MONTESQUIEU "Les Lettres Persanes"(lettre 14) 1 MONTESQUIEU
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MONTESQUIEU "Les Lettres Persanes"(lettre 14) 1 MONTESQUIEU
MONTESQUIEU "Les Lettres Persanes"(lettre 14) Introduction Montesquieu est né en 1689 et est mort en 1755. C'est un aristocrate indépendant du pouvoir royal et qui a une charge au parlement de Bordeaux. Il est juriste et garde grâce à son indépendance une grande liberté de ton. En 1716 il écrit une dissertation sur la politique des romains dans la religion où il condamne la croyance comme un moyen d'asservir les peuples. En 1721 il écrit les Lettres Persanes qui est une satire contre la France, sa cour et sa religion. En 1734 il écrit De l'esprit des lois. C'est un livre qui inspira la révolution. Les lettres Persanes sont un recueil fictif de lettres. Il s'agit de deux Persans à Paris Usbek et Rica qui écrivent leurs voyage. Dans la lettre 14 Usbek écrit à Mirza qui lui a demandé de lui expliquer la vertu. Usbek introduit l'apologue des troglodytes qui est un peuple imaginaire dont l'histoire évoque les différentes formes de gouvernement. Il introduit l'apologue ainsi : "pour remplir ce que tu me prescrits, je n'ai pas cru devoir employer des raisonnements fort abstraits: il y a certaines vérités qu'il ne suffit pas de persuader mais qu'il faut encore faire sentir." Dans la lettre 14, Montesquieu montre comment les troglodytes succombent à leurs tentations de la monarchie. Comment l'apologue s'inscrit-il dans cette lettre? I) Le détour par le récit II) Les différentes stratégies de persuasion III) La morale I) Le détour par le récit A)L’évolution politique Le texte montre une évolution entre le début et la fin puisqu'il s'agit du moment où les Troglodytes passent d'une démocratie à une monarchie. MONTESQUIEU "Les Lettres Persanes"(lettre 14) 1 Cette évolution est une conséquence à cause de la croissance démographique. La progression du texte est marquée par les connecteurs de temps et par le système des temps verbaux. Le texte est au passé, à l'intérieur du dialogue nous sommes au présent mais le vieillard établit une opposition entre l'infinitif passé "avoir vu" et l'infinitif présent "voir". Ce récit d'un état qui évolue peut être perçu avec un sens double. B) un récit à double sens Apologue // Parabole Parabolê = grec = comparaison Définition APOLOGUE : L'apologue est un discours narratif démonstratif, à visée argumentative et didactique, allégorique, rédigé en vers ou en prose, qui renferme des enseignements, dont on tire une morale pratique. PARABOLE : Une parabole (du grec παραϐολή, comparaison ») est une des variétés de l’allégorie. « rapprochement, La parabole est une figure de rhétorique consistant en une courte histoire qui utilise les événements quotidiens pour illustrer un enseignement, une morale ou une doctrine. Tandis que celle-ci, en général, présente directement le fait qu’elle a en vue, la parabole offre, sous ses couleurs véritables, un fait qui doit servir à la démonstration d’une vérité d’un autre ordre, avec laquelle elle a une relation plus ou moins facile à saisir. « Substituez dans la parabole, dit l’abbé Girard, le véritable fait à celui qu’elle expose, vous changerez le fond du discours : substituez dans l’allégorie les véritables couleurs à celles qu’elle emprunte, vous ne changerez que la forme. » On la trouve également dans le discours argumentatif lorsqu’un récit illustre la thèse défendue pour faciliter la compréhension du lecteur. La parabole est également un récit allégorique qui permet de dispenser un enseignement moral ou religieux. Présente dans la Bible où elle joue le rôle de l’apologue et de la fable, surtout les Évangiles, qui l'ont empruntée au midrash hébreu, la parabole est reprise dans les sermons des orateurs MONTESQUIEU "Les Lettres Persanes"(lettre 14) 2 chrétiens. Le Nouveau Testament en contient un très grand nombre : le grain de sénevé ou l’Église, le Bon Samaritain ou l’amour de l’humanité, le levain ou la grâce, les loups ravisseurs sous des peaux d’agneaux ou les instituteurs de fausses doctrines, le travail des ouvriers de la vigne ou les œuvres du salut, le mauvais riche ou l’obligation de l’aumône, le bon pasteur, etc. Comparaison implicite pour l'auteur. Cette lettre d’Usbek à Mirza qui imagine l'état des Troglodytes est une lettre fictive. Derrière ces Persans, Montesquieu commente deux systemes politiques. La tristesse du vieillard est une critique sous-jacente du régime que connait la France en 1721. Déplorer que les Troglodytes se choisissent un monarque, c'est critiquer la société Française de ne pas avoir été capable d'assumer sa vertu. De façon + large, c’est aussi déplorer la servitude volontaire du sujet. Le lecteur sent bien que le récit s'élargit vers une valeur universelle "le peuple" le = article défini à valeur généralisante. Cependant pour fuir la censure Montesquieu se cache sous un double masque. Celui d'Usbek qui raconte l'histoire des Troglodytes. L'usage de ces masques nous invite à voir cette lettre comme un texte dramatique. C) le texte théâtral. En effet nous pouvons envisager cette courte lettre comme une scène de théâtre. Le premier paragraphe serait une introduction narrative qu'on pourrait voir prononcée par un personnage qui serait le double de l'auteur. MONTESQUIEU "Les Lettres Persanes"(lettre 14) 3 Le texte est ensuite presque composé de répliques qui sont uniquement celle du vieillard:"l°13-14 et 24-25". Des indications vocales et des jeux de scènes. Cette scène se rapproche des tragédies: "mon sang est glacée dans mes veines" l°29-30 qui est une reprise de la tragédie de Racine: Phèdre. Cet apologue à la fois lettre, conte, scène de théâtre mélange donc les tonalités. II) Les différentes stratégies de persuasion A) Emouvoir Le lyrisme du passage s'exprime à travers des phrases à la ponctuation exclamative. Ces exclamations sont doublées de l'apostrophe. L'apostrophe "o, Troglodyte" est répétée six fois dans le texte. Le vieillard resitue constamment le peuple auquel il s'adresse comme si il l'espérait leur prise de conscience en leur rappelant leur nom. Ces exclamations se redoublent d'une manifestation physique de la tristesse par les larmes ainsi que le champ lexical de la douleur. le cœur serré de tristesse, mon sang est glacé dans mes veines, répandre un torrent de larmes (hyperbole). Cette tonalité lyrique dissimule cependant un réel raisonnement. B) L’appel au lecteur Outre les exclamations, la ponctuation se distingue également par de nombreuses interrogations. Ces 5 interrogations sont toutes des questions rhétoriques puisque le vieillard infirme la réponse dans son questionnement. MONTESQUIEU "Les Lettres Persanes"(lettre 14) 4 Ces questions rhétoriques ont une valeur démonstrative et cherchent à démontrer la vanité d'un pouvoir monarchique. Ces questions rhétoriques qui n'explicitent pas la réponse est l'une des formes de l'écriture de ce passage. C) Un récit efficace L'écriture de l'apologue utilise fréquemment le procédé du raccourci, c'est-à-dire que le texte atteint le plus vite possible la chute afin d'être le plus divertissement possible et d'imprimer la morale d'une façon la plus efficace qu'il soit. Le premier paragraphe retrace de façon très brève les longues années de l'évolution d'un peuple. Le reste du texte correspond à une pause cependant cette pause suffit à mettre en face tout un raisonnement et une morale. Par ailleurs ce sens du raccourci est justifié par le personnage du vieillard au seuil de la mort (=crée l'urgence). Le vieillard incarne donc un personnage entre 2 mondes : celui des hommes et celui de la mort. III) la morale A) la monarchie remise en cause L'apologue se propose de répondre à la question suivante: Quelles sont les différentes valeurs de la vertu ? "Vertueux" est répété deux fois et vertu trois fois aussi. Le texte oppose monarchie et vertu. Ce dernier passe d'un emploi à la minuscule à un emploi à la majuscule l°32. On passe donc de l'usage de cette qualité à l'idéal de la vertu. MONTESQUIEU "Les Lettres Persanes"(lettre 14) 5 Pour l'auteur la monarchie s'écarte de la vertu au lieu que la vertu soit l'affaire de chacun. La vertu est liée au temps = vénérable par son âge, longue vertu En revanche la vertu s'oppose à la contrainte libres / assujettis, vertu / peser, malgré vous, commander. Cette lettre cherche à construire le sens de la vertu et en particulier de la vertu politique. Il montre que la vertu politique est impossible au sein d'une monarchie mais il critique aussi l'homme qui préfère obéir que se commander soi-même. Opposition vertu politique / servitude volontaire Cette critique de la monarchie prend une nouvelle perspective dans un conte philosophique. B) un conte philosophique Pour comprendre le message que l'auteur cherche à transmettre il est intéressant d'observer les thèmes qui ont une majuscule. "Troglodytes" est un nom propre mais les 3 termes se distinguent: Vertu, Peuple, et Dieu. Ces trois mots sont intéressants car il résume la philosophie de Montesquieu. Finalement l'ordre de ces trois mots en majuscules donne la morale implicite suivante: Dieu est l'intermédiaire qui permet aux Peuple d'atteindre la Vertu. Il est donc dès lors orgueilleux de s'interposer entre la vertu est les hommes puisque ce rôle incombe à Dieu. Derrière cette lettre l'auteur met en cause le droit divin. Le droit divin concerne la justification d'un pouvoir non démocratique par le choix de Dieu. Ce choix est souvent exprimé par l'affirmation d'une généalogie, d'une « race choisie ». Dans l'Occident chrétien, la Réforme protestante ne modifia pas forcément cette doctrine là où elle existait. Elle en souligna une des conséquences qui n'avait pas non plus échappé au catholicisme : le monarque de droit divin se MONTESQUIEU "Les Lettres Persanes"(lettre 14) 6 doit d'obéir à Dieu, sous peine de perdre sa légitimité. Le Vatican justifie aussi le pouvoir du Pape par le Droit divin, de même que toute institution religieuse pour ses « ministres ». Mais il s'agit plutôt ici d'une théocratie. Les conceptions issues du Coran concernant la fusion des rôles spirituels et temporels en les mains du Calife mènent également à des régimes légitimés par le droit divin. Au Japon, l'Empereur est supposé descendre de la déesse Amaterasu, ce qu'exprime la dénomination de l'Empire du Soleil Levant figurant sur l'emblème du drapeau. C.la chute Le jugement du vieillard laisse entrevoir une véritable utopie. Son raisonnement reprend ces différents points : *Je ne suis pas le +juste *Evolution =régression*La vertu est lourde *Mais la vertu est liée à la liberté. La fin du texte ne donne pas de réelle conclusion. On ne sait pas si le vieillard accepte ou non le titre de monarque. Il ne sous-entend comme fin que la sienne et laisse les Troglodytes devant le devoir paradoxale de la vertu: «sous un autre joug que celui de la vertu." Opposition entre abstrait=vertus et joug=concret. La vertu pose la contrainte de la liberté. conclusion Les lettres Persanes posent sous plusieurs formes le problème des différents gouvernements. Le gouvernement des Troglodytes qui évolue de la démocratie à la monarchie raconté par un Persan qui confronte le gouvernement Français à celui de son pays. Dans la conte que présente la lettre 14, l'auteur mélange tonalité et genre pour faire passer au mieux sa morale. La vertu doit être une contrainte que chacun doit s'imposer. Ultime paradoxe Usbek l'inventeur de cet apologue est dans ce même temps en train de surveiller de loin son harem et s’il est capable de lucidité dans MONTESQUIEU "Les Lettres Persanes"(lettre 14) 7 sa vision politique il ne l'est pas absolument pas dans ses affaires privées. Prolongement : Montesquieu reprend les mêmes idées sous forme d'essai dans De l'esprit des lois, livre I, III MONTESQUIEU "Les Lettres Persanes"(lettre 14) 8