les-cabanes-de-locean-chapitre-2

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Chapitre 2
Quelques jours plus tard, ces épisodes invraisemblables sont relégués au rang
des souvenirs. Détendue et reposée, je m’offre une virée en Stand Up Paddle
sur le Bassin. Le plan d’eau est calme et le temps est magnifique. Je rame
jusqu’à l’anse du Mimbeau puis me laisse revenir tranquillement, portée par le
courant. Des couleurs automnales commencent à s’installer mais la température
reste douce en cette saison. Je lézarde sur la plage et savoure ces moments
d’insouciance. Ma planche sous le bras, je retourne ensuite vers le quartier des
pêcheurs. J’ai la chance de pouvoir déposer mon matériel dans la remise à
bateau de Frank.
Frank, c’est mon frère de cœur ! Après Jean-Louis et Benoît, c’est le troisième
mousquetaire de la bande. Avec Salomé, on les a rencontrés à Gibraltar, il y a
une dizaine d’années.
Frank a repris l’entreprise ostréicole familiale il y a trois ans, lorsque son père est
décédé. Afin de nourrir son tempérament fougueux et créatif, il a transformé une
partie des locaux en restaurant. L’incontournable Chez Bébert propose, de mai
à fin septembre, des cocktails et différents tapas, en plus des traditionnels
huîtres et poissons du Bassin.
Lorsque je referme la porte de la remise, je vois Benoît s’avancer vers moi. Je
me retiens de rire. Il faut le voir ce géant, avec son immense salopette de
pêcheur.
- Salomé vient de m’appeler, elle a besoin d’huîtres pour ce soir. Je vais
être coincé ici encore un moment, est-ce que tu veux bien les
ramener aux Cabanes ?
- Oui, oui… pas de problème.
Alors que nous nous dirigeons vers la salle de tri, je salive déjà.
- Salomé m’a proposé de manger avec vous ce soir, c’est une super idée
de se faire quelques huîtres en entrée.
Benoît saisit une bourriche sur le comptoir et commence à les sélectionner.
- Stop, Benoît, il y en a assez. Théo et Mila n’en sont pas encore friands, à
ce que je sache ?
Il relève la tête et me dévisage, gêné. Il est plutôt du genre direct le Benoît,
d’habitude. S’il a cette mine, c’est qu’il y a anguille sous roche. Méfiante, je le
questionne :
- On ne sera pas … « que nous » ?
- Écoute Mathilde, tu sais comme je préfère rester en dehors de vos
histoires…
Je le coupe avec humeur :
- Ah mais je te rassure Ben, de mon côté, il n’y en a pas… « d’histoires » !
J’enrage. C’est quoi ce bordel ? Qu’est-ce que Salomé a encore inventé ? Alors
que je m’apprête à faire demi-tour, deux bras m’enlacent brusquement.
- Génial, on a attrapé une sirène dans nos filets, lance Frank en riant.
Il me serre tendrement contre lui.
- Salut Belle Brune.
Alors que je me retourne, je vois Benoît qui articule un « tu me sauves » à ce
grand koala sur pattes. Je me mets sur la pointe des pieds et l’embrasse sur la
joue.
- Salut Beau Gosse !
- Mhmmm… mais dis-moi, ça fait un moment que je ne t’ai pas vue !
Je lui lance un regard en coin.
- C’était hier à la même heure, non ?
Charmeur, il replace une mèche de cheveux derrière mon oreille.
- Juste toi et moi, je veux dire. C’est mon soir de congé au resto, on se fait
une petite virée ?
Je le dévisage, moqueuse.
- Tu n’as pas de rendez-vous galant pour meubler « ton » dimanche soir ?
J’ai de la peine à le croire…
Il me sort son plus beau sourire et insiste :
- Ne voudrais-tu pas être ma galante ?
Je jette un coup d’œil en direction de Benoît.
- Je ne suis pas sûre d’être dispo, mais ça se pourrait bien. Je t’appelle
dans un moment …
Benoît ne dit rien, mais son drôle d’air en dit long ! Une fois Frank parti, il arrime
le chargement d’huîtres sur mon porte-bagage et je quitte le quartier des
pêcheurs en pédalant vigoureusement. Un orage se prépare-t-il aux Cabanes
de l’Océan ?
Lorsque j’arrive dans la cuisine des Lambert, Théo et Mila terminent leur goûter.
- Salut les amis ! Mais dites-moi, il ne reste que des miettes sur cette table,
qu’est-ce que je vais manger moi ?
- J’sais où y a la réserve des petits gâteaux, me dit Théo.
Je lui fais un clin d’œil.
- Merci, jeune homme, je savais que je pouvais compter sur toi.
Je dépose la bourriche d’huîtres dans l’évier avant de me tourner vers Salomé.
Sans me regarder, elle lance aux enfants :
- Est-ce que vous voulez faire un petit repos-télé ?
Aïe ! Je ne sais pas ce que Salomé a mijoté mais si elle met les enfants devant la
télé, c’est mauvais signe. En revenant dans la cuisine, elle me demande, l’air de
rien :
- Tu veux boire un thé ?
- Arrête Salomé… et dis-moi ce qui se passe.
Elle se balance d’un pied sur l’autre, mal à l’aise.
- L’autre jour, quand t’es partie du cabinet après les nettoyages… Hé ben,
figure toi que le Samuel Dalton, il a rappelé « en personne ». Il a pris le
temps de me parler de son reportage… que je trouve tout à fait
passionnant, soit dit en passant…
Je la foudroie du regard.
- Écoute Mathilde, ce réalisateur veut « vraiment » te rencontrer ! Je lui ai
donc proposé de venir passer quelques jours ici.
- Tu lui as « quoi » …?
-
Il pensait partir quelques jours à la montagne, je lui ai juste dit que l’air de
l’océan lui ferait tout autant de bien !
Soufflée par un tel aplomb, je la dévisage longuement.
- J’ai déjà souvent subi tes assauts inconséquents, mais sur ce coup-là, je
dois dire que tu t’es surpassée, ma vieille.
- Tu occultes ton art, Mathilde.
- Je n’occulte rien du tout ! Je sais juste sur quel terrain je ne désire pas
aller.
- Alors pourquoi ces « lectures d’âme » reviennent maintenant si souvent
dans tes consultations ?
- Lectures d’âme, lectures d’âme … que de grands mots ! Toutes ces
histoires commencent vraiment à me taper sur le système.
Énervée, je me tourne vers la fenêtre et regarde dehors. Salomé s’approche de
moi et passe doucement la main dans mon dos.
- Pourquoi est-ce que tu te mets dans un tel état ?
Tendue, je réplique:
- Ces « visions » s’imposent de plus en plus souvent à moi et depuis peu,
elles bloquent carrément les soins tant que je ne les ai pas exprimées
à voix haute … c’est ce qui s’est passé avec Laurence.
- Mais tu ne m’en avais pas parlé, s’étonne Salomé.
Je me retourne d’un bloc.
- Je déteste cette idée de clairvoyance !
Salomé me regarde, désolée.
- Ce Samuel Dalton, il a appelé juste un jour après que tu aies reçu ces
messages de tes extra-terrestres…
- Un jour après que je me sois pris la foudre, ouais ! bougonnais-je.
Avec un air de conspiratrice, Salomé insiste :
- Je ne pouvais décemment pas laisser passer une telle synchronicité !
- Et c’est donc en vertu de la « Sainte Chronicité » que tu t’es permis de
l’inviter ?
- Exactement.
Je secoue la tête. Je n’en reviens pas qu’elle ait pu proposer une chambre à ce
mec ! Et tout ça, sans même m’en parler… Sachant pertinemment que rien
n’arrête une Salomé-Bulldozer en pleine action, je me détourne. Avant de sortir,
je lui lance :
- Hé bien, bonne soirée !
Je sors mon téléphone de ma poche et traverse le jardin. En composant le
numéro de Frank, je réalise à quel point sa proposition tombe à pic.
- Ciao, c’est Mathilde. C’est tout bon pour ce soir, je suis libre comme l’air.
- Ah, génial, j’espérais bien évincer tes soupirants !
- Frank Verdier, vous êtes ma priorité !
Il rit quelques instants avant de me demander:
- Il y a un problème avec Benoît ? Il avait l’air mal à l’aise cet après-midi !
Frank et son sixième sens! Pas motivée à épiloguer, je réponds simplement:
- Je n’ai pas très envie d’en parler.
- Ok, pas de soucis, Bébé… La politique de l’autruche ça me connaît !
Je ris. Rien à voir avec Salomé !
-
Dix-neuf heures chez Nounours, ça te va ou tu préfères que je passe te
chercher en scooter ?
On se voit là-bas, c’est parfait ! À tout à l’heure, Frankie !
Je reviens aux Cabanes un peu avant minuit. Quelle soirée ! Cette sortie était
exactement ce qu’il me fallait. Il était en forme le Frank ! Après un apéro
mouvementé chez Nounours, nous sommes allés boire des bières et refaire le
monde sur la plage. Ses histoires de fesses me font toujours autant marrer. Je
ne sais pas comment il arrive à jongler pareillement avec les femmes, sans
jamais se faire lyncher.
On a des caractères très différents, mais quand je suis avec lui, je me sens bien.
Il essaie, à intervalles réguliers, de me « prendre dans ses filets » comme il dit si
bien, mais je ne cède jamais. Je l’aime comme un frère mon Frankie.
Un gros 4X4 noire est garée sur le parking à côté de la voiture des Lambert. Le
Mister Dalton doit donc être arrivé. Je pousse la barrière de l’entrée et entends
des rires et de la musique en provenance de leurs quartiers. Un peu éméchée,
je marche en catimini dans la direction opposée. Je n’allume pas la lumière et
vais directement me coucher.

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