Article Interavia 1969 02

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Article Interavia 1969 02
Article Interavia – Février 1969
Où en sont les programmes TSS ?
A la mi-novembre 1968, la Boeing Company a publié des renseignements sur son nouveau projet de
TSS désigné 2707-300 ; fin décembre le courrier supersonique russe Tupolev Tu 144 a effectué avec succès
son premier viol ; le Concorde, construit par les sociétés Sud-Aviation et BAC, va commencer incessamment
ses essais en vol. Il nous paraît donc opportun de donner dans ce numéro quelques précisions sur les trois
programmes de TSS.
Le projet de Boeing 2707-300
L’an dernier, la société Boeing a complètement refondu le projet initial de TSS américain, adoptant
une aile delta de plus grande envergure avec dispositifs hypersustentateurs à la place de la voilure à
géométrie variable qui posait certains problèmes, notamment en raison du poids élevé de son mécanisme de
commande. Contrairement au Concorde et au Tu-144, le Boeing 2707-300 aura un empennage horizontal. Les
réacteurs seront fixés sous la voilure et non plus sous l’empennage horizontal qui, sur l’appareil étudié
initialement, devait constituer la partie centrale de l’aile en configuration de croisière. Selon Boeing, le
projet de 2707-300 représente dans son ensemble le meilleur compromis entre la puissance installée, les
performances en vol et les caractéristiques d’exploitation.
Le projet de base soumis le 15 janvier à la FAA prévoit l’aménagement d’une cabine de 53,64 mètres
de long équipée de cinq offices et de cinq toilettes. La cabine se prêtant sur toute sa longueur à l’installation
de rangées de cinq fauteuils, l’appareil permettra le transport de 234 passagers en classe touriste. Dans la
partie inférieure du fuselage seront aménagées une soute de 29,8 m3 pour containers (à l’avant) et une soute
de 8,5 m3 pour le fret en vrac (à l’arrière).
Caractéristiques techniques du Boeing 2707-300.
Propulsion
Quatre General Electric GE4/J5P
Débit d’air au niveau de la mer
287 kg/s
Poids d’un réacteur
5 130 kilos
Poussée au décollage avec réchauffe
30 400 kilos
Poussée au décollage sans réchauffe
22 900 kilos
Nombre d’étages de compresseur
9
Nombre d’étages de turbine
2
Dimensions et poids
Envergure
43,18 mètres
Longueur
85,35 mètres
Hauteur
15,27 mètres
Surface alaire
778 m2
Hauteur du fuselage
4,11 mètres
Largeur du fuselage
3,71 mètres
Empattement
31,93 mètres
Voie
6,20 mètres
Poids au décollage
340 000 kilos
Poids à vide équipé
134 200 kilos
Poids maximum à l’atterrissage
195 000 kilos
Charge Marchande
22 200 kilos
Performances
Distance franchissable (ISA, à Mach 2,7 – 31 990 kg de réserve de
6 680 kilomètres
carburant – 152 930 kg de carburant bloc à bloc
Distance franchissable (ISA + 8°C à Mach 2,62
6 250 kilomètres
Vitesse de croisière
Correspondant à Mach 2,7
Distance au décollage (ISA + 15°C)
3 290 mètres
Distance d’atterrissage (ISA au poids maximum à l’atterrissage)
2 380 mètre
▼
Section de la cabine du Boeing 2707-300 en aménagement classe touriste à 234 sièges. Les dimensions
sont exprimées en pouces.
(1) Eclairage latéral
(2) Conduite d’eau.
(3) Conduite d’air
(4) Gaine d’air
(5) Plafonnier
(6) Câbles électriques
(7) Porte-bagages fermés
(8) Tableau de commandes individuels.
Plutôt que de mettre au point ultérieurement diverses variantes comme ce fut le cas pour certains
appareils commerciaux, Boeing a jugé préférable de prévoir d’emblée la possibilité d’augmenter ou de
diminuer la longueur ou le diamètre du fuselage de son TSS. La construction de versions à fuselage allongé ou
élargi du Boeing 27707-300 ne posera en effet aucun problème, la cellule étant conçue de telle sorte qu’il ne
sera pas nécessaire de modifier la structure de l’aile.
Grâce au choix qui leur sera offert entre des fuselages de différentes tailles, les compagnies
aériennes pourront donc retenir la version la plus intéressante en ce qui concerne la charge marchande et la
distance franchissable. L’agrandissement du fuselage n’affectera pas les performances dans le domaine
subsonique et ne se traduira que par une faible augmentation de la traînée de vol supersonique.
Vue de côté et vue en plan du Boeing 2707-300
(1) Lest (eau) – (2) Volets de bord d’attaque (débattement de 50° pour les volets intérieurs, de 40° pour les
volets intermédiaires et de 30° pour les volets extérieurs) – (3) Flaperon extérieur (30° vers le bas, 20° vers
le haut) – (4) Spoiler (63° vers le haut)/(déflecteur à fente (30° vers le bas) – (5) Volet extérieurs (20° vers
le bas) – (6) Relais d’accessoires du réacteur extérieur – (7) réacteur – (8) Flaperon intérieur (20°vers le bas,
10° vers le haut – (9) Relais d’accessoires du réacteur intérieur – (10) Volet intérieur (20° vers le bas) –
(11) Stabilisateur (10° vers le haut, 20° vers le bas – (12) Gouverne de profondeur (30° vers le haut et vert
le bas par rapport au stabilisateur – (13) Empennage – (14) Cabine à 234 passagers espacés de 86 cm –
(15) Sièges des observateurs – (16) Compartiment électronique avant – (17) Cloison étanche – (18) Antenne
HF - (19) Antenne Loran – (20) Gouverne de direction (+/- 30°) – (21) Feu de position arrière et feu anticollision – (22) Antenne VOR – (23) Equipements hydrauliques – (24) Compartiment électronique arrière –
(25) Fret en vrac - (26) Caméra TV – (27) Equipements climatisation – (28) Fret et bagages en containers
(29) Porte cargo latérale – (30) Lest (eau) – (31) Commandes de vol – (32) Antenne DME – (33) Antenne
VHF/radio-bornes.
La vue en coupe de l’aile suivant A-A montre les éléments suivants : (1) Volet de bord d’attaque –
(2) Articulation – (3) Longeron arrière – (4) Spoiler – (5) Volet de bord de fuite – (6) Déflecteur à fente . En
trait gras les parties construites en nids d’abeilles.
Le poste de pilotage, de type classique, est conçu pour un équipage composé de deux pilotes et d’un
ingénieur-mécanicien. Des sièges pour deux observateurs seront installés derrière celui du commandant de
bord. L’appareil possédera un nez muni d’une visière. A vitesse réduite, avec le nez abaissé, le champ de vision
des pilotes sera de 38° (22° vers le bas et 16° vers le haut). En croisière à vitesse supersonique, le champ de
vision se réduira à 7° (4° vers le haut et 3° vers le bas).
Le pilote et le copilote auront devant eux un indicateur/directeur électronique d’altitude (Electronic
Attitude Director Indicator EADI). Les ordres de pilotage seront affichées sous forme de symboles et il
sera possible de présenter en surimpression une image télévisée du paysage environnant (la caméra de
télévision est installée sous le fuselage). Un indicateur de cap et d’assiette (Horizontal Situation Indicator –
HSI) sera installé sous l’EADI, mais il sera remplacé par la suite par un routier automatique. La place est
prévue sur le tableau de bord pour un indicateur de turbulences en air clair et pour l’indicateur du système
anti-collision.
Les turboréacteurs General Electric GE4/JP5, équipés d’un système de réchauffe et d’un inverseur
de poussée, sont installés dans quatre nacelles distinctes et leurs entrées d’air possèdent un cône central.
Chaque moteur comporte à son côté un relais d’accessoires logé dans le bord de fuite de la voilure. Ces relais
entraînent chacun deux pompes hydrauliques et un alternateur. Les démarreurs ainsi que les compresseurs du
système de climatisation et de pressurisation sont installés dans les nacelles et un entraînement distinct les
relie aux moteurs.
Réacteur General Electric GE4/J5P avec inverseur de poussée et système de réchauffe.
(1) Compresseur (2) Chambre de combustion annulaire (3) Turbine à 2 étages (4) Tuyère primaire (5)
Tuyère secondaire (6) Inverseurs de poussée (7) Carter des accessoires
La manche d’entrée d’air comporte un corps central de
révolution réglable axialement, des prises d’air
auxiliaires et des décharges permettant d’ajuster le
débit à toutes les conditions de vol.
(A) Diffuseur supersonique (B) Orifices de décharge
(C) Canal intérieur et dérivation
(D) Diffuseur
subsonique (E) Stabilisateur d’onde de choc.
Le carburant est contenu dans des réservoirs structuraux situés dans la voilure et la partie arrière
du fuselage et chaque réacteur est alimenté à partir d’une nourrice montée dans le fuselage. Aucun système
automatique n’est prévu pour contrôler le prélèvement du carburant dans les divers réservoirs, bien qu’une
certaine procédure soit nécessaire pour assurer des performances optimales dans les diverses phases du vol.
Au cours de la montée, le transfert du carburant dans les nourrices se fait à partir des réservoirs
structuraux avant, le centrage devant être modifié en fonction du déplacement du centre de poussée
aérodynamique. En vol de croisière, l’alimentation en carburant s’effectue de telle sorte que le centre de
gravité demeure dans les limites correspondant à 52-57% de la corde moyenne de l’aile. Pendant la descente,
le carburant est prélevé dans le réservoir de queue afin de provoquer in déplacement vers l’avant du centre
de gravité pour le vol à vitesse subsonique. Pour éviter un centrage arrière lorsque le coefficient d’occupation
est inférieur à 40%, l’installation d’un réservoir pour un lest de quelques 5 000 litres d’eau a été prévue dans
le tronçon avant du fuselage.
Le système de climatisation et de pressurisation, composé de quatre sous-ensembles indépendants,
utilise de l’air prélevé aux compresseurs de l’installation motrice. Cet air, initialement à quelque 600°C, est
refroidi dans la canal de dérivation des nacelles, puis est mélangé à l’air évacué de la cabine par un système
fonctionnant suivant le principe bootstrap. La répartition de l’air reste assurée normalement en cas de panne
de l’un des quatre sous-ensembles. Dans le plafond de la cabine, qui est, divisé en trois zones de régulation
thermique, l’air emprunte des conduits aboutissant à une chambre où il est brassé avec de l’air de
recirculation avant d’être dirigé dans la cabine. Grâce à un refroidissement s’effectuant dans les parois
latérales, la température de celles-ci est maintenue entre 24 et 28°C. L’air évacué de la cabine sert
également à refroidir les logements des atterrisseurs où la température ne doit pas dépasser 120°C.
Schéma du système de climatisation
(1) Refroidissement du radar (2) Conduite d’évacuation de l’air de la cabine (3) Rampe de distribution avant
(4) Rampe de distribution médiane (5) Rampe de distribution arrière (6) Conduite l’évacuation de l’air de la
cabine (7) Source de l’air N° 4 (8) Source d’air N° 3 (9) Cloison étanche (10) Pré-Refroidisseur et source
d’air N° 1 (11) Source d’air N° 2 (12) Conduites d’alimentation du circuit de refroidissement secondaire
(13) Circuits de refroidissement secondaires N° 1-2-3 et 4 (14) Baies des équipements électroniques
(15) Rampe de distribution du poste de pilotage (16) Conduite d’alimentation en air de la cabine (17) Chambre
de mélange (18) Evacuation de l’air de la cabine (19) Evacuation canalisée entre les parois (20) Conduite d’air
de recirculation.
Pour le contrôle autour des trois axes, l’appareil possède une gouverne de direction divisée en trois
éléments, un stabilisateur à incidence variable muni de deux gouvernes de profondeur à commande
hydraulique., des spoilers ainsi que des flaperons intérieur et extérieurs (gouvernes assurant à la fois les
fonctions de volet et d’aileron). Prévus pour les évolutions lentes, les flaperons extérieurs et l’élément
supérieur de la gouverne de direction restent bloqués aux vitesses élevées. A ces vitesses, le débattement
des autres éléments de la gouverne de direction est limité et les deux gouvernes de profondeur sont
maintenues en position neutre par rapport au stabilisateur. Aux basses vitesses, les gouvernes de profondeur
servent en revanche à accroître la cambrure de l’empennage horizontal. Actionnés pour le contrôle en roulis à
toutes les vitesses, (mais avec un léger retard sur les flaperons pour éviter une forte traînée), les spoilers
sont également utilisables pour le freinage aérodynamique tant en l’air qu’au sol. L’intrados de la voilure
comporte des déflecteurs à fente qui, actionnés en même temps que les spoilers, dirigent de l’air sur
l’extrados, améliorant ainsi 50% environ de l’efficacité des gouvernes. Les deux flaperons et les deux volets
de chaque demi-aile sont braqués simultanément pour l’hypersustentation, les premiers restant utilisables
pour le contrôle en roulis.
Les gouvernes sont actionnées en permanence à l’aide de deux types de circuits, l’un mécanique et
l’autre électrique, qui peuvent cependant être utilisés séparément. Le circuit électrique sert en outre à la
transmission des signaux provenant des systèmes de stabilisation et de pilotage automatique. Les organes du
système mécanique sont tous doublés et ceux du circuit électrique pour la plupart quadruplés. Les quatre
circuits hydrauliques de l’appareil sont utilisés pour le braquage des gouvernes. Le courant électrique est
fourni par quatre alternateurs de 75 kVA à vitesse variable et fréquence constante entraînés par les relais
d’accessoires ; l’alimentation électrique reste assurée normalement si l’un des alternateurs tombe en panne.
Les relais d’accessoires entraînent d’autre part huit pompes hydrauliques (deux par circuit) qui débitent
303 litres par minute sous 280 kg/cm2. Une pompe électrique dont le débit est de 17 l/mm permet de sortir
le train au moyen d’une commande de secours et d’actionner les freins au sol lorsque les moteurs sont arrêtés
(lors du remorquage, par exemple). Dans le cas où les réacteurs développeraient plus de poussée en vol, leur
fonctionnement en moulinet suffirait à fournir la pression hydraulique pour actionner les gouvernes.
Pour la construction de la cellule, Boeing fera largement usage de l’alliage de titane Ti 6 A1-4V, qui
avait déjà été retenu pour le premier projet de TSS. La voilure est constituée de panneaux sandwich
mutilongerons qui, en raison des faibles charges en fin de vol, sont plus avantageux que les éléments de
structures classiques. La stabilisation de son revêtement s’avère nécessaire afin de pallier les phénomènes de
flutter et compression. Sur le plan de l’aéroélasticité, l’obtention d’une résistance maximale à la torsion pour
un poids minimum implique le choix d’un revêtement plus épais qu’en cas d’utilisation de panneaux classiques à
nervures.
La figure ci-dessous montre les différents types de panneaux utilisés selon la valeur des charges en
fin de vol (charges relativement réduites aux extrémités de l’aile et dans la zone située à l’avant des
logements du train). Les panneaux de revêtement, dont la largeur est déterminée par les critères “fail safe”,
sont fixés à la structure interne suivant des procédés mécaniques. Les longerons intermédiaires comportent
des âmes renforcés au moyen de tôle ondulée, tandis que les longerons avant et arrière sont des éléments
classiques qui facilitent le montage des ferrures prévues pour les dispositifs hypersustentateurs et les
gouvernes.
Le fuselage, de construction semi-monocoque, comporte des cadres et des lisses ainsi que des
panneaux de revêtement autoraidis dans les zones devant se caractériser par une résistance élevée à la
compression et au cisaillement. Pour la fabrication de la plupart des éléments, le constructeur utilisera des
tôles laminées en alliage Ti 6 AL-4V. La structure de la dérive et du stabilisateur, analogue à celle des
extrémités de l’aile, est du type multilongeron et panneaux sandwich.
▼ Schéma de l’aile : (A) Fuselage (B) Longeron avant (C) Longeron arrière (D) Becs de bord d’attaque (E)
Logement du train (F) Volet intérieur (G) Axe du réacteur (H) Nids d’abeilles en acier brasé (I) Flaperon
intérieur (K) Axe du réacteur (L) Nids d’abeilles en acier brasé (M) Volet extérieur (N) Spoiler) (O) Flaperon
extérieur.
Le train d’atterrissage du Boeing 2707-300 comprend deux atterrisseurs principaux à doubles roues
fixées à la structure de l’aile et se relevant vers l’avant. Au poids maximal de décollage, la charge exercée
sur le sol n’excède pas celle que l’on enregistre avec le Douglas DC 8-63. Dans le logement de train principal,
les jambes élastiques viennent se placer au-dessus des boggies, eux-mêmes en position horizontale. Pour la
fabrication des freins, Boeing a choisi le graphite, matériau léger qui peut absorber une grande quantité
d’énergie et offre une résistance élevée à l’usure.
Les atterrisseurs principaux du Boeing 2707-300 s’escamotent vers l’avant dans la voilure. Chaque
atterrisseur possède six roues jumelées. Ces dessins montrent le mécanisme de rentrée (en bas) et la
position de repos (en haut) de l’atterrisseur principal gauche vu de l’extérieur
(A) Longueur du train dans son
logement 587 cm
(B) Crochet de verrouillage en position
haute
(C) Mécanisme de verrouillage en
position basse
(D) Contre-fiche
(E) Déflecteur avant
(F) Conduites hydrauliques des freins
(G) Balancier
(H) Course supplémentaire 12,4 cm
(I) Course à l’impact 97,8 cm
(K) Barres de freins
(L) Espacement des axes 112 cm
(M) Section d’aile à BL 127,5
(N) Ligne de référence sol WL 37.
Profils d’un vol normal supersonique (à gauche). D’un vol de déroutement à vitesse subsonique (à droite)
Si le nouveau projet est accepté par la FAA, il restera à résoudre en premier lieu le problème
financier. La poursuite du programme d’ici le milieu de l’année nécessitera en effet quelque 50 millions de
dollars, puis le Congrès aura à se prononcer au sujet de la somme de 250 millions de dollars demandée par la
FAA pour l’exercice 1970. C’est du financement des programmes de mise au point et de production que
dépendra la livraison du premier appareil de série qui, selon certaines estimations, pourrait avoir lieu vers la
mi-1976, selon d’autres au printemps 1978 seulement. De toute façon, afin de pouvoir bien exploiter
l’ensemble des données acquises au cours des essais, Boeing n’envisage d’entreprendre la construction en
série que six à neuf mois après le premier vol, prévu pour mars 1972.
++++++
Le Tupolev Tu 144.
Le 31 décembre 1968, l’avion de transport supersonique russe Tupolev Tu 144 a décollé pour son
premier vol, d’un aérodrome des environs de Moscou. Selon les déclarations du chef-pilote d’essais, Edouard
Yelyan, tous les systèmes de bord ont fonctionné normalement pendant les 38 minutes du vol et l’appareil plus
facile à piloter que bon nombre d’avions subsoniques bien connus. Ce premier vol a été suivi le 8 janvier 1969
par un second, qui a duré 50 minutes.
Bien que l’URSS se soit toujours montrée avare d’information sur le déroulement de son programme
d’avion de ligne supersonique, on était à peu près certains dans les milieux de l’aéronautique, que le Tu 144
volerait avant que l’année 1968 ne s’achève. Cette quasi-certitude se fondait sur une nouvelle soviétique,
selon laquelle le prototype effectué sa sortie d’usine en novembre 1967. Néanmoins, l’annonce du succès
soviétique semble avoir été une petite déception pour les Britanniques et les Français, qui espéraient malgré
tout remporter la palme. D’autre part, si le Tu 144 n’est pas considéré par les constructeurs du Concorde
comme un rival dangereux pour le TSS, il n’en reste pas moins que l’appareil soviétique se vendra bien sur
certains marchés, ne serait-ce qu’en raison de condition de vente particulièrement avantageuses. Quant aux
américains, qui se sont volontairement abstenus, dès le début, de participer à la course au premier avion
supersonique, ils ne craignent en aucune manière la concurrence de l’URSS : avec leur Boeing 2707-300, conçu
pour une vitesse, une altitude et une distance franchissable nettement plus élevées et beaucoup plus évolué
sur le plan technologique, ils passeront d’emblée à la seconde génération des avions de ligne supersonique.
Le Tu 144 (immatriculé CCCP-68001) le jour de son premier vol, où la température était nettement inférieure
à zéro. L’appareil se caractérise entre autres par ses nacelles à long canal d’entrée et son train d’atterrissage
à 26 roues. S’escamotant dans le caisson central de la voilure, le train principal a été muni de roues plus
petites que celles de l’atterrisseur avant.
◄
Le chef-pilote d’essais Edouard V. Yelyan,
commandant de bord, dans la cabine de pilotage
du Tu 144. Contrairement à leurs collègues de
l’Ouest, les membres de l’équipage d’essais russe
disposent de sièges éjectable. En cas d’incident
grave, l’éjection s’effectuerait vers le haut, le
toit de la cabine de pilotage comportant des
panneaux largables au-dessus de chaque siège.
◄
Les 2 principaux responsables du programme
TSS et l’équipage d’essais ; de gauche à droite :
- L’ingénieur en chef Alexei A. Tupolev (fils
d’Andrei N. Tupolev),
- Le directeur des essais V.N. Benderov,
- L’ingénieur de bord U. Seliverstov,
- Le chef-pilote d’essais E.V. Yelyan
- Le copilote M. Koslov
▲
L’une des nombreuses installations très
coûteuses utilisées pour la mise au point du courrier
supersonique russe ; la soufflerie subsonique T-101
de l’institut de recherches aérodynamiques et
hydrodynamiques de Moscou. Cette soufflerie est
conçue pour des vitesses allant jusqu’à 220 km/h
environ ; son plus petit diamètre est de l’ordre de 15
mètres.
▲
On distingue sur cette photo les issues de
secours prévues pour l’équipage d’essais : deux
ménagées non loin du pare-brise et deux autres à
quelques mètres derrière la porte de la cabine ;
on notera que cette porte s’ouvre vers
l’extérieur.
Propulsion
Quatre turboréacteurs à double flux Kousnetsov NK-144 développant chacun 13 000 kg de poussée sans PC
ou 17 500 kg de poussée avec réchauffe du flux secondaire.
Dimensions
Envergure
Longueur
Hauteur
24,70 mètres
55,00 mètres
10,50 mètres
Poids
Poids maximal au décollage
Poids normal au décollage
Poids sans carburant
Charge marchande maximale
150 000 kilos
130 000 kilos
60 000 kilos
12 000 Kilos
Performances
Vitesse de croisière à 20 000 mètres d’altitude
Distance franchissable
Longueur de roulement au décollage (au poids de 13 000 kilos)
Longueur de roulement à l’atterrissage (utilisation des parachutes de freinage)
Mach 2,35
6 500 kilomètres
1 900 mètres
1 500 mètres
Au premier regard, on est frappé par la ressemblance ente le Tu 144 et le Concorde mais un examen
plus attentif révèle bientôt les caractéristiques originales de l’appareil soviétique. La voilure du Tu 144, par
exemple, se rapproche plus d’une aile en double delta que l’aile en flèche évolutive du Concorde. Chaque demiaile porte quatre élevons le long du bord de fuite. Du fait que les réacteurs sont installés sous le plan central
très près de l’axe longitudinal, les demi-ailes et les élevons ne subissent aucune perturbation aérodynamique :
elles ont par ailleurs une plus grande envergure relative que celles du Concorde. Le Tu 144 est construit en
alliage d’aluminium, à l’exception des bords d’attaque et des parties soumises à de fortes contraintes
thermiques, qui sont en alliage de titane. La température des points du bord d’attaque les plus exposés à
l’échauffement cinétique est évaluée à 150°C, pour une vitesse calculée de 2 500 km/h à 20 000 mètres
d’altitude. Pour les manœuvres au sol, le décollage et l’atterrissage, le nez bascule de 12 degrés.
Le vaste empennage vertical, géométriquement semblable aux demi-ailes, comporte deux gouvernes de
direction, dont les vérins sont très probablement actionnés par deux circuits hydrauliques indépendants.
Le train d’atterrissage, qui doit permettre au Tu 144 d’opérer à partir de n’importe quel aéroport
soviétique, semble extrêmement robuste. Les atterrisseurs principaux s’escamotent vers l’avant dans le plan
central de la voilure. Ils comportent chacun un bogie à six fusées (trois à droite et trois à gauche), chaque
fusée portant deux roues. L’atterrisseur avant est équipé de deux roues, il s’escamote vers l’arrière,
également dans le plan central. Il est à ce propos curieux de noter que le train d’atterrissage du Tupolev Tu
144 comporte vingt-six roues pour un poids maximal au décollage de 150 tonnes, alors que le Concorde qui
peut décoller à 170 tonnes n’en à que dix (il est vrai que les roues d’atterrisseur principal de l’avion francobritannique sont de plus gros diamètre).
Le courrier supersonique russe Tu 144 sur un aérodrome proche de Moscou. L’appareil est conçu pour
atteindre 2 500 km/h à 20 000 mètres d’altitude. Pour les manœuvres au sol, le décollage et l’atterrissage, le
nez est mis en position basse (basculement de 12°) afin d’améliorer la visibilité. Sur la photo, on distingue
nettement les entrées d’air des deux nacelles doubles, les pièges à couche limite et les élevons.
Les dimensions principales du Tu 144 différent peu de celles du Concorde. L’envergure de l’appareil
soviétique est de 24,70 mètres (Concorde 25,60 mètres), sa longueur de 55 mètres ( (58,80 mètres) et sa
hauteur de 10,50 mètres (11,60 mètres). Par contre, son poids maximal sans carburant est, paraît-il, inférieur
à celui du Concorde (60 tonnes contre 90,70 tonnes). Quant au poids maximal autorisé à l’atterrissage, il n’a
pas encore été divulgué. Il est possible que les caractéristiques du train d’atterrissage s’expliquent par une
valeur élevée de ce poids.
Le Tu 144 est propulsé par quatre réacteurs à double flux Kousnetsov NK-144 développant une
poussée unitaire de 13 000 kilos à sec et de 17 500 kilos avec réchauffe du flux secondaire. Ces réacteurs
sont installés dans deux nacelles doubles sous le plan central et près de l’axe longitudinal de l’appareil. En cas
de panne d’un des moteurs, cette disposition constitue un avantage, en diminuant les efforts tangentiels
auxquels l’aile est soumise du fait de l’asymétrie de la poussée. Les entrées d’air sont de section
rectangulaire et séparées de l’intrados par une fente . La suspension des réacteurs et les ferrures d’attache
des atterrisseurs principaux sont probablement solidaires d’une même structure portante.
La distance franchissable calculée est, selon les informations reçues, de 6 500 kilomètres et
l’appareil peut transporter sur cette distance de 98 à 120 passagers selon l’aménagement de la cabine. Pour
des vols plus courts, durant moins de deux heures, il est possible d’embarquer de 130 à 135 passagers. Pour le
premier vol, qui s’est déroulé à vitesse subsonique et avec le nez abaissé, le prototype a été accompagné d’un
chasseur supersonique MiG 21 modifié, équipé d’une voilure géométriquement et aérodynamiquement
semblable à celle du Tu 144. Cet appareil a été utilisé comme avion expérimental pour l’étude des
caractéristiques et des performances du futur avion de ligne supersonique. Le décollage proprement dit du
Tu 144 a demandé 25 secondes et selon des informations de source soviétique, le roulement a été de 1 890
mètres. L’avion a atterri sur une piste enneigée et s’est arrêté en 1 520 mètres ; il a été presque
certainement fait usage de parachute de freinage.
Cette photo d’une maquette du Tu 144 montre le long tronçon prévu pour la classe touriste, la porte d’accès
de la cabine, la cuisine de bord et une partie du compartiment avant avec des rangées de quatre fauteuils. La
soute est ménagée dans le tronçon arrière du fuselage.
Deux types d’aménagements de la cabine proposés pour le Tu 144. Le plan A montre l’agencement prévu pour
18 passagers en première classe (rangées de trois fauteuils dans la partie avant de la cabine), plus de 80
passagers en classe touriste (rangées de cinq fauteuils). Le plan B est celui de la version comportant des
rangées de cinq fauteuils pour le transport de 120 passagers en classe touriste exclusivement.
Lorsque l’appareil sera mis en service par Aéroflot, probablement en janvier 1971, son équipage
comprendra deux pilotes et un mécanicien navigant. Le trajet Moscou-Londres ( ou Moscou-Paris) pourra être
effectué en une heure et demi si les gouvernement de l’Europe occidentale admettent le vol supersonique audessus du continent, ce qui est encore très problématique. Mais quoi qu’il advienne, il est à peu près sûr que le
vol supersonique sera pratiqué au-dessus du territoire soviétique et qu’il permettra de substantiels gains de
temps sur les étapes longues du réseau d’Aéroflot, au cours desquelles ce sont surtout des régions inhabitées
que survolent les avions de ligne soviétiques.
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Les essais en vol du Concorde.
Le programme franco-britannique Concorde a indéniablement subi un certain retard par suite des
événements qui se sont produits en France au printemps dernier. Attendu depuis longtemps et reporté déjà à
plusieurs reprises, le premier vol du prototype N° 1 construit part Sud-Aviation est maintenant fixé à fin
février, l’appareil ayant été remis à cet effet à l’équipe des essais en vol de Toulouse-Blagnac. Peu après, le
prototype N° 002 de la BAC volera à son tour
Dimensions principales du Sud-Aviation/BAC Concorde : envergure, 25,60 mètres ; longueur, 58,80 mètres ;
hauteur, 11,60 mètres.
Le courrier supersonique Concorde a déjà été décrit en détail dans Interavia N° 2/1968. Depuis, des
informations ont été publiées sur le programme des essais en vol établi pour les prototypes. Selon ces
renseignements, les deux appareils auront pratiquement le même équipement d’essais qui, sur le prototype
N° 001, sera cependant complété par un générateur de vibrations.
Le premier prototype sera utilisé pour l’étude de l’ensemble du domaine de vol. Il servira également à
la détermination des qualités de vol ainsi qu’à l’expérimentation du système de pilotage automatique et des
équipements de navigation.
Le deuxième prototype sera principalement utilisé pour les essais du système de propulsion, des
équipements électriques et des circuits de carburant, puis pour la détermination des performances de vol.
Le programme des essais comporte sept phases :
Phase 0 : Cette phase englobe l’ensemble des essais depuis le premier point fixe des réacteurs jusqu’au
premier vol, notamment les essais de roulage pour l’étude de la manoeuvrabilité de l’appareil sur les voies de
circulation et la piste, avec enregistrement des accélérations et des décélérations et contrôles préliminaires
du fonctionnement des moteurs et des circuits de bord.
Phase 1 : Le Concorde effectuera son premier vol à la vitesse maximale de 460 km/h sans dépasser 4 600
mètres d’altitude, sa configuration demeurant inchangée ; avant son atterrissage, l’appareil effectuera
quelques approches simulées en altitude. Au cours des derniers vols de cette phase, le pilote actionnera le
train d’atterrissage, le nez basculant et les aérofreins. Par ailleurs, il est prévu de modifier légèrement le
centrage et d’étudier le comportement de l’appareil lorsque le contrôle n’est pas assuré par le système
d’autostabilisation.
Phase 2 : Au cours de cette phase, inaugurée avec le premier essai de vibrations en vol, la vitesse de l’appareil
sera portée progressivement à Mach 0,93.
Phase 3 : Cette série d’essais sera consacrée à l’exploration du domaine transsonique (Mach 0,9 à Mach 1,4),
dans lequel sera modifiée la géométrie des entrées d’air. L’étude des qualités de vol revêtira une importance
particulière en raison du déplacement du centre de gravité qui se produit à ces vitesses. Les vols
permettront notamment de contrôler la plage de centrage et de procéder aux premières mesures du bang
sonique.
Phase 4 : L’appareil volera à des vitesses supersoniques et atteindra la vitesse maximale de Mach 2. A ce
stade, le prototype N° 002 jouera un rôle important, notamment pour ce qui concerne les essais des
réacteurs et de circuits ainsi que la détermination des performances.
Phase 5 : Le Concorde effectuera des vols d’au moins 30 minutes en croisière et l’on recueillera pour la
première fois des informations précises sur la consommation spécifique de carburant.
Phase 6 : La dernière phase des essais permettra d’étudier le comportement de l’appareil aux incidences
élevées et de déterminer les performances au décollage et à l’atterrissage.
Le deuxième prototype du Concorde construit par la British Aircraft Corporation, à l’usine de Filton où le
fonctionnement des moteurs a été vérifié dans une nouvelle installation (coût 400 000 livres sterling) avant
les premiers essais de roulage. Les stabilisateurs qui équipent le tronçon avant du fuselage sont destinés
notamment à assurer un meilleur contrôle en lacet et roulis.
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