Etude Thématique Baudelaire 2007

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Etude Thématique Baudelaire 2007
Céline Ferraz, Clarisse Peter, Yannick Stiassny, gr. 406
01.10.2007
Etude thématique
La Beauté (poétique)
« Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,
O Beauté ? […]
Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ? »
(Baudelaire, Fleurs du Mal, Hymne à la Beauté)
Baudelaire pose cette question de prime abord assez singulière au début de son recueil.
Pourquoi apostropher une figure si familière à l’Homme, qui parle d’Elle depuis des temps
immémoriaux ?
Jusqu’à Baudelaire, la Beauté était en effet clairement définie, théorisée et affublée de divers
symboles et marques de perfection. Mais chez le dandy parisien, elle va être libérée et rendue
à l’état sauvage. Nous allons donc tenter de cerner cette force à nouveau primitive à travers
les poèmes de Baudelaire. Ce sera sous l’égide antithétique du recueil Les Fleurs du Mal que
nous approcherons cette bête bicéphale dont l’autre face est tout aussi importante chez le
poète: la Laideur. Mais si Baudelaire s’accommode d’un pareil fauve, il n’aspire pas à lui
rendre hommage. Sa fibre poétique est tournée vers une perfection bien plus infinie, loin des
tumultes de l’esthétique humaine. Alors, en route pour la traque de cet animal dangereux,
divin et mortel qui se tapit dans les vers…
Tout d’abord, la Beauté chez Baudelaire est indissociable de l’Art, aussi allons-nous comparer
un poème de celui-ci avec un autre de Victor Hugo, véritable colosse du romantisme duquel
Baudelaire, bien qu’il le lût volontiers, se démarqua clairement.
Dans le poème (sans titre) n°II des Contemplations de Hugo, celui-ci montre le poète comme
souverain dans une nature charmante et enchanteresse, tandis que Baudelaire, dans le poème
« Le Soleil » de son recueil les Fleurs du Mal, nous dévoile un poète ballotté sur les flots
hasardeux de la Poésie.
Chez Hugo, « Le poète s’en va dans les champs. Il admire, il adore ; » Le créateur est en
symbiose avec la nature féconde et bienveillante, qui reflète son état d’âme. Chez Baudelaire,
en revanche, le poème commence par « Le long des vieux faubourgs, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures […]. ». Le poète est dans un environnement urbain,
mauvais, malsain (« luxures »), hostile à sa verve poétique. C’est donc un autre contexte de
création, un autre sentiment que celui de l’idyllique Hugo.
Chez ce dernier, le poète est comme un roi dans son royaume, « Les grands arbres profonds
[…] lui font de grands saluts et courbent jusqu’à terre leurs têtes de feuillée et leurs barbes de
lierre […] ». C’est une nature accueillante et prolifique que décrit Hugo. Baudelaire, quant à
lui, va s’ « exercer seul à [sa] fantasque escrime, flairant dans tous les coins les hasards de la
rime, trébuchant sur les mots comme sur les pavés […] ». Chez lui, la poésie est arbitraire,
hasardeuse, elle n’est pas hissée sur un piédestal (Il trouve ses rimes « dans tous les coins »,
image assez dépréciative). Le vocabulaire est inadapté au noble langage de la poésie
classique, avec « flairant », « coins », « trébuchant », pour mettre en évidence la difficulté et
la stérilité du poète, ce qui s’oppose à la prolifique œuvre de Hugo.
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En revanche, les deux poètes font mention du rêve : Chez Hugo, les fleurs, lorsqu’elles voient
le démiurge, s’exclament : « c’est lui ! C’est le rêveur ! ». C’est bien sûr le rêveur romantique
qui se « déconnecte » de la réalité et vient sourire à la nature bucolique. Baudelaire, lui, heurte
« parfois des vers depuis longtemps rêvés. ». Dans son contexte urbain et suintant, ce rêve
étrange, sans doute opiacé, est le refuge du poète fragile, loin des souffrances de l’existence.
On peut par conséquent voir que Baudelaire s’éloigne fortement du chemin champêtre de la
poésie romantique pour suivre sa propre route comme quelque vagabond versifiant. Il en sera
de même pour sa vision de la Beauté.
Venons-en donc à celle-ci, à travers le recueil les Fleurs du Mal, recueil dans lequel on peut
distinguer deux types de beauté.
Le premier est la Beauté humaine, physique, et donc charnelle. Dans le poème « L’amour du
mensonge », Baudelaire décrit une femme -en est-ce vraiment une ?-, sa « chère indolente ».
On voit dans les premiers vers du poème que cette beauté est limitée, qu’elle reste
désespérément basse, et qu’elle ne se sublimera pas davantage, comme le « chant des
instruments (ndlr : qui l’accompagnent) qui se brise au plafond. »,. C’est d’ailleurs une beauté
mortelle, constellée de termes funestes (« morbide attrait », « vase funèbre », « pleurs »), et
charnelle ; peut-être les appas sensuels de quelque prostituée (« Parfum qui fait rêver »,
« Oreiller caressant »). A travers ce poème, on voit rapidement que la beauté humaine est
question d’apparence, d’impression : « je me dis : Qu’elle est belle ! Et bizarrement
fraîche ! ». Le poète doute de son sentiment. Le terme « bizarrement », mot commun qui
tombe comme un cheveu sur la soupe du langage poétique altier, renforce cette idée. Dans la
seconde partie du poème, le poète, par des questions (« Es-tu… ? »), renforce cette idée de
méconnaissance. Et finalement, au dernier quatrain, le « cœur qui fuit la vérité » l’admet :
« Masque ou décor, salut ! J’adore ta beauté. » Ainsi, la Beauté physique n’est qu’affaire
d’apparence, avec des yeux « attirants comme ceux d’un portrait », sans vie, éteints.
Ce poème est un véritable bouquet des différents attraits humains, que Baudelaire fuit et
pourchasse en même temps. Sa condition d’homme est attirée par ces charmes accessibles,
pourtant si tangibles, presque anti-poétiques, mais son instinct de poète aspire à s’élever, à
traverser les apparences et à contempler une beauté plus céleste, à la recherche de son idéal.
Venons-en donc au second type, qui est la Beauté divine, spirituelle, et qui transparaît dans le
poème éponyme. Dans celui-ci, Baudelaire fait parler cet être omniprésent dans la poésie.
Mais on se rend très vite compte que les allégories sans âge de la Beauté classique sont
renversées par la dure Beauté de Baudelaire : « Je suis belle, ô mortels ! Comme un rêve de
pierre ». L’antithèse est posée dès le premier vers, avec la cassure rêve/pierre : le lecteur
angoissé sera obligé de contempler ce monstre d’esthétique, orgueilleux et hautain : « ô
mortels ! » montre son dédain de l’humanité, et les termes royaux (« je trône », « mes grandes
attitudes ») renforcent cette idée de cruauté. Cette beauté se révèle désagréablement tangible
(« Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour », ses attitudes qu’elle semble tenir des
« plus fiers monuments), au point d’être douloureuse : c’est une sorte de lumignon
magnifiquement intense sur lequel les pauvres moucherons du genre humain viennent se
brûler les ailes (le « sphinx incompris » d’Œdipe qui dévore les passants). Et le poète, dans
tout cela ? Celui-ci, contrairement au poète souverain d’Hugo, devient l’esclave (« ces dociles
amants ») de la Beauté. Car Elle les fascine avec « de purs miroirs qui font toutes choses plus
belles ». Baudelaire brave ce monstre glacial et le regarde droit dans les yeux, ses « larges
yeux aux clartés éternelles ! ». Il y découvre que la Beauté à laquelle on aspire tous n’est
qu’un reflet (« miroirs») déformé et embelli de soi, qu’une image intime propre à chacun, et si
éloignée des caractéristiques figées de la Renaissance !
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Baudelaire sort donc déçu de son expérience de la Beauté. Trop froide ou trop humaine –trop
chaude-, comment un poète peut-il s’en satisfaire en guise d’absolu ? Mais notre dandy adepte
du spleen s’est aussi tourné vers le revers de la Beauté ; pour lui, elle n’existe pas sans la
Laideur. Il nous montre celle-ci avec ses lunettes d’esthète du vocabulaire, lui qui fréquente le
cercle parnassien qui prône « l’art pour l’art ». L’horreur en sort donc honteusement
embellie, comme dans la « Danse macabre », par exemple :
« Ses yeux profonds sont faits de vide et de ténèbres,
Et son crâne, de fleurs artistement coiffé,
Oscille mollement sur ses frêles vertèbres.
O charme d'un néant follement attifé! »
Cette strophe tirée de la Danse Macabre de Baudelaire traduit bien la signification de la
Beauté selon le poète. Ce poème et son titre lui-même sont composés essentiellement
d'antithèses (« les funèbres appas », « danse macabre ») et d'oxymores (« ta vivante
carcasse », « Antinoüs flétri ») qui montrent, d'un côté, la Beauté superficielle, et de l'autre, la
Laideur représentée par le squelette et la Mort. En fait, le poète, en écrivant, veut embellir une
chose qui est associée à la laideur absolue. Dans ce texte-ci, la Mort passe sous sa plume.
Mais en suivant les pas du poète, comme le Nocher qui nous guide jusqu’au cœur des Enfers,
nous pouvons voir par les mêmes lunettes que Baudelaire et discerner de la beauté dans la
Laideur. Comment Baudelaire fait-il pour arriver à ce résultat? C'est grâce à l'analyse du
poème d’où vient la strophe ci-dessus que nous allons pouvoir répondre à cette question
essentielle.
Tout d'abord, pour Baudelaire, la Beauté doit être vivante et non morte; c'est pour cette raison
que le poète ressuscite une chose inanimée, dans ce cas, la Mort. Le champ lexical de la mort
est très présent dans ce poème : « squelette », « crâne », « macabre », ainsi qu celui de
l'horreur : « vertige », « nausée ». Mais le cadavre affreux est réanimé, devenant ainsi « fier
autant qu'un vivant » et allant au « bal ».
Ensuite, il recouvre sa « caricature », d’une beauté superficielle, pour embellir avec soin son
apparence; elle est « élégante », « noble », « coquette », mais le poète nuance lorsqu'il écrit:
«Fiers mignons, malgré l'art des poudres et du rouge, vous sentez tous la mort ! » .Ce
qu'énonce Baudelaire dans ces vers est que malgré toute la coquetterie qu’il peut déployer, on
ne peut rendre infiniment beau, ce qui, au départ, est laid. Le lecteur doit en vérité y mettre
aussi du sien afin de ressentir davantage cette opposition splendide.
Ainsi, Baudelaire anime la Mort par ses vers, en la faisant danser comme une jolie
marionnette, même si la beauté avec laquelle il la pomponne est sertie de termes affreux pour
la mettre en valeur.
Baudelaire a ainsi éprouvé les deux extrêmes de l’esthétique poétique, mais il laisse planer
son indifférence et son dédain sur ces deux figures. Ses aspirations sont plus élevées que la
froide et belle statue et le pantin flétri. Le véritable idéal Baudelairien ne subsiste plus que
dans sa tête.
Cet idéal fait donc partie du passé, mais notre poète aspire à celui-ci dans l’avenir. Cependant
Baudelaire vit au présent, il ne peut par conséquent pas atteindre cet Age d’Or. Mais grâce à
l’art poétique, il a le moyen de rejoindre son rêve.
Ce monde mythique est très présent dans « la vie antérieure » dans lequel la vie parfaite se
déroule dans un monde ordonné et droit (« Et que leurs grands piliers, droit et majestueux »).
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Rien ne manque dans ce paysage imaginaire bien équilibré, dans lequel on trouve les quatre
éléments : l’eau (« vague »), la terre (« grottes »), l’air (« images des cieux ; azur ») ; le feu
(« de mille feux ») ainsi que les cinq sens : l’ouie (« riche musique ») ; la vue (« aux
couleurs du couchant ») ; le toucher (« rafraîchissant le front ») ; et finalement l’odorat («
tout imprégnés d’odeurs »). C’est un monde calme empreint d’une musicalité que l’on ressent
par les assonances en « ou » (« Les houles, en roulant » et « Aux couleurs du couchant »). Le
temps n’a pas cours, il n’y a point de limites (« vastes portiques », « mille feux », « grands
piliers »). Les passions sont absentes de ces lieux, les « vastes portiques » pouvant représenter
le stoïcisme calme, et les « esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs » ne troublent pas
Baudelaire malgré leur sensualité. C’est cela, le véritable paradis du poète.
Cependant, c’est un pays lointain « solennel et mystique », un idéal inatteignable, exotique,
une région lointaine mystérieuse. Le poète doit donc revenir de force de son voyage rêvé,
réveillé par « le secret douloureux qui [le] faisait languir ». Il aura donc pu un instant toucher
un bout de ce paradis, grâce à la beauté de son art.
Dans « l’idéal », Baudelaire parle aussi de ce à quoi il aspire, mais contrairement à la vie
antérieure où l’on voyage dans une béatitude magnifique et béante, il nous montre cette fois
l’idéal du « Mal », revers obligatoire de l’Age d’Or, mais qui est tout aussi inatteignable et
tout aussi désiré. Baudelaire est à la recherche d’ « une fleur qui ressemble à son rouge
idéal », il veut une « Lady Macbeth, âme puissante au crime » et une « grande nuit, fille de
Michel Ange » ; il est à la recherche de la beauté dramatique, du carmin qui représente le
désir, et d’une Lady Macbeth, femme qui commet un crime sublime par son abjection.
Baudelaire veut une « grande nuit » son idéal est morbide, il est noir et rouge, les couleurs de
l’Enfer. Il cherche un idéal déchu, qui, contrairement aux « grands piliers, droits et
majestueux » de « La vie antérieure », prend cette fois l’apparence d’un monde tordu
(« Grande Nuit [qui] tors paisiblement dans une pose étrange tes appas […] »).
Son Idéal est ici passionnel, profond. C’est un tourbillon orageux (« rêve d’Eschyle éclos au
climat des autans »). On sent poindre l’érotisme poétique derrière ces vers.
L’idéal de Baudelaire est donc intense, désiré, il est antithétique et double, et ses deux faces se
rejoignent par la beauté de son art poétique pour nous montrer à travers ces deux poèmes (la
vie antérieure et l’Idéal) son véritable paradis, condamné à n’être jamais atteint, puisqu’il
n’existe pas dans le présent. Le dernier vers du sonnet de « L’idéal » nous le confirme
d’ailleurs : « Tes appas façonnés aux bouches de Titans. ». Le poète est comme ces titans qui
tentèrent de renverser les dieux mais qui furent envoyés dans les Enfers, après avoir
dégringolé de l’Olympe parfait.
Ainsi, Baudelaire fait fi de la Beauté, humaine ou divine, et néglige la Laideur. Il transcende
en quelque sorte la vision des romantiques sur celle-ci et ouvre une nouvelle dimension à la
poésie en la désaxant des idéaux esthétiques purs la faire tendre vers sa propre utopie. Une
nouvelle ère s’ouvre avec Baudelaire dans la longue Histoire de l’Art, qui, grâce à ce dernier,
s’extirpera peu à peu des chaînes de la Bienséance (Un exemple frappant étant celui du conflit
entre Delacroix et Ingres) pour gagner des horizons plus absolus.
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