Dossier artistique - CDN Orléans Loiret Centre

Transcription

Dossier artistique - CDN Orléans Loiret Centre
fragments
ne vous
perdez pas
fragments
ne vous
perdez pas
Inspiré de FRAGMENTS
Inspiré de FRAGMENTS
de Marilyn Monroe
de Marilyn Monroe
Mise en scène et adaptation
Mise en scène et adaptation S
Samuel Doux
1
Création
CDN Orléans/Loiret/Centre
Janvier 2014
Avec
Lolita Chammah
Production
CDN Orléans/Loiret/Centre
Scénographie et lumière
Eric Soyer
Conseillère artistique
Agathe Berman
Contacts Anne Cuisset, Secrétaire générale
[email protected]
Sophie Mercier, administratrice
[email protected]
UNE FEMME APPARAÎT BRUTALEMENT. Une femme qui écrit. Morceaux
de feuilles, cahiers, agendas, carnets.
Elle écrit sans retenue. Elle écrit tout.
Par nécessité, pour se comprendre et comprendre les autres face à elle.
Il faut le dire encore : tous ces textes ont
été rédigés par Marilyn Monroe.
On découvre sa conscience aiguë du
monde. Une fragilité. Une fébrilité. Une
femme très loin de l’asile, pas plus alcoolique que les hommes qui l’entouraient,
pas plus suicidaire que tout un chacun
doté d’un peu de lucidité.
Elle jette, cisèle parfois. Elle aime les métaphores. Fulgurances à propos de son
histoire, de son travail, de ses amours, de
sa psychanalyse. Elle fait, par ordre chronologique, un état de ses lieux intimes,
explore la matière de ses pulsions à la recherche d’une vérité peut-être, de la réalité sans doute.
« Je trouve que la sincérité et être simple et directe
comme (possiblement) j’aimerais est souvent pris
pour de la pure stupidité. Mais puisqu’on n’est PAS
dans un monde sincère - il est très probable qu’être
sincère est stupide. On est probablement stupide
d’être sincère puisque c’est dans ce monde et dans
aucun autre monde dont nous soyons sûrs que nous
existons - ce qui veut dire - (puisque la réalité existe,
on doit faire avec) puisqu’il y a la réalité avec laquelle on doit faire je ne suis pas M.M. - on ne me
permet pas d’être».
Ce texte, c’est le début de la représentation.
Ça commence par un aveu, celui de la
‘star’ et le nôtre aussi en quelque sorte :
personne ne peut - être - Marilyn. Elle
n’existe pas. C’est une image, au mieux
un personnage. De son vivant, un rôle. La
blonde ne l’était pas, perdue entre cette
fiction trop réelle et la réalité qu’elle ne
pouvait oublier.
1
Devenir un mythe n’était qu’une façon de
repousser la mort. Elle a fait de sa vanité
une arme de survie. Autour, personne ne
voyait rien puisque tout le monde était
spectateur. Aujourd’hui elle est icône.
Son image a gagné, la dépossédant d’elle
même. L’image partout a gagné. L’apparence est seule maîtresse et la défaite
existentielle de M.M. annonce étrangement celle de notre époque.
Ces fragments qui s’ajoutent et se complètent, nous tiennent dans un ‘no man’s
land’. Entre Norma Jeane Baker et Marilyn Monroe. D’un côté le réel, de
l’autre la fiction. Le réel c’est celui
à partir duquel elle s’est construite, la fiction c’est ce qui lui a permis de vivre. Elle
se trouve au milieu de ce ‘no man’s land’
donc. Ni enfant condamnée, ni femme réalisée. Par ses mots, on le sent, elle cherche
à réduire cet espace.
On se dit alors que celui de la scène ne serait pas si mal.
Nous y sommes. Sur le plateau. Avec ses
mots à elle. Nous les posons le plus directement possible. Nous interpellons. Nous
avouons son impuissance et la nôtre. Nous
avouons ce qu’elle ne pouvait pas dire : «Je
ne suis pas M.M.»
Qui alors ?
Une comédienne, une actrice. C’est la réponse la plus simple, celle qui rend justice
aux mots qu’elle s’est obstinée à écrire et
que nous pouvons lire comme une méthode
pour jouer et survivre. Le récit d’une comédienne partie à la recherche de son
point de gravité. Fragments est le
portrait de quelqu’un qui joue.
M.M. cite Lee Strasberg :
«Entre l’acteur et le suicide, il n’y a que la concentration».
Entre l’acteur et le suicide, une distance
aussi. Et sur scène nous la parcourons.
Cette distance c’est du temps. Celui qu’il
a fallu pour créer M.M., celui entre sa
vie et sa mort, celui qui sépare la scène
de ceux qui la regardent, celui que prend
l’actrice pour retrouver celle qu’elle interprète. Marilyn et la jeune comédienne
sur scène. Lolita Chammah. Vraie blonde.
Jeune actrice. Cherchant à sonder chaque
mot. Lolita prend ces fragments pour elle
aussi. Son histoire. Ses fantômes. Son avenir. Rêvant à son tour d’être quelqu’un ou
quelque chose qu’elle n’est pas encore.
Une star.
Nous prenons les mots de M.M, nous la
traquons de l’intérieur. Deux histoires se
mêlent, celle des sentiments, de l’intelligence, de l’introspection et celle des journaux et des films, celle que nous pensons
connaître. On se trompe : l’une n’est pas
dissociable de l’autre. Sans ces mots-là,
l’actrice n’a pas de peau, elle n’est faite
que de fantasmes, c’est-à-dire de nous, de
fiction. Avec eux par contre, c’est la réalité qui surgit brutalement. Une femme
enfin, non pas réelle, mais possible.
Comment incarner «à peu près» une
femme ?
Au fond de la scène il y a un mur noir, l’actrice pourra s’en approcher et y tracer des
phrases, y faire des dessins, écrire une
adresse, compléter ces fragments par des
mots qui se lisent plus qu’ils ne s’entendent. Sinon peu de choses, un travail dans
la profondeur de la scène et jusque très
près des spectateurs. Le très/trop proche
et le lointain. Pas de frontière. Imaginer
comment traduire dans l’espace la mise
au point d’un objectif de cinéma.
entoure la nôtre, des noms illustres suspendus tracés par des néons lumineux
qui s’allument parfois clignotent ou grésillent. Exemple.
Elle dit :
«Je suis si soucieuse de protéger Arthur. Je l’aime
– et il est la seule personne – être humain que j’ai jamais rencontré que je pourrais aimer non seulement
comme un homme que je désire jusqu‘à en être pratiquement affolée (...)»
À ce moment-là dans les cintres, le nom
d’ARTHUR MILLER écrit au néon sort de
l’obscurité. Nous savons de qui elle parle,
l’histoire que nous connaissons surgit. À
d’autres moments, d’autres noms apparaîtront.
NORMA JEANE BAKER / MARILYN
MONROE / NEW YORK / LEE STRASBERG / JOHN HUSTON / HOWARD
HAWKS / BILLY WILDER / CERTAINS
L’AIMENT CHAUD / † LE 4 AOUT 1962
etc.
Mesurer l’intimité de ses mots au regard
de ces noms que nous connaissons. La légende au-dessus, la femme près de nous.
À ses mots s’ajoute une création sonore.
Des ambiances, des atmosphères, promenades dans New York, clubs, soirées,
cours de Lee Strasberg.
Le plateau est noir ou presque et dans un
murmure ces ambiances nous ramène à
cette sensation de « déjà-vu » qui gagne le
voyageur lorsqu’il pose le pied aux EtatsUnis pour la première fois, alors, étrangement, tout y est familier: l’architecture
et les visages, la fumée, les ponts, les
voitures, la langue, les couleurs, on sait
tout, sans pourtant rien connaître de ce
pays qui est - lui aussi - une légende avant
d’être une réalité.
Du spectacle aussi, du spectaculaire.
Au-dessus de la comédienne, l’histoire qui
2
Samuel Doux, octobre 2012
Choisir de travailler à ce projet est une
étape importante. Un vertige, une impudeur aussi : dévoiler mes aspirations,
avouer sur la scène mes rêves impossibles
et naïfs. C’est apercevoir, visiter et révéler des endroits que j’évite, une part instable et dangereuse. Je vais à la rencontre
de territoires encore inexploités et surtout
que je protégeais.
Le premier film que j’ai vu c’était Les
Hommes préfèrent les blondes
de Howard Hawks - vu ensuite des milliers de fois. Le désir de travailler sur ces
fragments est arrivé tout de suite
après leur lecture mais je ne pouvais y
croire, ni même le formuler.
C’est le hasard qui a fait ensuite que Samuel Doux m’a parlé de son envie. Il lui a
fallu une certaine force de conviction et
que j’aie une grande confiance pour finalement accepter et peut-être comprendre
que je pouvais avoir ma place dans ces
mots-là.
Enfant, je jouais à être Marilyn. Aujourd’hui ce qui rend imaginable ce projet
c’est justement de ne pas tenter de l’interpréter, de ne pas chercher l’incarnation mais plutôt de la retrouver au travers
de ses textes d’abord et de mon enfance
aussi. Fille de comédienne reconnue, ma
mère est Isabelle Huppert, il y a chez moi
cet écartèlement entre le désir du regard
et celui de la reconnaissance.
Il n’est pas question de sur-interpréter les
mots de Marilyn mais il m’est difficile de
ne pas m’y lover même si c’est pour mieux
m’effacer ensuite.
3
C’est un chemin difficile mais excitant et
passionnant que j’entrevois pour laisser
Marilyn apparaître presque sans moi au
travers de ses mots à elle.
Lolita Chammah
SAMUEL DOUX
LOLITA CHAMMAH
Auteur réalisateur, a réalisé une quinzaine
de documentaires pour ARTE produits par
les Films d’Ici, ainsi que trois moyensmétrages de fiction. Ils ont été présentés
dans de nombreux festivals dont le festival international du film de Locarno mais
également Aix-en-Provence, Bratislava,
Porto, Cork, Clermont-Ferrand, Montréal,
ainsi qu’à la Cinémathèque Française.
Comédienne, travaille au théâtre comme
au cinéma. Formée au conservatoire du
Ve arrondissement de Paris ainsi qu’au
Théâtre National de Strasbourg.
Samuel Doux a débuté sa vie professionnelle par le théâtre en dirigeant une compagnie : L’œil écoute. Il y a créé plusieurs
spectacles tous publics, joués plusieurs
fois au festival Off d’Avignon.
En septembre 2012, il publie son premier
roman aux éditions Julliard, Dieu n’est
même pas mort et termine l’écriture
de deux longs-métrages dont l’un est une
adaptation du Horla de Maupassant
avec Yvan Attal, Clotilde Hesme et Eric
Caravaca.
4
Au théâtre, elle a travaillé plusieurs fois
sous la direction de Coline Serreau, JeanLouis Benoit, Anne Bisang dans différentes pièces dont Salomé d’Oscar
Wilde, elle a joué Les Bonnes de Genet
au théâtre de l’Atelier en 2011, mis en
scène par Sylvie Busnel.
Au cinéma elle a tourné avec Mikhaël
Hers, Claire Simon, Claire Denis, Louis
Garrel, Marc Fitoussi, Benoit Jacquot,
Mona Achache, Samuel Doux…
AGATHE BERMAN
ERIC SOYER
Agathe Berman répartit son activité
entre écriture et production audiovisuelle.
Elle fait dialoguer ces activités de façon
éclectique dans le domaine des arts performatifs, du documentaire de création et
du cinéma.
Eric Soyer est créateur lumière et scénographe. Il a été formé à l’école Boulle,
puis a fait ses premières armes auprès de
la compagnie anglaise ACT.
Elle a produit une cinquantaine de films
documentaires avec des artistes dont
Pippo Delbono, Israel Galvan, Raimund
Hoghe, tg STAN et aux côtés de réalisateurs comme Richard Copans, Cédric Klapisch et Samuel Doux pour une série coécrite avec lui sur les grands personnages
de théâtre.
Elle a entre autres co-écrit le livret du
ballet Wuthering Heights de Kader
Belarbi à l’Opéra de Paris. Actuellement,
elle conçoit le témoignage documentaire
du projet pédagogique «Avoir 20 ans en
2015» de Wajdi Mouawad, produit une série de programmes courts sur le jeu d’acteur avec la Comédie-Française et Arte,
et travaille avec l’artiste Steven Cohen en
tant que dramaturge pour sa performance
Title withheld, créée au Palais des
Papes en Avignon 2012.
5
Plus tard il rencontre Joël Pommerat et
l’accompagnera sur l’ensemble de son
travail en création lumière autant qu’en
scénographie. Cette collaboration lui permet de creuser ce positionnement original
consistant à créer scénographie et lumières en même temps. Depuis quelques
années on le retrouve aussi auprès
d’autres metteurs en scène tels que Oriza
Hirata, Sylvain Maurice ou Emmanuelle
Laborit.
«Je pars d’une boîte vide pour trouver de
manière progressive les éléments qui permettront d’évoquer les différents espaces
et ouvrir des séquences de jeu suivant la
thématique avec une liberté qui demande
une grande précision. En règle générale,
en construisant l’espace et en élaborant
simultanément les lumières, je cherche à
créer une relation sensorielle avec la représentation.»
Eric Soyer
LE TEXTE:
FRAGMENTS
CARNET NOIR «RECORD»
DÉBUT DES ANNÉES 50
(EXTRAITS)
AGENDA ITALIEN
Je trouve que la sincérité et être simple
et directe comme (possiblement) j’aimerai
est souvent pris pour de la pure stupidité.
Mais puisqu’on est PAS dans un monde
sincère - il est très probable qu’être sincère est stupide. On est probablement stupide d’être sincère puisque c’est dans ce
monde et dans aucun autre monde dont
nous soyons sûr que nous existons - ce qui
veut dire - (puisque la réalité existe, on
doit faire avec) puisqu’il y a la réalité avec
laquelle on doit faire je ne suis pas M.M on ne me permet pas d’être.
FRAGMENTS & NOTES 1
Pour la vie
C’est plutôt par détermination qu’on ne se
laisse pas engloutir.
Pour le travail
La vérité peut seulement être retrouvée,
jamais inventée.
__________
- Se souvenir en tout cas de comment Mère essayait toujours de me faire «sortir» parce qu’elle pensait que je n’étais
pas assez téméraire. Elle voulait même
que je me montre cruelle à l’égard des
femmes. Tout cela dans mon adolescence,
en retour, je lui ai montré que je lui étais
loyale.
[...]
6
Seule !!!!! Je suis seule. Je suis toujours
seule, quoi qu’il arrive. Il ne faut avoir
peur que de la peur. En quoi est-ce que je
crois ? Qu’est-ce que la vérité ? Je crois en
moi jusque dans mes sentiments les plus
délicats et ténus. À la fin tout est ténu.
Mon liquide le plus précieux ne doit jamais se répandre. Ne répandez pas votre
précieux liquide, force vitale. Voilà tous
mes sentiments quoi qu’il arrive. Mes
sentiments ne trouvent pas à se développer dans les mots.
__________
Une actrice n’a pas de bouche, pas de
pieds, les épaules pendent légèrement pendantes, si...
Relâchée tout le corps, concentrer mes
pensées sur le partenaire. L’émotion au
bout de mes doigts. Rien ne doit s’interposer entre moi et mon rôle - mon émotion
- concentration. Sentir seulement qu’on
se débarrasse de tout le reste, mon esprit
parle. Pas de regards, le corps seulement,
laisser aller - sentir le visage, l’esprit,
l’âme. Pas de pose. Écouter le corps pour
l’émotion. Écoute avec les yeux. Flottement. Tension. Relâchement, aucun frein,
laisser tout aller, seulement sentir - tout
ce que j’ai à faire est de le penser.
Peur de me donner les nouvelles répliques.
Je ne serai peut-être pas capable de les
apprendre. Je ferai peut-être des erreurs.
Les gens vont penser que je ne suis pas
bonne, ou rire et me rabaisser, ou encore penser que je ne sais pas jouer. Les
femmes ont l’air sévères et critiques - Inamicales et froides en général. Crainte que
le réalisateur pense que je ne vaux rien.
FRAGMENTS & NOTES 3
27 aout
Je suis inquiète nerveuse, déconcentrée,
instable - il y a quelques minutes, j’ai
failli jeter une assiette en argent dans un
endroit sombre du plateau - mais je savais
que je ne pouvais me permettre de lâcher je sentais vraiment en fait que je n’oserai
pas le faire car je ne m’en tiendrai peutêtre pas là. Juste avant, j’ai failli vomir
tout mon déjeuner. Je suis fatiguée. Je
cherche une façon de jouer ce rôle, ma vie
entière me déprime depuis toujours - comment puis-je incarner une fille aussi gaie,
juvénile et aussi pleine d’espoir - je me
sers de ce dimanche de mes quatorze ans
où j’étais tout cela, mais pourquoi ne puisje m’en servir de façon plus ferme - ma
concentration vacille presque sans arrêt
- quelque chose s’emballe en moi dans la
direction opposée vers la plupart des jours
dont je peux me souvenir. Je dois essayer
de travailler et travailler encore sur ma
concentration - en commençant peut-être
par le plus simple.
AUTRE CARNET NOIR «RECORD» vers
1955
Je n’ai pas eu Foi en la Vie c’est-à-dire en
la Réalité
[...]
Je connais les voies par lesquelles les gens
se conduisent de façon non conventionnelle - moi en particulier - n’aie pas peur
d’être à fleur de peau, ni de t’en servir car je peux et je veux la canaliser, ainsi
que mes pensées délirantes Je veux faire
ma scène ou mes exercices (aussi idiots
qu’ils puissent paraître) avec le plus de
sincérité possible tout en sachant et en
montrant que je sais aussi ce qu’il en est
- peu importe - ce qu’ils pourraient en penser - ou en juger.
7
Je peux m’aider et le ferai. Travailler sur
les choses de façon analytique peu importe la douleur - si j’oublie des choses
(l’inconscient veut oublier - j’essaierai
seulement de me souvenir)
Quand je commence à me sentir soudain
déprimée d’où cela provient-il ? (dans la
réalité) peut-être trouver la trace d’accidents du temps passé - sentiments de
culpabilité ? Prends conscience de tous
les aspects sensibles. N’aie honte d’aucun sentiment ne les écarte pas non
plus même légèrement. Ne pas regretter
d’avoir dit ce que j’ai dit si je le pensais
vraiment même lorsque ce n’est pas compris - (ne pas même chercher à convaincre
qui que ce soit du pourquoi - à moins que
je le veuille vraiment - ou le sente vraiment ainsi.)
[...]
LEE ET PAULA STRASBERG 1
Ne sois pas nerveuse, Marilyn,
tu es très bonne
et tu es magnifique Lee
__________
Cher Lee, (Strasberg)
Une des choses qui m’a le plus aidée
personnellement que j’ai entendue dans
ma vie c’est ce que vous avez dit en cours
vendredi après-midi - cela m’a beaucoup
aidé en cela que je me sens comme si
j’étais un peu plus libre (et même plus) - 2
et 2 ne font pas forcément 4.
PAPIER À EN-TÊTE DU WALDORFASTORIA
1955
Pour le docteur H - raconter ce rêve d’un
homme affreux et répugnant qui essaye
de se frotter trop contre moi dans l’ascenseur - et ma panique et ensuite mes pensées méprisantes à son égard - est-ce que
ça veut dire que je suis attachée à lui ?
Il a même l’air d’avoir une maladie vénérienne.
__________
LEE STRASBERG A DIT (écrit au néon)
Je veux que vous sachiez tous que cet
exercice a duré une demi-heure et que sa
concentration n’a pas faibli une seule fois
- et Marilyn, il arrivera très peu de fois
sur scène que tu doives garder une telle
concentration une demi-heure durant.
(M.M) pourquoi était-ce d’une telle importance pour moi après toute cette crise de
sanglots sur scène - quand Strasberg a dit
que j’étais à l’opposé de ce que font la plupart des gens dans ce pays et c’est pour ça
(en partie je le précise) que des gens que
tu connais t’admire - exactement pour ça.
Mais ta sensibilité ne serait pas la même
si tu n’avais pas ces terribles appréhensions auxquelles tu as réagi en fonction
de ton expérience (passée) et que techniquement tu parviendras (ta sensibilité) à
contrôler mais pas à t’en débarrasser sans
effet dangereux, (en retournant la peur
contre toi même) jusqu’à la peur seule et
en jouant seulement en fonction de ça la peur et la peur seule. Souviens-toi - des
choses techniques peuvent être faites - arrange-toi avec ta sensibilité pour placer la
peur dans les bons canaux - ce qui (veut
dire) faire avec la peur et non la fuir ni
perdre du temps avec elle.
8
Strasberg
ça me fait (il dit lui) me sentir mal (et
triste) pour toi que tu fasses pratiquement toutes les choses par peur. Tu dois
te mettre à faire les choses par la force (ma question : ou puis-je puiser la force)
- il dit - en ne recherchant pas la force
mais seulement en observant et en explorant des voies et des moyens techniques
pour surmonter les difficultés. Souvienstoi que la peur est toujours là et le sera
toujours dans ton cas. Mais tu peux y remédier techniquement ce qui te demande
seulement de faire l’effort d’effectuer les
exercices techniques Plus jamais une petite fille seule et terrorisée
[...]
Il croit que je pourrai, pour mon premier rôle, faire vraiment quelque chose
d’énorme ce qui est rare - comme dans le
cas de Susie. Sa formation différente, la
discipline étonnante (autodidacte) qu’elle
s’impose depuis toute jeune.
[...]
FRAGMENTS & NOTES 4
AGENDA ITALIEN
1956
Dois faire des efforts pour faire
Dois avoir la discipline de faire les choses
suivantes:
Z. aller en cours - les miens toujours sans
faillir.
X. Aller le plus souvent possible assister
aux autres cours privés de Strasberg
G. Ne jamais manquer mes séances à l’Actor’s studio
V. Travailler autant que possible - sur
les devoirs - et toujours travailler sur les
exercices de jeu.
U. Commencer à assister aux conférences
de Clurman et aussi aux conférences de
mise en scène de Lee Strasberg au théâtre
Wing. S’informer sur les deux.
I. Continuer à regarder autour de moi et même beaucoup plus - observer - pas
seulement moi-même mais les autres et
toutes choses - prendre les choses pour ce
qu’elles valent.
Y. Doit faire de gros efforts pour travailler
sur les actuels problème et phobies qui
proviennent de mon passé - faire beaucoup beaucoup beaucoup plus plus plus
plus d’efforts dans ma psychanalyse et
y être toujours à l’heure - pas d’excuse à
être toujours en retard.
W. Si possible prendre au moins un cours
à l’université - de littérature
O. Continuer le projet RCA
P. Essayer de trouver quelqu’un pour
prendre des leçons de danse - exercices
corporels (entraînement)
T. Prendre soin de mon instrument - au
plan personnel et corporel - exercices
Essayer de me faire plaisir quand je le
peux. Je suis déjà assez malheureuse
comme ça.
Je suis si soucieuse de protéger Arthur
je l’aime - il est la seule personne - être
humain que j’ai jamais rencontré que je
pourrais aimer non seulement comme un
homme que je désire jusqu’à en être pratiquement affolée - mais il est la seule personne en tant qu’autre être humain à qui
je fais confiance autant qu’à moi-même parce que quand je me fais confiance sur
certaines choses je le fais complètement
et je fais de même avec lui.
Je fais aussi confiance au docteur H mais
d’une manière différente puisque je dois
cependant la payer d’abord.
Pourquoi ai-je ce sentiment que les choses
n’arrivent pas vraiment mais que je joue
un rôle et de cela je me sens coupable dans
la mesure où j’ai conscience que ce que je
dis et ce que je suis et ce qui en découle tout cela est prémédité - sauf que je suis
trop inhibée pour me sentir spontanée
parce que je crains d’être je veux dire - parce que je ne sais pas
ce qui va en ressortir - ce qui va arriver
- même des gaz sortent de mon estomac
(crainte d’écrire pets) et je serai humiliée
et je me sentirai plus bas que n’importe
quoi ou n’importe qui
Pourquoi est- ce que je ressens cette torture ? Ou pourquoi est-ce que je me sens
moins un être humain que les autres (toujours sentie d’une certaine façon que je
suis sous-humaine pourquoi en d’autres
mots, je suis la pire, pourquoi ?)
Même physiquement j’ai toujours été
sûre que quelque chose n’allait pas pour
moi là - peur de dire où alors que je sais où.
Peut-être que quelqu’un lira ça ? Je ne
pense pas.
9
FRAGMENTS & NOTES 5
POÈMES NON DATÉS 1
Appeler Milton à propos de:
1. 6 jours par semaine avec le Dr Hohenberg - samedis - parce que j’apprends et
que j’en ai besoin et qu’elle le veut.
2. pour le paiement de la facture de Hohenberg - que je ne lui ai pas encore donnée (peut-on payer lundi ?)
3. À propos des chaussures blanches
parce que je porterai probablement une
robe blanche (et pour l’étole ?)
Je ne supporte vraiment pas les Êtres Humains parfois - je sais qu’ils ont tous leurs
problèmes comme j’ai les miens - mais je
suis vraiment trop fatiguée pour ça. Chercher à comprendre, faire des concessions,
voir certaines choses
cela m’épuise tout simplement
__________
Oh comme j’aimerai être
morte - absolument non existante Partie loin d’ici - de
Partout mais comment le ferai-je
Il y a toujours des ponts - le pont de
Brooklyn
Mais j’aime ce pont (de là tout est si beau
et l’air
est si pur) lorsqu’on y marche
cela semble paisible même avec toutes ces
voitures qui vont comme des folles en dessous.
Donc
Il faudrait que se soit un autre pont
Un pont moche et sans vue - sauf
Que j’aime chaque pont en particulier - il
y a quelque
Chose en eux et d’ailleurs je n’ai
Jamais vu un pont moche
Appeler Lois Weber ou A.Jacobs à propos
de tous les articles d’hier surtout dans le
Herald Tribune et dans le Times.
LEE ET PAULA STRASBERG 2
[...]
Cher Lee,
Cela m’embarrasse de commencer par ça,
mais merci de m’avoir comprise et d’avoir
changé ma vie - cependant même si vous
l’avez changé je suis encore perdue - je
veux dire par là que je ne peux pas me
rassembler - je pense que c’est parce que
tout agit contre ma concentration - tout
ce qu’on fait ou vit est pour ainsi dire impossible.
Vous avez dit un jour, la première fois
que je vous ai entendu parler à l’Actor’s
Studio, qu’ «il n’y a que la concentration entre l’acteur et le suicide.» Dès que
j’entre dans une scène je perds ma relaxation mentale pour je ne sais quelle raison
- or c’est cela ma concentration.
Ma volonté est en éveil mais je ne peux
rien supporter. J’ai l’air folle mais je crois
que je suis en train de devenir folle.
Merci de laisser Paula m’aider sur le film
elle est la seule femme chaleureuse que
j’aie jamais connue. C’est seulement au
moment où j’arrive devant la caméra que
ma concentration et tout ce que j’essaie
d’apprendre m’abandonnent. Alors je me
sens comme si je ne faisais plus du tout
partie de l’humanité.
Affectueusement,
10
Marilyn
PAPIER À EN-TÊTE DE PARKSIDE
HOUSE
1956
Mon amour (Néon : ARTHUR MILLER)
dort à côté de moi dans la lumière pâle. Je
vois sa mâchoire d’homme se relâcher et
il retrouve la bouche de son enfance avec
une douceur plus douce. Sa délicatesse
frémissante dans l’immobilité, ses yeux
ont dû regarder avec émerveillement l’extérieur depuis la grotte de son enfance
quand les choses qu’il ne comprenait pas
il les oubliait; et ressemblera-t-il à cela
quand il sera mort ?
Ô réalité insupportable, inévitable, mais
préfèrerais-je qu’arrive d’abord la mort de
son amour ou la sienne propre ? La souffrance de sa nostalgie lorsqu’il regarde
quelqu’un d’autre comme une insatisfaction ressentie depuis le jour de sa naissance
Et moi, ma détresse implacable devant la
souffrance de sa nostalgie lorsqu’il en regarde une autre et qu’il l’aime comme une
insatisfaction ressentie depuis le jour de
sa naissance nous devons l’endurer moi
encore plus tristement car je ne puis ressentir aucune joie
Ô silence ton calme me fait mal à la tête
- et transperce mes oreilles cogne ma tête
avec le calme des sons insupportables/
continus - sur l’écran de noir absolu se
forment/réapparaissent des ombres de
monstres mes plus loyaux compagnons mon sang palpite sans répit dévie sa route
dans une autre direction et le monde est
en train de dormir ah, paix, je te veux même si tu es un monstre de paix.
11
Avoir ton cœur est la seule chose parfaitement heureuse dont je sois fière (qui m’ait
jamais appartenu) que j’ai jamais possédée, ainsi la seule chose qui me soit jamais complètement arrivée. Je pense que
j’ai toujours été profondément effrayée
à l’idée d’être la femme de quelqu’un car
j’ai appris de la vie qu’on ne peut aimer
l’autre, jamais, vraiment.
[...]
NOTE DE ROXBURY
1958
à partir de demain je vais prendre soin de
moi car en réalité c’est tout ce que j’ai et
comme je le vois à présent tout ce que j’ai
jamais eu.
Roxbury - (Néon : Arthur Miller)
J’ai essayé tout l’hiver d’imaginer le printemps - il est là et je me sens toujours
aussi désespérée. Je pense que je déteste
être ici parce qu‘ici il n’y a plus d’amour.
Je regrette tous les efforts que j’ai faits
en vain. J’ai essayé de lutter contre ce que
de tout mon être je savais être vrai - dû
à - pression (ça va se mettre à ressembler
à un télégramme) qui venait de mon travail (c’est drôle que j’aie toujours accepté
même le pire - j’ai essayé de m’y opposer
lorsque ça pouvait compromettre mon travail) et qu’il (Arthur) ne pouvait pas (le)
supporter (il vient d’un autre domaine)
même si je sentais (en toute innocence,
ce que je ne suis pas) que ce que je pouvais supporter nous aidait tous les deux
y compris de façon matériel ce qui signifie même beaucoup plus pour lui que pour
moi. J’ai vu ce qu’il voulait me faire voir et
suis étrangement calme tout en retenant
ma respiration. Voici un bon dicton, bien
que la douleur qu’il implique ne soit pas si
drôle : «si ma vie était à recommencer je
vivrai au-dessus d’un saloon.»
Ces feuilles vert tendre sur ces érables
de cent soixante-quinze ans que je vois,
c’est comme d’avoir un enfant quand on a
quatre-vingt-dix ans. Je ne fais confiance
à personne. Je veux dire que si quelque
chose arrivait je le verrai comme un bienfait en ce moment. À chaque printemps
le vert est trop vif, même si la délicatesse
de la forme des feuilles est douce et incertaine - elles engagent un combat dans le
vent, sans cesser de trembler. Ces feuilles
vont se relâcher, s’étendre sous le soleil
et à chaque goutte de rosée, elles résisteront même quand elles seront fouettées et
déchirées. Je pense que je suis très seule
- mon esprit bat la campagne. Je me vois
dans la glace à présent, le sourcil en bataille - si je me mets très près je verrai ce
que je ne veux pas y voir - la tension, la
tristesse, la déception, mes yeux ternes,
mes joues rougies par de petits vaisseaux
qui paraissent des rivières sur une carte,
les cheveux qui tombent comme des serpents.
C’est ma bouche qui me rend le plus triste,
près de mes yeux presque morts, il y a une
ligne sombre entre mes lèvres comme les
contours de nombreuses vagues soulevées
par un violent orage qui dit : ne m’embrasse pas, ne me ridiculise pas, je suis
une danseuse qui ne sait pas danser.
Quand quelqu’un veut rester seul comme
mon amour cela signifie que l’autre doit
rester à l’écart.
[...]
Je pense que le mieux est d’aimer bravement et d’accepter - autant qu’on peut le
supporter
12
LETTRE AU Dr GREENSON 1961
1er mars 1961
Lorsque j’ai regardé à l’instant par la fenêtre de l’hôpital la neige avait tout recouvert et soudain tout apparaît dans une
sorte de vert adouci. L’herbe, les minables
buissons - toutefois les arbres me donnent
un peu d’espoir - les branches nues et désolées annoncent peut-être le printemps
et sont le signe d’un espoir.
Avez-vous vu «Les Désaxés» ? Dans une
des séquences, vous pouvez peut-être voir
combien un arbre peut me sembler étrange
et nu. Je ne sais pas si cela transparaît
vraiment à l’écran - je n ‘aime pas certains des choix qui ont été faits au montage. Depuis que j’ai commencé à écrire
cette lettre quatre larmes silencieuses
sont tombées le long de mes joues. Je ne
sais pas bien pourquoi.
[...]
Il n’y avait aucune empathie à la Payne
Whitney et cela m’a fait beaucoup de mal.
On m’a interrogée après m’avoir mise
dans une «cellule» (c’est-à-dire en béton et
tout) pour les grands agités, les grands dépressifs, sauf que je me sentais dans une
sorte de prison pour un crime que n’avais
pas commis. J’ai trouvé ce manque d’humanité plus que barbare. On m’a demandé
pourquoi je n’étais pas bien ici (tout était
barricadé et sous clé; il y avait des barreaux partout, autour des lampes, sur les
armoires, aux toilettes, aux fenêtres... Et
les portes étaient équipées de petites fenêtre pour que les malades soient visibles
tout le temps; il y avait aussi sur les murs
le sang et les graffitis des patients précédents). J’ai répondu : «il faudrait que
je sois folle pour aimer être ici», puis des
femmes se sont mises à crier dans leurs
cellules - elles hurlaient pour dire que la
vie était insupportable j’imagine...
Dans ces moments-là, je pensais qu’un
psychiatre digne de ce nom aurait dû
leur parler, pour alléger même temporairement leur peine et leur souffrance. Je
pense qu’ils (les médecins) devraient apprendre quelque chose, mais ils ne sont
intéressés que par les choses qu’ils ont
apprises dans les livres. J’ai été surprise
parce qu’ils savaient déjà tout ça. Peutêtre pourraient-ils apprendre davantage
en écoutant le mal de vivre d’un être humain. J’ai le sentiment qu’ils se préoccupent plus de discipline et qu’ils laissent
tomber leurs patients après les avoir fait
«plier».
Ils m’ont demandé de me mêler aux autres
patients, d’aller en ergothérapie. «Pourquoi faire ?» leur ai-je demandé. «Vous
pourriez coudre, jouer aux dames, aux
cartes même, ou encore tricoter». J’ai essayé de leur expliquer que le jour où moi je
ferais cela ils auraient vraiment affaire à
une cinglée. Ces choses étaient vraiment
au plus loin de moi. Ils m’ont demandé
pourquoi je me sentais «différente» (des
autres patients je suppose) alors je me
suis dit que s’ils étaient assez bêtes pour
me poser de telles questions, je devais leur
donner une réponse toute simple, aussi aije dit : «parce que je le suis.»
Le premier jour, je me suis «mêlée» à
une malade. Elle m’a demandé pourquoi
j’avais l’air si triste et m’a suggéré d’appeler un ami pour me sentir moins seule.
Je lui ai répondu qu’on m’avait dit qu’il
n’y avait pas de téléphone à cet étage. À
propos d’étages, ils sont tous verrouillés;
personne ne peut y entrer ni en sortir.
Elle a paru choquée et bouleversée et m’a
dit: «Je vais vous conduire au téléphone.»
Tandis que j’attendais mon tour pour le
téléphone, j’ai aperçu un garde (il portait
un uniforme gris) qui, au moment où j’allais décrocher, m’a arraché l’appareil des
mains et m’a dit très fermement: «Vous
n’êtes pas autorisée à utiliser ce téléphone.» Et eux qui s’enorgueillissent de
leur atmosphère «comme à la maison».
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Je leur ai demandé (aux médecins) ce
qu’ils entendaient par là. Ils m’ont répondu : «Eh bien, au sixième étage, on a de
la moquette partout au sol et du mobilier
moderne», à quoi j’ai répondu: «Oui exactement ce que n’importe quel architecte
d’intérieur peut fournir, pour autant qu’il
y ait les fonds pour cela», mais puisqu’on
y traite des être humains, pourquoi ne pas
avoir la moindre idée de ce qui fait l’intérieur d’un être humain ?
La fille qui m’avait parlé du téléphone
avait l’air tout à fait évanescente et pathétique. Après l’altercation, elle me dit:
«je ne pensais pas qu’on vous traiterait
ainsi.» Puis elle m’a dit : « je suis là à
cause de ma maladie mentale; je me suis
coupé la gorge plusieurs fois et tailladé
les poignets», m’a-t-elle répété trois ou
quatre fois.
J’ai pensé à un refrain : «Mêlez-vous les
uns aux autres mes frères
Sauf si vous êtes nés solitaires»
Oui, les hommes veulent atteindre le lune
mais personne ne semble s’intéresser au
coeur humain (qui bat). On peut renoncer
à changer quand bien même on le pourrait - à propos, c’était le thème original
des DÉSAXÉS, mais personne ne s’en est
rendu compte. Sans doute à cause des
modifications du script et des distorsions
dans la mise en scène et...
[...]
LEE ET PAULA STRASBERG 4
Cher Lee,
C’est une lettre importante alors s’il vous
plaît ne commencez pas à la lire avant
d’avoir le temps d’y consacrer une grande
attention. Cette lettre porte sur les projets d’avenir et donc sur les vôtres aussi
puisque mon évolution future comme artiste est fondée sur notre travail commun.
Tout cela est une introduction; laissezmoi souligner les évènements récents,
mes idées et mes suggestions.
Comme vous le savez, je lutte depuis des
années pour trouver une sorte de stabilité
émotionnelle sans y bien parvenir, pour
plein de raisons différentes. Il est vrai que
ma thérapie avec le Dr Greenson a ses
hauts et ses bas, vous le savez. Pour tant
mes progrès d’ensemble sont tels que j’ai
des espoirs de me faire un petit territoire
où demeurer, plutôt que les sables mouvants sur lesquels j’ai toujours été. Mais
le Dr Greenson est d’accord avec vous que
pour moi, vivre correctement et productivement, cela veut dire travailler ! Et travailler ne veut pas dire simplement jouer
professionnellement mais étudier et me
vouer à mon art. Mon travail est le seul
espoir fiable que j’ai. Et c’est là, Lee, que
cela vous concerne. Pour moi, le travail et
Lee Strasberg sont synonymes. Je n’ai pas
la prétention d’attendre que vous veniez
ici pour moi seule. J’ai contacté Marlon à
ce propos et il semble assez intéressé, bien
qu’il soit en train de terminer un film. Je
dois parler de cela avec lui plus en détail
dans un jour ou deux.
En outre, et ceci doit rester confidentiel
dans les temps qui viennent, mes avocats
et moi projetons de mettre en place une
maison de production indépendante, dans
laquelle nous avons prévu un poste important pour vous. On en est encore à la
14
phase préparatoire mais je pense à vous
pour un poste de conseiller ou n’importe
quelle forme qui pourrait vous convenir.
Je sais que vous voudrez conserver assez
la de liberté pour poursuivre votre enseignement et toute autre activité privée
que vous voudriez mener.
Bien que je m’engage dans mon analyse,
aussi douloureux que ce soit, je ne peux
me décider entièrement avant d’avoir
votre réponse, parce que lorsque je ne travaille pas avec vous, seule une part de moi
fonctionne. C’est pourquoi il faut savoir
dans quelles conditions vous pourriez accepter de venir et éventuellement de vous
y installer.
Je sais que tout cela peut paraître assez
ahurissant, mais si vous mettez tous les
avantages ensemble ce pourrait être une
aventure gratifiante. Je veux dire, pas
simplement pour Marlon et moi, mais
aussi pour d’autres. Cette maison de production indépendante fera aussi des films
sans moi - c’est même nécessaire pour
des raisons juridiques. Cela donnera des
ouvertures à Susan si elle est intéressée
et peut-être aussi à Johnny. Et Paula aurait de nombreuses possibilités comme
coach. Quant à vous, Lee, je rêve toujours
qu’un jour vous me dirigerez dans un film
! Je sais que c’est une décision difficile
à prendre, mais j’ai le souhait que vous
réalisiez ici quelques-uns des espoirs qui
n’ont peut-être pas été comblés pour vous
jusqu’au bout, comme au Lincoln Center,
etc.
Bref, je ne sais pas comment trouver
d’autres arguments pour vous convaincre.
J’ai besoin d’approfondir le projet et je ne
suis pas seule à y travailler. Je veux faire
tout ce qui est en mon pouvoir pour vous
faire venir - dans les limites du raisonnables - puisque ce serait à votre avantage autant qu’au mien. Aussi, Lee, pensez à tout cela avec
beaucoup d’attention, je vous en prie ;
j’en suis à un point de ma vie extrêmement important et parce que vous m’avez
dit au téléphone que pour vous aussi, les
choses n’étaient pas figées, j’ai osé avoir
de l’espoir.
J’ai des rendez-vous fixés avec Marlon et
aussi avec mes avocats et je vous appellerai s’il y a du nouveau. Sinon, mettezvous en contact avec moi s’il vous plaît.
Je vous aime tous,
Marilyn
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FRAGMENTS
NE VOUS PERDEZ PAS
MARILYN MONROE
SAMUEL DOUX
CRÉATION 2013
CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL
ORLÉANS/LOIRET/CENTRE