«Mariés au premier regard», c`est le jeu de l`amour sans le hasard

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«Mariés au premier regard», c`est le jeu de l`amour sans le hasard
Monde
«Mariés au premier regard»,
c’est le jeu de l’amour sans le hasard
Télévision M6 programme une émission de télé-réalité dans laquelle les candidats
confient à des experts et à un algorithme le choix de celui ou celle qu’ils épouseront.
scepticisme sur les prétentions
de M6 à apparier «scientifiquement» des êtres destinés à
s’aimer.
«C’est vrai, les enquêtes sur
les unions matrimoniales révèlent des régularités statistiques.
C’est vrai, l’attrait individuel est
loin de justifier à lui seul le choix
amoureux. Et on sait que la probabilité de former un couple stable augmente avec la similitude
entre deux personnes. Pour
autant, un degré de similitude
élevé ne permet pas de prédire
que ces personnes connaîtront
l’amour. L’attraction amoureuse
ne saurait se réduire à la compatibilité: c’est un phénomène trop
complexe pour être enfermé
dans des algorithmes.»
Michel Audétat
[email protected]
La télévision est devenue une
usine à couples. Du bon vieux
«Bachelor» aux vertes idylles de
«L’amour est dans le pré» en
passant par «Qui veut épouser
mon fils?» elle a multiplié les
émissions destinées à produire
de la séduction et de la rencontre amoureuse. Une nouvelle
étape sera franchie avec le «docu-réalité» de M6 qui débutera
le 7 novembre: «Mariés au premier regard» devrait conduire
des êtres à se dire oui devant
M. le maire sans s’être jamais
rencontrés auparavant.
Le concept de l’émission arrive du Danemark. Prenez une
centaine de célibataires désireux de ne plus l’être. Soumettez-les à un déluge de questionnaires et de tests qui ne laisseront rien dans l’ombre: modes
de vie, valeurs, ambitions, goûts
plus ou moins coquins, odeurs
corporelles qu’ils jugent attirantes ou repoussantes, etc. Confiez ensuite les résultats aux
mains expertes d’un psychologue, d’un sociologue et d’un
sexologue qui, aidés d’un mystérieux algorithme, vont sélectionner des profils compatibles
et former des couples. Conduisez enfin les élus à la mairie, où,
dissimulés l’un à l’autre par un
rideau, ils signeront un contrat
de mariage sous le régime de la
séparation des biens.
Les voilà donc mariés; le moment d’échanger leur premier regard est venu. Ils devront dès lors
en passer par le banquet, la nuit
et le voyage de noces, puis l’emménagement dans un logement
où M6 viendra les interroger
après quelques semaines de vie
commune. La chaîne parle d’une
«expérience de psychologie sociale en prime time». Elle appâte
aussi le chaland en lui promettant suspense et stupeur. Y aurat-il des coups de foudre? Comment annoncer à ses proches
qu’on va épouser un inconnu?
Les candidats de «Mariés au premier regard» seront soumis à de nombreux questionnaires
et tests. A droite, les trois experts qui vont sélectionner les candidats au mariage
avec un inconnu. Photos Peter Dazeley/GettyImages, M6 (2x)
Mythologies amoureuses
Il s’agit d’un divertissement,
bien sûr, mais dont le concept
ébranle un des fondements de
notre culture amoureuse. Les
yeux, dit-on, seraient le miroir
de l’âme. «Les regards sont les
premiers billets doux des
amants», écrivait au XVIIe siècle la femme de lettres et libertine Ninon de Lenclos. Mais
peut-on se fier à ce miroir? Prenant l’affaire à rebrousse-poil,
«Mariés au premier regard»
écarte ce moment inaugural de
nos mythologies amoureuses:
avant de se marier, les candidats
auront vu des images du corps
de l’autre, mais pas son visage.
«On aime une femme pour ce
qu’elle n’est pas, disait Serge
Gainsbourg. On la quitte pour ce
qu’elle est…» (formule bien sûr réversible si l’on veut parler des déceptions causées par les hommes)
Faites confiance à l’algorithme
plutôt qu’à vos impressions, lui rétorque M6, qui peut s’appuyer sur
les ravages du divorce pour mettre en scène une sélection «scientifique» des cœurs à prendre.
Guidé par des professionnels, le
choix amoureux passerait ainsi de
l’amateurisme aveugle à la rationalité éclairée.
La télé-réalité de M6 surfe
sur un fantasme qu’elle n’a pas
inventé. «Ayez l’amour sans le
hasard!» disait il y a quelques
années une publicité pour le site
de rencontre Meetic. Dans son
«Eloge de l’amour» (Flammarion, 2009), le philosophe Alain
Badiou citait ce slogan pour illustrer la menace d’une «conception sécuritaire de l’amour»
qu’il voyait poindre: «L’amour
assurance tous risques».
Dans le jeu de l’amour et du
hasard, il y aurait donc la tentation de réduire autant que possible la part de ce dernier. La passion résulterait alors de la sélection scientifique, du calcul, et
pourrait profiter bientôt des ressources promises par le Big
Data. Le bonheur amoureux serait ainsi à la portée d’algorithmes toujours plus perfectionnés.
Mais l’individu moderne ne
l’entend pas de cette oreille.
Emancipé du mariage arrangé
par les familles, il ne rêve pas
Contrôle qualité
forcément d’un mariage arrangé par des psychologues et
des ingénieurs en informatique.
On aime imaginer que l’amour
va où il veut. Qu’il relève d’une
grâce mystérieuse ou des caprices de Cupidon.
Qui épouse qui?
C’est une illusion que la sociologie contrarie depuis longtemps.
En 1964 paraissait en France un
livre fondateur: «Le choix du
conjoint», d’Alain Girard. Il
s’agissait d’une enquête «psychosociologique» portant sur
1646 couples et répondant à la
question de savoir qui épouse
«L’attraction
amoureuse est
un phénomène
trop complexe pour
être enfermé dans
des algorithmes»
Lubomir Lamy, professeur
de psychologie sociale
à l’Université Paris-Descartes
qui. Depuis lors, on sait que les
vents du hasard ne soufflent
guère sur le marché matrimonial. Comme souvent, la sociologie désenchante: elle montre
combien il est rare qu’une Cendrillon épouse un prince charmant et riche.
Le livre d’Alain Girard a imposé une notion: l’homogamie.
Elle désigne la propension des
individus à former un couple
avec une personne proche de
leur milieu social, culturel et
géographique. Le statut social
des parents joue aussi un rôle:
aujourd’hui comme hier, même
si elle est devenue invisible et
inavouée, la règle de l’homogamie se révèle fondamentale
dans le choix de la personne désirée, aimée et épousée. Nos illusions romantiques en prennent un coup. L’amour ne va décidément pas où il veut.
En 2006, Lubomir Lamy
avait publié «L’amour ne doit
rien au hasard» (Eyrolles). Professeur de psychologie sociale à
l’Université Paris-Descartes, il
affiche toutefois le plus grand
Sentiment d’impuissance
Lubomir Lamy voit plutôt «Mariés au premier regard» comme
un symptôme: «Les sociétés démocratiques valorisent l’individu autonome, décidant librement de sa vie. Mais les gens
sont devenus tellement libres
qu’ils ne savent plus comment
gérer cette liberté. Pour combattre leur sentiment d’impuissance, ils sont de plus en plus
tentés de s’en remettre à des
spécialistes, y compris pour ce
qui relève de leur vie intime. On
pouvait déjà faire appel à des
love coaches; on pourra désormais s’inscrire à l’émission de
M6...»
Sociologue et professeure à
l’Institut supérieur du commerce (ISC) de Paris, Catherine
Lejealle constate, elle aussi, que
la recherche de la similitude n’a
pas fini d’orienter la quête
amoureuse. Spécialiste de la
culture digitale, elle a réalisé des
études sur les sites et les applications de rencontres dont les résultats l’ont surprise: «Je m’attendais à ce que l’Internet rebatte les cartes. Or ce n’est pas le
cas. Les utilisateurs ont tendance à prendre peu de risques
en privilégiant les critères de
proximité, qu’il s’agisse de l’âge
ou du milieu social.»
Catherine Lejealle observe
aussi la tentation assez communément partagée de soustraire
la rencontre amoureuse au hasard: «Sur les sites de rencontre,
les gens traitent en général les
possibilités de rencontres de façon très rationnelle. C’est sans
doute un effet des nouvelles
technologies qui incitent à tout
vouloir tout de suite. Désormais, on ne veut plus laisser au
hasard le temps de laisser faire
les choses.» En ce sens, l’émission de M6 est au moins acclimatée à son époque.
Cela suffira-t-il pour assurer
son succès? Si cela ne devait pas
être le cas, la télévision de
l’amour a d’autres dispositifs en
stock qui n’attendent que d’être
adaptés. Le Danemark a imaginé le «Kiss Bang Love», où
l’on fait son choix en embrassant des célibataires les yeux
bandés. Et, en Suède, la chaîne
SVT1 a conçu une émission destinée aux hommes et aux femmes d’Eglise esseulés: trois
luthériens et un pentecôtiste ont
essuyé les plâtres de la première
saison l’an dernier. U
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Hillary Clinton
sur la défensive
Etats-Unis Hillary Clinton est
repartie hier en campagne sur
la défensive, forcée d’adapter
son message à la relance surprise par le FBI de l’affaire de
sa messagerie personnelle, exploitée comme un cadeau du
ciel par son rival Donald Trump.
Le candidat républicain à la
Maison-Blanche, qui semblait se
diriger vers une défaite dans dix
jours, a saisi l’aubaine pour assurer à ses partisans que l’élection
n’était pas perdue. AFP
Un avion prend
feu au décollage
Jose Castillo/AP
30 octobre 2016 | Le Matin Dimanche
Chicago Une vingtaine de
personnes ont été légèrement
blessées vendredi quand le
flanc droit d’un avion d’American Airlines a pris feu sur
une piste de l’aéroport O’Hare
de Chicago au moment du
décollage. Plusieurs causes
ont été invoquées pour cet
accident: les pilotes ont rapporté qu’un pneu avait éclaté,
la compagnie aérienne parlant d’un «problème lié au
moteur». AFP
Rajoy reste
au pouvoir
Espagne Le chef du gouverne-
ment conservateur espagnol
sortant, Mariano Rajoy, 61 ans,
a obtenu hier soir la confiance
des députés. Cette investiture
met fin à dix mois de blocage
politique entraîné par une fragmentation sans précédent du
Parlement entre quatre grands
partis: les traditionnels Parti
socialiste et Parti populaire
(droite) et deux nouveaux:
Ciudadanos (centre) et Podemos (gauche radicale). AFP
Fronde contre
la présidente
Séoul Des milliers de Sud-
Coréens ont manifesté hier
à Séoul pour réclamer la démission de la présidente, Park
Geun-hye, prise dans un scandale de trafic d’influence et
d’ingérence impliquant une
de ses amies. Les protestataires estiment qu’elle a trahi
la confiance du public et n’a
plus de légitimité à exercer
son mandat. ATS
La fille d’Allende
renonce
Chili Isabel Allende, fille de l’an-
cien président chilien Salvador
Allende, renversé en 1973 par un
coup d’Etat militaire, a annoncé
avoir décidé de ne pas présenter
sa candidature à l’élection présidentielle de 2017. La sénatrice a
précisé qu’elle allait concentrer
ses efforts sur «le maintien de
l’unité au sein du Parti socialiste», fondé par son père
il y a plusieurs décennies. AFP