 1896. Il s’installa alors à Prunet-haut où il s’était marié avec la fille d’un vigneron. Il vit ce métier avec un autre œil que celui, traditionnel, des autres en ce temps où le phylloxera s’est abattu sur le vignoble. Il créa la « Ruche viticole de Prunet, société d’éducation, de mutualité, d’union et de solidarité » et une école de vannerie. Visionnaire incompris du métier et de la condition du viticulteur et de l’agriculteur, il est mort en 19454. Dernier village, Vignoux, qui possède deux édifices remarquables, les restes d’une ancienne chapelle dédiée à saint Gilbert qui fut vendue en 1792 et une gentilhommière du XVIIe siècle à longue façade, dotée de deux petites ailes en retour d’un côté et de deux tourelles d’angle de l’autre. En 1949, dans ce village mourut la première centenaire de la commune de Domérat. Une rue qui mène à Vignoux porte son nom. Après avoir parcouru le bourg et ses six villages, le conférencier invite à visiter les hameaux qui présentent quelque intérêt à montrer et à dire : 4 4 - Jean-Paul Perrin lui a consacré, en 2003, un important ouvrage : Jules Rougeron ou Le rêve inachevé. - Châteaugay qui se développe le long de la route de Tours après que celle-ci soit construite en 1840. La SAGEM s’y installe en 19335. - Les Montais, dont le nom figure sur la carte de Cassini6, où se trouve un château du XVIIIe siècle, à haut toit avec deux tours d’angle rondes. Un trésor en monnaie y fut trouvé en 1900. - Brignat figure aussi sur la carte de Cassini. L’actuel château est postérieur à 1850. Il a été vendu par le comte d’Horrer à la ville de Montluçon afin d’y établir un centre aéré pour les enfants. - Villars a servi de champ de courses de Montluçon à partir de 1891. Lors des manifestations hippiques, les spectateurs arrivaient par le train qui, après les avoir déposés, allait stationner en gare de Domérat et il les reprenait au retour. C’est là, au début du XXe siècle, que se dressaient les grands cirques de l’époque, puis il servit aussi de lieu d’entraînement pour l’armée de l’air. Ce terrain de vingt-neuf hectares qui devint ensuite l’aérodrome7 fut échangé en 1931 avec le terrain d’entraînement militaire des Méry, de cinquante-neuf hectares, qui avait été acheté par le maire de Montluçon, Marx Dormoy. - Les Méry, en bordure de Quinssaines, sont sur le point le plus élevé de la commune. La ferme présente encore des éléments du XVe siècle avec deux tours, un corps de logis, des granges et des écuries. - Au lieu-dit l’Abbaye, derrière Auchan8, subsiste, encore habitée, une petite partie de ce qui fut une importante dépendance de l’abbaye cistercienne de Bonlieu9, en Creuse. Les moines y travaillaient la vigne sous l’autorité d’un père grangier. Cette grange d’Aubeterre avait été donnée au XIIe siècle par le seigneur du lieu, Guillaume de Bourbon, avec les terres et les dépendances. Elle comprenait un étang, un moulin, une carrière de pierre à chaux. Le bâtiment actuel présente encore une cheminée double, des fenêtres avec bancs de pierre et un escalier en bois massif. Après leur promenade virtuelle qui les a conduits, à l’abri du mauvais temps, dans l’immensité territoriale et le passé fourni de Domérat, les Amis de Montluçon, à 20 h 15, ont repris contact avec la bise et la neige verglacée. Maurice Malleret 5 - Cf. La lettre des Amis de Montluçon, n° 103, année 2005, et bulletin des Amis de Montluçon, n° 57, année 2006. 6 - La carte de Cassini est la première carte générale et particulière du royaume de France au XVIIIe siècle. 7 - Un as de la voltige aérienne, Léon Biancotto, qui s’y entraînait se tua à Bratislava, en août 1960, lors d’un championnat du monde. 8 - Cette grande surface domératoise a remplacé l’hypermarché Mammouth construit en 1970 au lieu-dit Terre-Neuve. 9 - L’abbaye de Bonlieu était située dans la Creuse à Peyratla-Nonière. Cf. A. GUY, « Aubeterre, grange bourbonnaise de l’abbaye cistercienne de Bonlieu (Creuse) », bulletin des Amis de Montluçon, n° 42, année 1991, p. 7-35.