Août 2014, L`Hebdo No 33, Le Suisse qui a failli inventer la photo

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Août 2014, L`Hebdo No 33, Le Suisse qui a failli inventer la photo
Technologie
Le Suisse qui a failli inventer la photo
Luc Debraine
prendre l’empreinte durable d’une image
du monde réel (sa propre maison près
de Chalon) sur une plaque d’étain. Mais
le procédé est imparfait. Avec la collaboration de Niépce, Louis Daguerre lui
donne une forme convaincante, surtout
«prête à l’emploi».
Lorsque la toute première annonce
de l’invention de Daguerre à l’Académie
des sciences est faite le 7 janvier 1839, et
que la nouvelle est publiée dans les journaux, d’autres «découvreurs» de la photographie protestent avec la dernière
énergie. C’est le cas bien sûr en Angleterre, où William Henry Fox Talbot a mis
Le 19 août 1839, il y a cent septantecinq ans, les académiciens des beaux-arts
et des sciences à Paris ont droit à une
déclaration solennelle. L’astronome François Arago divulgue ce jour-là l’invention
de la photographie. Une découverte due au Parisien Louis
Daguerre, qui est parvenu à améliorer le procédé antérieur du Bourguignon Nicéphore Niépce. Originalité: l’invention est offerte par
la France à l’humanité. A l’exception de l’Angleterre, les relations
entre les deux pays étant ce qu’elles
étaient, sont et seront de toute
éternité.
Cette tombée immédiate de
la photo dans le domaine public
assure sa rapide diffusion dans
le monde. Au cours des semaines
et mois après la divulgation du
19 août 1839, les premiers appareils, qui portent le nom du peu
modeste Daguerre, impressionnent des plaques en Europe,
et bientôt outre-mer. Amorçant
une révolution de l’image qui
mènera à notre société de la Andreas Friedrich Gerber Autoportrait supposé
communication visuelle, jetant du médecin bernois, vers 1840-1860.
les semences du cinéma, de la
télévision, des selfies et facebookeries. au point son propre dispositif photograL’histoire des sciences et des tech- phique, de plus reproductible grâce à
niques abonde en bagarres autour de l’emploi d’un négatif. C’est le cas en France
l’invention de tel ou tel procédé innovant. même, où Hippolyte Bayard se représente
Pour des questions d’orgueil national ou en noyé pour déplorer de ne pas avoir
de royalties, il se trouvera toujours été reconnu comme le vrai père de la
quelqu’un pour affirmer qu’il est ou qu’un- technique.
tel est le vrai découvreur de ce dispositif,
En Suisse, le magazine Beobachter fait
de cette molécule, de cette application. part en janvier 1839 de l’invention de
La photographie n’est pas une exception. Daguerre. Sans attendre, Andreas FrieL’idée de fixer une image sur une surface drich Gerber adresse une lettre de prophotosensible grâce à une chambre noire testation au Beobachter. Il y signale qu’il
remonte au moins au XVIIIe siècle. Les a capté dès 1836 sur un papier sensibilisé
tentatives se multiplient au début du siècle au chlorure d’argent l’image d’objets
suivant, avec la percée décisive vers 1826 minuscules grâce à un microscope solaire.
de Nicéphore Niépce. Celui-ci arrive à Gerber n’est pas n’importe qui. Né vers
1797 à Eggiwil, il a étudié à Berne, Bonn
et Tübingen. En 1839, il est professeur de
médecine et d’anatomie vétérinaire à
l’Université de Berne. C’est un esprit
curieux, expérimentateur. Il connaît
comme ses pairs les propriétés photosensibles des sels d’argent, dont le noircissement à la lumière a été constaté dès le
XVIe siècle au moins.
Images perdues
La reconnaissance de sa prétendue percée décisive de 1836 n’aura pas lieu.
Aussitôt sa lettre de protestation parue
dans le Beobachter, qu’un autre lecteur
l’assassine en soulignant sa vanité
de «professeur de l’université
locale» qui cherche à «arracher la
notoriété de la découverte» à
Daguerre. Pas démonté, Gerber
détaillera sa trouvaille dans la préface de son livre Manuel de l’anatomie générale de l’homme et des mammifères domestiques paru en 1840. La
même année, le capitaine anglais
Boscawen Ibbetson publie à
Londres un ouvrage de photos où
il mentionne le procédé d’Andreas
Friedrich Gerber. Mais le livre a
été perdu, comme l’ont été les premières images du médecin bernois.
Quelques-unes de ses photos ultérieures, dont des daguerréotypes,
sont conservées à la Bibliothèque
de la bourgeoisie de Berne. Des
recherches sont toujours en cours
pour en savoir un peu plus sur les
expérimentations de Gerber. A
l’automne 2015, une exposition sur
les pionniers de la photo au Kornhaus de Berne permettra peut-être d’en
savoir un peu plus.
Une célébration des 175 ans de la divulgation officielle aura lieu les 30 et 31 août
au Musée suisse de l’appareil photographique, à Vevey. Des visites, ateliers pour
jeune public et la possibilité de prendre
des images avec une réplique de la chambre
noire de Niépce seront au programme.
Avant cela, le 19 août dès 18 h au Kursaal
de Berne, les associations de la photographie donnent rendez-vous au public
pour une série d’animations et exposés
sur l’invention. ■
www.cameramuseum.ch
www.fotohistory.ch
collection bürgerbibliothek bern
Récit. Le «pionnier»
de la photographie Andreas
Friedrich Gerber refait surface
à l’occasion des 175 ans de
la technique. Un anniversaire
célébré à Vevey et à Berne.
14 août 2014 l’hebdo 23