"La paix venue de Washington" dans Le Monde (23

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"La paix venue de Washington" dans Le Monde (23
"La paix venue de Washington" dans Le Monde (23 novembre 1995)
Légende: Le 23 novembre 1995, au lendemain de la signature des Accords de paix de Dayton, le quotidien français Le
Monde dénonce l'impuissance de l'Union européenne dans le règlement du conflit dans les Balkans.
Source: Le Monde. dir. de publ. Colombani, Jean-Marie. 23.11.1995, n° 15 809; 51e année. Paris: Le Monde.
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Date de dernière mise à jour: 13/08/2011
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La paix venue de Washington
Une fois de plus, c’est donc au président Bill Clinton, déjà parrain de la poignée de main israélopalestinienne, qu’il est revenu d’annoncer un accord de paix largement enfanté par la diplomatie américaine.
Une fois de plus, c’est de la Maison Blanche que viennent les bonnes nouvelles — même si elles doivent
encore être confirmées dans les faits.
Mais si, depuis Camp David au moins, le Proche-Orient est un des terrains privilégiés de l’influence
américaine, c’est cette fois un conflit bien européen, un conflit qui a ravagé l’arrière-cour de l’Union
européenne, que les Etats-Unis contribuent, de façon décisive, à éteindre.
Et l’Europe, demandera-t-on ? A cette question qui les exaspère, les dirigeants européens répondent : depuis
quatre ans, ce sont notamment des « casques bleus » britanniques, néerlandais, espagnols, ukrainiens et
français qui sont sur le terrain. Ils ont protégé les convois d’aide humanitaire, nourri et soigné les
populations.
Deux cent neuf de ces « casques bleus » ont payé de leur vie, dont cinquante-trois Français. Ces hommes-là
méritent respect et hommage.
Seulement, pour le malheur des Européens, le conflit dans l’ex-Yougoslavie éclate à peu près au moment où
ils proclament à la face du monde que, l’après-guerre froide venue, l’Europe va se doter des instruments qui
lui permettront de se faire entendre sur la scène internationale : elle va avoir une politique étrangère et de
défense commune.
Bref, l’Union européenne se veut une nouvelle « grande puissance ». C’est le discours maastrichtien. Un
tantinet condescendant, il vient couronner des années 80 qui virent nombre d’intellectuels européens gloser
sur le « déclin américain »…
Las ! le premier test venu, l’Europe affiche son impuissance. Elle étale ses divisions politiques là où il lui
aurait fallu manifester sa cohésion et, pour dissuader, sa force militaire. Sans doute faudra-t-il attendre
encore un peu pour dire si la paix de Dayton est un triomphe de la diplomatie américaine. Elle solde, à coup
sûr, ce qu’il faut bien appeler un fiasco européen.
Ce n’est pas que les Etats-Unis soient sans blâme dans cette affaire. Dès le début, l’administration Bush —
celle qui avait dépêché un demi-million d’hommes au secours d’un puits de pétrole nommé Koweït — se
refuse au moindre engagement. L’administration Clinton n’intervient qu’à la demande expresse des
Européens, pour accoucher d’un plan de paix qui est, en gros, le leur — à ceci près qu’il prévoit la levée de
l’embargo sur les armes pour la Bosnie. Elle le fait parce qu’il en va de l’avenir de l’OTAN, donc de son
leadership, sur l’Alliance atlantique.
Seulement, elle le fait avec les attributs d’une vraie grande puissance : la force au service de la diplomatie.
La leçon n’en est que plus terrible pour les Européens, toujours à mille lieues d’une politique de défense
commune — dont, après tout, les nouveaux membres de l’Union disent, publiquement, qu’ils ne veulent
pas… Triste bilan pour une future « nouvelle grande puissance ».
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