Les gens du voyage, culture et modes de vie - Maison L`Arc-en-ciel
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Les gens du voyage, culture et modes de vie - Maison L`Arc-en-ciel
Journée de formation et d’échanges FRAMAFAD du Grand Ouest Les gens du voyage, culture et modes de vie Compte-rendu de la journée du 23 mars 2002 Ordre du jour • • Intervention de Christophe Sauvée, aumônier national, membre de la Commission nationale consultative sur les gens du voyage : « Les gens du voyage, culture et modes de vie » Intervention de Anne Sophie Chénevière, conseillère d’insertion et de probation à la Maison d’arrêt de Nantes : « Les gens du voyage et la prison » Les gens du voyage, culture et modes de vie Christophe Sauvée, aumônier national Christophe Sauvée se présente. Il est l’un des deux seuls prêtres issus de la communauté tsigane (auxquels, il faut ajouter 2 religieuses et 2 diacres permanents). L’évêque l’a laissé à son peuple. Il est ainsi aumônier national, membre de la commission consultative sur les gens du voyage, interlocuteur du Ministère de l’Intérieur et du Ministère de la Solidarité. A noter que les voyageurs sont aujourd’hui essentiellement protestants pentecôtistes (à 70 %), avec des prédicateurs souvent très fondamentalistes. Christophe Sauvée indique que l’œcuménisme n’existe pas parmi les voyageurs et qu’il subit des pressions pour devenir pasteur. Quelques notions de vocabulaire Les gens du voyage ont une tradition orale et écrivent très peu. Ceux qui ne sont pas de leur peuple sont appelés « gadjé » (attaché à la terre – au singulier « gadjo » pour un homme, « gadji » pour une femme). Eux ne le sont pas, sauf quand ils sont morts. C’est par les cimetières que les gens du voyage sont attachés à la terre, à un lieu. Le prêtre est le « rachaï ». La « lové », c’est l’argent. Les voyageurs ne sachant souvent ni lire ni écrire n’ont en général pas de compte bancaire et manient donc beaucoup l’argent liquide. « Même si on en n’a pas, on montre qu’on en a ! ». On dépense sans compter pour les grands événements, même si on n’a rien ! La solidarité joue : en cas de besoin (mariage, enterrement…), les voyageurs font une quête pour aider la famille. Les voyageurs adorent « chiner », c’est à dire palabrer pour obtenir quelque chose de l’autre. Qui sont les gens du voyage ? L’ensemble des gens du voyage sont des tsiganes. Ils se répartissent en diverses communautés. Les Manouches Originaires de l’Inde, ils sont appelés aussi « Roms ». Les Rroms Originaires des pays de l’Est, et en particulier, de la Roumanie. Leur nom signifie « hommes ». Leur situation est très difficile actuellement dans ces pays où ils étaient traités comme des esclaves sous le régime communiste, sont aujourd’hui rejetés et se retrouvent souvent dans la rue. Ils ne sont pas habitués à vivre en caravane. Ils viennent en masse vers la France aujourd’hui. Ils sont 8 000 à Paris, 4 000 à Lyon et il en existe 150 familles en LoireAtlantique. Ils sont aussi présents à Poitiers et Rennes. Les Gitans Originaires d’Espagne, on les trouve essentiellement dans le Sud de la France (Perpignan, Marseille…). « Les gens du voyage, culture et modes de vie » 23 mars 2002 Ils parlent catalans. Certains sont pieds-noirs ou arabes. Les Sinté (au singulier Sinti) Ils viennent d’Italie. Ils sont nombreux à Vallet. Les Yeniches Originaire d’Allemagne, on les trouve en Alsace. Ils sont mal vus des autres communautés qui leur reprochent d’avoir été souvent les Kapos des SS pendant la guerre et d’être encore des mouchards de la police. Entre ces différentes communautés, les relations sont souvent très difficiles et, en plus, il existe encore des sous-familles. Un peu d’histoire La présence importante de gens du voyage dans l’Ouest s’explique par l’histoire. Ils ont été regroupés dans divers sites : St-Gildasdes-Bois, Châteaubriant, Moisdon-laRivière, Bordeaux, Narbonne, Drancy… Ils ont subi alors des interrogatoires « musclés » qui expliquent leur méfiance des gadjé ! Leur histoire est proche de celle des juifs si bien que les liens sont importants entre les 2 communautés. Leurs avocats sont souvent juifs. Aujourd’hui, c’est la recherche de travail qui les fait venir de façon importante en France (notamment des pays de l’Est). Des aires d’accueil insuffisantes Les gens du voyage sont des itinérants qui bougent beaucoup. Mais, quand ils arrivent dans un lieu, ils doivent aller faire tamponner un carnet de circulation à la gendarmerie. Ils doivent aller sur des aires d’accueil, souvent loin des écoles mais près des voies de chemin de fer, des autoroutes, des aérodromes, des déchetteries… Sur ces aires, les gens du voyage paient leur emplacement, l’eau et l’électricité qu’ils consomment. Un schéma départemental devrait exister et des aires sont obligatoires dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants mais beaucoup de communes ne remplissent pas leur obligation. Quand il n’y a pas d’aire et qu’une municipalité leur autorise une installation et leur met à disposition eau et électricité, ils font une quête pour dédommager la mairie. Celle-ci la verse en général au CCAS. Un certain rejet des aires Certains voyageurs ne veulent pas aller sur les aires car parfois, elles sont devenues des lieux de semi-sédentarisation et ce ne sont plus des lieux de passage. Parfois, une famille pose problème et exclut de fait les autres familles. Il faudrait dans certains cas pouvoir proposer un terrain familial (une famille représente souvent 15 caravanes !). Dans ce cas, il émerge un responsable du terrain et celui est entretenu « nickel » car il y a appropriation. Certains voyageurs acquièrent ainsi des terrains, souvent en zone agricole (c’est moins cher !), et s’installent dessus. Cela provoque des tensions avec la Mairie. Mais on peut trouver des solutions (rendre constructible le terrain, faire un échange de terrain…). Mais pour les voyageurs, c’est toujours « tout de suite ! » et pas « demain ! ». Des enfants peu scolarisés Les enfants sont la seule richesse des voyageurs qui en ont souvent beaucoup. Ceux-ci sont considérés comme des rois. Rien n’est trop beau pour eux. Même si on n'a rien, il faut que le petit ait tout ! Il faut à tout prix qu’il soit heureux. Les enfants vont à l’école une bonne partie de l’hiver. Ils apprennent ainsi à vivre avec des gadjé. Mais, s’il y a une fête, les cahiers vont souvent au feu ! Ils suivent à peu près le primaire mais très peu le collège (7 collégiens du voyage en Loire-Atlantique !). En effet, après, les enfants font des petits métiers et accompagnent les parents faire les marchés. Ils perdent ainsi rapidement les acquis du primaire malgré les cours du CNED (pour « Les gens du voyage, culture et modes de vie » 2 23 mars 2002 justifier de l’obligation légale). Ceux-ci ne sont en effet pas du tout adaptés pour eux. Un essai a été réalisé dans un collège avec une double inscription CNED et collège qui a donné de bons résultats. Christophe Sauvée souhaiterait aussi lancer un « camion école » qui permettrait aux enfants de suivre plus assidûment l’école. Il faudrait aussi créer un diplôme de valorisation des métiers de forains. Les petits métiers Les métiers des gens du voyage sont de plus en plus difficiles : Ferrailleurs : ça ne vaut rien à l’exception du cuivre (d’où problème avec EDF et SNCF sur des disparitions de certains câbles !) Commerçant forain : la concurrence des grandes surfaces est très rude pour ces métiers. Saisonniers : ça ne paie pas beaucoup ! Pêcheur de la Loire : pas toujours avec un permis ! Compte-tenu des difficultés d’exercice de ces métiers, les voyageurs sont très nombreux à être au RMI. La vie sur les terrains Les gens du voyage sont des oiseaux de nuit. Tout se passe la nuit. Tout est prétexte à fête : baptême, permission de sortie… C’est un peuple de fête. On arrive pour les morts, on repart aux rameaux. Ils se retrouvent pour parler, hommes et femmes de chaque côté. Le feu rassemble, même si la télé et les magnétoscopes ont fait diminuer le nombre de veillées. Quand ils parlent avec les femmes, le sujet tourne principalement autour des enfants. Ce sont les femmes qui tiennent l’argent. Maintenant, elles ont aussi le permis et conduisent aussi le camion. Il y a peut-être un manque d’équilibre. « Les hommes n’existent plus ! » Le respect des morts Les enterrements font l’objet de grandes rencontres : ils viennent de partout « faire le feu », bénir le défunt. La caravane est tapissée de draps blancs ainsi qu’un auvent entièrement rempli de fleurs. On achète le plus beau cercueil, même si on n'a rien (on fait une quête pour le payer). On veille le défunt pendant 3 nuits. Il y a de moins en moins de pleureuses, si bien que c’est plutôt un grand silence. Seul le rachaï parle. On marque le deuil. On ne regarde plus la télé, on n’écoute plus la radio, on ne joue plus au tiercé… On respecte le deuil et cela peut durer longtemps (jusqu’à 6 ans !). Les jeunes n’ont rien à dire là-dessus. Ils font le deuil, même en prison !… En revanche, quand on lève le deuil, la fête dure une semaine voire un mois. Les voyageurs ne touchent jamais aux morts. Si on ne brûle presque plus jamais les caravanes, on les vend dès le lendemain. Et le marchand la revend à un gadjo. Les draps blancs sont brûlés aussi. Ce sont ceux des morts. Jamais un voyageur ne dormira dans des draps blancs (A savoir pour nos lieux d’hébergement !). Vallet est le plus grand cimetière tsigane de France. C’est donc un lieu de rassemblement. Une culture de l’échec Les tsiganes ont vécu des choses si difficile (guerres, rejets…) qu’ils ont une culture de la fatalité : « C’est comme ça ! ». Cela explique aussi qu’ils veulent tout, tout de suite. Ils ont pu survivre en enfreignant souvent la loi. C’est pourquoi, souvent, pour eux, « ce qui est à toi est à moi ! ». Cela a été une condition de leur survie. Pour certaines familles, la prison est presque un passage obligé : le grand-père y a été, le père aussi, le fils ira ! Certains passent tous leurs hivers en prison. De toute manière, les femmes assument tout. « Les gens du voyage, culture et modes de vie » 3 23 mars 2002 Le mariage Autrefois, et encore parfois pour les Rroms, le père choisit la fille pour le fils et verse la dot. La fille doit être vierge. Mais la plupart du temps, maintenant, le garçon et la fille se choisissent. Le garçon l’emmène et quand il a couché avec elle, il est marié. Il va prévenir le père : « j’ai épousé ta fille. » et il donne un camion et une caravane. Le couple va dans la famille du garçon. Il y a parfois aussi des mariages mixtes, notamment avec les Maghrébins avec qui les voyageurs s’entendent assez bien. Le divorce En cas de divorce, les enfants appartiennent souvent aux grands-parents et ils vont du côté du père. C’est surtout la grand-mère qui y tient. Tenue toujours pour responsable, la femme a intérêt à disparaître. Si par hasard, ils se retrouvent dans une même aire, ils s’ignorent. Les référents Il n’y a plus de patriarche chez les voyageurs et même plus de référent pour le clan. Dans certains cas, des clans familiaux sont cassés. On n’écoute plus son vieux, son père. Le référent sur le terrain est souvent quelqu’un de l’extérieur : le policier municipal, une assistante sociale, le rachaï… Chez les voyageurs, les choses évoluent à coup de violence. La citoyenneté Les voyageurs n’ont pas envie de devenir citoyens. Il y a un écart tellement important avec les gadjé que c’est difficile. Lors de rencontres, le langage est un obstacle difficile à vaincre par exemple. Christophe Sauvée essaie de créer des ateliers où les voyageurs viennent dire ce qu’ils vivent y compris dans les instances nationales. Les gens du voyage et la prison Anne Sophie Chénevière – Conseillère d’insertion et de probation à la Maison d’arrêt de Nantes Anne Sophie Chénevière est conseillère d’insertion et de probation à la Maison d’arrêt de Nantes. En 1996, les événements de Machecoul ont provoqué une tension dans la prison avec les gens du voyage. Quelqu’un lui a alors dit que seul un prêtre pourrait permettre de créer un lien avec cette communauté. Et c’est ainsi qu’elle a demandé à Christophe Sauvée d’intervenir avec elle en binôme. Faire un feu en prison Une réunion a été organisée avec les détenus du voyage. Christophe Sauvée a dit qu’il fallait « faire un feu » ! Pour cela, ils ont fait un cercle avec les chaises pour que l’échange puisse avoir lieu. Un groupe de guitare a ainsi été mis en place. Le travail avec Christophe a permis de progresser dans la manière de travailler avec les gens du voyage. Quand il intervient, c’est toujours en binôme avec un gadjo. D’abord, la culture de l’échec entraîne l’impossibilité d’exiger la régularité à une activité (une révolution dans une administration où une ou deux absences entraînent l’exclusion de l’activité !). Il faut accepter un va et vient continu, ce qui n’est pas sans poser de problème pour les surveillants. La caravane en cellule La cellule des voyageurs, c’est quelque chose ! la caravane est reconstituée. Il est donc quasiment impossible de mélanger les gadjé et les voyageurs. Il y a des étages de voyageurs. Les seuls mélanges possibles sont avec les Maghrébins. « Les gens du voyage, culture et modes de vie » 4 23 mars 2002 Le forcing ne sert à rien. Dans un étage, on s’adresse au leader de la communauté. On ne traite qu’avec un seul détenu. En tenant compte de ces éléments, il y a de moins en moins de difficultés. Les choses avancent (sans faire d’angélisme !). Avec quelques clés de compréhension, on peut obtenir des résultats extrêmement positifs. Les surveillants s’y mettent et se mettent à parler aux gars avec quelques mots tsiganes : « le rachaï est là ! ». Des permissions pour les voyageurs Avant toute permission, le juge demande une enquête familiale. Pour les voyageurs, elle revenait toujours défavorable. Les services sociaux ont donc convaincu le juge qu’elle ne servait à rien et qu’il valait mieux tenir compte du comportement en détention et partir d’un contrat oral qui engage non seulement le détenu, mais toute sa communauté : « Si tu ne reviens pas, tes camarades n’obtiendront plus de permissions ! ». Depuis, ces permissions se sont toujours bien passées. Pour les longues peines (où les réticences de l’Administration était encore plus grande), ils peuvent obtenir une permission sur le terrain de Christophe Sauvée. En cas d’enterrements La règle habituelle est de donner la permission pour le jour de l’enterrement. Mais pour les voyageurs, le temps de l’enterrement est très long et la veillée est plus importante que l’enterrement proprement dit. Les services sociaux ont donc convaincu le juge de donner soit plusieurs jours, soit la veille de l’enterrement plutôt que le jour même. Les aménagements de peine Les voyageurs ont beaucoup de mal à obtenir des libérations conditionnelles. Il faut un justificatif de travail et ceux-ci sont difficiles à produire pour un ferrailleur ou même pour les commerçants qui ne sont pas toujours inscrits au registre. Cependant, certains placements extérieurs positifs ont pu avoir lieu : cueillette du muguet, lutte contre la marée noire… La prison, c’est l’école Pour les voyageurs, quand on est en prison, on va à l’école ! Cela se passe bien, mais il faut veiller à ce que les voyageurs ne fassent pas plus de la moitié du groupe sinon exclusion des autres ! Les relations avec les instits sont bonnes en général. Un certain nombre de stages et d’activités ont pu être organisés. Mais il faut accepter la culture des voyageurs, l’irrégularité… sinon on s’en va. Pour un travail avec les voyageurs, il faut laisser sa mentalité de gadjé au vestiaire. Il faut montrer qu’on veut apprendre à les connaître. Alors, il peut y avoir réciprocité et équilibre. Sinon blocage ! De même, s’ils comprennent qu’on les respecte et les reconnaît, ils peuvent accepter les mœurs des gadjé et respecter les règles des lieux d’accueil. Mais ça ne marche pas toujours ! Il ne faut jamais poser de questions (surtout sur les ressources des voyageurs) sinon « C’est un gadjo de sa grand-mère ! »… Les voyageurs : autour de 10 % des détenus A Nantes, tant à la Maison d’arrêt qu’au Centre de détention, les voyageurs représentent environ 10 % des détenus. Les délits sont de plus en plus graves : affaire de mœurs (avec alors un rejet par la communauté), trafic de drogue (nouveau), crimes de sang… Quelques familles posent problème Pour certaines familles, la prison est presque un parcours initiatique. C’est un passage normal. Il n’y a pas d’angoisse. Cela signifie un passage à l’école. « Les gens du voyage, culture et modes de vie » 5 23 mars 2002 Pour ceux-ci, il ne sert à rien de parler de réinsertion. Il faut attendre. Si rien ne vient tant pis (culture de l’échec !). Mais, par le bouche à oreille, il peut y avoir des avancées. Une grande solidarité Tous les détenus du voyage ont des mandats. Si la famille n’a pas les moyens, on fait la quête. Quelques références bibliographiques Les tsiganes, une destinée européenne Henriette Asseo – Gallimard Découverte – 1994 Grâce et dénuement Alice Ferney – Actes Sud – 1997 Etudes tsiganes Revue – Centre de Recherche Tsigane Paris Des sujets pour nos prochaines rencontres Quelques thèmes ont été proposés pour nos prochaines rencontres : • La culture maghrébine, • Les adolescents et la prison, • Les mineurs incarcérés, • Les problèmes de scolarisation en prison • La réalité des parloirs La prochaine rencontre a été fixée à Rennes le 12 octobre prochain. « Les gens du voyage, culture et modes de vie » 6 23 mars 2002