PRINCIPES DU DÉVELOPPEMENT DE LA CONDITION PHYSIQUE

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PRINCIPES DU DÉVELOPPEMENT DE LA CONDITION PHYSIQUE
PR I N C I P E S D U D É V E L O P PEMENT DE LA CONDITION PHYSIQUE :
IMPLICATIONS POUR L’ÉVALUATION
Greg Gannon et Joannie Halas | Université du Manitoba
Évaluation de la condition physique et de l’éducation
physique : l’évolution des tendances
D
ans le passé, condition physique et évaluation de la condition
physique étaient synonymes d’éducation physique. Comme
le montre Fitzpatrick (1982) dans un survol historique du
concept de condition physique dans les écoles du Manitoba des
années 1870 jusqu’au milieu des années 1970, la condition physique
était à l’époque généralement acceptée en tant qu’objectif légitime
du système d’éducation. Les élèves étaient encouragés à étudier les
principes régissant l’exercice, à acquérir des attitudes positives face
à l’activité physique et à atteindre un niveau fonctionnel de bienêtre physique. Dans les années 1950 et 1960, en vue d’établir des
normes nationales, les enseignantes et enseignants d’éducation
physique, les gouvernements et les associations professionnelles
ont amorcé l’évaluation à grande échelle de la condition physique,
notamment par l’intermédiaire du Projet d’évaluation de la condition
physique (en 1959) et des tests de l’Association canadienne pour la
santé, l’éducation physique et la récréation (ACSEPR) (Fitzpatrick).
En 1967, à l’occasion du centenaire de la Confédération, le Canada
a remis un nombre sans précédent de badges du Centenaire (niveaux
or, argent, bronze, participation aux élèves canadiens pour souligner
leurs réalisations, en fonction de leur groupe d’âge. Au début du
nouveau millénaire, la condition physique est toujours un élément
clé du programme scolaire, les nouveaux programmes d’éducation
physique étant désormais « axés sur les résultats » partout au Canada
(le ministère de l’Éducation et de la Formation du Manitoba,
2000).
Bien que nous ayons largement recours à la notion de condition
physique pour mesurer les résultats des enfants et des jeunes en
matière de santé, il n’en demeure pas moins que nous ne savons pas
très bien dans quelle mesure les tests évaluant la condition physique
encouragent les élèves à être physiquement actifs. Tandis que de
nombreux élèves en sont venus à « détester » les évaluations de la
forme physique (Hopple et Graham, 1995), les études démontrent
que ces évaluations peuvent être valorisantes pour certains (les élèves
qui réussissent bien), bien qu’elles soient décourageantes pour d’autres
(Halas, Mandigo & Thompson, 1998). La remise de badges dans le
cadre du programme Jeunesse en forme Canada visait certainement
à encourager tous les élèves à être physiquement actifs; pourtant,
pour de nombreux adultes, le souvenir de ce programme éveille un
sentiment de déception lié au fait de ne pas avoir reçu le badge attendu.
L’administration continue de tests – le fait d’inscrire les résultats
de l’élève, de les classer par ordre de mérite et de récompenser les
élèves (par une note) soulève un certain nombre de questions quant à
l’interprétation du rendement des élèves. Par exemple, suivant notre
compréhension actuelle des principes d’entraînement physique chez
les enfants et les ados, l’évaluation normative avantagerait les élèves
dont le corps se développe plus rapidement comparativement à ceux
et celles dont le développement est plus lent.
Pouvons-nous tirer des leçons du passé et les appliquer dans notre
façon d’évaluer la condition physique aujourd’hui? Nous pensons
que oui. Dans le présent document, nous examinons les études
récentes qui traitent des principes d’entraînement physique et nous
discutons de leurs implications possibles en matière d’évaluation de
la condition physique. Notre but est d’encourager les enseignantes
et enseignants d’éducation physique à mieux connaître les principes
de développement de la condition physique et à communiquer cette
information aux élèves pour qu’ils l’appliquent dans l’interprétation
de leur rendement personnel sur les tests de condition physique subis
dans le cadre du cours d’éducation physique.
Principes du développement de la condition physique :
implications pour l’évaluation
Le niveau de condition physique est déterminé par la capacité
fonctionnelle d’attributs ou de caractéristiques spécifiques du corps
d’accomplir certaines tâches d’ordre physique. Suivant la pensée
contemporaine, on peut dire que ces attributs sont liés à la santé ou
à la performance (ou encore aux aptitudes). La condition physique
liée à la santé est centrée sur la composition corporelle, l’endurance
cardiorespiratoire, la force et l’endurance musculaires et la flexibilité
musculaire. La condition physique liée à la performance tient compte
de la puissance, de l’agilité, de l’équilibre et du temps de réaction; ces
attributs influent sur le rendement dans certains sports ou métiers.
Voici quelques définitions de la condition physique :
Un ensemble d’attributs, principalement respiratoires et cardio­
vasculaires, reliés à la capacité d’accomplir des tâches qui requièrent
une dépense d’énergie. (Stedman’s Concise Medical Dictionary,
2001)
La capacité de réaliser des activités physiques d’un niveau modéré à
intensif sans fatigue indue et la capacité de maintenir de telles
aptitudes tout au long de la vie. (American College of Sports
Medicine, 1998)
Dans la suite du présent document, nous discutons des facteurs qui
influencent cet ensemble d’attributs que les jeunes « possèdent » ou
« développent ». Dans chaque cas, nous discutons de l’influence de
ces facteurs sur les pratiques d’évaluation de la condition physique.
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lorsqu’ils inscrivent les résultats, les classent par ordre de
mérite et accordent une récompense ou une note. Plutôt que de
considérer la condition physique comme résultat unique de la
participation régulière à l’activité physique,ils devraient insister
sur « l’augmentation de l’activité physique » comme résultat.
Si les enseignantes et enseignants continuent à donner
des « tests » pour évaluer la condition physique, il
faudrait apprendre aux élèves à interpréter leurs résultats.
Autrement, les élèves qui ont de piètres résultats pourraient
être déçus, même s’ils se considèrent physiquement
actifs et capables. Tel est peut-être le cas des nombreux
Canadiennes et Canadiens adultes qui se souviennent
encore aujourd’hui du badge de participation qu’ils avaient
reçu pour avoir suivi le programme Jeunesse en forme.
Figure 1: Facteurs qui influencent la bonne forme physique.
Dans les sections qui viennent, nous discutons des principes
de l’entraînement physique (surcharge, personnalisation,
rendement décroissant, spécificité et réversibilité) et de la
façon d’appliquer ces principes à l’évaluation de la condition
physique et à l’enseignement de l’éducation physique.Même si
ces principes d’entraînement sont reconnus pour la population
adulte, la relation dose-réponse entre l’activité physique et
l’entraînement physique n’est pas aussi claire pour les enfants
et les ados. Ceci dit, il est important d’examiner les principes
pour bien comprendre comment les enfants sont susceptibles
de réagir à l’activité physique et comment les enseignants
d’éducation physique évaluent la performance de leurs élèves.
Les résultats standard de l’évaluation de la forme physique chez les enfants et
les adolescents sont davantage influencés par la croissance et l’hérédité que
par des facteurs comportementaux ou environnementaux (Pangrazi et Corbin,
2001).
Facteurs importants qui influencent la condition physique
1.
L’influence de la génétique sur les résultats standard
d’évaluation de la condition physique : Des études
récentes révèlent que chez les jeunes, les résultats
d’évaluation de la condition physique sont davantage
déterminés par la croissance et l’hérédité que par les facteurs
comportementaux (activité physique et régime alimentaire)
ou environnementaux, ce qui laisse entendre que les résultats
d’évaluation de la condition physique chez les enfants et les
ados dépendent en grande partie de facteurs prédéterminés
( Jones, Hitchen et Stratton, 2000; Pate, Dowda et Ross,
1990; Malina, 1990; cf. figure 1 inspirée de Pangrazi et
Corbin, 2001). En raison du lien étroit entre la croissance
et les résultats d’évaluation, les enseignantes et enseignants
d’éducation physique doivent se montrer prudents lorsqu’ils
interprètent l’influence d’autres facteurs. Pour les adultes,
la recherche a révélé l’existence d’une relation positive forte
entre le niveau d’activité physique et la capacité aérobique
(U.S. Deparment of Health and Human Services, 1996).
Bien que nous supposions que la participation à l’activité
physique influence les résultats d’évaluation de la condition
physique d’un jeune, cela n’est pas nécessairement le cas et on
ne sait pas exactement si les enfants sont aptes à l’entraînement
physique (Armstrong et autres, 1991; Boreham et autres,
1997; Ekelund et autres, 2001) Katzamrzyk et autres, 1998;
Payne et Morrow, 1993; Rowland, 1992; Shephard, 1997).
Par conséquent, l’influence de la génétique sur les résultats
d’évaluation de la condition physique devrait nous inciter
à être prudents dans notre évaluation. D’ailleurs, plusieurs
enseignantes et enseignants d’éducation physique n’ont plus
recours à l’évaluation normative parce que la comparaison
entre les élèves en décourage beaucoup. Si on pousse le
raisonnement plus loin, les enseignantes et enseignants
d’éducation physique devraient utiliser la même prudence
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2.
La relation dose-réponse entre l’activité physique et
la condition physique : Le principe de la surcharge
veut que, pour constater une amélioration (c.-à-d. une
réponse), la charge d’entraînement (c.-à-d. la dose) doit
dépasser celle à laquelle l’élève est déjà habitué. La dose
d’activité physique est influencée par la manipulation de la
Figure 2: Relation dose-réponse.
La nature de la relation entre une activité physique régulière (dose) et la
plupart des résultats positifs sur la santé (réponse) correspondent en général
à la courbe A, B ou C (Bouchard, 2001).
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fréquence, de l’intensité, du temps (durée) et du type (mode)
d’exercice (le principe FITT). Ce principe tend à montrer
qu’il y a une relation dose-réponse entre l’activité physique
et la condition physique. En outre, pour qu’une réponse
intervienne, un seuil spécifique de dose doit être dépassé.
(figure 3, Bouchard et Rankinen, 2001). Autrement dit, il n’y
a pas deux individus qui vont réagir exactement de la même
manière à une dose similaire d’activité physique (la charge).
Peu importe le programme d’activité physique élaboré,
certains individus vont afficher de l’amélioration (sujets
répondants), alors que d’autres pas (sujets non répondants).
Ce principe soulève deux questions importantes : Quelle est la
nature de la relation entre la dose et la réponse (est-elle linéaire,
curviligne, exponentielle ?) Quel est le seuil de la dose à dépasser
pour qu’il y ait améliorations ? Ces données n’existent pas pour
les enfants et les ados. En d’autres mots, on ne sait pas quelle
quantité d’activité physique suffit, ou comment exactement
un enfant ou un ado va s’adapter à une charge spécifique
d’activité physique (Corbin, Pangrazi, Welk, 1994; Twisk, 2001).
Puisque la réponse à l’activité physique est à ce point
hétérogène,tous les élèves ne répondront pas de la même façon
à la leçon quotidienne ou au programme d’entraînement.
Si l’enseignante ou l’enseignant veut utiliser des tests pour
évaluer l’amélioration de la condition physique des élèves,
elle ou il doit leur montrer comment interpréter leurs
résultats individuels à la lumière de ce principe. De plus, il y
a lieu d’encourager les élèves à faire l’essai de différents types
de programmes d’entraînement afin de déterminer quel type
semble avoir davantage d’effet sur leur condition physique.
Les élèves peuvent ainsi développer leur propre programme
d’entraînement et considérer les « tâches » à accomplir
comme les objectifs de leur programme. Dans tous les cas, il
faut que les élèves soient capables d’interpréter tout résultat
faisant partie de leur programme personnel d’entraînement
physique.
En revanche, on sait que la relation dose-réponse peut
être décrite en termes généraux au moyen de trois courbes
séparées (Bouchard, 2001; Kesaniemi et autres, 2001)
illustrées dans la figure 2. La courbe A laisse penser que
la plupart des bienfaits sont atteints à un niveau d’activité
bas ou modéré. La courbe B laisse entendre que plus
d’activité conduit à une plus grande adaptation, alors que
la courbe C laisse supposer que les plus grands bienfaits
ne sont atteints que lorsque le niveau d’activité est plutôt
élevé. Dans une classe d’éducation physique, il se peut que
les élèves répondent à une seule de ces trois relations doseréponse; il y a donc lieu de croire que les enseignants et
enseignantes d’éducation physique devraient insister sur
l’importance d’utiliser une variété de charges d’entraînement
(intensité de l’exercice et volume) dans leur choix d’exercices.
3.
Le principe de la personnalisation : Le principe de la
personnalisation, fortement influencé par l’hérédité,
donne à penser que la réponse individuelle (l’adaptation)
à l’entraînement physique est hautement hétérogène
Figure 4: Principes du rendement décroissant.
Le bilan récent d’entraînement d’un individu détermine son éventuelle
réceptivité à l’entraînement physique.
4.
Figure 3: Réponse hétérogène à l’entraînement physique.
Le niveau d’adaptation en termes de condition physique à une dose d’exercice
standard varie considérablement et est contrôlé par les facteurs génétiques
(Bouchard et Rankinen, 2001).
Le principe du rendement décroissant : Le principe du
rendement décroissant veut que le taux d’amélioration
de la condition physique diminue à la longue alors
que la forme physique atteint son potentiel génétique
ultime (figure 4). Autrement dit, au fur et à mesure que
la condition physique s’améliore, « on en a moins pour
son argent ». Ainsi, la réponse à l’activité physique n’est
pas seulement associée aux facteurs héréditaires, mais
est grandement influencée par le niveau de la condition
physique d’un individu. Plus une personne est en forme,
moins sa condition physique s’améliore. Cette personne
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peut donc être injustement pénalisée si l’évaluation est
basée sur l’amélioration (une pratique courante dans
plusieurs des programmes d’éducation physique actuels).
Nous encourageons les enseignantes et enseignants
d’éducation physique à se concentrer sur la démarche qui
consiste à se mettre en forme et être actif au lieu de donner
une note pour indiquer les progrès de l’élève au fil du
« temps ». Sachant que la performance à un test d’aptitude
physique est fonction de la condition physique actuelle, les
élèves seront mieux en mesure de se situer par rapport à
leurs propres objectifs en matière de condition physique.
Par exemple, un élève sédentaire pourra s’attendre à des
gains plus importants au niveau des résultats après une
période d’entraînement, pourvu, bien entendu, qu’il fasse
partie des « répondants » au type d’entraînement entrepris.
5.
Le principe de la spécificité : Le principe de la spécificité
(aussi connu sous le nom d’« adaptation spécifique à des
demandes imposées » ou principe ASDI) laisse entendre
que les améliorations au niveau de la condition physique
sont propres aux caractéristiques (la vitesse, l’angle,
l’accélération, la fibre musculaire sollicitée, etc.) de l’activité
physique. Le principe de la spécificité s’applique également
à l’évaluation de la condition physique : les résultats sont
spécifiques au test choisi. Par exemple, on peut avoir recours
à différents tests, tels que l’élévation à la barre fixe, la force de
préhension ou le saut vertical, pour évaluer la force musculaire
et l’élève peut obtenir un meilleur résultat sur un test
spécifique de la force musculaire que sur l’autre. Il est donc
important que les élèves tiennent compte du principe de la
spécificité lorsqu’ils interprètent les résultats de leur test. Les
enseignantes et enseignants d’éducation physique devraient
faire comprendre aux élèves qu’aucun test ne reflète à lui seul
la mesure complète d’un aspect de la condition physique.
Figure 5: Relation en U inversé entre la santé et l’activité
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6.
Le principe de la réversibilité : Le principe de la réversibilité
semble indiquer que n’importe quelle amélioration au niveau
de la condition physique due à l’activité physique est totalement
réversible. En d’autres mots, quand on parle de condition
physique, c’est « rouille ou grouille ». Les enseignantes et
enseignants d’éducation physique doivent sans cesse rappeler
aux élèves que la constance et la pratique régulière de
l’activité physique sont des déterminants importants à la fois
pour le maintien et l’amélioration de la condition physique.
7.
Relation entre l’activité physique et la santé : Enfin, il est
important de dire aux élèves que l’on peut être en forme
sans être en santé. De fait, plusieurs athlètes d’élite sont
tombés malades en raison des contraintes physiques et
psychologiques écrasantes imposées par l’entraînement
de haut niveau (le syndrome du surentraînement).
Cet état de fait signale que la devise « plus, c’est mieux »
ne tient pas la route lorsqu’elle est appliquée à la relation
entre l’activité physique et la santé. Autrement dit, il
existe une relation positive entre les niveaux d’activité
physique (la dose) et la santé jusqu’à un certain seuil.
Au-delà de ce seuil d’activité, la santé peut se détériorer.
Cette relation correspond donc en termes généraux à ce qui
est décrit comme une relation en « U inversé » (figure 5).
Dans le domaine de la santé, cela signifie généralement que trop peu
d’exercice est inutile, que l’exercice modéré est utile et que l’exercice
excessif peut être nuisible.
Résumé
En résumé, pour tester et évaluer la condition physique, il faut
prendre en compte les principes décrits dans le présent document.
Autrement, les élèves, les enseignantes et enseignants d’éducation
physique et les parents pourraient mal interpréter la portée des
résultats d’évaluation de la condition physique. Parce que ces résultats
sont en grande partie déterminés par des facteurs tels que l’hérédité,
la croissance, l’individualité, la spécificité et le rendement décroissant,
nous conseillons aux enseignantes et enseignants d’examiner avec
soin la façon dont ils conçoivent leur pratique d’évaluation dans ce
domaine. Nous leur recommandons en outre d’expliquer les principes
du conditionnement physique dans leurs classes d’éducation physique
pour que les élèves comprennent leur réaction à différents régimes
d’activité physique. Nous ne préconisons pas l’abandon de l’évaluation
de la condition physique (utilisées efficacement, les « tâches » peuvent
être valables pour les élèves et peuvent les inciter à continuer à faire
de l’activité physique), mais nous conseillons vivement d’enseigner
aux élèves comment interpréter les résultats de l’évaluation de leur
condition physique. Centrées sur « la démarche», c’est-à-dire sur
le fait de s’adonner à l’activité physique, les pratiques d’évaluation
seront plus pertinentes et plus significatives pour l’élève.